RENCONTRES SÉNATORIALES DE LA JUSTICE
Palais du Luxembourg - Mardi 8 juin 2004
M. Maurice PEYROT - Monsieur le Président, je vous invite à procéder à l'ouverture de ces deuxièmes rencontres sénatoriales de la justice.
ALLOCUTION D'OUVERTURE
M. CHRISTIAN PONCELET, PRÉSIDENT DU SÉNAT
Mes chers collègues,
Mesdames et Messieurs les magistrats et fonctionnaires de justice,
Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,
En m'adressant à l'ensemble de l'assistance, permettez-moi de vous dire à toutes et à tous, tout simplement et avec sincérité, chers amis.
Le 24 septembre dernier, dans cette même salle, je vous faisais part de mon souhait de renouveler cette année les expériences de stages d'immersion effectués en 2003 par mes collègues sénateurs dans vos juridictions (et je précise qu'il s'agit bien de sénateurs de toutes tendances), tant leur succès avait été grand et unanime.
Malgré le handicap certain que constitue, depuis le mois de janvier et jusqu'au début de l'automne, la succession des campagnes électorales (s'il n'y en avait pas, cela nous manquerait et nous les réclamerions), mes collègues ont répondu présents et ils sont à nouveau allés à votre rencontre dans vos tribunaux, certains d'entre eux sont mêmes des récidivistes de l'an dernier, ce qui confirme à l'évidence l'intérêt qu'ils ont porté à ces stages, même si certains, comme c'est le cas aussi des stages en entreprise, ont pu être au départ un peu réticents, ce qui est bien normal.
J'ai eu également le plaisir de constater que vous avez été très nombreux, chefs de cour, chefs de juridiction ou magistrats, à vous porter spontanément candidats pour accueillir une sénatrice ou un sénateur, à tel point que je n'ai pas pu en offrir à toutes et à tous. Je vous prie de bien vouloir accepter mes excuses et mes regrets. Je tenterai de faire mieux la prochaine fois.
J'ai donc été très heureux de constater que le succès de l'an dernier ne devait rien à l'effet de la nouveauté. C'est pourquoi je suis particulièrement fier de vous accueillir toutes et tous ici, au Sénat, pour la deuxième année consécutive. Nous allons pouvoir poursuivre, prolonger et approfondir le dialogue direct engagé ensemble il y a maintenant dix-huit mois.
Je crois sincèrement que, si ce dialogue s'avère fructueux, c'est en raison de la franchise, de la transparence et de la simplicité, mais aussi du puissant désir de mieux nous comprendre qui anime tous nos échanges. Il y avait entre nous un fossé qu'il convenait de combler pour que nous puissions appréhender les uns et les autres nos missions respectives, nos difficultés et nos possibilités. Cet échange ne peut être que profitable à nos institutions.
Vous avez une nouvelle fois ouvert vos audiences, vos cabinets, vos parquets, vos greffes, vos réunions de travail internes ou externes avec vos partenaires extérieurs sans rien dissimuler. Soyez en très profondément et très sincèrement remerciés.
Au risque de me répéter, je dois vous dire que mes collègues sénateurs qui sont partis en stage cette année ont, eux aussi, désormais, une image de la justice bien différente, c'est-à-dire bien plus favorable. Ils ont d'ailleurs presque les mêmes mots que leurs prédécesseurs pour décrire notre justice.
Outre la chaleur et la sincérité de l'accueil qui leur a été réservé et auquel ils ont été bien évidemment sensibles, ce sont les mots de professionnalisme, de rigueur, d'écoute, d'humanité, de difficulté de la tâche du juge ou d'insuffisance des moyens matériels qui reviennent le plus souvent dans le résumé de leur expérience. Je pense qu'ils vous le confirmeront tout au long de la journée dans le cadre de leurs interventions.
Pour vous rassurer, j'ajoute tout de même que, ponctuellement, ils ont aussi formulé quelques légères critiques. Le contraire vous aurait bien sûr étonnés.
Ils ont en tout cas acquis une confiance dans la justice et les hommes et les femmes qui la rendent, qu'ils n'avaient peut-être pas tous autant avant cette expérience.
J'en suis très heureux car c'est bien le but que je cherchais à atteindre en prenant l'initiative de ces stages.
Faire en sorte que deux des institutions constitutives d'un Etat démocratique, d'un Etat de droit, fonctionnent en bonne intelligence, c'est-à-dire en se comprenant, ce qui, en démocratie, n'exclut pas les divergences de point de vue.
Nous avons bien progressé dans cette voie, mais nous savons que nous avons engagé un travail, les uns et les autres, de longue haleine. C'est pourquoi il faut continuer de renforcer les liens que nous avons su nouer en poursuivant nos échanges l'an prochain.
Je souhaite que, l'année prochaine, les cours d'appel puissent également accueillir des sénateurs, du moins ceux qui ont déjà une bonne connaissance des tribunaux de grande instance, afin d'avoir une vison complète de l'institution judiciaire. Cet enrichissement me semble indispensable compte tenu du rôle de plus en plus important qui est joué pas les cours d'appel, surtout au plan de la gestion.
Par ailleurs, ainsi que je l'avais évoqué en septembre dernier, le Parlement, en particulier le Sénat, doit remplir une mission d'évaluation des textes qu'il vote. Dans cette perspective, nos rencontres pourraient être l'occasion, l'an prochain, d'un premier bilan d'étape de la réforme des juges de proximité.
C'est une suggestion que je me permets de livrer à votre appréciation.
Aujourd'hui, nous avons choisi de soumettre à votre sagacité deux thèmes qui, contrairement à l'an passé, ne sont pas tournés vers le fonctionnement de l'institution judiciaire mais, davantage, vers sa place ou son image dans la société : la déontologie des magistrats et la justice pénale des mineurs, sujets d'actualité.
Je dois dire que la déontologie est un sujet qui m'a souvent préoccupé mais que je n'ai jamais fait aboutir. Quand j'étais ministre du budget, j'avais établi la fiscalité de la presse et des médias et, dans le cadre de ce travail, j'avais aussi envisagé que l'on puisse établir un code déontologique de la presse, mais cela n'a pas abouti... (Rires.)
Sans anticiper ni empiéter sur vos débats, je voudrais vous faire part des quelques réflexions que m'inspirent ces sujets. Le titre choisi pour le premier : " Le juge et l'exigence d'excellence " souligne combien les attentes des justiciables et de l'opinion publique en général à l'égard de l'institution judiciaire sont devenues intransigeantes. Cette situation s'explique en particulier par le fait que nos concitoyens ne tolèrent plus aucun risque dans aucun domaine.
J'ai l'habitude de dire que nous sommes aujourd'hui dans une société de garantisme dans laquelle plus personne n'est responsable de rien. Si l'élève ne réussit pas son examen, ce n'est pas de sa faute ni celle de sa famille qui ne l'a pas surveillé : l'école et les professeurs étaient mauvais ! Si un enfant circule dans le village, va un peu vite, dérape et se blesse, ce n'est pas de la faute de l'enfant qui a fait un excès de vitesse mais celle du maire qui n'a pas balayé la route ! Aujourd'hui, chacun transfère sa responsabilité sur d'autres. Il faudrait peut-être revenir sur cette question sans quoi, un jour ou l'autre, nous aurons quelques déceptions.
Les attentes des justiciables s'expliquent aussi par la rançon du succès. La place conquise ou subie par la justice dans notre société rend toute défaillance, toute erreur, toute insuffisance, surtout si elle est d'origine humaine, plus insupportable que de la part de n'importe quelle autre profession. (Certes, vous avouerez que l'opinion publique ne nous ménage pas non plus, nous, élus, comme elle ne ménage personne dès l'instant où quelqu'un prend une responsabilité.) Les dysfonctionnements de la justice, en particulier ceux de la justice pénale, peuvent en effet avoir des conséquences dramatiques sur des vies humaines.
Une exigence de qualité et de rigueur déontologique plus forte que dans d'autres domaines me paraît légitime. En revanche, le dogme de l'infaillibilité absolue des hommes comme de l'institution ne l'est pas. C'est donc à un juste équilibre entre les garanties offertes au justiciable et celles offertes aux magistrats qu'il faut parvenir.
Je précise que les garanties des magistrats ne constituent pas une fin en soi mais sont le moyen de vous permettre de rendre, au nom du peuple français, une justice en toute sérénité et indépendance pour le plus grand bénéfice des justiciables.
Vos débats, je l'espère, permettront de déterminer si cet équilibre est atteint et, dans la négative, de rechercher ce qu'il conviendrait de faire pour l'atteindre.
En toute hypothèse, vous avez montré, s'il en était encore besoin, grâce aux stages accomplis par mes collègues auprès de vous, combien la transparence de votre travail et de vos pratiques vous était favorable, et même très favorable.
C'est pourquoi vous ne devez craindre, ni aujourd'hui, ni demain, aucuns débats sereins sur votre déontologie. Ils ne peuvent au contraire que vous renforcer.
J'en viens au sujet que vous évoquerez cet après-midi, la justice pénale des mineurs, qui me tient beaucoup à coeur. Comment faire en sorte de ne pas laisser sur le bas-côté de la route une part de plus en plus importante de notre jeunesse sans hypothéquer notre avenir à toutes et à tous ? Il me paraît essentiel et même vital de ne pas les abandonner à leur sort.
C'est un sujet sur lequel - vous le savez - le Sénat, pour sa part, a beaucoup travaillé. Il a proposé il y a deux ans des solutions ou des pistes qui ont, depuis, été largement reprises par le gouvernement. C'est une excellente illustration de l'utilité du rôle de chambre de réflexion que s'assigne le Sénat au-delà de sa fonction de législateur à part entière et de sa mission de contrôleur de l'action de l'exécutif.
Au terme de vos débats, vous apporterez, je l'espère, une réponse au titre volontairement provocateur - je l'avoue - qui a été choisi pour cette table ronde, titre destiné à provoquer un "remue-méninge" pour nous aider à mieux légiférer.
Pour terminer, je souhaite, cette année encore, remercier l'Union syndicale des magistrats et son président pour le soutien qu'ils ont continué à apporter à notre opération.
Je remercie également l'Ecole nationale de la magistrature et son directeur d'avoir accepté de faire de ces deuxièmes Rencontres une journée de formation continue pour chaque magistrat participant.
Je vous souhaite maintenant à toutes et à tous de fructueux débats et vous donne rendez-vous à l'année prochaine. Bonne journée à toutes et à tous.
(Applaudissements.)