Mmes Fabienne Keller et Marie-Hélène des Esgaulx et MM. Gérard Miquel et François Fortassin, rapporteurs spéciaux

CHAPITRE V
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LE NOUVEAU COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE « SERVICES NATIONAUX DE TRANSPORT CONVENTIONNÉS DE VOYAGEURS »

Le présent compte d'affectation spéciale (CAS), équilibré et doté de 210 millions d'euros en recettes comme en dépenses, constitue une innovation budgétaire et est le « pendant » de l'article 33 du présent projet de loi de finances, au commentaire duquel il convient également de se référer.

I. UN COMPTE D'EXTERNALISATION DU DISPOSITIF DE PÉRÉQUATION DES TRAINS D'ÉQUILIBRE DU TERRITOIRE

A. LE DÉFICIT STRUCTUREL DES LIGNES D'ÉQUILIBRE DU TERRITOIRE IMPLIQUE UNE PÉRÉQUATION

Les lignes exploitées par les branches d'activité « SNCF Proximités » (trains Corail Intercités) et « SNCF Voyages » (trains Corail Téoz, Lunéa et autres trains de nuit), dénommées de manière générique « Corail », sont structurellement déficitaires. Quarante lignes sont ainsi concernées , représentant chaque jour environ 340 trains qui transportent 100 000 voyageurs. Selon la SNCF, seules quatre lignes seraient rentables : Paris-Clermont, Paris-Limoges-Toulouse, Paris-Rouen-Le Havre et Paris-Caen-Cherbourg.

Dans le cadre d'un audit conduit en collaboration avec la société KPMG, le déficit d'exploitation actuel de ces lignes a été évalué par la SNCF et l'Etat à 190 millions d'euros pour l'exercice 2009, hors rémunération de l'exploitant. La SNCF estime par ailleurs que les besoins d'investissements nécessaires à l'entretien, la modernisation et au renouvellement du matériel roulant s'élèveraient à 1,5 à 2 milliards d'euros au cours des quinze prochaines années .

L'équilibre financier de ces lignes dites « d'équilibre ou d'aménagement du territoire » repose aujourd'hui sur l'existence d'une péréquation interne à la SNCF entre les produits et les charges de l'ensemble des lignes exploitées, en particulier des lignes à grande vitesse (LGV), globalement excédentaires mais dont les marges d'exploitation se réduisent, vers les lignes Corail.

B. DE NOUVELLES CONTRAINTES ÉCONOMIQUES ET EUROPÉENNES

Il n'existe actuellement aucun dispositif juridique prévoyant ou encadrant le financement des obligations de service public de la SNCF en matière d'équilibre du territoire. Or le règlement européen n° 1370/2007 du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2007 relatif aux services publics de transport de voyageurs par chemin de fer et par route, dit « règlement OSP », (obligations de service public), entré en vigueur le 3 décembre 2009, conduit à assimiler les lignes d'équilibre du territoire à une obligation de service public, susceptible d'être compensée par l'Etat . Le financement de la compensation de cette obligation et le monopole dont dispose actuellement la SNCF sur ces lignes impliquent la mise en place d'une contractualisation .

En outre, l'ouverture à la concurrence , depuis le 13 décembre 2009, des services de transports ferroviaires internationaux de voyageurs, qui préfigure celle des services de transports ferroviaires nationaux de voyageurs à une date non encore déterminée 71 ( * ) , devrait remettre en question à moyen terme la viabilité du mécanisme de péréquation interne à la SNCF , en réduisant la profitabilité des LGV les plus rentables, et en limitant ainsi la capacité de la SNCF à financer les pertes de l'activité Corail.

Compte tenu de ces évolutions juridiques et économiques, le financement des lignes d'équilibre du territoire ne peut plus prendre la forme d'une péréquation interne à la SNCF. Le principe même d'une péréquation n'est pas remis en cause, mais il apparaît nécessaire de repenser son fonctionnement, en particulier pour que l'ensemble des entreprises ferroviaires positionnées sur les services nationaux de voyageurs en France puissent à terme contribuer au financement de l'exploitation des lignes d'équilibres du territoire. Les nouvelles modalités de financement doivent donc couvrir le renouvellement du matériel roulant nécessaire à l'exploitation des lignes d'équilibre du territoire, la SNCF étant globalement en perte sur les lignes Corail.

Enfin, afin de ne pas laisser la charge au seul mode ferroviaire du financement de ces lignes déficitaires, il est apparu pertinent de faire financer par le mode routier une part modeste du déficit au titre de l'effort d'aménagement du territoire, du report modal prévu par le Grenelle de l'environnement et de la possibilité pour les compagnies ferroviaires de recourir à l'avenir à des bus longue distance.

C. LE CHOIX D'UN COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE

Pour externaliser la péréquation actuellement assurée de manière interne à la SNCF et pérenniser le financement intramodal actuel, trois options principales ont été envisagées :

- l'affectation directe d'une ou plusieurs taxes à l'opérateur de service public (SNCF ou entreprise concurrente) pour le financement des lignes d'équilibre du territoire ;

- l'affectation d'une ou plusieurs taxes au budget général de l'Etat et un financement du déséquilibre à l'opérateur de service public par une contribution de l'Etat sous la forme de crédits du budget général ;

- la création d'un compte d'affectation spéciale (CAS), retraçant en recettes le produit d'une ou plusieurs taxes et en dépenses la contribution de l'Etat versée à l'opérateur pour la prise en charge du déficit d'exploitation des lignes d'équilibre du territoire.

C'est cette dernière solution qui a été privilégiée pour les raisons suivantes :

- elle permet à la fois d'intégrer au sein du budget de l'Etat le financement de l'obligation de service public et de perpétuer la logique actuelle de péréquation ;

- elle est conforme aux dispositions du I de l'article 21 de la LOLF, qui dispose que les CAS « retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe avec les dépenses concernées . Ces recettes peuvent être complétées par des versements du budget général, dans la limite de 10 % des crédits initiaux de chaque compte » ;

- elle garantit la mesure de la performance et la transparence du financement des trains d'équilibre du territoire, donc le contrôle démocratique du Parlement ;

- elle préserve la soutenabilité budgétaire du dispositif et permet de réguler les dépenses en maintenant l'incitation vertueuse à un meilleur contrôle de l'évolution des déficits des lignes Corail , dans la mesure où, en cours d'année, le total des dépenses engagées ou ordonnancées sur un CAS ne peut excéder le total des recettes constatées, conformément au II de l'article 21 de la LOLF.

D. UN COMPTE TRIBUTAIRE DU FUTUR CONTRAT DE SERVICE PUBLIC

La création du présent CAS précède donc le futur contrat de service public entre l'Etat, nouvelle autorité organisatrice de transports, et la SNCF, afférent à l'obligation d'assurer la continuité des TET et qui devrait être conclu d'ici la fin de l'année 2010. Cette convention fixera les conditions économiques et tarifaires de l'obligation de service public, dont les charges, les recettes et la compensation prévue par le règlement OSP, les contreparties demandées à la SNCF en termes de gains de productivité, et les éventuelles facultés de répercussion sur les tarifs dans le cadre plus général d'un assouplissement de l'encadrement des prix des billets des TGV.

L'annexe du règlement OSP prévoit en effet que la méthode de compensation « doit inciter au maintien ou au développement d'une gestion efficace par l'opérateur de service public , qui puisse être objectivement appréciée, et de la fourniture de services de transport de voyageurs d'un niveau de qualité suffisant ».

La convention a été précédée d'un engagement formalisé à Troyes le 4 novembre 2010 et signé par les principales parties prenantes 72 ( * ) . Cet engagement comporte deux axes qui annoncent ceux de la convention : la redynamisation des TET et l'amélioration de la qualité du service. La convention devra être approuvée par le conseil d'administration de la SNCF et requerra une modification du cahier des charges de la SNCF (prévu par un décret du 13 septembre 1983), en particulier de son article 6 qui prévoit que « la consistance des services nationaux est définie par la SNCF ».

Votre rapporteur spécial insiste sur le fait que l'externalisation de la péréquation ne constitue pas une garantie future de financement du déficit des TET par l'Etat quelles que soient les conditions futures d'exploitation, mais doit au contraire, conformément à la lettre et à l'esprit du règlement communautaire, introduire un puissant facteur d'incitation à une restauration progressive de l'équilibre par une action sur les coûts et les recettes .


* 71 Selon le projet de Livre blanc de la Commission européenne sur les transports ferroviaires, une proposition législative devrait être présentée d'ici fin 2012.

* 72 Soit Nicolas Sarkozy, Président de la République, Jean-Louis Borloo, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la fonction publique, Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire, et Guillaume Pépy, président de la SNCF.