L'ELU LOCAL AU COEUR DE LA DECENTRALISATION - colloque à l'initiative de l'Observatoire de la décentralisation



Palais du Luxembourg - jeudi 3 novembre 2005

INTRODUCTION GÉNÉRALE

M. Jean PUECH, Président de l'Observatoire de la décentralisation, Sénateur de l'Aveyron

I. L'OBSERVATOIRE DE LA DÉCENTRALISATION : UN OUTIL DE SURVEILLANCE, DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION

Monsieur le Président, tout en vous remerciant pour votre accueil, je souhaite saluer en vous l'ardent défenseur des collectivités locales ainsi que votre détermination à tout mettre en oeuvre pour réussir cette nouvelle grande étape de la décentralisation que représente l'Acte II.

Vous avez demandé que soit créé l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, c'est-à-dire un outil de surveillance, de contrôle, d'évaluation.

Le Sénat se doit d'être en première ligne sur ce chantier. Il est par nature le plus qualifié pour se doter de cet outil, c'est-à-dire pour être le gardien vigilant de la décentralisation : pour expertiser, évaluer, informer, alerter si nécessaire et même dénoncer quand cela ne va pas !

Monsieur le Président, merci pour votre présence et votre aide précieuse !

« L'ÉLU LOCAL AU CENTRE, AU CoeUR DE LA DÉCENTRALISATION »

Pourquoi un tel sujet pour ce premier colloque de l'Observatoire de la décentralisation ?

Parce que les élus locaux, plus précisément ceux qui ont connu l'avant-décentralisation, qui ont connu l'Acte I et à présent l'Acte II, ont acquis quelques convictions... qu'il est essentiel de prendre en compte pour dresser un premier état de la situation.

Tout d'abord, contrairement à ce que j'entends encore, trop souvent, les élus locaux connaissent bien leur sujet...

Ils ont la connaissance du terrain - je dirais l'intelligence du terrain. Ils gèrent bien, en harmonie avec une population qu'ils connaissent bien, qu'ils représentent. Ils sont passionnés par ce qu'ils font et ce qu'ils réalisent. Ils sont créatifs. Ils sont compétents. Ils choisissent leur politique quand ils en ont encore la liberté. Ce choix est toujours public, c'est-à-dire démocratique...

Tout le monde ne peut pas en dire autant.

Alors, est-ce que la décentralisation dans un pays de tradition centralisatrice comme le nôtre s'effectue comme nous le souhaitons ?

Est-ce que cette réforme, « la mère des réformes » (Jean-Pierre Raffarin), c'est-à-dire cette redistribution raisonnée des pouvoirs s'effectue entre les différents échelons administratifs comme le souhaitent nos concitoyens ?

C'est-à-dire avec un seul objectif : rechercher et atteindre une plus grande efficacité de l'action publique .

Certes l'objectif est ambitieux, certes le projet est vaste, notamment en France, pays historiquement centralisé et centralisateur. Mais aujourd'hui faisons-nous tout ce qui est vraiment nécessaire pour voir cette réforme réussir ?

Je souhaite que cette journée de travail, de confrontation d'expériences nous permette de faire un bon point d'étape.

Vous êtes des praticiens de la décentralisation. Vous vous sentez concernés par cette réforme. N'hésitez pas à nous livrer vos analyses, vos réflexions issues de vos expériences, de votre pratique...

II. LE RESPECT DE L'ESPRIT DE LA LOI

Vous le savez bien, la réussite de l'Acte II de la décentralisation passe par le respect de la Loi, mais je dirais qu'il passe surtout par le respect de l'esprit de la Loi .

Pour arriver à un tel résultat, il est essentiel que la confiance existe entre tous les partenaires (Etat, collectivités locales, la société civile économique et socio-économique).

Aujourd'hui, est-ce la confiance qui domine ou est-ce la défiance?

Pouvons-nous, au niveau des collectivités locales assumer tous les transferts, engager la grande réforme des collectivités locales que nous faisons sans faiblir depuis plus de 20 ans... ?

Pouvons-nous la faire sans une réforme profonde de l'Etat qui n'a pas bougé depuis 20 ans ?

N'est-on pas en train d'organiser la confusion dans les esprits si nous ne faisons l'effort de clarifier et de simplifier ?

Il n'y a jamais eu autant de commissions, conseils, hauts conseils, conseils supérieurs, de commissions consultatives pour asphyxier les élus !

D'un Etat partenaire, nous passons à l'Etat contrôleur, qui passe des contrôles de légalité aux contrôles d'opportunité.

C'est pour ces raisons que je me dis que nous passons de la confiance à la défiance, voire à la résistance entre partenaires, qui devraient nourrir entre eux un dialogue constructif !

Il s'agit aujourd'hui d'aborder ce sujet dans toutes ces dimensions.

Oui, on parlera technique, finances, compétences, statut de l'élu, cumul des mandats... mais il faut éviter de s'enliser .

Il faut aller plus haut ; il faut réfléchir à notre mission d'élus, à la quintessence de nos responsabilités.

Si nous ne réfléchissons pas à cette question, si nous ne précisons ces points forts, la décentralisation n'entraînera pas l'adhésion des Français.

Et il n'y aura plus de décentralisation en France dans peu de temps et pour longtemps.

Mais je pense que nous pouvons réussir, nous devons réussir.

Nous sommes à un moment capital de cette réforme, une réforme dont la France a besoin ! Car tous les autres pays sont en avance sur nous.

III. VIVRE LA DÉCENTRALISATION

Voilà donc en quelques grands traits le décor dans lequel les élus vivent la décentralisation. Et tout cela les conduit à s'interroger.

C'est pour cela que lorsqu'on me demande à propos du titre de notre rencontre « l'élu local au coeur de la décentralisation » si c'est un voeu ou une réalité, je réponds sans hésiter que c'est malheureusement un voeu et une réalité :

- une réalité : parce que l'élu local, par définition, ne peut qu'être au coeur de la décentralisation puisqu'il a pour mission de la mettre en oeuvre ;

- un voeu : puisque nos partenaires, au premier rang desquels l'Etat, ont de la peine à reconnaître la place de l'élu et à lui transférer les moyens nécessaires.

C'est de tout cela que vous allez débattre !

Je souhaite que vos débats traduisent les préoccupations de nos concitoyens.

(Applaudissements...)

Emmanuel KESSLER. - Monsieur Jean Puech, je vous remercie. Vous restez bien sûr parmi nous afin d'écouter les débats, intervenir et traduire ce soir, devant le Ministre des collectivités locales qui viendra conclure cette journée, les propositions formulées. Nous ferons en sorte que des aller-retours entre vous qui êtes dans la salle et les personnes de la tribune soient les plus fréquents possibles, afin de vraiment garder tout au long de cette journée un esprit de dialogue.

Trois grandes tables rondes vont se tenir :

La première est relative à la question des résistances face à la décentralisation.

La deuxième concerne peut-être plus positivement la manière dont les acteurs locaux s'organisent, afin d'agir sur le terrain avec, par exemple, des entreprises et des représentants du monde rural.

La troisième, qui aura lieu cette après-midi, traitera davantage de la manière dont l'élu local organise la démocratie locale, en abordant les questions tournant autour du statut de l'élu, ainsi que de la participation des citoyens, à savoir de la démocratie participative.

TABLE RONDE N° 1 :
L'ÉTAT DES LIEUX : L'ÉLU LOCAL À L'ÉPREUVE
DES RÉSISTANCES À LA DÉCENTRALISATION
SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. JEAN PUECH

Emmanuel KESSLER. - Sans plus attendre, pour ce premier débat, vont nous rejoindre :

§ Jacques Pélissard , Président de l'Association des maires de France, Député-maire UMP de Lons-le-Saunier.

§ Louis de Broissia, Sénateur UMP, Président du Conseil général de la Côte d'Or et premier Vice-président de l'Assemblée des départements de France.

§ Jean-Luc Boeuf , Directeur général des services de la Région Franche-Comté pour 2004, membre du comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation, maître de conférence à Sciences Po à Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur ces questions de décentralisation.

§ Mireille Cellier , conseillère régionale UMP du Languedoc-Roussillon depuis 1998 et maire de Beaucaire dans le Gard depuis 2003. Nous en reparlerons tout à l'heure, mais cette ville de 15 000 habitants est aux confins de plusieurs départements, proche d'autres régions et concentre beaucoup de défis.

Nous allons débuter cette première table ronde. Tout à l'heure, nous avons parlé de l'Acte II de la décentralisation et de sa mise en oeuvre. En 2004, il y a eu le RMI-RMA. Les routes constituent le prochain défi devant se mettre en place début 2006. La question des transferts des personnels TOS des collèges et les lycées a fait couler beaucoup d'encre.

Concernant l'Acte II de la décentralisation, chacun dans vos niveaux de collectivités, sachant que villes ou les communes ont peut-être été moins concernées, comment le vivez-vous ? Avez-vous l'impression que cet Acte II se met en place ou, au contraire, qu'il existe des freins et que nous sommes plutôt dans une période de recul de la décentralisation, comme cela a pu être suggéré dans les propos introductifs ?

M. Jacques PELISSARD, Député du Jura, Président de l'Association des Maires de France

Je suis heureux de participer à cette table ronde relative à la décentralisation qui, pour l'Association des maires de France, est une piste intéressante qu'il faut creuser et explorer en tout domaine.

La loi du 13 août 2004, dernier volet de l'Acte II de la décentralisation, a été effectivement moins importante pour nous. Pourquoi ?

Chers collègues maires ici présents de façon importante, vous le savez tous, les communes ont déjà une compétence généraliste. Nous sommes compétents sur nos territoires en toute matière et tout domaine. Nous ne pouvions pas avoir de compétences nouvelles, puisque nous les avons déjà presque toutes.

En revanche, nous nous sommes battus, afin de détenir une compétence nouvelle en matière de délégation de certaines compétences d'Etat, en particulier en matière de gestion des crédits d'aide à la pierre. Le texte initial du Gouvernement ne prévoyait pas automatiquement cette compétence pour les intercommunalités. Nous avons porté notre conviction et avons obtenu que le texte final le permette sans condition de seuil, sous réserve qu'il existe une vraie volonté politique locale, de proximité de gérer le logement social public et privé, à travers la mise en place d'un programme local de l'habitat et une demande de délégation des crédits d'aide à la pierre du préfet de région.

En termes de compétences, cette décentralisation nous a satisfait, car elle a reconnu la plénitude de nos compétences et nous en a apporté une nouvelle.

Dernier point, elle a également mis en oeuvre une formule intéressante, encore peu exploitée, qui est l'appel de responsabilité. Une commune ou une intercommunalité, sachant que cela vaut plus pour cette dernière, peut dire au département et à la région : " Vous avez telle compétence. Nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à être votre délégataire sur le terrain, afin d'assurer cette compétence en matière social, de routes, etc. ", peu importe le domaine. Une contractualisation peut se mettre en place, ce qui permettra une gestion de proximité avec un transfert de la responsabilité et des moyens financiers, dans le cadre d'un vrai partenariat.

Toutefois, nous avons d'autres éléments moins positifs à dire concernant l'état actuel de la décentralisation, mais la loi du 13 août, cette deuxième étape de la décentralisation nous convient.

Emmanuel KESSLER. - Vous reviendrez sûrement tout à l'heure sur l'esprit dans lequel vous travaillez aujourd'hui et ce climat sur lequel M. Jean Puech formulait un certain nombre d'inquiétudes.

Monsieur Louis de Broissia, les départements, à la différence des communes, ont été directement concernés par des transferts importants. Jean Puech parlait tout à l'heure de résistance. En tant que Président du Conseil général et à travers la vision globale que vous pouvez avoir à l'ADF, ressentez-vous que, aujourd'hui, face aux compétences très précises qui sont transférées aux départements, nous sommes dans une période de difficulté à mettre en oeuvre cette nouvelle étape ?

M. Louis de BROISSIA, Sénateur, Président du Conseil général de la Côte d'Or

Oui, évidemment. Je vais être encore plus provocateur que vous, puisque Jean Puech nous invite à nous exprimer franchement. Je récuse, au nom des 4 218 conseillers généraux de France, l'expression d'Acte I et d'Acte II. La décentralisation n'est pas une pièce de théâtre qui s'interrompt puis reprend après un entracte. En réalité, elle est un mouvement unique et continu.

Je me suis exprimé dernièrement devant la commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale de l'Assemblée nationale. J'ai évalué ce que « l'Acte I » représente pour le Conseil général de la Côte d'Or que je préside : 30 % d'impôts en plus non compensés.

Emmanuel KESSLER. - Voulez-vous dire que la décentralisation correspond à plus d'impôts ?

M. Louis de BROISSIA. - Non, c'est un mouvement perpétuel, un film se déroulant en permanence. L'acte II, appelons-le ainsi puisque c'est l'usage, a été engagé par la loi du 13 août 2004, sans que l'acte I ne soit interrompu.

C'est pourquoi les conseillers généraux au nom desquels je m'exprime, demandent que soit observée une pause. Avons-nous vraiment digéré l'acte I ? Non. Avons-nous déjà digéré l'Acte II ? Non plus.

Les élus locaux que j'incarne ici, les élus cantonaux élus au suffrage uninominal majoritaire à deux tours, qui sont très représentatifs de la République, ont le sentiment que, depuis vingt ans, l'Etat vient nous trouver chaque fois que cela va mal.

Nous développons d'autant plus une résistance mentale, qu'on nous a traités, à droite comme à gauche, « d'échelon de trop ». Dans le même temps, on nous a transféré tout ce qui n'allait pas : le RMI, l'APA, les SDIS, le handicap, les routes...

D'abord, il faut vaincre la résistance psychologique des élus locaux à un mouvement perpétuel qui ne s'est jamais arrêté. Pour cela, j'appelle tous les Gouvernements, celui d'aujourd'hui, celui d'hier et ceux de demain, à faire une pause.

Ensuite, la décentralisation ne doit pas être confondue avec la déconcentration. Ce n'est pas ce qu'a voulu le constitutionnaliste en modifiant l'article premier de la Constitution pour affirmer que l'organisation de la République est décentralisée.

Enfin, la décentralisation doit s'accompagner d'une puissante réforme de l'Etat.

Lorsque l'Etat veut recentraliser ses compétences, il doit être en mesure d'exercer ses nouvelles missions aussi bien que les collectivités territoriales. Par exemple, dans le médico-social, on nous dit, à nous, Département, que nous devons laisser à l'Etat la santé. Vais-je renoncer au dépistage du cancer du sein et du cancer des voies digestives que nous avons entrepris en Côte d'Or avec une dizaine d'autres départements sous un autre Gouvernement ? Allons-nous l'accepter ? Oui, mais pas tout de suite, car si nous arrêtons et que l'Etat n'est pas capable de reprendre derrière, nous serions accusés de laisser en déshérence le dépistage du cancer.

Or, pour assumer de manière convenable cette tâche, l'Etat doit se réformer. Dans cet exemple, il doit moderniser les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).

La première résistance mentale des 4 218 conseillers généraux vient du fait que la décentralisation ne s'accompagne pas d'une profonde réforme de l'Etat.

Emmanuel KESSLER. - Nous vivons depuis vingt ans la réforme de l'Etat.

M. Louis de BROISSIA. - C'est "la belle que nous ne voyons pas venir". Il faut une réforme profonde de l'Etat avec un retour à ses missions régaliennes. Par exemple sur la Justice, dont je pourrais parler. Chaque fois qu'il y a un délinquant mineur, cette dernière nous l'envoie. Or, nous sommes chargés de protéger les enfants, pas de prendre en charge des délinquants.

Ainsi, je propose une pause de trois ans du processus de décentralisation. Pendant ce temps, un contrat lierait l'Etat aux départements à travers un pacte de gestion. Nous en parlons régulièrement avec le gouvernement actuel. Nous en parlerons avec tous les prochains. Cette pause donnerait du temps à l'Etat pour mettre en oeuvre une profonde réforme de l'action publique centrale et déconcentrée.

Emmanuel KESSLER. - Nous avions cru comprendre que les élus voulaient plus de décentralisation. Il est contradictoire de vous entendre dire aujourd'hui que vous en avez trop.

M. Louis de BROISSIA. - Il faut déjà digérer ce que l'on nous a demandé de faire, car nous en sommes responsables devant nos concitoyens.

Emmanuel KESSLER. - Monsieur Jean-Luc Boeuf, vous exprimez le point de vue des régions. Avez-vous le même ressenti ?

M. Jean-Luc BOEUF, Directeur général de la région Franche-Comté

Ne représentant pas l'Association des régions de France et n'étant pas élu, je peux me permettre d'être encore plus provocateur que l'orateur précédent.

Premièrement, nous ne pouvons parler ni d'Acte I, ni d'Acte II, car cela signifierait que tout a commencé en 1982. Historiquement parlant, depuis 220/230 ans, la décentralisation a provoqué, par époques successives, des évolutions difficiles à digérer. C'est effectivement un mouvement perpétuel. Pour reprendre un des aspects évoqués par le Président du Conseil général de la Côte d'Or, concernant l'action sociale, la loi de 1975 continue à produire ses effets difficiles sur les départements.

La décentralisation est un mouvement historique qui s'est toujours construit contre l'Etat unitaire, contre les idéaux de la Révolution et contre certains idéaux de la République. C'est ce que nous avons en France, depuis 220/230 ans, à digérer par époques successives. C'est pour cette raison que je peux dire, plus encore devant le Sénat, que la décentralisation n'est une idée ni de gauche ni de droite. Elle naît en général sous les oppositions et trouve ses concrétisations lorsque les oppositions viennent ou reviennent au pouvoir.

Deuxièmement, pour répondre concrètement à la question : comment, dans une région comme la Franche-Comté, la décentralisation issue de la loi du 13 août se met en place ? Je donnerai deux éclairages : un dans le domaine des personnels technicien et ouvriers de service (TOS) et un deuxième dans celui du développement économique.

Dans le domaine des personnels TOS, si je devais citer une difficulté majeure vis-à-vis de l'Etat, et ce n'est pas une critique, ce serait celle du recollement de l'information avec tous les services de l'Etat, quels qu'ils soient, du niveau central ou régional. Nous risquons sinon de tomber dans la déconcentration. C'est le même marteau qui frappe, mais dont le manche a été raccourci et, au niveau local, il peut parfois frapper très fort.

J'ai précédemment travaillé dans un Conseil général dans lequel j'ai vécu la mise en place du transfert du RMI. Lorsque l'on vous transfère cinq, six ou sept agents, à l'échelle d'un Conseil général ayant 700 ou 1 000 agents, vous y arrivez, mais lorsque vous êtes face aux régions qui sont des petites collectivités, 350 agents pour la Franche-Comté, et que l'on vous en transfère 1 400, en fonction des équivalents temps pleins, etc., vous devenez une collectivité de 2 000 agents. Le delta à 100 unités près devient vite très important et très difficile pour la collectivité locale.

Dans le domaine du développement économique, nous avons deux approches : d'une part, celle du court terme selon laquelle on considère que la loi du 13 août 2004 a retiré les compétences de la région dans ce secteur, puisque ce qui était sorti des premières discussions parlementaires poussait très loin le "bouchon".

Permettez-moi d'avoir, à titre économique, une vision un peu différente en disant que la loi de 2002 sur la démocratie de proximité, en faisant de la région la collectivité chef de file, offrait déjà toute la palette possible. Les régions qui n'ont que 50 ans ont tout le temps devant elles pour s'emparer de cet outil de développement économique.

Pour prendre l'exemple de la région Franche-Comté, nous préparons, comme les autres régions, un schéma de développement économique utilisant des mots très simples que les présidents Puech et Poncelet ont employés. Ce sont des mots de simplification face à nos concitoyens qui ont du mal à s'y retrouver, des mots d'accueil d'entreprises dans une région Franche-Comté historiquement industrielle et devant se requalifier et des mots visant à faire entrer des entrepreneurs nouveaux et à les motiver sur notre territoire.

Je terminerai par un mot qui a été utilisé, celui de la fiscalité locale, en me plaçant de nouveau dans une perspective historique. Si nous comparons les années 1982/1983 à 2003/2005, le constat est très simple : les prélèvements obligatoires entre l'Etat et les collectivités locales sont des transferts. Au niveau macro-économique, ce qui est en moins pour l'Etat se retrouve dans les collectivités locales, mais ces dernières gèrent 300 000 agents de plus et, pour des compétences facilement identifiables par nos concitoyens, les départements dans les collèges, les régions dans les lycées, le développement économique dans les communes. Ces collectivités font plus avec proportionnellement autant d'argent.

Emmanuel KESSLER. - Vous avez dit que, historiquement, la décentralisation s'était un peu construite contre la République. Cela explique-t-il qu'il ait toujours existé des résistances face au mouvement de la décentralisation ?

Des élus votent des lois en faveur de la décentralisation et, derrière, des personnes descendent dans la rue ou des républicains plus jacobins disent de faire attention à l'inégalité des territoires, etc.

M. Jean-Luc BOEUF. - Par exemple, à la charnière de la création de la III ème République, lorsque les républicains opportunistes -à l'époque, ce mot n'est pas du tout péjoratif- arrivent au pouvoir dans les années 1880, ils ont le plus grand mal à appliquer le fameux programme de Nancy ou ceux de Belleville et de Clemenceau. Face à ces idées généreuses de la décentralisation, ils se heurtent immédiatement à l'appareil de l'Etat napoléonien mis en place au début du XIX ème siècle et qui s'est prorogé pendant 150 ans.

Emmanuel KESSLER. - Une des premières résistances est donc idéologique ou culturelle et est spécifique à la France. Une suspicion vis-à-vis de la décentralisation a toujours existé.

M. Jean-Luc BOEUF. - Bien sûr et une autre phrase très révélatrice date des révolutionnaires en 1789/1790. Ces derniers préféraient 80 « petits roquets » à 15 « gros chiens loups », les premiers étant les départements et les deuxièmes les provinces. Il existait une espèce de peur du pouvoir central face à la résurgence d'un pouvoir provincial ou supposé tel.

Toutes les difficultés de mise en place des régions des années 1950 à nos jours s'expliquent également par cela, ainsi que par un autre phénomène historique : le régime de Vichy ayant voulu créer des provinces et des régions, à la Libération, il a été un peu compliqué de faire réémerger l'idée.

Emmanuel KESSLER. - Sans parler de l'histoire, aujourd'hui, il reste des traces de cela dans les résistances au mouvement ?

M. Jean-Luc BOEUF. - Bien sûr et cela se corrobore par le fait que l'appareil de l'Etat, tel que nous le connaissons aujourd'hui en 2005, est quasiment identique à celui de 1800 ou 1805.

Emmanuel KESSLER. - Nous allons justement en parler, car ce qui traverse un peu les propos des uns et des autres ce matin est le fait qu'il existe un décalage entre ce qui est demandé aux collectivités locales et la manière dont l'Etat se réorganise.

Madame Mireille Cellier, comment vivez-vous cela sur le terrain ? Vous avez été maire adjoint de 1983 à 2003, avant de succéder au maire de Beaucaire en 2003. Cette ville de 15 000 habitants est un peu un concentré de toutes les problématiques de l'élu local. Elle a des zones urbaines, rurales ou encore des zones sensibles. Elle a une part de tourisme et est aux confins de plusieurs départements.

Mme Mireille CELLIER, Maire de Beaucaire (Gard)

Tout à fait, Beaucaire est une petite ville située au bord du Rhône, aux confins de plusieurs départements. Nous sommes à 25 km d'Avignon dans le Vaucluse, à 25 km de Nîmes qui est notre préfecture et à 15 km d'Arles dans les Bouches du Rhône. Nous sommes également à la limite des deux régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Languedoc-Roussillon dont je suis une élue depuis 1998.

Je suis élue à Beaucaire depuis 1983. Vous pouvez imaginer que nous avons vécu, depuis cette date, l'évolution de cette décentralisation. Aujourd'hui, avec le recul, nous nous sommes rendu compte que l'Etat, qui est parti d'un bon sentiment en voulant décentraliser certaines de ses actions, est petit à petit en train de regrignoter ce qu'il nous avait donné.

Nous vivons actuellement une contractualisation dans de nombreux domaines. Les communes sont au bas de l'échelle. La décentralisation concerne d'abord la région, le département et, après, les communes qui arrivent avec tout ce qui peut être mis en oeuvre dans le cadre du secteur purement local.

Nous sommes en prise directe avec nos électeurs. Petit à petit, à travers les contrats signés avec les communes, que ce soit des contrats de plan Etat-Région, les contrats locaux, le contrat local éducatif, le contrat local social, le contrat local d'éducation scolaire, le contrat de ville, etc., l'Etat fait illusion de donner des pouvoirs aux maires. Ces derniers sont au coeur de ces contrats dont ils sont apparemment les acteurs principaux.

Malheureusement, nous nous rendons compte, au quotidien, que nous sommes de plus en plus chapeautés et regardés pour tout ce que nous mettons en oeuvre. J'en veux pour preuve, par exemple, le contrat de ville dans le cadre duquel nous avons des actions que nous souhaitons mettre en place, mais si ces dernières n'entrent pas dans le cadre fixé, les financements ne suivent pas.

Emmanuel KESSLER. - Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Mme Mireille CELLIER. - Je pense à un certain nombre d'actions que nous pouvons mettre en oeuvre avec des associations dans tel ou tel quartier, en direction de telle ou telle population. Si elles n'entrent pas vraiment dans le cadre fixé dans le contrat de ville, nous pouvons bien entendu le faire, mais sans moyens financiers venant nous aider. Nous sommes un peu brimés dans le cadre de nos actions, si elles ne correspondent pas tout à fait à ce que veut l'Etat. Là, nous ressentons à nouveau que cette décentralisation est un peu avortée.

Dans le cadre d'un contrat de plan Etat-Région, par exemple, sur la région Languedoc-Roussillon - c'est également un exemple concret sur la ville de Beaucaire -, dans le précédent contrat et l'actuel, nous avons la volonté de rouvrir une écluse qui donnerait l'accès au Rhône navigable de notre canal du Rhône à Sète. Aujourd'hui, ce canal est en cul-de-sac avec, bien entendu, des contraintes liées à la navigation.

Dans le précédent contrat de plan Etat-Région, comme cela a été repris dans le présent, l'ouverture de l'écluse était et reste inscrite. La région, le département, la commune et, maintenant, la communauté de communes étaient d'accord, mais l'Etat refuse cette action structurante dans notre région, alors que nous ne demandons pas de moyens financiers, puisque les opérateurs de terrain, à savoir la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et les Voies navigables de France (VNF) sont disposés à envisager le financement du projet.

A travers cette illustration, nous nous rendons compte que l'Etat est toujours présent, malgré les contrats que nous signons avec ses services. Nous sommes contraints d'entrer dans un moule si nous voulons aller au bout de nos décisions et de nos souhaits.

J'ai encore de nombreux exemples, car, comme vous le disiez tout à l'heure, Beaucaire est une ville en pleine mutation économique. Nous avons deux grands pôles économiques forts, à savoir l'industrie et l'agriculture. Nous sommes en plein développement de l'économie touristique à travers notre patrimoine. Beaucaire est une ville architecturale de très haut niveau. Notre ville possède 44 hectares de secteur sauvegardé que nous devons gérer avec les Bâtiments de France et les architectes de Monuments historiques. Nous avons également, dans notre ville, huit monuments historiques classés et quarante monuments inscrits.

Cela demande toute une gestion au quotidien. Nous avons à apporter nos idées et nos décisions. Ce ne sont pas les maires qui se réveillent un matin en disant qu'il faudrait faire ceci ou cela. Non, ces décisions ont été réfléchies et vues avec la population.

Pourtant, à un moment donné, malgré cette coordination avec la population, nos électeurs et les élus, nous nous retrouvons devant un dictat. On nous dit que ce n'est pas possible et que nous devons procéder différemment. Nous avons beaucoup à apporter, à réfléchir et peut-être à faire remonter, afin que, après une pause - que je crois nécessaire - nous ne disions pas moins de décentralisation, mais une décentralisation plus qualitative...

Emmanuel KESSLER. - Il s'agit d'une pause législative, dans la mise en oeuvre de nouvelles compétences ?

Mme Mireille CELLIER. - Nos électeurs qui ont le recul de toutes ces mesures et les reçoivent sans trop s'y être investis finissent par se dire : " Finalement, avant la décentralisation, c'était peut-être mieux et nous payions peut-être moins d'impôts ! "

Voilà grosso modo ce que l'électeur de base ressent.

Emmanuel KESSLER. - Jacques Pélissard, j'ai même entendu Mme Cellier dire que la décentralisation était avortée. Nous sommes au coeur des résistances à ce mouvement.

Est-elle vraiment avortée ? N'existe-t-il pas une espèce de relation entre l'Etat et les collectivités locales entraînant le fait que, à un moment donné, l'Etat conserve malgré tout ses prérogatives, afin de garantir qu'il ne se produise pas de fuite en avant, par exemple, au niveau de la fiscalité locale, ce qui est une crainte très forte des habitants qui l'entendent dire régulièrement et qu'il existe une forme d'égalité républicaine sur tout le territoire ?

M. Jacques PELISSARD. - Le problème pour les collectivités locales, les communes, est le suivant : nous sommes favorables à la décentralisation qui, comme je l'ai déjà dit et je le réaffirme, est une gestion de proximité. Seule la gestion de proximité permet l'efficacité et la réactivité. Ce qui a été dit par Jean-Luc Boeuf le montre bien. Nous sommes plus réactifs et gérons mieux de près que l'Etat ne le fait de loin.

De plus, ce qui inquiète les maires comme les départements et les régions et ce qui justifie la demande de pause de Louis de Broissia est le fait que nous avons, au fil des années depuis 1982, été largement échaudés.

Souvenez-vous des transferts de charge aux départements et aux régions, pour les collèges et les lycées par exemple, qui n'ont pas été compensés par l'Etat. Aujourd'hui, l'inquiétude des élus locaux, des maires par contrecoup, en cascade depuis les départements et les régions, est que la compensation des charges transférées ne soit pas au rendez-vous.

Emmanuel KESSLER. - Malgré les garanties constitutionnelles du Gouvernement à l'époque. On sait que cela s'est mal passé il y a vingt ans, mais, dans le nouveau texte, on va vous mettre des garde-fous.

Jacques PELISSARD. - Heureusement, la loi maintenant existe et ce n'est pas n'importe laquelle ; c'est une loi constitutionnelle, la loi du 28 mars 2003, qui affirme le principe de la compensation, la nécessité de la péréquation. Il existe de bons outils et l'outil constitutionnel est essentiel pour vérifier que la compensation des charges transférées par des moyens financiers nouveaux est au rendez-vous de nos espérances. Les outils existent, toute une série de comités ont été mis en place afin de vérifier tout cela.

En revanche, nous sommes dans la phase où nous attendons pour voir. Les outils sont en place, l'expertise des charges transférées est en cours, mais nous n'avons pas encore la certitude de la réalité des moyens transférés, ce qui peut justifier, peut-être pas une pause, mais au moins un délai d'attente pour vérifier la réalité de ces transferts des moyens.

Enfin, en termes de réticence à la décentralisation, les collectivités locales ou collectivités territoriales, départements, régions et communes en particulier, sont marquées par le fait que nous sommes face à une complexité effroyable, en termes de structures, locales et nationales, en termes d'interaction entre ces structures, en termes de compétence et, sur ce registre, il faudra une nécessaire clarification.

Emmanuel KESSLER. - Vous l'avez voulu aussi. Par exemple, l'intercommunalité, vous, les élus, l'avez voulue. Or, on s'aperçoit aujourd'hui que c'est une complexité supplémentaire. Au lieu d'harmoniser, cela a rendu plutôt les choses plus compliquées. La Cour des Comptes va d'ailleurs rendre un rapport assez sévère et l'Observatoire de la décentralisation se penche sur la question.

M. Jacques PELISSARD. - Nous recevrons effectivement Philippe Seguin, Premier président de la Cour des comptes, qui viendra nous présenter son rapport avant communication à la presse. Donc, le jeudi 23 novembre au matin, tous les maires présents pourront assister en direct à la présentation de ce rapport.

La décentralisation et l'intercommunalité sont deux notions différentes. Quel est le problème de l'intercommunalité ? Nous en sommes partisans, car cela permet de porter ensemble de vrais projets sur un territoire pertinent. En revanche, les choses ont été compliquées par le fait que, très longtemps, l'intercommunalité a été complexifiée dans son fonctionnement.

Deux exemples : en matière de gestion des personnels, on a eu d'abord des transferts automatiques des personnels (Loi Vaillant du 27 février 2002), avec une certaine lourdeur quand les compétences étaient transférées. La loi du 13 août 2004 permet aujourd'hui des services partagés, de disposer entre la ville centre, les communes membres et l'intercommunalité de services communs et partagés, sans passer par le Code des marchés publics. Cela a été un vrai progrès en termes de souplesse.

Deuxième exemple : l'application du Code des marchés publics dans les rapports entre l'intercommunalité et ses communes membres. Nous avons obtenu que, pour les prestations de services internes, il n'y ait pas recours au Code des marchés publics, mise en concurrence, etc.

La pression de l'Association des maires de France a été forte et nous sommes arrivés à injecter de la souplesse dans le fonctionnement de l'intercommunalité. Tout n'est pas encore parfait, mais je crois que l'on commence à voir aujourd'hui une approche transversale, en synergie des moyens de l'intercommunalité et des communes membres.

M. Jean-Luc BOEUF. - Je pense qu'un des mots-clés qui pourrait être décliné sur toutes les compétences, toutes les problématiques évoquées ici est "complexité". Au risque de tomber dans la démagogie, il ne faut pas la refuser, mais, au contraire, l'intégrer, l'accepter et essayer de rebondir, et à nous techniciens, de proposer cela aux élus.

Je prends un exemple très concret qui concerne beaucoup de régions en ce moment : la construction des lignes à grande vitesse.

Faisons un simple comparatif :

Années 1970, construction de la ligne dite nouvelle rame entre Paris et Lyon, 420 km. L'Etat et la SNCF de concert, en quelques années, tracent une ligne qui va tout droit avec des considérations environnementales très différentes de celles d'aujourd'hui, des considérations financières plus faciles, au risque de plomber les comptes de la SNCF, et des considérations vis-à-vis des enquêtes publiques beaucoup plus souples.

Construction aujourd'hui des lignes à grande vitesse dans d'autres régions, par exemple la Franche-Comté et la ligne dite Rhin-Rhône : ce sont des années, des kilomètres d'épaisseur de dossiers et des citoyens associés à tous les étages.

C'est pourquoi je crois pouvoir dire aujourd'hui que la problématique de l'association du citoyen est réelle et présente dans toutes les étapes de la procédure pour des projets de cette grande envergure. Il nous appartient d'aller au delà de cette complexité.

On peut appliquer cette complexité au cas de l'intercommunalité. Pour poursuivre dans l'exemple de Jacques Pélissard, l'intercommunalité se place sur un registre différent de celui de la décentralisation. De même, en se replaçant sur un contexte historique, les premières associations de communes datent de 1890, pour des choses très concrètes : le ramassage des ordures, le déplacement des personnes, ce qui a donné tous les réseaux de transports urbains. Dans l'intercommunalité, on passe à la problématique centrale qui est financière.

Que s'est-il passé entre 1992 et 2002, avec tous les législateurs concernés ? On s'est dit que, pour que les communes puissent s'agglomérer de façon plus efficace et plus efficiente, il faut leur donner des moyens financiers, avec une carotte financière très facile à intégrer par tous les élus, tous les services : la carotte de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Quand le gâteau augmente, si le nombre d'intercommunalités augmente plus vite que le gâteau, tout le monde se retrouve frustré à la fin de l'année et peut tenir un discours contradictoire. L'élu local dans sa commune ne s'y retrouve pas dans la dotation intercommunalité et le législateur au niveau national et macro-économique est de bonne foi lorsqu'il dit qu'il augmente le gâteau et qu'il doit abonder chaque année de façon exceptionnelle la dotation globale de fonctionnement.

Dernière idée un peu provocatrice, concernant la loi constitutionnelle de 2003 : personnellement, je ne suis pas persuadé qu'elle ait apporté grand-chose dans l'évolution du traitement des collectivités locales. En prenant les deux exemples cités par le président Poncelet, celui du RMI ou celui des formations sanitaires et sociales, ce qui a porté, c'est le débat permanent et l'action de lobbying de tous les élus locaux dans toutes les instances qu'ils représentent face à la locomotive de l'Etat, afin de faire en sorte que les collectivités locales puissent se retrouver dans les transferts de compétences prévus un moment donné.

M. Louis de BROISSIA. - Accord et désaccord. Accord avec tous les intervenants sur l'idée de pause. Elle ne doit pas être conçue comme un repos. Elle doit être le moment de digérer les transferts de compétences et d'analyser ce qui peut encore être amélioré. Parallèlement à ce travail de bilan, l'Etat mènerait une réforme de son organisation et de son fonctionnement.

Désaccord avec Mireille Cellier surl'échelle. Il n'y a pas plusieurs niveaux de décentralisation. Cette conception des choses est dépassée à mes yeux. Il n'y a pas l'Etat qui est dans les nuages, la région en dessous, puis le département et enfin les malheureuses communes et intercommunalités. Il n'y a que des collectivités locales de plein exercice côte à côte. Il ne saurait y avoir de tutelle d'une collectivité sur une autre. Ainsi, dans mon département, je dis à tous les maires que l'on peut avoir un partenariat dans les deux sens.

Une question sur laquelle je ne suis pas en accord avec vous, Monsieur Boeuf : la loi constitutionnelle de 2003 sera appliquée. Elle est « l'arme atomique ». 60 Députés ou 60 Sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel s'ils estiment qu'une loi ne respecte pas le principe de neutralité des transferts. Jean Puech, au nom de l'ADF, a négocié la compensation financière du RMI avec le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La discussion portait sur  458 M€ pour être précis. Nous avons convaincu le Premier Ministre en mettant en exergue le principe de neutralité financière. Aujourd'hui, la somme figure dans la loi de finances rectificative pour 2005.

Aujourd'hui, la décentralisation doit s'appuyer sur l'instauration de règles nouvelles entre les collectivités territoriales. Dans cette démarche, l'intercommunalité a toute sa place. La Côte d'Or compte 707 communes, dont certaines n'ont que 12 habitants. Que pensez-vous que de tels villages puissent faire ? Heureusement qu'ils étaient en SIVOM et, maintenant, en communautés de communes ! Heureusement qu'il y a des « pays » pour porter des projets de développement du territoire !

Je voudrais aussi évoquer un autre échec de la décentralisation : nous pensions tous arriver à un décroisement des compétences. Vous appelez cela "simplification", j'appelle cela "décroisement des compétences". Nos concitoyens en ont assez de voir tout le monde faire tout. Ils n'y comprennent plus rien. Lorsqu'ils assistent à une inauguration, ils voient des représentants de toutes les collectivités territoriales parce qu'elles ont toutes payé un peu. Il y a l'Europe avec le Fonds européen de développement régional (FEDER), puis le préfet, ensuite la région, puis l'intercommunalité... Nous sommes à chaque fois six ou sept à prendre la parole. C'est sympathique. C'est convivial. Mais est-ce lisible ? Non certainement pas.

Il faut arriver à un décroisement des compétences pour dire : "Les collèges, c'est vous, les lycées, c'est vous et les routes, c'est nous". Pour les routes, l'Etat a conservé un tout petit réseau structurant et les autoroutes. Pourquoi ? La réponse est simple : il y a de l'argent.

Emmanuel KESSLER. - Il en privatise une partie.

M. Louis de BROISSIA. - Oui, justement, mais il ne va pas nous donner de l'argent, sauf scoop !

Emmanuel KESSLER. - Il faut réclamer une partie de la recette...

M. Louis de BROISSIA. - Ce serait très bien pour alimenter un fonds de concours des routes nationales. Je crois au décroisement des compétences. Je ne crois plus au partenariat multiforme. Je suis très content de savoir, dans ma commune, que le maire, et lui seul, est responsable de l'école.

Cela ne nous interdit pas d'apporter des fonds de concours. Cela ne me dérange pas de savoir que l'association sportive de football, c'est le maire ou la communauté de communes.

Pourquoi toujours tous à payer tout ?

Emmanuel KESSLER. - Dans la nouvelle réforme de décentralisation figure le fait d'avoir des chefs de file. Vous voulez dire que cela ne fonctionne pas du tout ? On voit plus clairement qui fait quoi.

M. Louis de BROISSIA. - L'Etat a voulu faire des départements les chefs de file de l'action sociale : d'accord. On prend toute l'action sociale. Mais, dans ce cas, il faut mettre à leur disposition les DDASS et les DRASS.

Les 4 218 conseillers généraux sont-ils simplement en charge d'appliquer une action sociale décidée au niveau de l'Etat (RMI, prestation de compensation du handicap, APA) ? Sont-ils simplement les exécutants de l'Etat ? Ou, au contraire, élaborent-ils de vraies politiques de solidarité dont les outils s'adaptent à la diversité des territoires ?

D'ailleurs, dans la Constitution, Monsieur le professeur, on est presque incohérent ; on veut faire à la fois de la péréquation et de l'autonomie financière. Ces deux principes sont assez inconciliables. Il y a là un débat à trancher. C'est le moment de le faire.

Mme Mireille CELLIER. - Je voulais simplement rebondir sur deux points.

Au niveau du croisement entre collectivités, nous sommes quand même en train de le mettre en place, ne serait-ce qu'à travers nos actions sociales. La commune de Beaucaire a un centre communal d'action sociale (CCAS) et nous travaillons en étroite collaboration avec le Conseil général. C'est nous qui gérons les dossiers RMI et qui travaillons sur l'APA ; nous sommes donc déjà au sein de ces actions croisées.

Je voulais aussi revenir très rapidement sur la responsabilité du maire au sein de cette décentralisation, car, maintenant, on retrouve le maire sur tous les dossiers où il y a un apport de prise de responsabilité, si bien que, lorsque l'on met en place une manifestation dans la ville, qu'elle soit culturelle ou de tradition, nous sommes très frileux. Des collègues ont été mis en examen, car il y a eu des accidents sur des parcours, lors des courses camarguaises, et nous avons eu ce genre de problèmes à régler.

Emmanuel KESSLER. - Vous dites que le maire est plus exposé juridiquement qu'il y a une vingtaine d'années et que cela le freine ?

Mme Mireille CELLIER. - Tout à fait et je le sens, je l'ai vécu. Nous sommes élus depuis 1983 et, d'année en année, nous nous sentons de plus en plus pris dans ce carcan de responsabilités qui nous freine pour prendre des initiatives qui pourraient nous être données dans le cadre de la décentralisation.

M. Jean-Luc BOEUF. - Sur les contrôles, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Grâce à la loi de fin décembre 2001, les relations se sont apaisées entre les collectivités locales et les Chambres Régionales des Comptes. Je propose de poser le débat en poussant plus loin : quel contrôle citoyen mettre sur les collectivités locales vis-à-vis des élus locaux, de leurs services et de leurs actions locales ? Je pense à une des interventions du Président Poncelet sur le rôle difficile, important et fondamental de la presse dans les relations avec les collectivités locales.

Effectivement, dans la presse locale, cela a une résonance particulière, lorsque l'on voit en première page telle erreur comptable dans une collectivité ou tel élu local mis en examen. Je souhaiterais quand même apporter un élément correctif à ce que vous dites : le nombre de responsabilités et de mises en cause d'élus devant les juridictions pénales en France est en diminution très forte, notamment depuis les effets cumulés de la loi Fauchon et de la loi de 2001 sur les collectivités locales. Elles ont une résonance particulièrement médiatique. Elles sont difficiles et, d'ailleurs, les services juridiques des collectivités locales se sont très fortement étoffés ces dernières années pour essayer d'y répondre.

Emmanuel KESSLER. - Il y abesoin d'un conseil juridique quasi permanent aujourd'hui dans les collectivités locales.

M. Jean-Luc BOEUF. - Pour que le concitoyen s'y retrouve face à cette dépense publique locale de plus en plus importante, la notion de contrôle au niveau local et d'association de citoyens est importante. La loi de 1992 prévoit des publications de comptes et de ratios assez obscurs et incompréhensibles pour les citoyens. Puisqu'il nous faut être inventif et proposer des choses concrètes, je pense qu'il y a un champ à travailler avec les associations d'élus et avec la presse locale.

Mme Mireille CELLIER. - Ce n'était pas du tout dans le cadre de nos comptes au niveau des chambres régionales. Je suis tout à fait pour un contrôle très strict et que ce soit appliqué jusqu'au bout ; s'il y a des dérapages, ils doivent être sanctionnés.

Tout ce qui peut se passer dans la commune pour l'organisation de fêtes, le passage d'une course cycliste ou si un chien traverse et blesse quelqu'un, avec la conséquence d'une blessure à une personne, le maire peut être mis en examen. Mon prédécesseur a été mis en examen, car une fusée de feu d'artifice a éclaté dans la foule. On peut difficilement appréhender cette responsabilité.

Emmanuel KESSLER. - Tout à l'heure, le Président du Sénat a parlé d'une judiciarisation ; c'est vrai pour l'ensemble des décideurs publics.

M. Jacques PELISSARD. - Il ne faut pas tout confondre. La judiciarisation, qu'est-ce que cela veut dire ? Nous avons tous le risque d'être mis en examen. La mise en examen est le fait que quelqu'un dépose plainte, se constitue partie civile et vous êtes mis en examen, mais ce n'est pas la condamnation. Très peu de mises en examen débouchent sur une condamnation, car deux lois y ont veillé : une loi de 1996, dont j'avais été à l'époque le rapporteur, qui prévoit que l'on doit avoir une appréciation concrète et non plus abstraite, c'est-à-dire que l'on prend en compte la taille de la commune, la compétence de ses services, l'existence des services techniques, ses moyens financiers, donc approche très concrète des moyens du maire. Cette loi a été complétée par la loi Fauchon de 2000 sur la faute caractérisée, qui seule donne lieu à une condamnation.

Il est vrai que la mise en examen nous reste en travers du gosier !!!

UN INTERVENANT. - La jurisprudence du Mont Blanc ne va pas dans votre sens.

M. Jacques PELISSARD. - La jurisprudence du Mont Blanc n'est pas une jurisprudence, puisqu'elle est frappée d'appel, M. Charlet ayant à juste titre exercé ce recours.

Une jurisprudence est l'approche figée d'un texte une fois les recours épuisés. Nous sommes en plein recours et l'AMF appuie totalement notre collègue M. Charlet dans le cadre de l'appel qu'il a diligenté. Nous sommes actuellement en phase procédurale. Ce n'est pas une jurisprudence.

Pour en revenir à la loi de 1996 et la loi Fauchon, cela a permis de cantonner la responsabilité du maire aux cas vraiment caractérisés. Heureusement, il y a peu d'exemples de condamnation, car les fautes caractérisées sont extrêmement rares.

Emmanuel KESSLER. - Nous allons poursuivre ce dialogue, mais peut-être souhaitez-vous poser des questions ?

M. Jean LAUTREY. - Je suis maire de Coublanc en Saône-et-Loire, depuis 1971.

Deux points ont été soulignés la semaine dernière lors de l'Assemblée générale des maires de Saône-et-Loire : les maires n'en peuvent plus des "réformites" que l'on a considérées comme une épidémie des ministères et qui sont en train de se transformer en pandémie.

Vous avez évoqué, Monsieur le Président, une certaine pause, mais il existe une autre manière de reprendre la décentralisation au profit de certains services administratifs qui, eux, n'ont jamais diminué. Je suis maire depuis 35 ans, je n'ai encore pas vu d'administrations de l'Etat diminuer en effectif ; au contraire, je les vois augmenter.

Pour que ces personnes justifient un certain nombre de leurs emplois, elles concoctent des réformes qu'elles viennent nous appliquer sur le terrain. Nos collaborateurs n'en peuvent plus de lire des circulaires qui se contredisent : trois réformes des marchés publics et trois réformes de la fiscalité et de l'urbanisme depuis 2001.

Lorsque l'on parle de digestion, il faut que l'on prenne le temps de digérer ce qui est fait pour bien l'appliquer.

On dit souvent que bien gouverner, c'est prévoir. Il y a un an, on a contrôlé ma maison de retraite : parfaite au point de vue cuisine. On nomme une nouvelle fonctionnaire à la Direction des services vétérinaires (DSV) cette année : elle vient et écrit un rapport de 25 pages.

Cette année, on nous a fermé trois cantines municipales. En milieu rural, on ne va pas faire un passage des plats de telle manière et un passage d'une autre. On refuse de prendre les produits locaux pour nourrir les enfants ; il faut prendre des produits stérilisés, en pack, etc.

Je pourrais multiplier ces exemples.

Dans cette assemblée de sénateurs, de parlementaires, il faudra me dire qui commande dans ce pays. Est-ce vous les parlementaires ou l'Etat qui, d'une manière ou d'une autre, prend le pouvoir ?

(Applaudissements...)

Emmanuel KESSLER. - L'Etat ou l'administration.

M. Jean-François BARNIER. - Je suis maire de Chambon-Feugerolles dans la Loire, élu depuis 1971, maire depuis 1988. J'ai été pendant douze ans conseiller régional et je suis vice-président de Saint-Etienne Métropole.

Emmanuel KESSLER. - Comme quoi, malgré toutes les difficultés des maires, vous arrivez à vous faire réélire !

M. Jean-François BARNIER. - On doit avoir quelques petites qualités !

Je crois que le combat remonte à la Révolution : Girondins, Jacobins, vous ne me l'enlèverez pas de la tête. J'ai une foule d'exemples, dont le plus récent est le suivant : on a déposé un dossier à l'Agence nationale du renouvellement urbain (ANRU). Pour déposer le dossier, il faut d'abord une grande enquête auprès de la population, afin de connaître ses desiderata , ce qui est tout à fait logique.

Puis, il se passe six mois, un an, un an et demi et toujours rien. On me dit : "Il y avait trop de dossiers, on a pris les gros. Ensuite, on passe une deuxième tranche de dossiers moyens. Vous y êtes, rassurez-vous, vous passerez avant le mois de juin !"

Après, il y a un petit remaniement ministériel. Cela vous repousse en septembre et on dit que c'est toujours engorgé et que vous passerez certainement avant la fin de l'année.

Les citoyens qui ont répondu à toutes les questions, à qui on a exposé le grand dossier de l'ANRU les concernant directement, à qui s'en prennent-ils ? Toujours au dernier maillon, c'est-à-dire au maire. M'adressant au président de l'AMF, vous comprenez bien que cela nous met dans des situations complètement impossibles.

Il est vrai qu'il y a eu des décentralisations, mais essentiellement de facture. Je les ai vu arriver dans la région Rhône-Alpes, je les vois toujours arriver dans ma commune et les exemples sont légion. Ce n'est pas que l'Etat : France Télécom abandonne ses cabines téléphoniques et nous demande de les entretenir.

Encore une fois, il faut vraiment que l'on sache cela.

On nous dit que l'on a une grande décentralisation. Des lois de décentralisation se sont heurtées, notamment les lois Voynet et Chevènement. On a voulu créer les communautés de communes et d'agglomération, mais on ne savait pas comment s'y prendre pour croiser les compétences. Le préfet nous écrivait pour nous dire que ce que nous étions en train de faire n'était pas légal.

Alors, comment fait-on ?

On parle de décentralisation, mais il faudrait réellement qu'elle soit profonde. Il faut absolument que, au-delà de la décentralisation de facture, les citoyens s'y retrouvent vraiment ; nous, nous sommes perdus, alors imaginez-vous le citoyen lambda !

Emmanuel KESSLER. - Merci de votre témoignage vécu.

M. Michel SCICLUNA. - Je suis maire de la commune d'Auneau, petite commune d'Eure-et-Loir de 4 000 habitants qui se situe à peu près à 25 km de Rambouillet, 25 km de Chartres, 60 km d'Orléans et 80 km de Paris. Nous sommes en plein dans ce que l'on appelle les franges franciliennes.

Je suis aussi président de la communauté de communes de 8 000 habitants.

Effectivement, on parle de décentralisation et de l'élu au coeur de la décentralisation. Aujourd'hui, on a quand même une décentralisation descendante ; ce sont plutôt des pouvoirs d'Etat qui descendent sur les régions, les départements et sur les collectivités locales que nous représentons.

Pour moi, la décentralisation est également montante : aujourd'hui, on a une fébrilisation, une fracture sur la représentation du métier de maire. J'ose employer ce mot, car on est vraiment sur des notions fondamentales en matière d'étymologie et il faut vraiment employer le terme "métier de maire" aujourd'hui.

Je vis un mandat sacrificiel : je n'ai pas la chance d'avoir été élu depuis 1971, je ne suis élu que depuis janvier 2003. Nous avions un maire qui était médecin et il s'est représenté avec le statut d'élu, comme ce qui se faisait dans les années 1980 : il arrivait, il faisait son courrier, il administrait la mairie comme on pouvait l'entendre, puis, comme tout le monde, il a assisté à ces lois de décentralisation, avec les empilages que l'on appelle millefeuille : l'intercommunalité naissante, le pays pour aménager le territoire, il y a également le canton, les interlocuteurs au niveau des contrats franges franciliennes, les régions. Tout cela est très compliqué pour un maire, donc il a démissionné.

Comme j'étais premier adjoint, j'ai été obligé de prendre le relais, pour avoir une mission sacrificielle. Je ne pouvais pas laisser 8 000 individus et 4 850 foyers comme cela à vau-l'eau. Résultat de la manoeuvre : aujourd'hui, j'ai arrêté tout métier pour ne faire que mon métier de maire et de président de communauté de communes.

Emmanuel KESSLER. - Le regrettez-vous ?

M. Michel SCICLUNA. - Pas du tout. Au contraire, je suis très épanoui et je vous remercie d'ailleurs de nous donner tribune pour en discuter et remonter les informations au niveau des parlementaires.

Aujourd'hui, nous avons le véritable souci de ce métier de maire. Nous n'avons pas de cohérence derrière. Preuve en est au niveau des Caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) : il n'y a pas de points de retraite et, aujourd'hui, j'ai un trou dans mes cotisations. C'est un problème.

Emmanuel KESSLER. - C'est ce qui a été évoqué ce matin autour du statut d'élu et nous en reparlerons cet après-midi. Pour vous, cela paraît être une nécessité d'avancer sur ce sujet ?

M. Michel SCICLUNA. - Tout à fait. De plus, une formation est inhérente à tout ce qui est en train de se passer, que l'on n'a absolument pas mesuré. Le problème est : quand ?

Vous êtes quinze heures en mairie, mais vous avez aussi votre vie de famille. C'est pourquoi une pause est impérative pour réexpliquer les thématiques. Je suis effaré d'être avec certains collègues qui ont du mal à absorber la loi Voynet, la loi Chevènement.

Les gens ne connaissent pas leurs textes. On interfère toujours au niveau du préfet, donc on est obligé d'être thématique, très pointu et on technocratise le métier.

Une réforme est donc absolument impérative et l'on ne réussira pas la décentralisation dans ce pays si elle n'est que descendante.

Emmanuel KESSLER. - Merci pour votre témoignage qui recoupe cette idée de pause semblant recueillir un certain assentiment, en tout cas l'idée que, face à une complexité, il faut avoir le temps de la digérer.

M. Pierre CORNELOUP. - Je suis maire de Montchanin en Saône-et-Loire, conseiller général et vice-président de la Communauté urbaine Creusot Montceau (CCM).

Je voudrais simplement poser le problème des péréquations ou des compensations, en prenant l'exemple des routes nationales : en Saône-et-Loire, la Nationale 6 est très fréquentée. On va faire l'expertise sur les trois dernières années et transférer les compétences et les crédits sur cette période.

En France, les routes nationales ont été plus ou moins entretenues de la même manière, avec des crédits plus importants sur certaines régions et moins sur d'autres. Nous avons des routes nationales qui, depuis trois ans, n'ont pas eu l'entretien et la maintenance nécessaires ou les déviations programmées pour éviter quelques passages dans certaines communes. Aujourd'hui, la Nationale 6 est parallèle à l'autoroute, avec un trafic énorme.

Comment ces transferts de compétences sont-ils accompagnés, cher collègue, Louis de Broissia, par rapport à une péréquation qui existera peut-être ? Si l'on nous transfère simplement les crédits sur les trois dernières années, on risque d'être frustré au niveau du département, car il faudra procéder à des travaux importants pour compenser.

Quelle réponse sur les compensations ?

M. Jean-Michel ARNAUD. - Je suis maire de Tallard dans les Hautes-Alpes, conseiller général de mon département et Président de l'Association départementale des maires.

Je souhaite d'abord évoquer une contradiction que je ressens souvent en montant à Paris. Lorsque l'on est dans les Assemblées générales des maires et que l'on invite nos parlementaires, on a l'impression de partager le même constat, celui que nous faisons ce matin.

Lorsque l'on monte à Paris, on a le sentiment d'une déconnection complète entre les propos tenus dans les Assemblées générales et la réalité législative, gouvernementale que l'on ressent, en particulier sur la décentralisation.

En tant que conseiller général, je ressens surtout le fait que, dans les conseils généraux, nous avons eu une augmentation importante de la fiscalité pour faire face de manière conséquente aux augmentations de compétence, mais on s'aperçoit que 50 % de cette augmentation de fiscalité sur les quinze dernières années correspondent à des transferts de charges assumées jusqu'alors par l'Etat ; finalement, nous devons assumer devant nos concitoyens une augmentation de fiscalité que nous n'avons pas décidée.

En conséquence, j'ai l'impression que nous sommes bien souvent dans l'acte de décentralisation au niveau des conseils généraux en particulier, des sous-traitants de l'Etat et, comme l'a dit un ministre devenu célèbre dans le domaine de l'Education nationale, nous sommes à portée de "baffe" de nos électeurs, mais pas forcément en pleine responsabilité. Cela nous pose véritablement un problème.

Je voulais interroger les parlementaires au sens large, afin de savoir comment ils gèrent ce don d'ubiquité, parfois un peu de schizophrénie entre les discours tenus dans nos départements et la réalité des votes au Parlement sur un certain nombre de dispositions.

Ma deuxième observation concerne les problèmes de finances locales. On nous reproche d'avoir une augmentation de fiscalité très importante et nous n'avons aucune garantie sur le maintien, quoi qu'en dise la loi constitutionnelle, des dotations de l'Etat et de l'autonomie véritable des collectivités locales en termes fiscaux. Au-delà de ces aspects, je constate que c'est l'intercommunalité que l'on veut attaquer.

J'ai entendu le Ministre des collectivités locales et j'attends la déclaration et le rapport de la Cour des Comptes de Philippe Seguin.

En tant que maires, nous confions de plus à plus de compétences, l'Etat nous y invitant au niveau intercommunal, car ce serait un espace de projet, l'espace de gestion plus adapté que les petites communes.

Puis, le retour des hautes autorités de l'Etat : il faut que l'intercommunalité cesse de prendre du poids et d'être un aspirateur à fiscalité additionnelle, à fiscalité en accroissement.

Je vous avoue que je suis en déconnexion entre ce que j'entends ici et ce que l'on nous demande sur le plan local. J'aimerais avoir votre réaction.

Emmanuel KESSLER. - Déconnexion, schizophrénie : faisons d'abord réagir les parlementaires.

M. Louis de BROISSIA. - Je ne sais pas si je suis un schizophrène heureux ou conscient. Je sais que certains prônent le non-cumul des mandats. Ils supprimeraient donc immédiatement la schizophrénie mais ils laisseraient les parlementaires décider seuls des lois.

Mon sentiment de Sénateur et Président de Conseil général est que nous menons la vie dure à l'appareil de l'Etat. L'Etat n'est pas simplement un Président de la République, un chef de gouvernement et des ministres, c'est aussi un appareil d'Etat extraordinairement présent partout en France.

Si nous n'étions pas là pour le réformer et le faire avancer, nous n'obtiendrions rien.

C'est en brandissant la menace d'un recours constitutionnel que l'Etat a entendu notre demande sur le financement des dépassements des dépenses des départements en RMI pour 2004. Désormais, nous sommes en discussion pour le financement du dépassement 2005. De même, le 8 novembre, au Sénat, une négociation aura lieu entre les parlementaires - Présidents de conseil général et le Gouvernement. Ainsi, nous avons des contacts réguliers avec le chef du gouvernement et ses ministres. Ils ne passent pas forcément des moments faciles avec nous. Toutefois, le principal problème n'est pas la volonté de dialogue du Gouvernement mais la faiblesse de ses marges de manoeuvre financières.

En effet, la schizophrénie serait aussi de demander à l'Etat ce qu'il ne peut plus donner. Quand je sais que l'Etat emprunte 131 000 Md€ pour payer ses dépenses, mais que j'ai remboursé en Côte d'Or tous mes emprunts et que j'en fais de nouveaux, je me demande : "Suis-je schizophrène ? Est-ce que je demande à l'Etat, qui est déjà très pauvre, de payer encore plus ?"

Comme j'ai exposé tout à l'heure mon idée de pause de la décentralisation, je vais exposer ma deuxième idée, celle d'un pacte de gestion. L'Etat travaille de façon annuelle, cela s'appelle l'annualité budgétaire. Or, lorsque j'étais chef d'entreprise, si je ne présentais pas des documents sur cinq ans à mon Conseil d'administration, je me faisais renvoyer immédiatement. De même, devant les élus de mon département, je présente des projets à trois ans, voire à dix ans. Pourquoi l'Etat, via un pacte de gestion pluriannuel, n'adopterait-il pas un rythme identique ?

Cette idée ne concerne pas que le département. Elle peut aussi se décliner pour les régions, les communes, les intercommunalités.

Jean-François Copé a repris cette idée en parlant d'un « pacte fiscal et de gestion ».

Ainsi, nous pourrions afficher clairement nos priorités politiques. Le contribuable départemental saurait la raison pour laquelle on augmente ou pas les impôts. Rien ne serait pire que de voir l'Etat, quel qu'il soit, se glorifier de limiter la pression fiscale et nous obliger, de façon très hypocrite, à le faire.

M. Jacques PELISSARD. - Quelques réactions sur la complexité, les circulaires, les normes, le fonctionnement de l'ANRU et autres.

Premièrement, il faut que l'on sorte d'une situation schizophrénique, en matière d'empilement des circulaires, des textes. On ne s'en sort plus, en particulier au niveau européen.

L'AMF a installé un bureau à Bruxelles et est en train de recruter une personne qui aura pour mission de veiller à la conception des normes européennes, car celles-ci s'imposent à nous, en particulier en matière environnementale. On les supporte financièrement et je pense en particulier à la gestion de déchets ménagers. Cela coûte très cher et nous échappe complètement au niveau de la conception et de la maîtrise.

Soyons donc vigilants face à la complexité !

Deuxièmement, le métier de maire est une fonction qui se technocratise. Nous sommes en train de veiller à développer le principe d'un statut du maire. Encore hier soir, le Bureau de l'AMF a proposé des amendements sur le futur texte de loi sur la réforme de l'IRCANTEC, pour que nous soyons présents, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, avec les départements et les régions, au Conseil d'administration de l'IRCANTEC et afin qu'il y ait un régime de retraite minimale au profit des maires.

Troisièmement, la schizophrénie, la différence de comportement incriminée s'agissant des votes locaux et nationaux, ce n'est pas le cas de l'Association des maires de France, et je vous en donne un exemple, est le vote de la loi du 29 juillet 2004 sur l'autonomie financière des collectivités locales.

Nous nous sommes battus extrêmement fermement contre une approche qui n'était pas la nôtre. Je suis député de la majorité, Daniel Hoeffel était à l'époque Président de l'AMF et sénateur, et nous avons eu le même combat, lui ici, au Sénat, et moi à l'Assemblée pour faire évoluer le texte.

Aujourd'hui, le dispositif n'est pas merveilleux, mais le principe de l'autonomie financière est affirmé par la loi constitutionnelle et la loi organique du 29 juillet 2004 en précise les modalités.

Nous aurons un nouveau combat et j'espère que nous serons aussi combatifs sur la réforme de la taxe professionnelle où nous nous battons de façon forte en disant : "Le principe d'un plafonnement, pourquoi pas, mais avec une année de référence acceptable, 2005 en particulier, et surtout une approche incorporant des simulations dont nous ne disposons pas aujourd'hui et également des mécanismes pour faire face aux interactions entre le plafonnement d'une commune par rapport à une autre".

Un exemple rapide : la réforme de la taxe professionnelle prévoit de la plafonner à 3,5 % de la valeur ajoutée, mais cette dernière est celle d'une entreprise pouvant avoir son siège en Côte d'Or, des usines dans le Jura, la Saône-et-Loire ou le Nord. Les interactions entre les augmentations de taxe professionnelle par les départements, les régions, les EPCI ou les communes sur l'ensemble du territoire national risquent de provoquer des interactions infernales. On risque de plafonner la capacité fiscale d'une commune, car une autre collectivité territoriale, à l'autre bout de la France, aura saturé le taux de 3,5 %.

Soyez rassurés sur ce principe de la réforme de la taxe professionnelle. Nous serons aussi très vigilants pour éviter une aggravation de la complexité.

M. Jean-Luc BOEUF. - En me plaçant uniquement sur un point de vue historique et en ne rentrant surtout pas sur le champ parlementaire, rien ne serait plus catastrophique que la séparation totale entre le mandat d'élu national et celui d'élu local. Les collectivités locales, en tant que techniciens, ont des représentants élus à leur tête ou dans leur circonscription, région ou département, à qui elles peuvent faire référence et c'est au-delà des questions de majorité, opposition, droite, gauche, que ce mouvement de respiration entre aspect national et local peut s'opérer.

Emmanuel KESSLER. - Vous n'êtes pas favorable et l'on peut retenir l'idée que les parlementaires ne soient que parlementaires et n'aient aucun mandat.

M. Jean-Luc BOEUF. - Vous les déconnectez des réalités de terrain, vous empêchez totalement une respiration et vous faites un cloisonnement complètement étanche.

J'ai une remarque macro-économique ayant trait à l'organisation des services. Face à cette complexification des processus, je suggère aux élus locaux ici présents quelque chose que nous avons mis en place en région Franche-Comté : tout collaborateur se rendant à l'extérieur a l'obligation de rendre un compte rendu d'une page ; cela permet aux élus, qui sont les décideurs, d'avoir toujours un mouvement de respiration du niveau national et local de ce qui se passe dans leur collectivité.

Deuxième élément concret : la durée des réunions. Dans la collectivité où je suis, j'ai imposé des réunions d'une demi-heure à une heure, quel que soit le sujet.

De plus, quelle n'est pas notre surprise lorsque l'on se trouve en réunion en préfecture de région ou ailleurs où la région, le département ou la commune ont chacun un représentant, alors que l'Etat en a dix, quinze ou vingt.

Les élus de niveau local et national ont le pouvoir de dire que ce n'est pas acceptable Je m'amuse dans ce cas à calculer le coût de ce genre de réunion.

M. Emmanuel KESSLER. - N'y a-t-il pas un problème de décalage entre cette capacité d'adaptation et le caractère un peu figé de la réforme de l'Etat ?

M. Jean-Luc BOEUF. - Pour vendre les collectivités locales aux futurs étudiants et conseillers territoriaux, je leur dis : "Dans les collectivités locales, vous aurez de la réactivité face à des élus qui vous demandent quelque chose et vous verrez la réalisation de ce l'on vous demande de proposer ».

Emmanuel KESSLER. - Ne faudrait-il pas aujourd'hui faire en sorte qu'il y ait une vraie circulation, y compris au niveau de la haute fonction publique d'Etat, qui entretient malgré tout une mesure de méfiance vis-à-vis des collectivités locales, et forcer un peu la main pour rompre la barrière ?

M. Jean-Luc BOEUF. - Les passerelles commencent à exister dans les fonctions publiques locales.

Un autre élément pour ne pas être uniquement un pourfendeur de l'Etat, face à une intervention concernant le maintien du nombre des fonctionnaires d'Etat avec une diminution des compétences de l'Etat : il faut un peu d'honnêteté intellectuelle pour dire que, face aux contraintes qui pèsent sur l'Etat, notamment en termes d'environnement, de sécurité avec tous les sens que ce mot regroupe, les normes et les contraintes obligent l'Etat à repositionner son appareil administratif au niveau local et à faire des choses qu'il ne faisait pas il y a cinq, dix ou quinze ans et qui mobilisent des collaborateurs.

Un exemple très concret : les cadres A des préfectures de département et de région sont de plus en plus mobilisés vers ces contraintes et ces compétences de sécurité et d'environnement.

Cela doit être dit, afin d'atténuer le fait que l'Etat, ayant moins de compétences, a quand même beaucoup de contraintes.

Emmanuel KESSLER. - Les départements ont le plus grand mal à obtenir des transferts de personnel, notamment des cadres A de l'Etat vers les collectivités locales.

M. Louis de BROISSIA. - C'est vrai. La réforme de la fonction publique territoriale en préparation apportera de vraies réponses.

Il serait trop long de parler dans chacun de nos départements, mais des discussions ubuesques ont lieu en ce moment avec les Préfet, le directeur régional de l'équipement et les syndicats sur le transfert des personnels de l'équipement. Les ingénieurs qui travaillent sur les routes nationales ne s'occupaient comme par hasard que des tronçons qui demeurent de la compétence de l'Etat. Cette anecdote révèle l'état d'esprit de l'administration de l'Etat quant à la mise en oeuvre de la décentralisation.

Je souhaite noter que l'appareil de l'Etat est visiblement tendu. Il est vrai qu'on a demandé beaucoup d'efforts à nos fonctionnaires. En fait, l'Etat a beaucoup changé. Par exemple, il ne s'occupait pas de l'emploi il y a vingt ans, alors qu'il est mobilisé maintenant sur ce sujet.

De même, nos fonctionnaires territoriaux sont un peu épuisés. On leur demande tellement de choses. Des textes nouveaux leur tombent dessus toutes les semaines. D'où le sentiment qu'une respiration serait bénéfique. La fonction publique territoriale vit dans un esprit d'efficacité, d'évaluation, de programmation. Elle a besoin de prendre le temps d'y voir clair.

Au moment de la bascule des générations, où l'on va beaucoup recruter, il ne faut pas décourager ceux qui souhaitent la rejoindre. Nous avons besoin d'eux.

Mme Mireille CELLIER. - Je voulais simplement revenir sur les propos contenus des maires qui ont pris la parole, que je partage pour la plupart.

Je voudrais que l'on se recentre sur les responsabilités du maire. Je relève des termes comme "de plus en plus de complexité" ou "lenteur". Un maire disait tout à l'heure qu'il a présenté un dossier à l'ANRU il y a un an et qu'il ne sait toujours pas ce qu'il va faire d'un îlot en attente de réhabilitation au coeur du secteur sauvegardé de la ville.

Quelque part, les électeurs, les voisins, les associations avec qui nous avons travaillé posent des questions et je suis incapable de dire ce que nous allons faire.

Après avoir motivé ces personnes durant trois ou quatre mois, après les avoir harcelées pour qu'elles comprennent avec moi la position qu'il fallait adopter ensemble, nous nous retrouvons confrontés à des problèmes d'attente.

Se pose également le problème juridique : j'ai la chance d'être dans une ville de 15 000 habitants et d'avoir un conseil à la mairie, mais je me mets à la place des maires de plus petites communes qui sont obligés de se débrouiller seuls. Heureusement que l'Amicale des maires de France est là pour les soutenir et les encourager, sinon, j'imagine le découragement qui s'installe.

Lorsque l'on parle de sécurité, c'est au sens large : sécurité routière, lutte contre la délinquance et la criminalité et sécurité dans l'environnement.

La ville de Beaucaire, comme la plupart des villes du bord du Rhône, est marquée par les inondations, car nous sommes dans un secteur où les risques d'inondabilité sont très importants. Nous avons également des risques industriels, avec deux ou trois usines classées "Seveso" autour de nous.

Le maire est au coeur de tous ces dispositifs avec des responsabilités et des prises de décision pas toujours faciles.

Emmanuel KESSLER. - Pour conclure et être dans l'actualité, vous êtes dans une commune à Beaucaire avec des zones sensibles, difficiles. Que vous inspire la flambée de violence à laquelle on assiste dans les banlieues et qui, selon vous, doit répondre le plus possible à cette crise ? Le maire, l'Etat, les associations, les entreprises ?

Mme Mireille CELLIER. - Dans un premier temps, une réflexion tout à fait personnelle : je ne voudrais pas être le maire qui est en train de subir dans sa ville ce genre d'actions. Nous avons connu ce genre de problème à Beaucaire, avec des flambées de violence dans les années 1983, 1985 et 1988, ce qui nous a valu d'être classés en zone de redynamisation urbaine, « Développement Social des Quartiers » (DSQ) à l'époque.

Emmanuel KESSLER. - On a donc mis des moyens.

Mme Mireille CELLIER. - Oui, mais pas toujours des moyens allant dans le sens de ce que souhaitait le maire : il souhaitait une démolition d'immeubles pour aérer, assainir et voulait mettre en place des associations plus structurelles que cultuelles ou culturelles, mais cela a été refusé.

Il a donc fallu composer avec beaucoup de patience, nous avons pu contenir un peu la situation et, aujourd'hui, la ville de Beaucaire vit une période beaucoup plus calme, car nous avons pu dialoguer avec certaines associations.

Qui est responsable, qui devrait se sentir responsable ou qui a la responsabilité de ce genre de situation que vous connaissez dans la Région parisienne en particulier ? Je crois que nous sommes tous responsables, à quelque niveau que ce soit, de la part de l'élu local, sur le terrain, car c'est lui qui connaît le mieux ces quartiers, mais également tous les échelons de ce qui peut toucher cette population en déshérence.

Nous avons vraiment besoin d'efforts constants, pour aller à l'encontre de ce genre de situation.

Emmanuel KESSLER. - Jacques Pélissard, votre analyse de ce genre de problème.

M. Jacques PELISSARD. - C'est un triptyque : il y a un rôle essentiel de prévention, ce que nous faisons chaque jour, à titre personnel, à travers les associations et les services municipaux.

Ensuite, il y a une action d'interpellation par la police qui, à mon sens, doit être de la compétence de l'Etat. Je ne suis pas un fanatique de la police municipale, mais c'est à l'Etat d'assurer ce rôle totalement régalien.

Dernier élément du triptyque, souvent un peu tardif : la partie sanction judiciaire. On a souvent un temps de latence extrêmement long entre la constatation des faits et la sanction, ce qui nuit à l'exemplarité de la peine.

C'est bien le triptyque qui donne à l'ensemble sa cohérence et sa globalité.

Emmanuel KESSLER. - Est-ce que l'argent mis dans les quartiers depuis vingt ans est utile ou l'a-t-on mal utilisé ?

M. Jacques PELISSARD. - C'est utile, mais on l'a souvent mal évalué. Toute la politique qui a été conduite avec les DSQ et, aujourd'hui, les contrats de ville, avec un vrai partenariat entre l'Etat et les communes, va dans le sens d'une prévention efficace. Encore faut-il une vraie volonté politique pour porter ces actions.

Mme Mireille CELLIER. - Je crois que le partenariat est indispensable entre la police, la justice et le maire pour avancer, ainsi qu'avec les associations de quartier. Nul ne sait si l'argent que l'on a mis dans ce genre d'action est profitable. Cela aurait-il été pire si on ne l'avait pas fait ?

M. Jacques PELISSARD. - Il faut conduire un partenariat au quotidien. Il ne faut pas une grande messe du conseil communal de sécurité intérieure et de lutte contre la délinquance, avec cinquante personnes, dont beaucoup de représentants de l'Etat tous les trimestres, mais, au contraire, toutes les semaines, une cellule qui associe les partenaires sociaux, les bailleurs sociaux, les assistants et travailleurs sociaux, la police et la gendarmerie, avec un suivi précis.

Emmanuel KESSLER. - Nous vous remercions pour vos propos qui alimentent nos débats.

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