III. DÉBATS ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE (3ÈME SÉANCE DU JEUDI 20 OCTOBRE 2011)

M. le président. La parole est à M. François de Rugy, inscrit sur l'article 5.

M. François de Rugy. Je me suis inscrit sur l'article 5, monsieur le président, car je voudrais avoir quelques précisions de la part du Gouvernement sur le dispositif proposé, qui a été introduit assez tardivement dans le projet de budget.

Certains ont pu croire au début, faute d'avoir lu attentivement l'article, qu'il s'agissait de la renaissance de la taxe carbone. En réalité, il s'agit plutôt d'une mini-taxe carbone, vraiment mini puisque le Gouvernement en attend moins de 250 millions de recettes.

Je tiens à savoir clairement de quoi il s'agit : est-ce une première étape vers une taxation plus importante des émissions de carbone ou seulement une mesure liée au dispositif européen, un tour de passe-passe budgétaire pour financer l'achat de droits à polluer ? En tout cas, c'est malheureusement encore l'occasion de souligner que, sur le sujet pourtant gravissime des émissions de gaz à effet de serre, on en reste vraiment aux mesurettes.

M. le président. Je suis saisi d'un amendement, n° 53, tendant à supprimer l'article 5.

La parole est à M. Charles de Courson.

M. Charles de Courson. La commission des finances a souhaité supprimer cet article, non pas qu'elle soit contre l'idée du Gouvernement de trouver une solution pour éviter que les achats de quotas pèsent sur le budget de l'État, mais parce que le dispositif proposé nous est apparu inadapté. Il s'agit donc d'un appel à réécrire le texte.

Je crois que le Gouvernement a une proposition à faire à l'Assemblée. Il serait bien que, dès maintenant, Mme la ministre puisse s'exprimer sur cette délicate affaire.

M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Je vais d'abord répondre à M. de Rugy, puis présenter à l'ensemble des députés l'esprit de l'amendement du Gouvernement et surtout l'esprit de l'article, car celui-ci a tout de même une utilité très forte.

Non, monsieur de Rugy, le dispositif proposé n'est pas une taxe carbone ni même un embryon de taxe carbone. Il s'agit de l'attribution aux entreprises françaises des quotas gratuits qui figurent dans le plan national d'allocation de quotas 2008-2012, le PNAQ II. La France a décidé d'attribuer aux entreprises 100 % de quotas gratuits, décision - c'est important - qui a été publiée, notifiée à la Commission européenne et approuvée par cette dernière. Or, une fois que les États membres ont arbitré entre allocations gratuites totales et allocations gratuites partielles, il n'y a plus de possibilité de revenir en arrière. Le problème, c'est que les quotas gratuits ont été distribués et qu'il nous en manque pour les nouveaux entrants sur le marché Exchange trading scheme . Nous voulons donc pouvoir générer des quotas gratuits supplémentaires pour que le site France ne perde pas en attractivité industrielle du fait que nous n'aurions plus de quotas gratuits à distribuer.

Je pense que la commission des finances propose la suppression de cet article uniquement parce qu'il lui a paru mal rédigé ou peser excessivement sur un certain nombre d'entreprises. Or le supprimer reviendrait mécaniquement à creuser le déficit de la France d'environ 223 millions d'euros puisque nous devons attribuer ces quotas aux entreprises gratuitement.

Pour répondre au souci exposé par la commission, le Gouvernement a déposé l'amendement n° 421 rectifié, selon lequel le montant exigible ne peut excéder, pour chacune des personnes taxées, le résultat du produit du nombre total des quotas d'émissions de gaz à effet de serre alloué au titre de la période allant du 1 er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, par 6,18 euros. Il s'agit de plafonner le montant de la contribution à cette nouvelle taxe de chacune des entreprises concernées en la limitant à une somme égale à la valeur des quotas alloués auxdites entreprises selon le dernier cours connu, soit 10,30 euros, minoré de 40 %, ce qui permettra d'éviter que les petits allocataires ne soient de grands contributeurs.

L'amendement n°I-421 rect, présenté par le gouvernement, est ainsi rédigé :

A l'article 5, après l'alinéa 3, insérer l'alinéa suivant :

« Le montant exigible ne peut excéder, pour chacune des personnes visées au I, le résultat du produit du nombre total des quotas d'émissions de gaz à effet de serre alloué au titre de la période allant du 1 er janvier 2008 au 31 décembre 2012, pour l'ensemble des installations exploitées, par 6,18 euros. ».

La perte d'assiette liée à ce plafonnement sera compensée par un ajustement du taux au sein - c'est important - de la fourchette fixée dans la rédaction initiale de l'article 5. Au montant maximum de cette fourchette, on taxera toutes les entreprises concernées en plafonnant le montant de la taxe pour les plus grandes d'entre elles en fonction des quotas qu'elles auront déjà reçus. Ainsi, la taxation sera bien étalée, selon un principe très cher à la commission des finances : assiette large, taux faible.

M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Je vais expliquer pourquoi la commission a rejeté l'article 5.

La correction du plan national d'allocation des quotas fait l'objet d'efforts depuis plusieurs années. En 2008, le Gouvernement a essayé de modifier le plan quantitativement ; il s'est avéré rapidement que c'était anti-communautaire. Il a donc fallu chercher une autre solution. Celle-ci a été proposée dans la loi de finances pour 2011 par nos collègues sénateurs. Au départ, elle paraissait tout à fait viable : sans toucher à la répartition entre les entreprises, puisque la Commission européenne s'y opposait, elle rendait payante une fraction de ces quotas dès le plan actuel 2008-2012. On s'appuyait ainsi sur l'exemple de l'Allemagne et de l'Autriche. Puis, début 2011, le Conseil d'État a estimé que cette solution était, elle aussi, contraire au droit communautaire. Je rappelle tout cela pour montrer la difficulté à aboutir à une rédaction satisfaisante.

Puisqu'il n'a pas les moyens financiers d'acheter des quotas au cours actuel, environ 10 euros la tonne, l'État, propose de créer une taxe pour pouvoir le faire. Du fait des échecs précédents de la modification du PNAQ puis de la tentative de rendre les quotas payants, le Gouvernement propose d'asseoir la répartition de la taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises. Mais on voit bien le problème : un système qui pénalise les émissions de CO 2 en prenant comme critère de répartition le chiffre d'affaires peut conduire à des absurdités telles que pénaliser l'entreprise à très gros chiffre d'affaires qui pollue peu beaucoup plus que celle qui a un petit chiffre d'affaires mais qui pollue beaucoup.

La commission s'est donc creusé la tête, elle a étudié plusieurs propositions, et puis, le sujet étant très difficile, elle s'en est remise à l'inventivité et à la créativité du Gouvernement,...

M. François de Rugy. C'est toujours la même chose !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . ...en indiquant tout de même une direction : un système pondérant la part du chiffre d'affaires et celle des émissions de CO 2 dans le calcul de la taxe.

Madame la ministre, vous nous proposez de continuer à répartir la taxe en fonction du chiffre d'affaires, mais en plafonnant. Ainsi, une entreprise qui aurait un gros chiffre d'affaires mais qui ne polluerait pas beaucoup bénéficierait d'un plafonnement. Le plafond serait égal au prix de la tonne, que vous avez fixé à 6,18 euros, multiplié par le quota alloué à l'entreprise divisé par le total des quotas.

M. François de Rugy. Vous vous compliquez la vie à un point !

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Si je parlais rugby, je dirais qu'en premier rideau, on garde le chiffre d'affaires, mais en deuxième rideau, on le corrige par les quotas. Est-ce bien cela grosso modo ?

Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui, ce sera divisé par le nombre des quotas qui ont déjà été attribués.

M. Pierre Gosnat. Là, il y a placage ! (Sourires.)

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Je voudrais maintenant savoir combien d'entreprises seront plafonnées. Du fait du plafonnement, ces entreprises paieront moins que ce qu'elles auraient dû payer, et la différence sera reportée sur les autres entreprises. Quel effort supplémentaire cela représentera-t-il pour celles-ci ?

M. François de Rugy. Question à 850 millions d'euros !

M. le président. La parole est à M. François de Rugy.

M. François de Rugy. J'ai demandé des éclaircissements à Mme la ministre, qui m'a exposé le dispositif tel qu'il était dans la première rédaction, en indiquant seulement qu'il y aura des évolutions.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Non.

M. François de Rugy. Le rapporteur général vient de faire une longue intervention, mais on ne peut pas dire qu'elle nous a beaucoup éclairés.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Ah bon ?

M. François de Rugy. Les fumées de CO 2 nous ont complètement embrumés s'agissant de l'aspect technique.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . M. Jacob a parfaitement compris. (Sourires.)

M. François de Rugy. Peut-être, ou surtout, est-ce parce qu'il n'écoutait pas très attentivement ! (Sourires.) Comme les agriculteurs de Seine-et-Marne ne sont pas concernés, il a dû se dire que ce débat n'était pas très important. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe UMP.)

Vous tournez autour du pot, madame la ministre. Vous essayez de faire payer par les entreprises qui bénéficient des quotas le financement d'achats de nouveaux quotas,...

Mme Valérie Pécresse, ministre. Oui.

M. François de Rugy. ...mais sans le faire directement de crainte que cela ne passe pas la rampe pour l'Union européenne.

Vous vous compliquez énormément la vie parce que vous ne voulez pas créer une fiscalité écologique digne de ce nom et une fiscalité carbone. Vous le faites un peu en entrant dans la logique de la taxation de l'émission de la tonne de CO 2 à laquelle vous donnez un prix, d'ailleurs très bas, très inférieur à celui qui était envisagé dans le premier projet de taxe carbone, c'est-à-dire 17 euros la tonne, si j'ai bonne mémoire.

Il faut que vous trouviez un dispositif beaucoup plus clair, sinon cela veut dire que ce n'est pas prêt et qu'il vaut mieux attendre un prochain projet de loi de finances.

M. le président. La parole est à M. Michel Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Je ne fais pas tout à fait la même lecture que notre rapporteur général de l'amendement proposé par le Gouvernement.

Gilles Carrez a excellemment rendu compte des raisons pour lesquelles la commission des finances n'a pas accepté la rédaction initialement proposée par le Gouvernement. Cette rédaction posait une question de fond : le rapport entre l'assiette de la taxe, c'est-à-dire le chiffre d'affaires de l'entreprise, et la destination du produit de la taxe, c'est-à-dire le financement de quotas d'émission de CO 2 .

Or le chiffre d'affaires d'une entreprise peut être sans rapport avec le volume de ses émissions de CO 2. C'est le cas en particulier du secteur de la construction automobile qui représente 0,3 % des allocations de quotas mais 6 % du produit de la taxe.

Cet écart considérable pose notamment le problème de la rupture d'égalité devant des charges publiques : deux entreprises qui émettent les mêmes quantités de CO 2 peuvent être taxées tout à fait différemment selon le montant de leur chiffre d'affaires ; pire encore, l'entreprise qui émet le moins de CO 2 peut être taxée plus fortement que l'autre si son chiffre d'affaires est supérieur.

Nous sommes donc véritablement devant un problème de rupture d'égalité devant les charges publiques. D'où l'amendement n° 148 que j'avais proposé, dont nous pouvons parler maintenant puisque tout est lié, mais qui ne me satisfait pas complètement. En réalité, je trouve que la rédaction de l'amendement n° 421 rectifié du Gouvernement est bien meilleure, mais je voudrais être sûr d'en faire la même interprétation que la ministre.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Michel Diefenbacher et le rapporteur général ont bien compris la logique de l'amendement. Le problème est que nous ne pouvons pas taxer les entreprises directement en fonction des quotas que nous leur avons attribués, sinon nous remettrions en cause le principe de l'attribution gratuite que nous avons notifié et qui a été accepté par la Commission européenne.

Dès lors, étant obligés de trouver un autre critère de taxation, nous avons pris celui du chiffre d'affaires, une mesure objective de l'activité de l'entreprise.

M. François de Rugy. C'est ce qui est absurde, il n'y a aucun lien avec les émissions de CO 2 .

Mme Valérie Pécresse, ministre. De ce fait, et la commission des finances n'a pas manqué de le relever, certaines entreprises allaient être taxées de manière beaucoup plus forte que leur émission de CO 2 ne le justifiait. Nous avons donc mis un tempérament à cette règle, en plafonnant la contribution des entreprises au prorata du produit des droits à polluer qu'elles avaient déjà reçus. Nous avons donc cette taxe sur le chiffre d'affaires et nous avons un plafond.

Pour répondre à votre question précise, monsieur le rapporteur général, 5 % des entreprises taxées sont concernées par ce plafonnement. L'écrêtement résultant de ce plafonnement sera redistribué sur les 95 % d'entreprises qui restent.

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Sur 400 entreprises.

Mme Valérie Pécresse, ministre. Exactement, il y a 400 entreprises.

L'amendement initial prévoyait une fourchette de taxation comprise entre 0,08 % et 0,12 %. Nous nous placerons à la limite supérieure de cette fourchette, soit 0,12 %, pour toutes les entreprises. Nous restons donc dans la fourchette de l'amendement initial.

L'augmentation de la taxation, même pour les petits contributeurs, ne sera pas extrêmement élevée. Au total, l'écrêtement représente 30 millions d'euros qui seront répartis sur les 95 % d'entreprises qui n'ont pas bénéficié de l'écrêtement.

Monsieur de Rugy, permettez-moi de vous dire que cette question des droits à polluer est essentielle dans le débat européen pour toutes les entreprises industrielles. Nous devons préserver la compétitivité industrielle de notre pays.

M. le président. L'amendement n° 53 est-il maintenu, monsieur le rapporteur général ?

M. Gilles Carrez, rapporteur général . Il est retiré, monsieur le président.

(L'amendement n° 53 est retiré.)

M. le président. Dans cette perspective, l'amendement n° 210 est-il également retiré ?

M. Charles de Courson. Oui, monsieur le président.

(L'amendement n° 210 est retiré.)

M. le président. Les amendements n os 148 et 421 rectifié peuvent être soumis à une discussion commune.

Nous avons compris que vous retirez l'amendement n° 148, monsieur Diefenbacher.

M. Michel Diefenbacher. Je le retire au bénéfice de celui du Gouvernement, après les explications d'une clarté limpide de Mme la ministre.

Mme Valérie Pécresse, ministre. C'est parce que les questions étaient bien posées.

(L'amendement n° 148 est retiré.)

M. le président. Il reste l'amendement n° 421 rectifié, déjà présenté par Mme la ministre.

(L'amendement n° 421 rectifié, accepté par la commission, est adopté.)

(L'article 5, amendé, est adopté.)

http://www.assemblee-nationale.fr/13/cri/2011-2012/20120022.asp#P382_68092