ARTICLE 5 BIS (DEVENU ARTICLE 20 DE LA LOI DE FINANCES POUR 2012)
ADAPTATION DU RÉGIME DE LA TAXE SUR LES SERVICES DE TÉLÉVISION AFFECTÉE AU CENTRE NATIONAL DU CINÉMA ET DE L'IMAGE ANIMÉE

I. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (3ÈME SÉANCE DU JEUDI 20 OCTOBRE 2011)

M. le président. Je suis saisi de plusieurs amendements portant articles additionnels après l'article 5.

La parole est à Mme la ministre pour soutenir l'amendement n° 432 ainsi rédigé :

APRÈS L'ARTICLE 5, insérer l'article suivant :

I. - Le code du cinéma et de l'image animée est ainsi modifié :

1°) L'article L. 115-6 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Est également regardée comme distributeur de services de télévision toute personne proposant un accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. ».

2°) Le 2° de l'article L. 115-7 est ainsi rédigé :

« 2° Pour les distributeurs de services de télévision :

« a) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers, à l'exclusion de ceux qui sont passibles de l'impôt sur les sociétés, en rémunération d'un ou plusieurs services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 10 % ;

« b) Des abonnements et autres sommes acquittés par les usagers, à l'exclusion de ceux qui sont passibles de l'impôt sur les sociétés, en rémunération des offres, composites ou de toute autre nature, donnant accès à des services de communication au public en ligne ou à des services de téléphonie, dès lors que la souscription à ces services permet de recevoir, au titre de cet accès, des services de télévision. Le produit de ces abonnements et autres sommes fait l'objet d'une déduction de 55 %. »

3°) L'article L. 115-9 est ainsi modifié :

a) Les a) à i) du 2° sont remplacés par quatre alinéas ainsi rédigés :

« a) 0,5 % pour la fraction supérieure à 10 000 000 euros et inférieure ou égale à 250 000 000 euros ;

« b) 2,10 % pour la fraction supérieure à 250 000 000 euros et inférieure ou égale à 500 000 000 euros ;

« c) 2,80 % pour la fraction supérieure à 500 000 000 euros et inférieure ou égale à 750 000 000 euros ;

« d) 3,50 % pour la fraction supérieure à 750 000 000 euros. »

b) Après le mot : « au », la fin de la dernière phrase du 3° est ainsi rédigée : « d du 2° est majoré de 5,25 ».

II. - Les dispositions du I entrent en vigueur à une date fixée par décret qui ne peut être postérieure au 1 er janvier 2013.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Le présent amendement a pour objet d'adapter l'assiette de la taxe due par les distributeurs de services de télévision et affectée au Centre national du cinéma et de l'image animée, afin de faire échec à divers mécanismes d'optimisation qui menacent son produit.

Le texte proposé clarifie ainsi le champ de l'assiette de la taxe qui comprend toute offre permettant d'accéder à des services de télévision. Il prévoit que la taxe est assise tant sur les abonnements aux services de télévision distribués séparément que sur les abonnements à des services de communication électronique fixe et mobile à haut et très haut débit proposés au grand public, à l'exclusion donc des abonnements proposés aux entreprises, dès lors que leur souscription permet de recevoir des services de télévision.

Jusqu'à présent, nous avions une taxe sur les abonnements à la télévision qui alimentait le CNC. Une deuxième taxe a été créée sur les offres triple play des opérateurs de téléphonie mobile, c'est-à-dire des offres qui incluent la télévision.

Bien évidemment, certains opérateurs, voyant arriver cette taxe d'un mauvais oeil, ont décidé de ne plus proposer d'offre triple play , mais de faire une offre où la télévision serait facturée à part. En conséquence, la demande d'abonnements à la télévision auprès des fournisseurs d'accès à internet a dramatiquement baissé, de même que le produit de la taxe affectée au CNC. Or, sur internet, on ne trouve pas seulement des services de télévision mais aussi toute la vidéo à la demande qui constitue une offre cinématographique. En réalité, cette taxe qui vise à subventionner la production cinématographique faisait l'objet d'une évasion fiscale.

C'est pourquoi nous avons décidé d'adapter le barème de cette taxe selon le principe cher à la commission des finances : assiette large, taux faible. Nous avons donc assis ce barème sur l'ensemble des abonnements à internet, considérant que, peu ou prou, ils donnent tous accès à des films.

Pour tenir compte de cette modification, le barème de la taxe a été adapté. Le nombre de tranches a été réduit à 4 contre 9 précédemment, et les taux de chacune d'elles ont été modifiés. Compte tenu des prévisions de chiffres d'affaires communiquées par les opérateurs de communications électroniques fournisseurs d'accès à internet, le produit résultant de ce barème sera ainsi identique à celui perçu au titre de l'année 2010, soit 190 millions d'euros pour les seuls fournisseurs d'accès à internet.

En réalité, en élargissant l'assiette et en baissant le taux, on récupère le même produit qu'en 2010, tout en évitant un tarissement de cette taxe avec l'éviction des programmes de télévision des offres d'abonnements à internet.

Par ailleurs, en 2012, le produit de la taxe sur les services de télévision acquittée par l'ensemble des distributeurs de services de télévision sera plafonné à hauteur de 229 millions d'euros de manière à limiter à 700 millions d'euros le produit de l'ensemble des recettes affectées au CNC. Il s'agit d'éviter la ligne de fuite budgétaire que constituent ces taxes affectées qui ont une dynamique très forte, qui fournissent des ressources très importantes allant un peu au-delà de la volonté du législateur.

Notre objectif sera de limiter, en 2012, à 700 millions d'euros le produit de l'ensemble des recettes affectées au CNC. Les éventuels excédents seraient reversés au budget général de l'État à titre de contribution au redressement des finances publiques, car nous considérons que les budgets du CNC ont progressé de manière extrêmement dynamique au cours de ces dernières années.

M. le président. Quel est l'avis de la commission ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . A priori , je suis favorable à cet amendement qui permet de lutter contre des pratiques d'optimisation.

Il y a bientôt deux ans, lorsque j'étais rapporteur pour la réforme de la TVA sur les offres composites, j'avais mis en garde contre des modifications d'offres commerciales visant à limiter la fiscalité. À l'époque, la proposition du Gouvernement visait d'abord la TVA.

Actuellement, il s'agit de contournement de la taxe COSIP qui finance le Centre national du cinéma. Un certain opérateur dissocie l'offre de télévision - celle qui sert d'assiette à la taxe COSIP - en la faisant, le cas échéant, proposer par un organisme distinct. Ce faisant, il supprime ou limite l'assiette éligible à la taxe. Cet amendement tend donc à limiter ces contournements.

Cependant, madame la ministre, votre amendement comprend deux aspects : un premier, très technique, que je crois avoir compris ; un second, budgétaire, auquel je souscris à 100 %. Cela fait deux ans que nous mettons en évidence la dynamique extrêmement forte du panel de recettes affectées au Centre national du cinéma.

Chers collègues, je vais reprendre l'interrogation qu'avait eue, à propos d'un autre opérateur offrant le même type de services, notre excellent rapporteur spécial Patrice Martin-Lalande.

M. Michel Bouvard. Vive le rapporteur spécial !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Dès lors que la recette évolue plus vite que prévu, le supplément doit-il se convertir automatiquement en dépenses culturelles supplémentaires...

M. Michel Bouvard. Non !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . ...ou plutôt en réduction supplémentaire du déficit ?

M. Michel Bouvard et M. Lionel Tardy. Oui !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . J'ai à ce propos beaucoup apprécié la sagesse dont a fait preuve le rapporteur spécial, dont on sait pourtant à quel point il défend, jusqu'à des heures tardives, les intérêts légitimes du monde culturel. Cette ponction sur les recettes du CNC me paraît donc tout à fait d'actualité dans la mesure où, je vous le rappelle, madame la ministre, nous devons trouver cette nuit une bonne partie du milliard d'euros qui nous manque. Voilà déjà, si je comprends bien, 70 millions d'euros ; je suis donc tout à fait favorable à cet amendement.

M. le président. La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. L'amendement du Gouvernement est de bon sens. Lutter contre le contournement de la taxe, c'est de bon sens, de même que plafonner : on avait dit 700 millions d'euros, c'est 700 millions, et tout ce qui va au-delà est reversé. Au demeurant, le CNC n'est d'ailleurs pas le seul établissement pour lequel on procède ainsi. Le rapporteur général peut le confirmer : quand le produit des taxes affectées à un certain nombre d'organismes - des opérateurs au sens de la LOLF -, dépasse le montant fixé, on reverse l'excédent au budget général de l'État. C'est vraiment de bon sens.

M. Michel Bouvard. Exactement !

M. Philippe Vigier. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Patrick Bloche.

M. Patrick Bloche. Il est peut-être utile de rappeler, en cette heure tardive, que notre dispositif de financement du cinéma et de la production audiovisuelle est extrêmement vertueux, puisque ce sont les spectateurs, c'est-à-dire ceux qui regardent les films ou les productions audiovisuelles, qui contribuent à leur financement par un système de redistribution. À côté de la billetterie, pour l'exploitation en salles de cinéma, des obligations des chaînes de télévision, nous avons cette taxe sur les services de télévision que nous avons votée il y a quatre ans - à l'unanimité, faut-il le rappeler.

Quel est le problème aujourd'hui ? Premièrement, la taxe a un rendement supérieur à ce qui avait été prévu. Cela a déjà fait l'objet d'un débat lors de la discussion budgétaire de l'an dernier. Deuxièmement, des opérateurs ont cherché à la contourner. Du coup, il était nécessaire, nous en sommes tous d'accord, de remettre l'ouvrage sur le métier.

Reste que si notre dispositif de financement du cinéma et de la production audiovisuelle est vertueux, l'amendement que le Gouvernement nous propose d'adopter ne l'est qu'à moitié. Certes, il est vertueux en ce qu'il nous propose de réviser à la fois l'assiette et le barème de la taxe ; c'est très technique, mais le but est de faire en sorte, en abaissant le barème et en élargissant l'assiette, de faire en sorte que la taxe ne soit plus contournée par certains opérateurs. Il l'est beaucoup moins en ce qu'il cherche à plafonner à 700 millions d'euros le montant du produit de la taxe affecté au CNC.

Premièrement, on reverse 70 millions d'euros au budget général de l'État, qui ne contribue en rien au financement du cinéma et de la production audiovisuelle. Deuxièmement, c'est oublier un peu rapidement que l'État a récemment transféré au CNC à la fois le financement de la FEMIS et celui de la Cinémathèque française, plus quelque cinquante millions de crédits consacrés à l'action culturelle. C'est également oublier que le CNC a une mission, qu'il n'a pas achevée, de numérisation des salles et des oeuvres patrimoniales. C'est surtout oublier que le reversement de ce supposé trop-perçu de 70 millions d'euros au budget général de l'État fragilise, devant la Commission européenne, le dispositif qui permet de financer le cinéma en France depuis des décennies et qui nous permet d'avoir toujours un cinéma national.

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. Pour commencer, je ne peux m'empêcher de penser que cette taxe, dont notre collègue vient de montrer le caractère vertueux, n'est quand même pas si éloignée d'un autre principe, que nous avions défendu dans un autre débat : la licence globale... Mais passons.

M. Franck Riester. Cela n'a rien à voir !

M. François de Rugy. Nous n'allons pas rouvrir ce débat, mais enfin, cela montre qu'un financement assuré par un circuit vertueux entre consommateurs et producteurs est possible.

Sur le fond proprement dit, invoquer ce que M. de Courson appelle le bon sens...

M. Charles de Courson. Près de chez vous !

M. François de Rugy. ...est bien pratique pour présenter une taxe qui, ne soyons pas naïfs, sera dans la pratique prélevée sur nos concitoyens : les opérateurs ne manqueront pas d'en répercuter une grande partie sur le prix des services et des abonnements.

M. Franck Riester. C'est ce qui se fait déjà !

M. François de Rugy. On explique aux Français que c'est pour financer le CNC mais, par un petit tour de passe-passe budgétaire, on va en plafonner la recette. Après tout, pourquoi pas ? Je ne suis pas forcément contre, mais qu'on le veuille ou non, c'est une recette de poche : une fois de plus, on prend dans la poche des Français pour boucher les trous.

M. Michel Bouvard. C'est le principe d'universalité budgétaire !

M. François de Rugy. M. le rapporteur général lui-même vient d'en faire l'aveu - ahurissant à ce stade de la discussion budgétaire : « Nous avons besoin de trouver 1 milliard d'euros, en voilà déjà soixante-dix millions ! »

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire . Et alors ?

M. François de Rugy. Combien de fois allez-vous continuer ainsi ? Sur combien de taxes ? On explique aux Français que c'est pour financer le cinéma mais, en fait, c'est pour boucher les trous que vous avez creusés !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Si vous voulez aller plus loin qu'un milliard, on vous suivra !

M. le président. La parole est à M. Lionel Tardy.

M. Lionel Tardy. Cet amendement va dans le même sens qu'un amendement que j'avais moi-même préparé.

Une taxe sur les services de télévision alimente le CNC. Son assiette varie selon que le redevable est un éditeur ou un distributeur de services de télévision, avec un cas particulier, celui des fournisseurs d'accès à internet, dont l'offre composite comporte d'autres services, tels l'accès à internet ou la téléphonie VOIP.

Le montant de ce prélèvement est intégralement reversé au compte de soutien aux industries de programme, COSIP, lui-même géré par le CNC.

Le problème est que cette taxe connaît un rendement croissant depuis plusieurs années, ce qui a pour effet de constituer un véritable trésor de guerre au profit du CNC.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . C'est tout à fait exact !

M. Lionel Tardy. Le rapporteur général du budget au Sénat, M. Marini, en avait déjà fait le constat l'an dernier.

Rappelons les chiffres, qui me font d'ailleurs dire que le seuil retenu par le Gouvernement est relativement élevé : la taxe a rapporté 324 millions d'euros en 2004, 377 millions d'euros en 2008 et 451 millions d'euros en 2009 ; le produit attendu pour l'année 2011 étant estimé à 583 millions d'euros.

Je pense donc que nous pouvons effectivement fixer une limite à tout cela.

M. le président. La parole est à M. Richard Dell'Agnola.

M. Richard Dell'Agnola. Je veux confirmer cette lecture et apporter un éclairage particulier.

Il y a quelques jours, la mission d'évaluation et de contrôle a remis un rapport sur les opérateurs culturels : nous devions vérifier dans quelle mesure le produit des taxes affectées était en adéquation avec la situation budgétaire des affectataires. Au fond, l'affectation du produit d'une taxe à un opérateur est synonyme d'absence de contrôle du Parlement ; il n'est jamais très sain que le Parlement ne puisse pas contrôler les recettes des opérateurs.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . C'est très juste !

M. Richard Dell'Agnola. C'est particulièrement vrai lorsque les recettes de l'opérateur se révèlent finalement supérieures de 10 % à ce qui était attendu ; en l'occurrence, s'agissant du CNC, qui assume très bien ses missions et qui doit numériser les salles de cinéma, les recettes seront en fait de 770 millions d'euros au lieu des 700 millions attendus. Il n'est pas absurde, et c'est même tout à fait naturel, que le surplus de la taxe affectée soit reversé au budget général de l'État. C'est en tout cas ce que proposent les députés membres de la mission d'évaluation et de contrôle.

M. le président. La parole est à M. Michel Bouvard.

M. Michel Bouvard. Je veux dire combien je souscris à la proposition du Gouvernement ; je l'avais déjà dit lors de la discussion générale. Il ne faut tout de même pas oublier le principe de l'universalité budgétaire, sinon cela n'a plus de sens ! Les recettes affectées l'ont été à un moment donné ; et dès lors qu'elles sont affectées à 100 %, le tort du Parlement fut de ne pas se préoccuper de recettes sur lesquelles nous n'avions plus aucune information.

M. Lionel Tardy. Tout à fait !

M. Michel Bouvard. On ne savait pas si elles étaient surdimensionnées, ni de combien ; on n'en avait vraiment plus de nouvelles !

Le débat s'est tenu pour la première fois il y a quelques années à propos de la taxe de francisation prélevée au profit du Conservatoire du littoral : c'est là que nous nous sommes aperçus qu'à tout transférer, nous perdions tout contrôle.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Très bien !

M. Michel Bouvard. Je me réjouis donc du fait que l'on revienne à un contrôle des taxes affectées et que l'on puisse les calibrer au vu des besoins réels. Il n'y a aucune raison de laisser s'accumuler des excédents pendant que l'État est obligé d'emprunter sur les marchés à des taux de plus en plus coûteux. Il faut revenir à quelque chose de très simple : la règle de l'universalité budgétaire !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Excellent !

(L'amendement n° 432 est adopté.)

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120022.asp#P456_83864