V. RAPPORT SÉNAT N° 111 TOME III (2010-2011)

Commentaire : le présent article propose plusieurs améliorations du régime de déduction des redevances de concession de brevet afin de favoriser l'exploitation de ces titres sur le territoire national tout en instaurant des dispositions anti-abus destinée à dissuader les comportements d'optimisation fiscale.

I. LA TAXATION RÉDUITE DES PLUS-VALUES DE CESSIONS ET DES CONCESSIONS DE BREVETS ET LES RÈGLES DE DÉDUCTION POUR LE CESSIONNAIRE

A. LE CAS GÉNÉRAL

En application de l'article 39 terdecies et du a quater du I de l'article 219 du code général des impôts, le régime des plus-values à long terme s'applique aux plus-values de cession de brevets et d'inventions brevetables ainsi qu'au résultat net de la concession de licence d'exploitation de ceux-ci.

Ce régime des plus-values à long terme est également applicable à la plus-value de cession ou au résultat net de la concession d'un procédé de fabrication industriel si, cumulativement :

- il constitue le résultat d'une opération de recherche ;

- il est l'accessoire indispensable de l'exploitation d'un brevet ou d'une invention brevetable ;

- il est cédé ou concédé simultanément au brevet ou à l'invention brevetable dont il est l'accessoire et aux termes du même contrat que celui-ci.

Le taux réduit d'imposition 3 ( * ) est applicable aux plus-values tirées de la cession de brevets, d'inventions brevetables et de procédé de fabrication industriel ainsi qu'au résultat net de la concession de ceux-ci. Le coût de ces taux réduits est estimé à 800 millions d'euros en 2010 et en 2011.

En revanche, les brevets, les inventions brevetables et les procédés de fabrication industriels sont amortis dans les conditions de droit commun chez le cessionnaire et les redevances de concession sont également déduites dans les conditions de droit commun chez le concessionnaire, au taux de 33,33 % si ce dernier est soumis à l'impôt sur les sociétés.

B. LE CAS PARTICULIER DES ENTREPRISES LIÉES

Des règles dérogatoires sont cependant prévues afin d'éviter que l'application du régime des plus-values à long terme et le différentiel de taux entre celui-ci et les règles de déduction ne se traduisent par des phénomènes d'optimisation fiscale liés à l'existence de liens de dépendance entre les entreprises concernées.

L'article 54 de la loi de finances rectificative pour 2001 (loi n° 2001-1276 du 28 décembre 2001) a ainsi instauré le taux réduit d'imposition aux redevances de brevets même lorsqu'il existe des liens de dépendance entre l'entreprise concédante et l'entreprise concessionnaire ; en contrepartie, le concessionnaire ne peut déduire les redevances versées que dans la limite de 15/33,33 èmes ou 16/33,33 èmes (selon qu'elles sont imposées à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu) 4 ( * ) .

Cette évolution paraissait nécessaire, les dispositions précédentes incitant les groupes multinationaux à loger leurs brevets en France et à les concéder à une de leurs filiales étrangères afin de bénéficier du taux réduit. Cela entraînait à la fois, et paradoxalement :

- des critiques communautaires , le rapport dit « Primarolo » du 23 novembre 1999, consacré aux bonnes pratiques en matière de fiscalité des entreprises, ayant pointé du doigt l'incitation excessive à loger ses brevets en France ;

- et un problème de compétitivité , les groupes souhaitant exploiter eux-mêmes leurs brevets français étant incités à les concéder à une filiale située hors de France afin de bénéficier du taux réduit.

C. UN PROBLÈME DE COMPÉTITIVITÉ QUI DEMEURE

Si cette réforme a répondu aux critiques communautaires, le dispositif demeure perfectible en termes de compétitivité.

En effet, les groupes qui ont localisé leurs brevets en France gardent un intérêt objectif à en concéder l'exploitation à l'une de leurs filiales situées à l'étranger plutôt qu'à l'une de leurs filiales françaises . Dans les deux cas, ils pourront bénéficier du taux réduit de 15 % sur l'imposition des redevances. Mais en cas d'exploitation en France, cet avantage sera neutralisé car la filiale française ne pourra déduire la redevance qu'elle verse qu'à hauteur de 15/33 èmes de son montant, tandis qu'en cas d'exploitation hors de France, la filiale étrangère, non soumise à la limitation prévue par le droit français, pourra déduire sa redevance dans les conditions de droit commun en vigueur à l'étranger.

Par ailleurs, l'exclusion actuelle des sous-concessions de brevets du bénéfice du taux réduit n'incite pas les sociétés à développer des partenariats avec les détenteurs publics et privés de ces brevets, alors même que les concédants n'ont pas, dans certains cas, bénéficié du taux réduit (sociétés étrangères ou organismes publics de recherche).

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

A partir de ce constat, le présent article propose, pour l'essentiel, de supprimer la limite de déduction entre entreprises liées et d'appliquer le taux réduit, dans certaines conditions, aux sous-concessions de brevets, tout en instaurant, dans les deux cas, des dispositions anti-abus.

A. LA SUPPRESSION DE LA LIMITE DE DÉDUCTION DE LA REDEVANCE ENTRE ENTREPRISES LIÉES

Le I du présent article propose de modifier le 12 de l'article 39 du code général des impôts afin de supprimer la limite de déduction de 15/33,33 èmes (ou 16/33,33 èmes ) sur les redevances de concession versées par un concessionnaire à un concédant auquel il est lié 5 ( * ) . Un tel aménagement présente à la fois des avantages et des inconvénients.

Ce dispositif vise à répondre au problème de compétitivité évoqué ci-dessus. Les groupes internationaux ne seront, dès lors, plus « désincités » à exploiter leurs brevets « en interne » au travers d'une filiale française car ils pourront bénéficier du taux réduit sur les redevances versées sans que ladite filiale ne soit pénalisée par les règles de déduction.

Pour éviter les comportements abusifs, notamment la mise en place de concessions « fictives » dans le seul but de bénéficier du différentiel de taux entre la taxation et la déduction des redevances, le texte proposé précise que la suppression de la limite des déduction des redevances versées par le concessionnaire au concédant auquel il est lié ne s'applique qu'à la condition expresse que l'entreprise concessionnaire exploite « de manière effective » les droits de propriété industrielle qui lui ont été concédés .

Aux termes de la nouvelle rédaction proposée pour le premier alinéa du 12 de l'article 39 du code général des impôts, le caractère effectif de l'exploitation sera apprécié « notamment » en fonction des a et b de l'article L. 611-13 du code de la propriété intellectuelle. Cela concerne donc les cas où le concessionnaire :

- n'a pas commencé à exploiter ou fait des préparatifs effectifs et sérieux pour exploiter l'invention objet du brevet sur le territoire d'un Etat membre de l'Union européenne ou d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ;

- n'a pas commercialisé le produit objet du brevet en quantité suffisante pour satisfaire aux besoins du marché français ;

- ou a abandonné l'exploitation ou la commercialisation susmentionnée depuis plus de trois ans.

Dès lors, en cas de concessions « fictives », la limite de déduction de 15/33,33 èmes (ou 16/33,33 èmes ) continuerait à s'appliquer à l'entreprise concessionnaire liée .

B. L'APPLICATION DU TAUX RÉDUIT AUX SOUS-CONCESSIONS

1. Le cas où le sous-concessionnaire est le premier à bénéficier de l'avantage fiscal

Le II du présent article propose de modifier le 1 de l'article 39 terdecies du même code afin d'introduire une exception au principe général d'interdiction de l'application du bénéfice du régime des plus-values à long terme lorsque les droits de propriété industrielle ne présentent pas le caractère d'élément de l'actif immobilisé ou ont été acquis à titre onéreux depuis moins de deux ans . Ainsi, ce régime favorable trouverait désormais à s'appliquer « si l'entreprise concédant la licence d'exploitation prise en concession est la première entreprise bénéficiant à ce titre du régime des plus-values à long terme ».

En somme :

- si le concédant bénéficie du régime des plus-values à long terme sur les redevances versées par son concessionnaire, celui-ci, en tant que sous-concédant, n'en bénéficiera pas sur les redevances versées par son sous-concessionnaire. En d'autres termes, le droit actuel continuerait de s'appliquer ;

- à l'inverse, si le concédant ne bénéficie pas du régime des plus-values à long terme sur les redevances versées par son concessionnaire 6 ( * ) , celui-ci, en tant que sous-concédant, pourra bénéficier dudit régime sur les redevances versées par son sous-concessionnaire .

Là encore, le présent article prévoit des clauses anti-abus.

D'une part, comme exposé précédemment, en ne prévoyant qu'un seul échelon de transmission, le dispositif proposé interdit que soient organisées des concessions et sous-concessions en chaîne à la seule fin de bénéficier plusieurs fois d'un avantage fiscal sur le même brevet.

D'autre part, le dixième alinéa du présent article conditionnait, dans sa version initiale, l'application du régime des plus-values de long terme aux redevances versées à l'entreprise sous-concédante, au fait que celles-ci soient d'un montant au moins deux fois supérieur au montant déduit au titre des redevances versées à l'entreprise concédante .

2. Le cas du perfectionnement apporté aux brevets ou aux inventions brevetables

D'autre part, selon le II du présent article, la limitation du bénéfice du régime des plus-values à long terme à une seule entreprise ne trouverait pas à s'appliquer dans le cas de sous-concession de brevets ou d'inventions brevetables ayant fait l'objet de perfectionnement .

De fait, il arrive qu'une entreprise concessionnaire d'un brevet, d'une invention brevetable ou d'un procédé industriel le perfectionne avant de sous-concéder le brevet ainsi amélioré.

Il serait alors prévu que, même si le concédant a bénéficié du régime des plus-values à long terme sur les redevances versées par son concessionnaire, celui-ci, en tant que sous-concédant, en bénéficiera également sur les redevances versées par le sous-concessionnaire mais uniquement sur la part de celles-ci correspondant aux perfectionnements .

C. L'HARMONISATION DU TRAITEMENT DES CESSIONS DE DROITS DE PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE

Par ailleurs, le même II du présent article tend à modifier le 1 de l'article 39 terdecies précité de façon à harmoniser le traitement des cessions de droits de propriété industrielle selon le mode d'imposition des sociétés.

En effet, actuellement, les règles fiscales applicables à la cession de droits de propriété industrielle diffèrent selon que l'entreprise cédante est soumise à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu . Ainsi, aux termes du a quater du I de l'article 219 du code général des impôts, le régime des plus-values à long terme s'applique à la cession d'un brevet, d'une invention brevetable ou d'un procédé de fabrication industriel « sous réserve qu'il n'existe pas de liens de dépendance entre l'entreprise cédante et l'entreprise cessionnaire ». Mais rien tel n'est prévu s'agissant des cessions réalisées par une entreprise soumise à l'impôt sur le revenu.

Les II et III du présent article proposent donc de modifier ces deux articles du code de sorte qu'en cas de cession de droits de propriété industrielle, une entreprise cédante liée à une entreprise cessionnaire ne pourra plus bénéficier du régime des plus-values à long terme, qu'elle soit à l'impôt sur les sociétés ou à l'impôt sur le revenu .

D. L'ENTRÉE EN VIGUEUR ET LE COÛT

Enfin, aux termes du IV du présent article, ses dispositions s'appliquent aux exercices ouverts à compter du 1 er janvier 2011.

Le coût du dispositif proposé n'est pas évalué dans les annexes au présent projet de loi de finances.

III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE

A l'initiative du Gouvernement et avec l'avis favorable de la commission des finances, l'Assemblée nationale a adopté un amendement au présent article, qui tend à modifier le dispositif anti-abus applicable aux sous-concessions de brevets bénéficiant du régime des plus-values de long terme .

La subordination de l'application du régime des plus-values de long terme aux redevances versées à l'entreprise sous-concédante, au fait que celles-ci soient d'un montant au moins deux fois supérieur au montant déduit au titre des redevances versées à l'entreprise concédante est ainsi abandonnée.

La nouvelle rédaction dispose que le taux réduit s'applique aux redevances de sous-concession de brevets ou inventions brevetables lorsque la concession n'en a pas bénéficié et que la sous-concession « d'une part, sont réelles et ne peuvent être regardées comme constitutives d'un montage artificiel dont le but serait de contourner la législation fiscale française et, d'autre part, créent une valeur ajoutée du chef de cette entreprise sur l'ensemble de la période d'exploitation de la licence concédée » . Il s'agit donc d'une rédaction plus souple que la version initiale de l'article, qui n'impose pas au sous-concessionnaire d'être non seulement le premier à bénéficier du régime dérogatoire mais, de plus, de réaliser un bénéfice de plus de 100 % sur son opération de sous-concession.

La nouvelle rédaction précise que la preuve de la réalité et de la rentabilité de l'opération de sous-concession incomberait à l'entreprise sous-concédante. A cet effet, l'entreprise devrait prouver à l'administration fiscale, au moyen d'une documentation détaillée, d'une part, que l'opération ne constitue pas un montage artificiel destiné à contourner la législation française dans le seul but de bénéficier du taux réduit et, d'autre part que, sur l'ensemble de la période d'exploitation de la licence concédée, elle réalise une marge par rapport aux redevances de concession qu'elle acquitte en amont sur le brevet qu'elle a pris concession.

Schéma récapitulatif

Droit existant

Détenteur du brevet

Taux réduit d'imposition sur le produit des redevances -15 % ou 16 %

Concessionnaire non lié

- Déduction des redevances à 33,33 %

- Pas de taux réduit d'imposition sur le produit des redevances en cas de sous-concession

Sous-concessionnaire

Concessionnaire lié

Déduction des redevances à 15/33,33 % ou 16/33,33 %

Dispositif proposé

Détenteur du brevet

Taux réduit d'imposition sur le produit des redevances -15 % ou 16 %

Concessionnaire non lié

- Déduction des redevances à 33,33 %

- Taux réduit d'imposition sur le produit des redevances en cas de sous-concession si le détenteur n'en a pas bénéficié ou en cas d'amélioration apportée sur le brevet

Sous-concessionnaire

Concessionnaire lié

Déduction des redevances à 15/33,33 % ou 16/33,33 % ou à 33,33 % en cas de respect d'un dispositif anti-abus visant à assurer la réalité économique de la concession

IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Votre rapporteur général approuve le dispositif proposé par le présent article .

Sur le fond, le système actuel n'était pas satisfaisant en ce qu'il pouvait encourager des groupes détenteurs de brevets en France à les exploiter à l'étranger, s'ils comptaient réaliser cette exploitation en interne.

Or, bien plus que la détention, c'est l'exploitation des brevets qui présente le plus grand intérêt économique pour le territoire national.

Les améliorations proposées par le présent article répondent à cette question et introduisent des assouplissements bienvenus.

En outre, s'agissant de biens immatériels tels que les brevets, l'instauration de dispositions anti-abus relativement robustes était indispensable afin d'éviter les contournements du droit. La rédaction du présent article paraît satisfaisante de ce point de vue.

Il sera néanmoins nécessaire de procéder à une évaluation régulière de l'efficacité de ces clauses anti-abus afin de les renforcer, le cas échéant.

Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.


* 3 Soit 16 % pour les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu et 15 % pour les entreprises soumises à l'impôt sur les sociétés.

* 4 Ce n'est toutefois que l''article 14 de la loi de finances pour 2008 (loi n° 2007-1822 du 24 décembre 2007) qui a étendu le bénéfice du régime des plus-values à long terme aux cessions de brevets, d'inventions brevetables et des procédés de fabrication industriels par des sociétés soumises à l'impôt sur les sociétés, mettant ainsi fin à une différence de traitement injustifiée.

* 5 Au sens de ce même article du code général des impôts. Des liens de dépendance sont réputés exister entre deux entreprises lorsque l'une détient directement ou par personne interposée la majorité du capital social de l'autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision, ou bien lorsqu'elles sont placées l'une et l'autre (dans les conditions précédemment définies) sous le contrôle d'une même tierce entreprise.

* 6 Par exemple s'il est un organisme public de recherche ou une entreprise étrangère.