Actes du colloque Vive la Loi
Table ronde
Table ronde animée par M. Christophe BARBIER, journaliste
et Directeur adjoint de la rédaction du magazine l'Express
Ont participé à cette table ronde :
M. Philippe BILGER, avocat général près la cour d'appel de Paris ;
M. Robert DEL PICCHIA, sénateur ;
M. Damiano NOCILLA, ancien Secrétaire général du Sénat italien, conseiller d'Etat, professeur de droit ;
M. Theodore ZELDIN, professeur, Université d'Oxford ;
M. Olivier IHL, professeur de science politique, IEP de Grenoble ;
M. Francis DELPEREE, professeur de droit constitutionnel, Université de Louvain ;
M. Valentin PETEV, professeur de philosophie du droit, Université de Münster ;
M. Alessandro PIZZORUSSO, professeur de droit public, Université de Pise.
M. Christophe BARBIER
J'aimerais savoir si, en Italie, la loi n'a pas déserté le Parlement, en étant « externalisée » au profit du Gouvernement.
M. Damiano NOCILLA
Ces derniers jours, je me suis posé la question de savoir quel était le sens d'une réunion sur la « loi », d'un débat sur sa valeur dans l'ordonnancement étatique à l'heure actuelle.
Certes, il faut s'entendre sur l'utilisation des mots : considérer la crise de la loi comme une crise plus générale des normes imposées à la société de façon autoritaire - autrement dit comme une crise de cette partie des normes d'un système juridique qu'une autorité compétente établit en les imposant à un groupe social donné - est une chose ; parler de la crise de cet acte normatif spécifique que les différents ordonnancements juridiques positifs appellent « loi », c'en est une autre. Les considérations qui suivent se réfèrent essentiellement à cette deuxième approche de la crise de la loi.
La loi dont nous sommes en train de parler, n'est-elle pas la même loi qui est désormais affectée - comme on l'écrit en Italie - par une crise profonde, comme si nous étions dans l'attente de rédiger son certificat de décès ? N'est-elle pas la même loi dont la doctrine juridique a analysé les multiples aspects de sa crise ? De la perte progressive de sa qualité et de son efficacité, au transfert de la fonction de production normative à des autorités autres que les assemblées représentatives, ou encore à l'attribution de groupes de matières à la compétence d'autorités supranationales, sans parler de l'émergence de plus en plus manifeste d'un droit mondialisé, où il n'y a pas de place pour les Etats.
Mais, à y regarder de plus près, il y a une réponse à cette question ! Ceux qui affirment que nous sommes en présence d'une crise de la loi, ses contestateurs, les partisans des nouveautés ne devraient pas perdre de vue ce à quoi on renonce quand on écarte l'idée que la plus importante source de production des normes juridiques est et doit être la loi, c'est-à-dire cet acte spécifique du parlement adopté selon des procédures données. Ils devront se poser la question de savoir si dans les évolutions en cours il n'y a pas quelques chose qui mériterait d'être révisé et corrigé, s'il ne faudrait pas mieux analyser les exigences auxquelles la loi émanant du parlement répondait et répond encore.
« L'éventail élargi - a écrit M. Terré - des sources du droit laisse subsister la primauté de la loi dans les esprits. Ainsi encore, l'attrait que celle-ci suscite contribue à expliquer le désir accrû d'une participation de tous à son élaboration ».
Dès 1949, Georges Ripert écrivait que toute une série de phénomènes - tels que l'inflation des lois, la perte de leur caractère stable, préventif, général et abstrait, le fait qu'elles sont de plus en plus incertaines, tardives, spécialisées, partielles, ou encore leur incohérence, différenciation, surabondance et carence à la fois - n'entraînaient pas de progrès mais témoignaient plutôt du désordre et faisaient que la législation perdaient de sa qualité, de son intelligibilité, de sa cohérence et, de ce fait, de son efficacité. Ces phénomènes étaient à l'évidence étroitement lié à l'affirmation de l'Etat social, dont les contradictions par rapport à l'Etat de droit ont été largement examinées par Forsthoff.
Ce n'est pas par hasard que cette situation de crise de la loi juridique se manifeste - comme l'a bien démontré M. Vullierme - au même moment où la loi naturelle cesse d'être le reflet de l'ordre objectif : cette dernière n'est désormais qu'une hypothèse corroborée, dont la fausseté n'a pu encore être établie.
Pour répondre à ces vices de la loi, mieux, de l'ordonnancement écrit, on s'efforce de rendre contraignantes les règles de la légistique, d'introduire l'analyse préventive des textes des propositions législatives du point de vue technique et normatif, d'imaginer des procédures d'évaluation des effets des normes que l'on va adopter. Mais tous ces systèmes, ces tentatives de relever les défis de la crise de la loi s'appliquent à la production de toutes les normes du droit écrit et ont le défaut d'être aisément contournables et de donner souvent lieu à une évaluation, qui est à la fois technique et politique.
D'ailleurs il faut admettre que le débat sur la technique législative, sur le drafting , sur l'évaluation des conséquences des choix normatifs a contribué à la configuration du problème de la crise de la loi comme une grande question politique et institutionnelle.
On a longtemps estimé que l'une des causes de cette crise - au sens le plus technique et rigoureux de crise de la loi parlementaire - était la surcharge de travail des parlements, leur impossibilité de décider de façon rapide, cohérente et efficace face à l'affrontement d'intérêts opposés. Nous avons tous en mémoire les contradictions de l'Etat de législation ( Gesetzgebungsstaat ) et l'image du législateur motorisé mises en évidence par Schmitt.
D'où l'idée de transférer la compétence pour réglementer certaines matières du Parlement vers des collectivités locales, telles les régions, ou vers l'exécutif : autrement dit, il s'agissait de réduire le compétence normative de l'Etat central en faveur d'une plus vaste décentralisation, ou bien de limiter les compétences de la loi parlementaire pour élargir celles des actes normatifs de l'exécutif.
En son temps, c'est cette deuxième option qui fut adoptée - et indiquée aux autres régimes comme un exemple à suivre - par la Constitution de la V e République.
A cette époque là, les articles 34, 37 et 38 ont été interprétés comme si le gouvernement était désormais devenu le législateur de droit commun et le parlement avait été relégué au rang de législateur des cas exceptionnels (Durand, Prélot).
Aujourd'hui, la doctrine nous rappelle (Favoreau, Pézant) que le véritable but des constituants de 1958 était de restaurer le caractère solennel de la loi, en lui confiant les matières les plus importantes, et de lui rendre une place centrale, en conjuguant la majesté de l'acte avec l'importance de l'objet réglementé.
Cette nouveauté ne tient pas exclusivement à la fidélité vis-à-vis de la conception franco-française de la primauté de la loi en tant qu'expression de la volonté générale (Carré de Malberg); elle est surtout le reflet de la prise de conscience que, dans le panorama des sources du droit, la loi, fruit d'une décision collective, publique et contradictoire, est sans doute le seul acte normatif dont le citoyen peut suivre toutes les étapes de sa formation (Vullierme).
Au parlement, les projets, les amendements, les intérêts en jeu, ont toujours une paternité précise et peuvent être connus de tous (Bécane et Couderc). Certes, il s'agit dans une large mesure d'une fiction (Carré de Malberg le soulignait déjà en son temps), mais d'une fiction qui est également le reflet d'une réalité idéale et factuelle profonde L'opinion publique a la possibilité de faire entendre sa voix tout au long de la procédure parlementaire. C'est là un des avantages de la procédure législative répétitive (Bécane et Couderc). Le bicaméralisme, quant à lui, assure qu'aucune loi ne sera approuvée sans qu'elle ait été préalablement examiné non seulement par les représentants de la nation dans les deux chambres, mais également par l'opinion publique.
C'est à ce niveau là qu'apparaît un autre avantage de la procédure législative répétitive évoquée plus haut : en fait, elle prépare la société civile à accueillir les nouvelles normes et à les mettre en oeuvre.
Je m'interroge pour savoir s'il en va de même dans mon pays.
Dans la tradition juridique italienne, dès l'époque où le Statut de Charles Albert était en vigueur, le gouvernement a non seulement le pouvoir d'adopter des règlements - c'est-à-dire des actes normatifs subordonnés aux lois - mais également d'adopter - en présence de certaines conditions et d'une intervention préventive ou successive du parlement - des actes normatifs ayant la même force formelle que les lois ordinaires.
Ce pouvoir est expressément réglementé par la Constitution de 1948. Celle-ci établit que le gouvernement peut adopter des décrets ayant les mêmes effets, la même force et la même valeur que la loi :
a) en vertu d'une loi de délégation du parlement. Aux termes de l'article 76 de la Constitution, cette délégation devra être exercée dans un délai donné, porter sur un objet spécifique, fixer les principes et les critères directeurs que le gouvernement devra respecter (il s'agit en l'occurrence de décrets délégués ou de décrets législatifs) ;
b) dans des cas extraordinaires de nécessité et d'urgence (article 77), pourvu que ces décrets, qui prennent le nom de décrets-loi, soient soumis aux Chambres dans un délai de cinq jours, afin que celles-ci puissent les convertir en loi et que cette conversion ait lieu dans un délai de soixante jours.
A y regarder de plus près, l'idée que la loi - avec toutes les prérogatives liées à la forme de cet acte - était l'apanage exclusif du Parlement a toujours fait défaut dans notre système juridique (Pizzorusso).
Jusqu'à 1996, l'outil par lequel le gouvernement s'appropriait la compétence législative ordinaire du Parlement était le décret-loi. Il était devenu l'objet d'un véritable abus et représentait une source législative ordinaire. Le Parlement faisait entendre sa voix en approuvant de nombreux amendements lors de la conversion, ou encore en reportant le débat au-delà des soixante jours fixés par la Constitution.
Pour rattraper ces retards, le gouvernement réitérait ses décrets-loi à maintes reprises. Il aura fallu attendre 1996 pour que la cour constitutionnelle, par son arrêt n° 360, sanctionne que la réitération des décrets-loi est inconstitutionnelle. A partir de ce moment, le gouvernement était logiquement contraint de faire appel à des mesures figurant déjà dans notre système : la délégation législative et la délégalisation (réduction de la loi au rang d'un règlement). Par ces deux mesures, le basculement progressif de la fonction normative du Parlement au gouvernement non seulement ne s'est pas arrêté, mais a même subi une forte accélération.
La délégation législative a dépassé les limites rigoureuses que l'article 76 de notre Constitution avait imposées.
La pratique a connu (et la jurisprudence de la cour constitutionnelle a justifié) des délégations multiples, des délégations portant sur des domaines très vastes, des énonciations lacuneuses ou absolument générales de principes et de critères directeurs ; on est arrivé jusqu'à justifier des références à des principes et critères directeurs que le gouvernement aurait dû identifier à partir d'une interprétation autonome d'autres textes ; on a connu des situations où le gouvernement lui-même modifiait - ne serait-ce qu'en moindre mesure - par décret-loi la délégation que le Parlement lui avait attribuée ; ou encore l'attribution de délégations qui comportaient plusieurs actes du pouvoir délégué (lesdites délégations de correction) et des confusions entre l'objet de la délégation et les principes et critères directeurs.
En ce qui concerne la délégalisation - une institution par laquelle une loi ordinaire permet au règlement de réglementer une matière auparavant régie par la loi, en abrogeant (ou en dérogeant) des dispositions législatives spécifiques - la doctrine n'a pas manqué de souligner l'éloignement progressif de sa ratio spécifique et la violation, dans certains cas, des règles du fair-play institutionnel (Sorrentino, Modugno).
Car le non respect par le règlement du principe de légalité est justifié sur la base du constat que l'abrogation ou la dérogation devraient être ramenées non pas au règlement mais à la loi d'autorisation elle-même (Crisafulli). D'où l'exigence que cette dernière ne se contente pas d'énumérer les normes générales régissant la matière, mais qu'elle indique avec suffisamment de précision les dispositions législatives que le règlement adopté dans le cadre de la délégalisation rendrait caduques ou qui feraient l'objet d'une dérogation. Ces précautions sont d'autant plus nécessaires que le pouvoir réglementaire, en ce qui concerne les matières délégalisées, peut s'exercer - contrairement à la délégation législative - sans limites de temps.
Toutefois, l'autorisation à adopter des règlements dans le cadre de la délégalisation figure souvent non pas dans des dispositions de loi, mais dans des décrets résultant à leur tour de lois de délégation. Ces dispositions non seulement omettent d'envisager des normes générales régissant la matière (même quand il s'agissait d'une matière relevant de la réserve de loi, fût-elle relative), mais elles laissent au règlement le soin d'identifier les normes de valeur législative abrogées ou faisant l'objet d'une dérogation.
La doctrine juridique ne cesse pas de souligner ces pratiques et l'affaiblissement progressif du rôle du parlement. Mais on ne peut pas dire pour autant que les forces politiques et l'opinion publique sont en train de prendre conscience de ce transfert progressif de la fonction législative du parlement au gouvernement : transfert qui - soit dit au passage - n'a comporté aucun avantage ni au niveau de la qualité de la loi, qui demeure, surtout quant elle émane du gouvernement, incohérente et difficile à lire, sans cesse croissante, redondante, incomplète, etc., ni au niveau des capacités de réserver à la législation ordinaire les questions les plus importantes (Pizzorusso). Combien de dispositions de détail figurent dans les lois de finances et combien d'importantes réformes sont désormais adoptées par l'exécutif sur la base de décrets délégués sans qu'elles soient précédées d'un débat approfondi au Parlement !
Et pourtant, certaines vicissitudes devraient servir de mise en garde. Je songe à certaines réformes législatives dont le contenu serait tout à fait différent si les citoyens n'avaient pas pu réagir et s'ils n'avaient pas organisé de grandes manifestations afin de soutenir le rôle influent du chef de l'Etat ou le rôle de gardien de la cour constitutionnelle. Par contre, les actes normatifs du gouvernement ne sont connus qu'après coup (Mény). Le citoyen italien ne peut que les accepter tels qu'ils sont, à moins que, au cours d'une procédure juridictionnelle, n'intervienne la saisine de constitutionnalité. De toute évidence, cela ne vaut que pour les décrets du gouvernement ayant force et valeur de loi. Au demeurant, on ne peut pas dire que la négociation entre le gouvernement et les catégories concernées joue un rôle de suppléance du débat dans l'opinion publique.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier qu'il y a environ dix ans, le système politique italien a connu une transformation décisive dans un sens majoritaire et que la réforme électorale voudrait réaliser un lien très étroit entre gouvernement et majorité parlementaire. Les forces politiques ne cessent de mettre l'accent sur l'investiture plébiscitaire du leader de la coalition gagnante. Par cette clé de lecture du système, le gouvernement devient le véritable représentant de la volonté populaire, au détriment de la fonction représentative du parlement ; avec, comme conséquence, qu'il n'y aurait en principe aucun inconvénient à ce qu'un acte normatif du gouvernement ait la même valeur qu'une loi et que celle-ci passe au second plan.
Mais il y a une difficulté que la tradition juridique française n'a pas manqué de mettre en exergue. Chacun d'entre nous peut considérer qu'il est présent au parlement par l'entremise des représentants de la nation, qu'il appartienne à la majorité ou aux partis d'opposition, qu'il soit porteur d'un intérêt spécifique protégé par la loi, ou qu'il soit titulaire d'intérêts que la loi ignore (Carré de Malberg, Burdeau). Le débat parlementaire fait que la loi, même quand elle est le résultat d'une décision de la majorité, est un acte collectif et qu'elle exprime la volonté commune, la volonté de chaque citoyen. Je ne crois pas que la volonté d'un leader élu de façon plébiscitaire et la volonté générale puissent être mises sur un pied d'égalité.
Afin d'éviter tout malentendu, il convient de souligner que l'on ne veut pas mettre en question le droit de la majorité choisie par le peuple de mettre en oeuvre le programme soumis aux électeurs et, par conséquent, d'approuver les lois s'y rapportant. Personne ne doute du fait que la loi est le produit de la majorité : plus cette dernière est homogène et étroitement liée au gouvernement, plus la loi nécessite le consensus de l'exécutif (quand elle n'est pas directement élaborée par ce dernier). Ce qui réduit les marges de manoeuvre, d'influence et de négociation de chaque parlementaire. Les différentes procédures qui assurent que la volonté législative des chambres ne s'écarte pas de l'orientation politique du gouvernement (question de confiance, vote bloqué, possibilités d'influer sur l'ordre du jour), font que les lois se réduisent souvent à l'apposition du sceau du parlement sur des textes préétablis par le gouvernement.
A noter toutefois que la loi parlementaire, même quand elle est le produit de la volonté de la majorité, permet à l'opposition d'exercer un contrôle préalable et ouvert. Elle lui offre la possibilité de participer à la détermination de son contenu ; elle est élaborée à la lumière du jour et sous le contrôle constant de l'opinion publique, alors que les actes normatifs de l'exécutif ne sont pas de nature à assurer que tout cela puisse avoir lieu.
Aux yeux des citoyens ces derniers sont des actes du gouvernement, ou mieux, des actes de gouvernement. La loi parlementaire - du fait de la complexité de la procédure d'approbation et de la dialectique entre majorité et opposition - prend pour ses destinataires l'aspect d'un acte qui pose des règles immuables, générales et abstraites, applicables à un nombre infini de cas impersonnels. Par contre, l'acte du gouvernement, même quand il a force et valeur de loi, est le fait d'un gouvernement donné, un outil éphémère conçu pour résoudre des problèmes contingents et destiné à perdre de son prestige au fil des changements de l'exécutif et de la majorité qui le soutient. Dès lors, il va à l'encontre de la conception classique de la démocratie qui veut que le pouvoir n'est tolérable que s'il est anonyme (Burdeau).
Je suis plutôt d'avis que ceux qui sont en train d'élaborer la réforme de notre Constitution dans un sens qui souligne davantage l'investiture plébiscitaire du gouvernement tout en réduisant les pouvoirs du chef de l'Etat, ne devraient pas oublier d'envisager des mécanismes susceptibles d'endiguer ce basculement progressif de la fonction normative du parlement vers le gouvernement (par exemple au moyen d'une norme de rang constitutionnel obligeant à suivre le modèle de délégalisation prévu par la loi n° 400 de 1988 sur la présidence du conseil des ministres).
Mais, comme nous l'avons vu, la centralité de la législation parlementaire est ébranlée lorsque les fonctions normatives sont attribuées à des collectivités territoriales ou à des organisations supranationales.
En ce qui concerne le premier cas d'espèce, le système italien a connu la réforme récente de la loi constitutionnelle n° 3 de 2001, qui a introduit deux nouveaux principes parmi d'autres qui sont particulièrement importants en ce qui concerne la compétence de la loi et du règlement. Dorénavant la loi étatique peut régler les matières spécifiquement énumérées à l'article 117, 2 e et 3 e alinéas de la constitution, tandis que toutes les autres sont confiées à la législation régionale. Pour ce qui concerne le règlement il faut dire qu'à l'exception des matières prévues à l'alinéa 2 de ce même article 117 (c'est-à-dire celles où l'Etat a une compétence exclusive) toute compétence en matière de règlements est passée aux régions.
En ce moment historique, le système est tiraillé entre deux contradictions. D'un côté, l'élargissement des autonomies régionales et locales - aux termes de la loi constitutionnelle n° 3 de 2001 - « a contribué à affaiblir davantage la centralité parlementaire et à réduire sensiblement la primauté de la loi » (Berti). En dépit de cela, la cour constitutionnelle vient d'inaugurer une jurisprudence fondée sur le principe de subsidiarité et très restrictive à l'égard des compétences des régions, jurisprudence qui a contribué à maintenir de nombreuses attributions de la loi de source parlementaire, surtout lorsque son objet touche un intérêt national (arrêt n°303 de 2003).
En se réclamant de cette jurisprudence, le Conseil d'Etat pourra justifier beaucoup de règlements gouvernementaux portant sur des matières autres que celles relevant de la compétence exclusive de l'Etat.
Mais, d'un autre côté, la législation régionale - même si elle ne brille pas par sa qualité - n'en est pas moins le fruit de la volonté d'assemblées représentatives. Dès lors elle pourra être perçue par chaque citoyen (ou, mieux, par chaque habitant de la région concernée) - Rousseau oblige -, comme étant le fruit de la volonté de toutes les parties directement concernées.
Quant à l'Union européenne, on ne saurait passer sous silence la distance existant entre les normes émanant des organes communautaires et chaque citoyen. Plus nombreuses sont les matières qui échappent à la législation nationale au profit des normes communautaires, plus la question du déficit démocratique et la nécessité d'une participation agissante des parlements nationaux à la phase ascendante de la formation des actes communautaires deviennent cruciales. Il faut éviter que ces derniers ne soient le résultat de négociations, plus ou moins confidentielles, entre les technocrates de Bruxelles et les gouvernements des Etats membres.
En Italie, les procédures parlementaires de débat préalable au sein des deux chambres de projets d'actes communautaires ont fonctionné peu et mal. En France, à en juger par les chiffres, les résultats ont été meilleurs. Le fossé entre les institutions de l'Union et la population risque de se creuser de plus en plus.
Pour ce qui est de ladite phase descendante des actes normatifs communautaires, c'est-à-dire la phase qui permet à ces derniers d'être applicables aux citoyens des Etats membres, il faut distinguer les actes normatifs communautaires immédiatement applicables dans les Etats membres, et ceux qui exigent de ces derniers qu'ils adoptent des actes normatifs spécifiques pour adapter leur système interne aux normes émanant des Communautés.
En ce qui concerne les premiers actes, la jurisprudence réitère que les juges nationaux doivent les appliquer aux relations juridiques qu'ils réglementent (la cour constitutionnelle italienne arrive jusqu'à admettre qu'ils peuvent déroger aux normes constitutionnelles elles-mêmes, pourvu qu'ils n'aillent pas à l'encontre des principes suprêmes de la Constitution ou des droits inaliénables de l'homme). Dès lors, ces actes priment sur les sources internes, en ce sens que tout en n'abrogeant pas la réglementation nationale (quelle qu'en soit la source), ils y dérogent de manière spécifique. Les lois et les autres sources normatives de l'Etat, quant à elles, gardent leur validité mais leur efficacité recule devant le droit communautaire ; c'est pourquoi les juges doivent faire application de ce dernier.
Pour ce qui est du droit communautaire, qui ne s'applique pas directement à l'intérieur des Etats membres, il convient de souligner une particularité du système italien d'adaptation.
Ce système a été une occasion supplémentaire pour amoindrir le rôle de la loi (De Fiores). La loi ordinaire n° 186 de 1989 établit que le parlement, sur proposition du gouvernement, approuve chaque année une seule loi (ladite loi communautaire) où figureront : 1) des dispositions mettant directement en oeuvre les actes communautaires ; 2) des délégations attribuées au gouvernement pour que celui-ci puisse mettre en oeuvre, par des actes ayant force de loi, les directives et les recommandations, dont on devrait également tirer les principes et critères directeurs de la délégation ; 3) des autorisations permettant au gouvernement de mettre en oeuvre des directives et des recommandations par des règlements, le cas échéant en délégalisant des lois déjà existant en la matière. Grâce à ce mécanisme, seule une part négligeable d'actes communautaires - 5% maximum - est incorporée dans notre système moyennant une loi.
Et s'il est vrai que de nombreux arguments peuvent justifier l'introduction, sous différentes formes, de cette pratique de délégation ou d'habilitation au gouvernement en matière d'adoption de normes nécessaires à l'adaptation du droit interne au droit communautaire - difficultés de la loi sur le plan de la mise en oeuvre du droit communautaire ; risques d'ouvrir à nouveau le débat sur le contenu des dispositions communautaires ; caractère trop technique des normes communautaires ; connaissance, par le gouvernement, des négociations qui ont abouti à la norme en question ; etc. - il est tout aussi vrai que cette procédure éloigne de plus en plus les citoyens des institutions de l'Union européenne et ne contribue pas à préparer la société à accueillir les nouvelles normes que les exigences communautaires imposent.
La dimension supranationale du droit suppose la participation de la volonté des Etats sous différentes formes et pose le problème de la manifestation de cette volonté par l'entremise des organes représentatifs de la volonté populaire. Mais il existe également une dimension transnationale du droit qui traverse et transcende les Etat, sans que leur consensus soit nécessaire.
L'essence de la mondialisation consiste dans le fait qu'elle englobe un espace « allergique » aux frontières et qu'elle est sans cesse traversée et définie par le marché. La lex mercatoria, la net-lex, le langage même des droits, l'activité des organisations non gouvernementales, donnent lieu à un espace juridique qui se forme spontanément, où les exigences de flexibilité l'emportent et devant lequel les Etat pris individuellement et leurs décisions politiques semblent impuissants (Ferrarese).
Georges Burdeau a écrit que « nulle idée ne fut plus étrangère à la Révolution que celle d'un droit social jaillissant spontanément des pratiques de la vie civile ».
S'il est vrai qu'il y a incompatibilité entre une législation prévisible et stable et une économie tournée vers le présent, qui s'exprime par le risque, l'innovation débridée, la liberté, la compétition, le shopping ; il est tout aussi vrai qu'il existe un problème d'application des règles de ce droit spontané, de leur mise en oeuvre, de la réponse coercitive à la violation de ces normes.
Le droit, sans la volonté régulatrice de la loi, risque de grandir et de s'affermir exclusivement sous la pression des intérêts plus forts au détriment des intérêts plus faibles et de déboucher sur une myriade de conflits dont la résolution sera confiée à des juridictions non coordonnées entre elles. On a écrit qu'il y a une opposition nette entre mondialisation et démocratie.
En d'autres termes, on risque de perdre le point de repère d'un système normatif pour poursuivre une sorte de pluralisme à plusieurs niveaux, dont l'issue extrême pourrait être une anomie substantielle.
D'où l'effort de la doctrine juridique pour donner un espace à la réglementation par une autorité des phénomènes de la vie et de l'économie globale (Irti). Dans cet espace la politique et les projets ont encore un rôle à jouer : laisser ces rapports à l'auto-réglementation des parties est un choix politique ! Les outils pour réaliser tout cela passent par la volonté des Etats et donc, dans un contexte démocratique, qu'on le veuille ou non, par la loi.
M. Philippe BILGER
Depuis Lacordaire, il est reconnu qu'entre le fort et le faible, c'est la loi qui protège et la liberté qui asservit. Il est donc difficile de comprendre la raison pour laquelle, en dépit de la paix, de l'ordre et de la cohérence qu'apporte la loi dans une société, qui, sans elle, ne serait que sauvagerie, la loi soit plus souvent perçue par les citoyens comme une menace que comme une garantie. Certains la considèrent avant tout comme nécessaire pour les autres. D'autres la souhaitent élaborée sur mesure pour répondre aux attentes individuelles. Si la loi mérite d'être plébiscitée, il faut cependant se pencher sur les conditions qui font qu'elle peut être discutée et parfois mal acceptée.
L'esprit français se caractérise tout d'abord par un esprit critique, qui conduit à contester toute loi, alors même qu'on affirme absolument la souhaiter.
Il se caractérise ensuite par un hommage tout à fait formel à l'Etat de droit, qu'il désire, en fait, peu ou médiocrement.
Il faut souligner par ailleurs la dégradation qualitative de la loi, qui découle non seulement du trop grand nombre de lois promulguées - souvent dans des registres où elle n'est même pas nécessaire - mais aussi de l'insuffisante force que les parlementaires eux-mêmes lui donnent, en considérant la loi comme une fuite devant une réalité qu'ils n'osent pas affronter et avec laquelle la prochaine législature aura à se débrouiller. La loi, certes, est un acte mais qui se substitue à l'action véritable..
On peut regretter, également, que la loi soit de plus en plus le projet d'une majorité politique, au lieu d'être l'expression lucide d'un consensus intellectuel. Dans de nombreux domaines, en effet, celui-ci pourrait se substituer à une vision idéologique de la loi.
Enfin, il est frappant de constater que pour les autorités dont la mission est de faire respecter la loi, l'application stricte de celle-ci ne soit pas toujours considérée comme un impératif catégorique. Il y a en effet une contestation de plus en plus forte de la loi, qui devrait pourtant rester imperméable à toute critique dès lors qu'elle a été votée, de la part ceux qui, par principe, ne devrait jamais en discuter la légitimité et le bien fondé.
Pour ceux qui attendent la loi, ceux qui l'élaborent et ceux qui l'appliquent, il y a donc peut-être une forme d'esprit civique à restaurer - même si je ne doute pas que cette ambition soit quelque peu utopique.
Enfin, il est frappant de constater que pour les autorités dont la mission est de faire respecter la loi, l'application stricte de celle-ci n'est pas toujours considérée comme un impératif catégorique. En effet, on ne se contente plus de discuter les principes et la teneur d'une loi en préparation mais force est de devoir admettre - et c'est grave pour la démocratie - qu'un travail d'érosion subtile et d'insidieuse délégitimation peut atteindre la mise en oeuvre d'une loi régulièrement votée. En ce sens, et malheureusement, la loi est de moins en moins la loi de tous.
M. Christophe BARBIER
J'aimerais savoir si les Français résidant à l'étranger, que vous représentez, M. Robert Del Picchia, vivent une sorte de schizophrénie entre la loi du pays où ils habitent et la loi du pays où ils sont nés.
M. Robert DEL PICCHIA
La loi française ne s'appliquant pas à l'étranger, les Français qui résident dans un autre pays que la France se trouvent parfois dans une position difficile lorsqu'ils souhaitent contester une décision.
Par ailleurs pour répondre à M. Bilger, je considère que dès lors que la majorité parlementaire a été élue par les Français, le Gouvernement en place est redevable devant les députés des engagements qu'il a pris au moment de l'élection.
M. Damiano NOCILLA
Le Parlement est élu par le peuple, contrairement au Gouvernement.
M. Robert DEL PICCHIA
L'opposition peut être dans son rôle en critiquant les projets de loi et en proposant certains amendements - dont certains sont finalement adoptés -, tandis que le Sénat, dans sa sagesse, participe également de l'élaboration de la loi. C'est le jeu normal de la démocratie.
En outre, si en France, la loi est sacrée, j'ai pu constater, par les nombreux séjours que j'ai effectués à l'étranger, que les pays dans lesquels la loi ne revêt pas une telle solennité, parviennent malgré tout à assurer le bon fonctionnement de leurs institutions.
En Bulgarie, par exemple, le Gouvernement a élaboré une loi pour régler le problème majeur des vols de véhicules. Aux termes de cette loi, les individus ayant acquis de bonne foi une voiture volée peuvent voir leur situation légalisée en se présentant au commissariat de police.
Par ailleurs, en Belgique, une loi sur l'interdiction du tabac a été adoptée, alors que les parlementaires savaient qu'une directive européenne contraire était sur le point de les obliger à la modifier. De même, une loi sur la sortie du nucléaire au terme de quinze ans y a été promulguée, assortie d'une clause de sortie en cas « d'événement exceptionnel ». Ces deux exemples illustrent qu'en Belgique on considère que la loi peut correspondre à une forme utile de compromis, permettant de surmonter un problème ponctuel.
Je conclurai par une anecdote illustrant les travers de l'application de la loi par les forces de l'ordre. Il y a une semaine, j'ai garé ma voiture en face du Palais Bourbon - les sénateurs n'étant pas autorisés à stationner à l'intérieur de l'Assemblée nationale. En revenant, j'ai constaté qu'une fonctionnaire de police était en train de rédiger un procès-verbal. Je me suis excusé, en indiquant m'être garé sur cette place, du fait de l'absence de panneau d'interdiction et par imitation des autres véhicules. Elle m'a alors rétorquée qu'aux termes de l'article 89 du code de la route, il était interdit de stationner devant ou autour d'une statue. Ignorant cette disposition, j'ai obtempéré. En rentrant à mon bureau, j'ai cependant vérifié dans le code de la route. Or celui-ci ne possède pas d'article 89, puisqu'il ne commence qu'à partir de l'article 101. Le procès-verbal faisait en outre référence à une interdiction de se garer autour d'un terre-plein. Or il n'y a pas de terre-plein place du Palais Bourbon. Il est ainsi des cas, où non seulement la loi n'est pas appliquée, mais elle est inventée pour les besoins !
M. Christophe BARBIER
Entre le Parlement et le Gouvernement, il existe des commissions. Ne seraient-elles pas une solution pour gagner du temps et faire adopter les lois plus rapidement, en France comme en Italie ?
M. Damiano NOCILLA
En effet, l'article 72 de la Constitution prévoit que les commissions parlementaires des deux chambres peuvent elles-mêmes discuter et approuver directement une loi, ce qui représente une spécificité de notre ordonnancement. Cette mesure ne s'applique pas aux lois constitutionnelles et électorales, aux lois de délégation d'une certaine réglementation au gouvernement, aux lois de ratification des traités internationaux, aux lois d'adoption du projet de budget et d'approbation du bilan. Les règlements parlementaires envisagent d'autres hypothèses où cette interdiction entre en jeu. De plus, soit le gouvernement, soit un dixième des membres de l'assemblée ou un cinquième des membres de la commission compétente sont habilités à demander que la loi suive la procédure normale.
Ce système présente un double avantage : celui de donner lieu à une procédure très rapide de discussion et d'approbation de la loi parlementaire (il s'agira en tout état de cause d'une procédure ayant les mêmes formes de publicité et de transparence que la procédure en assemblée), d'une part, et celui de permettre que des matières très spécialisées soient traitées par les parlementaires qui, en raison de leur appartenance à la commission qui traite normalement ces matières, ont désormais acquis les compétences techniques nécessaires, d'autre part.
Toutefois, il faut reconnaître que ce système a grandement contribué au discrédit de la loi aux yeux des citoyens. En effet, la plupart du temps les lois approuvées par les commissions parlementaires règlent des matières assez spécifiques, à tel point qu'elles se réduisent souvent à réglementer des cas individuels et concrets (lesdites leggine ).
Les commissions sont largement responsables du phénomène de la bureaucratisation de la loi en raison de leur liaison permanente avec les différents bureaux de l'administration publique chargés de traiter la même matière. Ces derniers ont tendance à renvoyer aux commissions permanentes les problèmes qu'ils devraient examiner et résoudre, à demander une loi ad hoc et à transférer au parlement la responsabilité de faire des choix qui seraient de leur compétence. La loi devient de plus en plus un acte de gouvernement.
Le système des commissions permanentes et la possibilité qu'elles ont d'approuver directement des projets de loi sont une des causes de la transformation de la loi en un véritable acte administratif.
M. Valentin PETEV
Si je suis sensible, pour ma part, à l'idéal de lois qui seraient votées sous l'impulsion d'un consensus intellectuel, on ne peut que constater que la nature humaine est par essence désordonnée. Il y a donc nécessité pour des groupes d'intérêts divers (riches et pauvres, handicapés et valides, gens de gauche, de droite, anarchistes, etc.) de confronter leurs opinions, en dernier ressort dans l'enceinte du Parlement. Le consensus ne peut naître d'un pur esprit, mais doit s'accommoder d'un débat entre des positions élaborées, qui traduisent des intérêts divergents..
M. Christophe BARBIER
Je souhaiterais demander aux sénateurs présents à la tribune s'ils ont le sentiment parfois de voter des lois apolitiques, qui relèvent d'un consensus, et de se situer alors davantage du côté de l'intérêt général, que du combat légitime de la démocratie.
M. Michel DREYFUS-SCHMIDT
Les lois font parfois consensus. J'estime cependant que les lois votées à l'unanimité sont en général de mauvaises lois.
M. Robert DEL PICCHIA
De nombreuses lois, qui peuvent parfois paraître évidentes, n'en sont pas moins importantes et recueillent de fait, sinon l'unanimité, au moins un large consensus. Elles ne sont, en outre, pas toutes mauvaises. J'ai le souvenir de quelques lois que j'ai proposées, qui ont reçu l'approbation de l'ensemble des parlementaires...
M. Michel DREYFUS-SCHMIDT
C'est l'exception qui confirme la règle !
M. Robert DEL PICCHIA
Une loi surprenante a toutefois obtenu l'unanimité en Belgique en 1990. Elle a conduit à destituer le roi durant vingt-quatre heures, afin de permettre au Parlement de promulguer la loi sur l'avortement - qu'il refusait de signer - sans son concours.
M. Francis DELPEREE
La situation était un peu plus complexe que ce que vous laissez entendre. Sur la proposition du Gouvernement, les deux chambres législatives ont en effet adopté un projet de loi relatif à la dépénalisation de l'avortement. Selon le protocole, le Gouvernement a proposé au roi de signer la loi. Celui-ci a alors affirmé, d'une part, que la loi ayant été votée, elle devait entrer en vigueur ; d'autre part, que pour des raisons personnelles, il n'entendait pas apposer sa signature au bas du parchemin législatif. Il a alors demandé au Premier ministre de trouver une solution. En étudiant la Constitution, celui-ci a découvert l'article 92, qui dispose que lorsque le roi est dans l'impossibilité de régner, il peut être remplacé par le Conseil des ministres. Le roi n'a donc pas abdiqué, mais s'est mis en congé pendant trois jours.
M. Christophe BARBIER
Peut-on considérer que par rapport à l'ensemble des cultures juridiques occidentales, la loi est véritablement une passion française ?
M. Theodore ZELDIN
Il me semble que le débat autour de la loi est effectivement une passion française. Le respect de la loi, en revanche, est loin d'en être une !
Il me semble par ailleurs qu'il y a une utopie de la recherche du consensus. Dans la mesure où il existe aujourd'hui soixante millions de minorités en France, il devient impératif de repenser la loi afin de répondre à la question : « Comment vivre ensemble, si personne n'est d'accord ? », au lieu de s'évertuer à apporter une impossible réponse à la question : « Comment mettre tout le monde d'accord ? ». Après que la République a donné à tous une éducation et a inculqué à chacun l'idée qu'il pouvait avoir une opinion sur la chose publique, il est nécessaire désormais de repenser le système d'élaboration de la loi.
En Grande-Bretagne, on observe encore que les voix minoritaires s'interdisent d'exprimer publiquement leurs opinions lorsqu'elles appartiennent à la majorité. Or la France a toujours eu le mérite de penser au-delà de ses frontières. Elle doit persister sur cette voie, car l'ensemble des Européens attendent d'elle des réponses sur l'avenir de la démocratie.