L'ÉLU LOCAL AU CŒUR DE LA DÉCENTRALISATION - colloque à l'initiative de l'Observatoire de la décentralisation
Palais du Luxembourg - jeudi 3 novembre 2005
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ALLOCUTION D'OUVERTURE
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INTRODUCTION GÉNÉRALE
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TABLE RONDE N° 1 :
L'ÉTAT DES LIEUX : L'ÉLU LOCAL À L'ÉPREUVE
DES RÉSISTANCES À LA DÉCENTRALISATION
SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. JEAN PUECH
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TABLE RONDE N° 2 :
L'ÉLU LOCAL, MOTEUR DE LA DÉCENTRALISATION
SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. JEAN PUECH
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M. Jean-Pierre GUILLON, Président de « Entreprises et Cités »
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M. Jean-Louis CAZAUBON, Secrétaire-adjoint du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)
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Mme Jacqueline GOURAULT, Sénateur de Loir-et-Cher, première vice-président de l'Association des maires de France, vice-président du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation
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M. Jean-Pierre GUILLON, Président de « Entreprises et Cités »
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TABLE RONDE N° 3 :
L'ÉLU LOCAL, ANIMATEUR DE LA DÉMOCRATIE LOCALE
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Mme Valérie LÉTARD, Sénatrice du Nord
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M. Dominique REYNIÉ, Directeur de l'Observatoire interrégional du politique (OIP), membre du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation.
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M. Gérard LAPIE, Président de l'ANDAFAR (Association Nationale pour le Développement de l'Aménagement Foncier, Agricole et Rural)
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Mme Sylvie ERRARD, membre du bureau de l'Association de Formation et d'Information Pour le développement d'initiatives rurales (AFIP), représentant du Comité d'études et de liaison des associations à vocation agricole et rurale (CELAVAR)
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M. Alain GRISET, Président de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers (APCM)
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M. Philippe LAUVAUX, Professeur de droit public à l'Université Paris II
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Mme Valérie LÉTARD, Sénatrice du Nord
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TABLE RONDE N° 1 :
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CONCLUSION
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ALLOCUTION DE CLÔTURE
AVERTISSEMENT
Le colloque dont le présent ouvrage réunit les Actes est la première grande rencontre organisée par l'Observatoire de la décentralisation, que le Bureau du Sénat a décidé de créer voici à peine un an, sous l'impulsion de son Président, M. Christian Poncelet, pour assurer une triple mission de surveillance, de contrôle et d'évaluation, dans le contexte de la mise en œuvre de l'Acte II de la décentralisation, illustrant aussi pleinement la vocation constitutionnelle du Sénat à assurer la représentation des collectivités territoriales.
C'est dans le cadre de cette mission que l'Observatoire a décidé, à l'initiative de son Président, Jean Puech, ancien ministre, Sénateur de l'Aveyron, d'ouvrir le débat sur les relations entre élus locaux et décentralisation, lors de ce colloque qui s'est tenu le 3 novembre 2005, au Palais du Luxembourg, et auquel ont été conviés les grands acteurs de la décentralisation : élus nationaux et locaux, représentants du monde de l'entreprise et du secteur associatif, et autres partenaires du monde local.
Ainsi que l'a observé dans son allocution d'ouverture le Président du Sénat, les élus locaux sont les « véritables dépositaires d'une décentralisation réussie », grâce à laquelle ils pourront redynamiser les territoires et aider à surmonter la crise de la démocratie représentative.
Le colloque s'est ordonné autour de trois tables rondes :
- La première table ronde, répartie en deux séquences, a permis de mettre l'accent d'une part, sur les défis auxquels sont confrontés les élus du fait de la complexité croissante de la vie publique locale, et d'autre part, sur les résistances trop fortes qui se manifestent encore face à la décentralisation ;
- Au cours de la deuxième table ronde, ont été abordées les différentes facettes du rôle de l'élu dans la mise en valeur et le développement du territoire, en partenariat avec les entreprises et le monde associatif notamment.
- Enfin, la troisième table ronde a traité des réponses qu'apportent les élus locaux face aux nombreuses exigences de leurs fonctions, avec en arrière-plan le problème du cumul des mandats, et la façon dont ils font vivre la démocratie locale au quotidien, en y associant leurs concitoyens.
Les travaux de la journée ont fait ressortir un consensus sur la nécessité de revaloriser le rôle et la mission des élus locaux confrontés à toutes les résistances aux changements et sur le besoin de renforcement d'un véritable dialogue avec l'État.
M. Brice Hortefeux, Ministre délégué aux collectivités territoriales, s'est montré réceptif aux préoccupations des élus locaux et s'est engagé à ce que, s'il devait y avoir un « Acte III de la décentralisation », il soit celui de la lisibilité et de la simplification, notamment en matière d'intercommunalité.
En conclusion, M. Jean Puech, Président de l'Observatoire, a lancé un appel au respect de « l'esprit de la loi » pour que puisse réussir la décentralisation, cette « mère des réformes », dont le Sénat se veut le gardien vigilant...
Matinée Animée par M. Emmanuel KESSLER
Journaliste à Public Sénat
(La séance est ouverte à 9 h 10 sous la présidence de M. Jean Puech.)
M. Christian PONCELET, Président du Sénat
Monsieur le Président de l'Observatoire de la décentralisation, cher Jean Puech,
Madame et Messieurs les Sénateurs, chers collègues,
Monsieur le Président de l'Association des maires de France,
Mesdames, Messieurs les élus locaux,
Mesdames, Messieurs,
Chers amis,
Permettez-moi d'abord de vous adresser à toutes et à tous mes souhaits de cordiale bienvenue au Sénat, dans la « maison des collectivités locales », pour ce premier colloque organisé à l'initiative de l'Observatoire de la décentralisation, et de son Président, mon collègue et ami Jean Puech.
D'emblée, je voudrais saluer cette heureuse initiative car cette rencontre permet de réunir autour d'élus locaux, des parlementaires, des universitaires et des professionnels du secteur public local pour dialoguer de la place et du rôle - nécessairement centraux - de l'élu local au sein du processus de décentralisation.
C'est aussi pour moi l'occasion de me réjouir, à titre liminaire, de la vitalité de notre Observatoire, qui soufflera, d'ici quelques semaines, sa première bougie.
Vous le savez, j'ai souhaité doter le Sénat, assemblée parlementaire à part entière, mais aussi, c'est un plus - un bonus - représentant constitutionnel des collectivités territoriales, d'un Observatoire de la décentralisation, auquel j'ai assigné trois missions essentielles :
- première mission : veiller au respect des garanties inscrites, à l'initiative du Sénat, dans le marbre de la Constitution ;
- deuxième mission : procéder à une évaluation globale des politiques publiques locales ;
- troisième mission : formuler des propositions pour, le cas échéant, « corriger le tir » et améliorer la gestion locale.
La qualité, unanimement reconnue, des premiers travaux de l'Observatoire, consacrés au RMI et à la formation professionnelle, lui a indéniablement permis d'administrer la preuve de son objectivité, de son impartialité et donc de son utilité.
Au fil des mois, l'Observatoire de la décentralisation est ainsi devenu une voix écoutée, une voix entendue, une voix qui compte.
J'en veux pour preuve d'une part, l'inscription d'une somme de 456,7 millions d'euros en loi de finances rectificative pour 2005 afin de compenser le transfert du RMI aux départements et d'autre part, la promesse du Gouvernement de revoir les modalités de compensation financière du transfert des formations sanitaires et sociales aux régions.
Qu'il me soit dès lors permis de formuler un souhait : puisse notre Observatoire bientôt être « au complet » !
Mes chers amis, sans vouloir déflorer vos débats, je viens à présent à vous livrer quelques réflexions sur le sujet qui nous rassemble aujourd'hui, « l'élu local au cœur de la décentralisation », au regard d'une part, du rôle moteur de l'élu local et d'autre part, de la perspective, à mes yeux essentielle, de l'élaboration d'un véritable statut de l'élu.
· En premier lieu, il m'apparaît nécessaire de redire avec force et conviction que les élus locaux sont les véritables dépositaires d'une décentralisation réussie. Leur rôle prépondérant ne souffre, à mon sens, d'aucune objection ni ambiguïté. Car nous le savons tous, la décentralisation ne se fera pas contre ni sans les élus locaux.
Elle implique, au contraire, l'adhésion et plus encore l'appui et le soutien infaillibles de chacun d'entre eux.
Gage d'efficacité, la gestion de proximité cristallise désormais toutes les espérances.
Dans un pays perclus par une crise endémique, il revient à nos élus de proximité de redynamiser nos territoires en conciliant les attentes et les aspirations de nos concitoyens en matière de développement économique et de maintien du lien social, mais aussi de sauvegarde des services publics ou encore de protection de l'environnement...
Face à cette crise de notre modèle représentatif, il leur échoit aussi de donner corps à une véritable démocratie participative. Cette perspective « salvatrice » implique, notamment, l'apprentissage du référendum local, comme nouvel outil de démocratie et d'expression citoyenne.
· L'ampleur de ces responsabilités exige, en second lieu, d'ouvrir, encore une fois, le débat en faveur d'un véritable statut de l'élu.
A cet égard, deux idées simples, mais néanmoins majeures, me semblent aujourd'hui (plus qu'hier) mériter de notre part une attention particulière.
- Première idée : renforcer la formation des élus locaux. Car nos élus sont confrontés à une complexité sans cesse accrue des lois et règlements et à une « judiciarisation » toujours galopante de la vie publique. Donnons-leur enfin les moyens d'y faire face.
- Seconde idée : valoriser le rôle, la mission et le travail de l'élu local. Car trop souvent encore, les élus locaux, et notamment les maires, soulignent le caractère trop ingrat de la fonction et déplorent un manque patent de reconnaissance.
Certes, la loi du 27 février 2002 relative à « la démocratie de proximité », qui s'est largement inspirée des travaux du Sénat, constitue un premier pas essentiel en direction d'un véritable statut de l'élu. Elle demeure néanmoins perfectible. Poursuivons donc la réflexion ! Il en va de l'avenir de notre démocratie.
Mes chers amis, mon propos n'ayant pas la prétention à l'exhaustivité, j'attends de vos débats de nouvelles propositions. Car il y a, à l'évidence, urgence à agir.
Au total, je ne doute pas que vos échanges sauront s'inscrire dans cette dynamique qualitative qui caractérise les travaux de l'Observatoire et contribueront ainsi à alimenter la réflexion du Sénat, « veilleur vigilant de la décentralisation ».
Je souhaite, à toutes et à tous, une fructueuse journée et plein succès à vos travaux !
Emmanuel KESSLER. - Je vous remercie, Monsieur Poncelet, d'avoir d'emblée placé cette journée sous la nécessité du dynamisme et de la proposition. Nous tâcherons de garder le ton.
Afin d'entrer plus dans le détail des perspectives de vos débats de cette journée, je donne la parole à Jean Puech, Président de l'Observatoire de la décentralisation.
M. Jean PUECH, Président de l'Observatoire de la décentralisation, Sénateur de l'Aveyron
I. L'OBSERVATOIRE DE LA DÉCENTRALISATION : UN OUTIL DE SURVEILLANCE, DE CONTRÔLE ET D'ÉVALUATION
Monsieur le Président, tout en vous remerciant pour votre accueil, je souhaite saluer en vous l'ardent défenseur des collectivités locales ainsi que votre détermination à tout mettre en œuvre pour réussir cette nouvelle grande étape de la décentralisation que représente l'Acte II.
Vous avez demandé que soit créé l'Observatoire sénatorial de la décentralisation, c'est-à-dire un outil de surveillance, de contrôle, d'évaluation.
Le Sénat se doit d'être en première ligne sur ce chantier. Il est par nature le plus qualifié pour se doter de cet outil, c'est-à-dire pour être le gardien vigilant de la décentralisation : pour expertiser, évaluer, informer, alerter si nécessaire et même dénoncer quand cela ne va pas !
Monsieur le Président, merci pour votre présence et votre aide précieuse !
« L'ÉLU LOCAL AU CENTRE, AU CŒUR DE LA DÉCENTRALISATION »
Pourquoi un tel sujet pour ce premier colloque de l'Observatoire de la décentralisation ? Parce que les élus locaux, plus précisément ceux qui ont connu l'avant-décentralisation, qui ont connu l'Acte I et à présent l'Acte II, ont acquis quelques convictions... qu'il est essentiel de prendre en compte pour dresser un premier état de la situation. Tout d'abord, contrairement à ce que j'entends encore, trop souvent, les élus locaux connaissent bien leur sujet... Ils ont la connaissance du terrain - je dirais l'intelligence du terrain. Ils gèrent bien, en harmonie avec une population qu'ils connaissent bien, qu'ils représentent. Ils sont passionnés par ce qu'ils font et ce qu'ils réalisent. Ils sont créatifs. Ils sont compétents. Ils choisissent leur politique quand ils en ont encore la liberté. Ce choix est toujours public, c'est-à-dire démocratique... Tout le monde ne peut pas en dire autant. Alors, est-ce que la décentralisation dans un pays de tradition centralisatrice comme le nôtre s'effectue comme nous le souhaitons ? Est-ce que cette réforme, « la mère des réformes » (Jean-Pierre Raffarin), c'est-à-dire cette redistribution raisonnée des pouvoirs s'effectue entre les différents échelons administratifs comme le souhaitent nos concitoyens ? C'est-à-dire avec un seul objectif : rechercher et atteindre une plus grande efficacité de l'action publique . Certes l'objectif est ambitieux, certes le projet est vaste, notamment en France, pays historiquement centralisé et centralisateur. Mais aujourd'hui faisons-nous tout ce qui est vraiment nécessaire pour voir cette réforme réussir ? Je souhaite que cette journée de travail, de confrontation d'expériences nous permette de faire un bon point d'étape. Vous êtes des praticiens de la décentralisation. Vous vous sentez concernés par cette réforme. N'hésitez pas à nous livrer vos analyses, vos réflexions issues de vos expériences, de votre pratique... II. LE RESPECT DE L'ESPRIT DE LA LOI Vous le savez bien, la réussite de l'Acte II de la décentralisation passe par le respect de la Loi, mais je dirais qu'il passe surtout par le respect de l'esprit de la Loi . Pour arriver à un tel résultat, il est essentiel que la confiance existe entre tous les partenaires (État, collectivités locales, la société civile économique et socio-économique). Aujourd'hui, est-ce la confiance qui domine ou est-ce la défiance? Pouvons-nous, au niveau des collectivités locales assumer tous les transferts, engager la grande réforme des collectivités locales que nous faisons sans faiblir depuis plus de 20 ans... ? Pouvons-nous la faire sans une réforme profonde de l'État qui n'a pas bougé depuis 20 ans ? N'est-on pas en train d'organiser la confusion dans les esprits si nous ne faisons l'effort de clarifier et de simplifier ? Il n'y a jamais eu autant de commissions, conseils, hauts conseils, conseils supérieurs, de commissions consultatives pour asphyxier les élus ! D'un État partenaire, nous passons à l'État contrôleur, qui passe des contrôles de légalité aux contrôles d'opportunité. C'est pour ces raisons que je me dis que nous passons de la confiance à la défiance, voire à la résistance entre partenaires, qui devraient nourrir entre eux un dialogue constructif ! Il s'agit aujourd'hui d'aborder ce sujet dans toutes ces dimensions. Oui, on parlera technique, finances, compétences, statut de l'élu, cumul des mandats... mais il faut éviter de s'enliser . Il faut aller plus haut ; il faut réfléchir à notre mission d'élus, à la quintessence de nos responsabilités. Si nous ne réfléchissons pas à cette question, si nous ne précisons ces points forts, la décentralisation n'entraînera pas l'adhésion des Français. Et il n'y aura plus de décentralisation en France dans peu de temps et pour longtemps. Mais je pense que nous pouvons réussir, nous devons réussir. Nous sommes à un moment capital de cette réforme, une réforme dont la France a besoin ! Car tous les autres pays sont en avance sur nous. III. VIVRE LA DÉCENTRALISATION Voilà donc en quelques grands traits le décor dans lequel les élus vivent la décentralisation. Et tout cela les conduit à s'interroger. C'est pour cela que lorsqu'on me demande à propos du titre de notre rencontre « l'élu local au cœur de la décentralisation » si c'est un vœu ou une réalité, je réponds sans hésiter que c'est malheureusement un vœu et une réalité : - une réalité : parce que l'élu local, par définition, ne peut qu'être au cœur de la décentralisation puisqu'il a pour mission de la mettre en œuvre ; - un vœu : puisque nos partenaires, au premier rang desquels l'État, ont de la peine à reconnaître la place de l'élu et à lui transférer les moyens nécessaires. C'est de tout cela que vous allez débattre ! |
Je souhaite que vos débats traduisent les préoccupations de nos concitoyens.
(Applaudissements...)
Emmanuel KESSLER. - Monsieur Jean Puech, je vous remercie. Vous restez bien sûr parmi nous afin d'écouter les débats, intervenir et traduire ce soir, devant le Ministre des collectivités locales qui viendra conclure cette journée, les propositions formulées. Nous ferons en sorte que des aller-retours entre vous qui êtes dans la salle et les personnes de la tribune soient les plus fréquents possibles, afin de vraiment garder tout au long de cette journée un esprit de dialogue.
Trois grandes tables rondes vont se tenir :
La première est relative à la question des résistances face à la décentralisation.
La deuxième concerne peut-être plus positivement la manière dont les acteurs locaux s'organisent, afin d'agir sur le terrain avec, par exemple, des entreprises et des représentants du monde rural.
La troisième, qui aura lieu cette après-midi, traitera davantage de la manière dont l'élu local organise la démocratie locale, en abordant les questions tournant autour du statut de l'élu, ainsi que de la participation des citoyens, à savoir de la démocratie participative.
Emmanuel KESSLER. - Sans plus attendre, pour ce premier débat, vont nous rejoindre :
§ Jacques Pélissard , Président de l'Association des maires de France, Député-maire UMP de Lons-le-Saunier.
§ Louis de Broissia, Sénateur UMP, Président du Conseil général de la Côte d'Or et premier Vice-président de l'Assemblée des départements de France.
§ Jean-Luc Boeuf , Directeur général des services de la Région Franche-Comté pour 2004, membre du comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation, maître de conférence à Sciences Po à Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur ces questions de décentralisation.
§ Mireille Cellier , conseillère régionale UMP du Languedoc-Roussillon depuis 1998 et maire de Beaucaire dans le Gard depuis 2003. Nous en reparlerons tout à l'heure, mais cette ville de 15 000 habitants est aux confins de plusieurs départements, proche d'autres régions et concentre beaucoup de défis.
Nous allons débuter cette première table ronde. Tout à l'heure, nous avons parlé de l'Acte II de la décentralisation et de sa mise en œuvre. En 2004, il y a eu le RMI-RMA. Les routes constituent le prochain défi devant se mettre en place début 2006. La question des transferts des personnels TOS des collèges et les lycées a fait couler beaucoup d'encre.
Concernant l'Acte II de la décentralisation, chacun dans vos niveaux de collectivités, sachant que villes ou les communes ont peut-être été moins concernées, comment le vivez-vous ? Avez-vous l'impression que cet Acte II se met en place ou, au contraire, qu'il existe des freins et que nous sommes plutôt dans une période de recul de la décentralisation, comme cela a pu être suggéré dans les propos introductifs ?
M. Jacques PELISSARD, Député du Jura, Président de l'Association des Maires de France
Je suis heureux de participer à cette table ronde relative à la décentralisation qui, pour l'Association des maires de France, est une piste intéressante qu'il faut creuser et explorer en tout domaine.
La loi du 13 août 2004, dernier volet de l'Acte II de la décentralisation, a été effectivement moins importante pour nous. Pourquoi ?
Chers collègues maires ici présents de façon importante, vous le savez tous, les communes ont déjà une compétence généraliste. Nous sommes compétents sur nos territoires en toute matière et tout domaine. Nous ne pouvions pas avoir de compétences nouvelles, puisque nous les avons déjà presque toutes.
En revanche, nous nous sommes battus, afin de détenir une compétence nouvelle en matière de délégation de certaines compétences d'État, en particulier en matière de gestion des crédits d'aide à la pierre. Le texte initial du Gouvernement ne prévoyait pas automatiquement cette compétence pour les intercommunalités. Nous avons porté notre conviction et avons obtenu que le texte final le permette sans condition de seuil, sous réserve qu'il existe une vraie volonté politique locale, de proximité de gérer le logement social public et privé, à travers la mise en place d'un programme local de l'habitat et une demande de délégation des crédits d'aide à la pierre du préfet de région.
En termes de compétences, cette décentralisation nous a satisfait, car elle a reconnu la plénitude de nos compétences et nous en a apporté une nouvelle.
Dernier point, elle a également mis en œuvre une formule intéressante, encore peu exploitée, qui est l'appel de responsabilité. Une commune ou une intercommunalité, sachant que cela vaut plus pour cette dernière, peut dire au département et à la région : " Vous avez telle compétence. Nous sommes prêts, si vous le souhaitez, à être votre délégataire sur le terrain, afin d'assurer cette compétence en matière social, de routes, etc. ", peu importe le domaine. Une contractualisation peut se mettre en place, ce qui permettra une gestion de proximité avec un transfert de la responsabilité et des moyens financiers, dans le cadre d'un vrai partenariat.
Toutefois, nous avons d'autres éléments moins positifs à dire concernant l'état actuel de la décentralisation, mais la loi du 13 août, cette deuxième étape de la décentralisation nous convient.
Emmanuel KESSLER. - Vous reviendrez sûrement tout à l'heure sur l'esprit dans lequel vous travaillez aujourd'hui et ce climat sur lequel M. Jean Puech formulait un certain nombre d'inquiétudes.
Monsieur Louis de Broissia, les départements, à la différence des communes, ont été directement concernés par des transferts importants. Jean Puech parlait tout à l'heure de résistance. En tant que Président du Conseil général et à travers la vision globale que vous pouvez avoir à l'ADF, ressentez-vous que, aujourd'hui, face aux compétences très précises qui sont transférées aux départements, nous sommes dans une période de difficulté à mettre en œuvre cette nouvelle étape ?
M. Louis de BROISSIA, Sénateur, Président du Conseil général de la Côte d'Or
Oui, évidemment. Je vais être encore plus provocateur que vous, puisque Jean Puech nous invite à nous exprimer franchement. Je récuse, au nom des 4 218 conseillers généraux de France, l'expression d'Acte I et d'Acte II. La décentralisation n'est pas une pièce de théâtre qui s'interrompt puis reprend après un entracte. En réalité, elle est un mouvement unique et continu.
Je me suis exprimé dernièrement devant la commission d'enquête sur l'évolution de la fiscalité locale de l'Assemblée nationale. J'ai évalué ce que « l'Acte I » représente pour le Conseil général de la Côte d'Or que je préside : 30 % d'impôts en plus non compensés.
Emmanuel KESSLER. - Voulez-vous dire que la décentralisation correspond à plus d'impôts ?
M. Louis de BROISSIA. - Non, c'est un mouvement perpétuel, un film se déroulant en permanence. L'acte II, appelons-le ainsi puisque c'est l'usage, a été engagé par la loi du 13 août 2004, sans que l'acte I ne soit interrompu.
C'est pourquoi les conseillers généraux au nom desquels je m'exprime, demandent que soit observée une pause. Avons-nous vraiment digéré l'acte I ? Non. Avons-nous déjà digéré l'Acte II ? Non plus.
Les élus locaux que j'incarne ici, les élus cantonaux élus au suffrage uninominal majoritaire à deux tours, qui sont très représentatifs de la République, ont le sentiment que, depuis vingt ans, l'État vient nous trouver chaque fois que cela va mal.
Nous développons d'autant plus une résistance mentale, qu'on nous a traités, à droite comme à gauche, « d'échelon de trop ». Dans le même temps, on nous a transféré tout ce qui n'allait pas : le RMI, l'APA, les SDIS, le handicap, les routes...
D'abord, il faut vaincre la résistance psychologique des élus locaux à un mouvement perpétuel qui ne s'est jamais arrêté. Pour cela, j'appelle tous les Gouvernements, celui d'aujourd'hui, celui d'hier et ceux de demain, à faire une pause.
Ensuite, la décentralisation ne doit pas être confondue avec la déconcentration. Ce n'est pas ce qu'a voulu le constitutionnaliste en modifiant l'article premier de la Constitution pour affirmer que l'organisation de la République est décentralisée.
Enfin, la décentralisation doit s'accompagner d'une puissante réforme de l'État.
Lorsque l'État veut recentraliser ses compétences, il doit être en mesure d'exercer ses nouvelles missions aussi bien que les collectivités territoriales. Par exemple, dans le médico-social, on nous dit, à nous, Département, que nous devons laisser à l'État la santé. Vais-je renoncer au dépistage du cancer du sein et du cancer des voies digestives que nous avons entrepris en Côte d'Or avec une dizaine d'autres départements sous un autre Gouvernement ? Allons-nous l'accepter ? Oui, mais pas tout de suite, car si nous arrêtons et que l'État n'est pas capable de reprendre derrière, nous serions accusés de laisser en déshérence le dépistage du cancer.
Or, pour assumer de manière convenable cette tâche, l'État doit se réformer. Dans cet exemple, il doit moderniser les directions régionales des affaires sanitaires et sociales (DRASS), les directions départementales des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et les agences régionales de l'hospitalisation (ARH).
La première résistance mentale des 4 218 conseillers généraux vient du fait que la décentralisation ne s'accompagne pas d'une profonde réforme de l'État.
Emmanuel KESSLER. - Nous vivons depuis vingt ans la réforme de l'État.
M. Louis de BROISSIA. - C'est "la belle que nous ne voyons pas venir". Il faut une réforme profonde de l'État avec un retour à ses missions régaliennes. Par exemple sur la Justice, dont je pourrais parler. Chaque fois qu'il y a un délinquant mineur, cette dernière nous l'envoie. Or, nous sommes chargés de protéger les enfants, pas de prendre en charge des délinquants.
Ainsi, je propose une pause de trois ans du processus de décentralisation. Pendant ce temps, un contrat lierait l'État aux départements à travers un pacte de gestion. Nous en parlons régulièrement avec le gouvernement actuel. Nous en parlerons avec tous les prochains. Cette pause donnerait du temps à l'État pour mettre en œuvre une profonde réforme de l'action publique centrale et déconcentrée.
Emmanuel KESSLER. - Nous avions cru comprendre que les élus voulaient plus de décentralisation. Il est contradictoire de vous entendre dire aujourd'hui que vous en avez trop.
M. Louis de BROISSIA. - Il faut déjà digérer ce que l'on nous a demandé de faire, car nous en sommes responsables devant nos concitoyens.
Emmanuel KESSLER. - Monsieur Jean-Luc Boeuf, vous exprimez le point de vue des régions. Avez-vous le même ressenti ?
M. Jean-Luc BOEUF, Directeur général de la région Franche-Comté
Ne représentant pas l'Association des régions de France et n'étant pas élu, je peux me permettre d'être encore plus provocateur que l'orateur précédent.
Premièrement, nous ne pouvons parler ni d'Acte I, ni d'Acte II, car cela signifierait que tout a commencé en 1982. Historiquement parlant, depuis 220/230 ans, la décentralisation a provoqué, par époques successives, des évolutions difficiles à digérer. C'est effectivement un mouvement perpétuel. Pour reprendre un des aspects évoqués par le Président du Conseil général de la Côte d'Or, concernant l'action sociale, la loi de 1975 continue à produire ses effets difficiles sur les départements.
La décentralisation est un mouvement historique qui s'est toujours construit contre l'État unitaire, contre les idéaux de la Révolution et contre certains idéaux de la République. C'est ce que nous avons en France, depuis 220/230 ans, à digérer par époques successives. C'est pour cette raison que je peux dire, plus encore devant le Sénat, que la décentralisation n'est une idée ni de gauche ni de droite. Elle naît en général sous les oppositions et trouve ses concrétisations lorsque les oppositions viennent ou reviennent au pouvoir.
Deuxièmement, pour répondre concrètement à la question : comment, dans une région comme la Franche-Comté, la décentralisation issue de la loi du 13 août se met en place ? Je donnerai deux éclairages : un dans le domaine des personnels technicien et ouvriers de service (TOS) et un deuxième dans celui du développement économique.
Dans le domaine des personnels TOS, si je devais citer une difficulté majeure vis-à-vis de l'État, et ce n'est pas une critique, ce serait celle du recollement de l'information avec tous les services de l'État, quels qu'ils soient, du niveau central ou régional. Nous risquons sinon de tomber dans la déconcentration. C'est le même marteau qui frappe, mais dont le manche a été raccourci et, au niveau local, il peut parfois frapper très fort.
J'ai précédemment travaillé dans un Conseil général dans lequel j'ai vécu la mise en place du transfert du RMI. Lorsque l'on vous transfère cinq, six ou sept agents, à l'échelle d'un Conseil général ayant 700 ou 1 000 agents, vous y arrivez, mais lorsque vous êtes face aux régions qui sont des petites collectivités, 350 agents pour la Franche-Comté, et que l'on vous en transfère 1 400, en fonction des équivalents temps pleins, etc., vous devenez une collectivité de 2 000 agents. Le delta à 100 unités près devient vite très important et très difficile pour la collectivité locale.
Dans le domaine du développement économique, nous avons deux approches : d'une part, celle du court terme selon laquelle on considère que la loi du 13 août 2004 a retiré les compétences de la région dans ce secteur, puisque ce qui était sorti des premières discussions parlementaires poussait très loin le "bouchon".
Permettez-moi d'avoir, à titre économique, une vision un peu différente en disant que la loi de 2002 sur la démocratie de proximité, en faisant de la région la collectivité chef de file, offrait déjà toute la palette possible. Les régions qui n'ont que 50 ans ont tout le temps devant elles pour s'emparer de cet outil de développement économique.
Pour prendre l'exemple de la région Franche-Comté, nous préparons, comme les autres régions, un schéma de développement économique utilisant des mots très simples que les présidents Puech et Poncelet ont employés. Ce sont des mots de simplification face à nos concitoyens qui ont du mal à s'y retrouver, des mots d'accueil d'entreprises dans une région Franche-Comté historiquement industrielle et devant se requalifier et des mots visant à faire entrer des entrepreneurs nouveaux et à les motiver sur notre territoire.
Je terminerai par un mot qui a été utilisé, celui de la fiscalité locale, en me plaçant de nouveau dans une perspective historique. Si nous comparons les années 1982/1983 à 2003/2005, le constat est très simple : les prélèvements obligatoires entre l'État et les collectivités locales sont des transferts. Au niveau macro-économique, ce qui est en moins pour l'État se retrouve dans les collectivités locales, mais ces dernières gèrent 300 000 agents de plus et, pour des compétences facilement identifiables par nos concitoyens, les départements dans les collèges, les régions dans les lycées, le développement économique dans les communes. Ces collectivités font plus avec proportionnellement autant d'argent.
Emmanuel KESSLER. - Vous avez dit que, historiquement, la décentralisation s'était un peu construite contre la République. Cela explique-t-il qu'il ait toujours existé des résistances face au mouvement de la décentralisation ?
Des élus votent des lois en faveur de la décentralisation et, derrière, des personnes descendent dans la rue ou des républicains plus jacobins disent de faire attention à l'inégalité des territoires, etc.
M. Jean-Luc BOEUF. - Par exemple, à la charnière de la création de la III ème République, lorsque les républicains opportunistes -à l'époque, ce mot n'est pas du tout péjoratif- arrivent au pouvoir dans les années 1880, ils ont le plus grand mal à appliquer le fameux programme de Nancy ou ceux de Belleville et de Clemenceau. Face à ces idées généreuses de la décentralisation, ils se heurtent immédiatement à l'appareil de l'État napoléonien mis en place au début du XIX ème siècle et qui s'est prorogé pendant 150 ans.
Emmanuel KESSLER. - Une des premières résistances est donc idéologique ou culturelle et est spécifique à la France. Une suspicion vis-à-vis de la décentralisation a toujours existé.
M. Jean-Luc BOEUF. - Bien sûr et une autre phrase très révélatrice date des révolutionnaires en 1789/1790. Ces derniers préféraient 80 « petits roquets » à 15 « gros chiens loups », les premiers étant les départements et les deuxièmes les provinces. Il existait une espèce de peur du pouvoir central face à la résurgence d'un pouvoir provincial ou supposé tel.
Toutes les difficultés de mise en place des régions des années 1950 à nos jours s'expliquent également par cela, ainsi que par un autre phénomène historique : le régime de Vichy ayant voulu créer des provinces et des régions, à la Libération, il a été un peu compliqué de faire réémerger l'idée.
Emmanuel KESSLER. - Sans parler de l'histoire, aujourd'hui, il reste des traces de cela dans les résistances au mouvement ?
M. Jean-Luc BOEUF. - Bien sûr et cela se corrobore par le fait que l'appareil de l'État, tel que nous le connaissons aujourd'hui en 2005, est quasiment identique à celui de 1800 ou 1805.
Emmanuel KESSLER. - Nous allons justement en parler, car ce qui traverse un peu les propos des uns et des autres ce matin est le fait qu'il existe un décalage entre ce qui est demandé aux collectivités locales et la manière dont l'État se réorganise.
Madame Mireille Cellier, comment vivez-vous cela sur le terrain ? Vous avez été maire adjoint de 1983 à 2003, avant de succéder au maire de Beaucaire en 2003. Cette ville de 15 000 habitants est un peu un concentré de toutes les problématiques de l'élu local. Elle a des zones urbaines, rurales ou encore des zones sensibles. Elle a une part de tourisme et est aux confins de plusieurs départements.
Mme Mireille CELLIER, Maire de Beaucaire (Gard)
Tout à fait, Beaucaire est une petite ville située au bord du Rhône, aux confins de plusieurs départements. Nous sommes à 25 km d'Avignon dans le Vaucluse, à 25 km de Nîmes qui est notre préfecture et à 15 km d'Arles dans les Bouches du Rhône. Nous sommes également à la limite des deux régions Provence-Alpes-Côte-d'Azur et Languedoc-Roussillon dont je suis une élue depuis 1998.
Je suis élue à Beaucaire depuis 1983. Vous pouvez imaginer que nous avons vécu, depuis cette date, l'évolution de cette décentralisation. Aujourd'hui, avec le recul, nous nous sommes rendu compte que l'État, qui est parti d'un bon sentiment en voulant décentraliser certaines de ses actions, est petit à petit en train de regrignoter ce qu'il nous avait donné.
Nous vivons actuellement une contractualisation dans de nombreux domaines. Les communes sont au bas de l'échelle. La décentralisation concerne d'abord la région, le département et, après, les communes qui arrivent avec tout ce qui peut être mis en œuvre dans le cadre du secteur purement local.
Nous sommes en prise directe avec nos électeurs. Petit à petit, à travers les contrats signés avec les communes, que ce soit des contrats de plan État-Région, les contrats locaux, le contrat local éducatif, le contrat local social, le contrat local d'éducation scolaire, le contrat de ville, etc., l'État fait illusion de donner des pouvoirs aux maires. Ces derniers sont au cœur de ces contrats dont ils sont apparemment les acteurs principaux.
Malheureusement, nous nous rendons compte, au quotidien, que nous sommes de plus en plus chapeautés et regardés pour tout ce que nous mettons en œuvre. J'en veux pour preuve, par exemple, le contrat de ville dans le cadre duquel nous avons des actions que nous souhaitons mettre en place, mais si ces dernières n'entrent pas dans le cadre fixé, les financements ne suivent pas.
Emmanuel KESSLER. - Pouvez-vous nous donner un exemple ?
Mme Mireille CELLIER. - Je pense à un certain nombre d'actions que nous pouvons mettre en œuvre avec des associations dans tel ou tel quartier, en direction de telle ou telle population. Si elles n'entrent pas vraiment dans le cadre fixé dans le contrat de ville, nous pouvons bien entendu le faire, mais sans moyens financiers venant nous aider. Nous sommes un peu brimés dans le cadre de nos actions, si elles ne correspondent pas tout à fait à ce que veut l'État. Là, nous ressentons à nouveau que cette décentralisation est un peu avortée.
Dans le cadre d'un contrat de plan État-Région, par exemple, sur la région Languedoc-Roussillon - c'est également un exemple concret sur la ville de Beaucaire -, dans le précédent contrat et l'actuel, nous avons la volonté de rouvrir une écluse qui donnerait l'accès au Rhône navigable de notre canal du Rhône à Sète. Aujourd'hui, ce canal est en cul-de-sac avec, bien entendu, des contraintes liées à la navigation.
Dans le précédent contrat de plan État-Région, comme cela a été repris dans le présent, l'ouverture de l'écluse était et reste inscrite. La région, le département, la commune et, maintenant, la communauté de communes étaient d'accord, mais l'État refuse cette action structurante dans notre région, alors que nous ne demandons pas de moyens financiers, puisque les opérateurs de terrain, à savoir la Compagnie nationale du Rhône (CNR) et les Voies navigables de France (VNF) sont disposés à envisager le financement du projet.
A travers cette illustration, nous nous rendons compte que l'État est toujours présent, malgré les contrats que nous signons avec ses services. Nous sommes contraints d'entrer dans un moule si nous voulons aller au bout de nos décisions et de nos souhaits.
J'ai encore de nombreux exemples, car, comme vous le disiez tout à l'heure, Beaucaire est une ville en pleine mutation économique. Nous avons deux grands pôles économiques forts, à savoir l'industrie et l'agriculture. Nous sommes en plein développement de l'économie touristique à travers notre patrimoine. Beaucaire est une ville architecturale de très haut niveau. Notre ville possède 44 hectares de secteur sauvegardé que nous devons gérer avec les Bâtiments de France et les architectes de Monuments historiques. Nous avons également, dans notre ville, huit monuments historiques classés et quarante monuments inscrits.
Cela demande toute une gestion au quotidien. Nous avons à apporter nos idées et nos décisions. Ce ne sont pas les maires qui se réveillent un matin en disant qu'il faudrait faire ceci ou cela. Non, ces décisions ont été réfléchies et vues avec la population.
Pourtant, à un moment donné, malgré cette coordination avec la population, nos électeurs et les élus, nous nous retrouvons devant un dictat. On nous dit que ce n'est pas possible et que nous devons procéder différemment. Nous avons beaucoup à apporter, à réfléchir et peut-être à faire remonter, afin que, après une pause - que je crois nécessaire - nous ne disions pas moins de décentralisation, mais une décentralisation plus qualitative...
Emmanuel KESSLER. - Il s'agit d'une pause législative, dans la mise en œuvre de nouvelles compétences ?
Mme Mireille CELLIER. - Nos électeurs qui ont le recul de toutes ces mesures et les reçoivent sans trop s'y être investis finissent par se dire : " Finalement, avant la décentralisation, c'était peut-être mieux et nous payions peut-être moins d'impôts ! "
Voilà grosso modo ce que l'électeur de base ressent.
Emmanuel KESSLER. - Jacques Pélissard, j'ai même entendu Mme Cellier dire que la décentralisation était avortée. Nous sommes au cœur des résistances à ce mouvement.
Est-elle vraiment avortée ? N'existe-t-il pas une espèce de relation entre l'État et les collectivités locales entraînant le fait que, à un moment donné, l'État conserve malgré tout ses prérogatives, afin de garantir qu'il ne se produise pas de fuite en avant, par exemple, au niveau de la fiscalité locale, ce qui est une crainte très forte des habitants qui l'entendent dire régulièrement et qu'il existe une forme d'égalité républicaine sur tout le territoire ?
M. Jacques PELISSARD. - Le problème pour les collectivités locales, les communes, est le suivant : nous sommes favorables à la décentralisation qui, comme je l'ai déjà dit et je le réaffirme, est une gestion de proximité. Seule la gestion de proximité permet l'efficacité et la réactivité. Ce qui a été dit par Jean-Luc Boeuf le montre bien. Nous sommes plus réactifs et gérons mieux de près que l'État ne le fait de loin.
De plus, ce qui inquiète les maires comme les départements et les régions et ce qui justifie la demande de pause de Louis de Broissia est le fait que nous avons, au fil des années depuis 1982, été largement échaudés.
Souvenez-vous des transferts de charge aux départements et aux régions, pour les collèges et les lycées par exemple, qui n'ont pas été compensés par l'État. Aujourd'hui, l'inquiétude des élus locaux, des maires par contrecoup, en cascade depuis les départements et les régions, est que la compensation des charges transférées ne soit pas au rendez-vous.
Emmanuel KESSLER. - Malgré les garanties constitutionnelles du Gouvernement à l'époque. On sait que cela s'est mal passé il y a vingt ans, mais, dans le nouveau texte, on va vous mettre des garde-fous.
Jacques PELISSARD. - Heureusement, la loi maintenant existe et ce n'est pas n'importe laquelle ; c'est une loi constitutionnelle, la loi du 28 mars 2003, qui affirme le principe de la compensation, la nécessité de la péréquation. Il existe de bons outils et l'outil constitutionnel est essentiel pour vérifier que la compensation des charges transférées par des moyens financiers nouveaux est au rendez-vous de nos espérances. Les outils existent, toute une série de comités ont été mis en place afin de vérifier tout cela.
En revanche, nous sommes dans la phase où nous attendons pour voir. Les outils sont en place, l'expertise des charges transférées est en cours, mais nous n'avons pas encore la certitude de la réalité des moyens transférés, ce qui peut justifier, peut-être pas une pause, mais au moins un délai d'attente pour vérifier la réalité de ces transferts des moyens.
Enfin, en termes de réticence à la décentralisation, les collectivités locales ou collectivités territoriales, départements, régions et communes en particulier, sont marquées par le fait que nous sommes face à une complexité effroyable, en termes de structures, locales et nationales, en termes d'interaction entre ces structures, en termes de compétence et, sur ce registre, il faudra une nécessaire clarification.
Emmanuel KESSLER. - Vous l'avez voulu aussi. Par exemple, l'intercommunalité, vous, les élus, l'avez voulue. Or, on s'aperçoit aujourd'hui que c'est une complexité supplémentaire. Au lieu d'harmoniser, cela a rendu plutôt les choses plus compliquées. La Cour des Comptes va d'ailleurs rendre un rapport assez sévère et l'Observatoire de la décentralisation se penche sur la question.
M. Jacques PELISSARD. - Nous recevrons effectivement Philippe Seguin, Premier président de la Cour des comptes, qui viendra nous présenter son rapport avant communication à la presse. Donc, le jeudi 23 novembre au matin, tous les maires présents pourront assister en direct à la présentation de ce rapport.
La décentralisation et l'intercommunalité sont deux notions différentes. Quel est le problème de l'intercommunalité ? Nous en sommes partisans, car cela permet de porter ensemble de vrais projets sur un territoire pertinent. En revanche, les choses ont été compliquées par le fait que, très longtemps, l'intercommunalité a été complexifiée dans son fonctionnement.
Deux exemples : en matière de gestion des personnels, on a eu d'abord des transferts automatiques des personnels (Loi Vaillant du 27 février 2002), avec une certaine lourdeur quand les compétences étaient transférées. La loi du 13 août 2004 permet aujourd'hui des services partagés, de disposer entre la ville centre, les communes membres et l'intercommunalité de services communs et partagés, sans passer par le Code des marchés publics. Cela a été un vrai progrès en termes de souplesse.
Deuxième exemple : l'application du Code des marchés publics dans les rapports entre l'intercommunalité et ses communes membres. Nous avons obtenu que, pour les prestations de services internes, il n'y ait pas recours au Code des marchés publics, mise en concurrence, etc.
La pression de l'Association des maires de France a été forte et nous sommes arrivés à injecter de la souplesse dans le fonctionnement de l'intercommunalité. Tout n'est pas encore parfait, mais je crois que l'on commence à voir aujourd'hui une approche transversale, en synergie des moyens de l'intercommunalité et des communes membres.
M. Jean-Luc BOEUF. - Je pense qu'un des mots-clés qui pourrait être décliné sur toutes les compétences, toutes les problématiques évoquées ici est "complexité". Au risque de tomber dans la démagogie, il ne faut pas la refuser, mais, au contraire, l'intégrer, l'accepter et essayer de rebondir, et à nous techniciens, de proposer cela aux élus.
Je prends un exemple très concret qui concerne beaucoup de régions en ce moment : la construction des lignes à grande vitesse.
Faisons un simple comparatif :
Années 1970, construction de la ligne dite nouvelle rame entre Paris et Lyon, 420 km. L'État et la SNCF de concert, en quelques années, tracent une ligne qui va tout droit avec des considérations environnementales très différentes de celles d'aujourd'hui, des considérations financières plus faciles, au risque de plomber les comptes de la SNCF, et des considérations vis-à-vis des enquêtes publiques beaucoup plus souples.
Construction aujourd'hui des lignes à grande vitesse dans d'autres régions, par exemple la Franche-Comté et la ligne dite Rhin-Rhône : ce sont des années, des kilomètres d'épaisseur de dossiers et des citoyens associés à tous les étages.
C'est pourquoi je crois pouvoir dire aujourd'hui que la problématique de l'association du citoyen est réelle et présente dans toutes les étapes de la procédure pour des projets de cette grande envergure. Il nous appartient d'aller au delà de cette complexité.
On peut appliquer cette complexité au cas de l'intercommunalité. Pour poursuivre dans l'exemple de Jacques Pélissard, l'intercommunalité se place sur un registre différent de celui de la décentralisation. De même, en se replaçant sur un contexte historique, les premières associations de communes datent de 1890, pour des choses très concrètes : le ramassage des ordures, le déplacement des personnes, ce qui a donné tous les réseaux de transports urbains. Dans l'intercommunalité, on passe à la problématique centrale qui est financière.
Que s'est-il passé entre 1992 et 2002, avec tous les législateurs concernés ? On s'est dit que, pour que les communes puissent s'agglomérer de façon plus efficace et plus efficiente, il faut leur donner des moyens financiers, avec une carotte financière très facile à intégrer par tous les élus, tous les services : la carotte de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Quand le gâteau augmente, si le nombre d'intercommunalités augmente plus vite que le gâteau, tout le monde se retrouve frustré à la fin de l'année et peut tenir un discours contradictoire. L'élu local dans sa commune ne s'y retrouve pas dans la dotation intercommunalité et le législateur au niveau national et macro-économique est de bonne foi lorsqu'il dit qu'il augmente le gâteau et qu'il doit abonder chaque année de façon exceptionnelle la dotation globale de fonctionnement.
Dernière idée un peu provocatrice, concernant la loi constitutionnelle de 2003 : personnellement, je ne suis pas persuadé qu'elle ait apporté grand-chose dans l'évolution du traitement des collectivités locales. En prenant les deux exemples cités par le président Poncelet, celui du RMI ou celui des formations sanitaires et sociales, ce qui a porté, c'est le débat permanent et l'action de lobbying de tous les élus locaux dans toutes les instances qu'ils représentent face à la locomotive de l'État, afin de faire en sorte que les collectivités locales puissent se retrouver dans les transferts de compétences prévus un moment donné.
M. Louis de BROISSIA. - Accord et désaccord. Accord avec tous les intervenants sur l'idée de pause. Elle ne doit pas être conçue comme un repos. Elle doit être le moment de digérer les transferts de compétences et d'analyser ce qui peut encore être amélioré. Parallèlement à ce travail de bilan, l'État mènerait une réforme de son organisation et de son fonctionnement.
Désaccord avec Mireille Cellier surl'échelle. Il n'y a pas plusieurs niveaux de décentralisation. Cette conception des choses est dépassée à mes yeux. Il n'y a pas l'État qui est dans les nuages, la région en dessous, puis le département et enfin les malheureuses communes et intercommunalités. Il n'y a que des collectivités locales de plein exercice côte à côte. Il ne saurait y avoir de tutelle d'une collectivité sur une autre. Ainsi, dans mon département, je dis à tous les maires que l'on peut avoir un partenariat dans les deux sens.
Une question sur laquelle je ne suis pas en accord avec vous, Monsieur Boeuf : la loi constitutionnelle de 2003 sera appliquée. Elle est « l'arme atomique ». 60 Députés ou 60 Sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel s'ils estiment qu'une loi ne respecte pas le principe de neutralité des transferts. Jean Puech, au nom de l'ADF, a négocié la compensation financière du RMI avec le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin. La discussion portait sur 458 M€ pour être précis. Nous avons convaincu le Premier Ministre en mettant en exergue le principe de neutralité financière. Aujourd'hui, la somme figure dans la loi de finances rectificative pour 2005.
Aujourd'hui, la décentralisation doit s'appuyer sur l'instauration de règles nouvelles entre les collectivités territoriales. Dans cette démarche, l'intercommunalité a toute sa place. La Côte d'Or compte 707 communes, dont certaines n'ont que 12 habitants. Que pensez-vous que de tels villages puissent faire ? Heureusement qu'ils étaient en SIVOM et, maintenant, en communautés de communes ! Heureusement qu'il y a des « pays » pour porter des projets de développement du territoire !
Je voudrais aussi évoquer un autre échec de la décentralisation : nous pensions tous arriver à un décroisement des compétences. Vous appelez cela "simplification", j'appelle cela "décroisement des compétences". Nos concitoyens en ont assez de voir tout le monde faire tout. Ils n'y comprennent plus rien. Lorsqu'ils assistent à une inauguration, ils voient des représentants de toutes les collectivités territoriales parce qu'elles ont toutes payé un peu. Il y a l'Europe avec le Fonds européen de développement régional (FEDER), puis le préfet, ensuite la région, puis l'intercommunalité... Nous sommes à chaque fois six ou sept à prendre la parole. C'est sympathique. C'est convivial. Mais est-ce lisible ? Non certainement pas.
Il faut arriver à un décroisement des compétences pour dire : "Les collèges, c'est vous, les lycées, c'est vous et les routes, c'est nous". Pour les routes, l'État a conservé un tout petit réseau structurant et les autoroutes. Pourquoi ? La réponse est simple : il y a de l'argent.
Emmanuel KESSLER. - Il en privatise une partie.
M. Louis de BROISSIA. - Oui, justement, mais il ne va pas nous donner de l'argent, sauf scoop !
Emmanuel KESSLER. - Il faut réclamer une partie de la recette...
M. Louis de BROISSIA. - Ce serait très bien pour alimenter un fonds de concours des routes nationales. Je crois au décroisement des compétences. Je ne crois plus au partenariat multiforme. Je suis très content de savoir, dans ma commune, que le maire, et lui seul, est responsable de l'école.
Cela ne nous interdit pas d'apporter des fonds de concours. Cela ne me dérange pas de savoir que l'association sportive de football, c'est le maire ou la communauté de communes.
Pourquoi toujours tous à payer tout ?
Emmanuel KESSLER. - Dans la nouvelle réforme de décentralisation figure le fait d'avoir des chefs de file. Vous voulez dire que cela ne fonctionne pas du tout ? On voit plus clairement qui fait quoi.
M. Louis de BROISSIA. - L'État a voulu faire des départements les chefs de file de l'action sociale : d'accord. On prend toute l'action sociale. Mais, dans ce cas, il faut mettre à leur disposition les DDASS et les DRASS.
Les 4 218 conseillers généraux sont-ils simplement en charge d'appliquer une action sociale décidée au niveau de l'État (RMI, prestation de compensation du handicap, APA) ? Sont-ils simplement les exécutants de l'État ? Ou, au contraire, élaborent-ils de vraies politiques de solidarité dont les outils s'adaptent à la diversité des territoires ?
D'ailleurs, dans la Constitution, Monsieur le professeur, on est presque incohérent ; on veut faire à la fois de la péréquation et de l'autonomie financière. Ces deux principes sont assez inconciliables. Il y a là un débat à trancher. C'est le moment de le faire.
Mme Mireille CELLIER. - Je voulais simplement rebondir sur deux points.
Au niveau du croisement entre collectivités, nous sommes quand même en train de le mettre en place, ne serait-ce qu'à travers nos actions sociales. La commune de Beaucaire a un centre communal d'action sociale (CCAS) et nous travaillons en étroite collaboration avec le Conseil général. C'est nous qui gérons les dossiers RMI et qui travaillons sur l'APA ; nous sommes donc déjà au sein de ces actions croisées.
Je voulais aussi revenir très rapidement sur la responsabilité du maire au sein de cette décentralisation, car, maintenant, on retrouve le maire sur tous les dossiers où il y a un apport de prise de responsabilité, si bien que, lorsque l'on met en place une manifestation dans la ville, qu'elle soit culturelle ou de tradition, nous sommes très frileux. Des collègues ont été mis en examen, car il y a eu des accidents sur des parcours, lors des courses camarguaises, et nous avons eu ce genre de problèmes à régler.
Emmanuel KESSLER. - Vous dites que le maire est plus exposé juridiquement qu'il y a une vingtaine d'années et que cela le freine ?
Mme Mireille CELLIER. - Tout à fait et je le sens, je l'ai vécu. Nous sommes élus depuis 1983 et, d'année en année, nous nous sentons de plus en plus pris dans ce carcan de responsabilités qui nous freine pour prendre des initiatives qui pourraient nous être données dans le cadre de la décentralisation.
M. Jean-Luc BOEUF. - Sur les contrôles, je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous. Grâce à la loi de fin décembre 2001, les relations se sont apaisées entre les collectivités locales et les Chambres Régionales des Comptes. Je propose de poser le débat en poussant plus loin : quel contrôle citoyen mettre sur les collectivités locales vis-à-vis des élus locaux, de leurs services et de leurs actions locales ? Je pense à une des interventions du Président Poncelet sur le rôle difficile, important et fondamental de la presse dans les relations avec les collectivités locales.
Effectivement, dans la presse locale, cela a une résonance particulière, lorsque l'on voit en première page telle erreur comptable dans une collectivité ou tel élu local mis en examen. Je souhaiterais quand même apporter un élément correctif à ce que vous dites : le nombre de responsabilités et de mises en cause d'élus devant les juridictions pénales en France est en diminution très forte, notamment depuis les effets cumulés de la loi Fauchon et de la loi de 2001 sur les collectivités locales. Elles ont une résonance particulièrement médiatique. Elles sont difficiles et, d'ailleurs, les services juridiques des collectivités locales se sont très fortement étoffés ces dernières années pour essayer d'y répondre.
Emmanuel KESSLER. - Il y abesoin d'un conseil juridique quasi permanent aujourd'hui dans les collectivités locales.
M. Jean-Luc BOEUF. - Pour que le concitoyen s'y retrouve face à cette dépense publique locale de plus en plus importante, la notion de contrôle au niveau local et d'association de citoyens est importante. La loi de 1992 prévoit des publications de comptes et de ratios assez obscurs et incompréhensibles pour les citoyens. Puisqu'il nous faut être inventif et proposer des choses concrètes, je pense qu'il y a un champ à travailler avec les associations d'élus et avec la presse locale.
Mme Mireille CELLIER. - Ce n'était pas du tout dans le cadre de nos comptes au niveau des chambres régionales. Je suis tout à fait pour un contrôle très strict et que ce soit appliqué jusqu'au bout ; s'il y a des dérapages, ils doivent être sanctionnés.
Tout ce qui peut se passer dans la commune pour l'organisation de fêtes, le passage d'une course cycliste ou si un chien traverse et blesse quelqu'un, avec la conséquence d'une blessure à une personne, le maire peut être mis en examen. Mon prédécesseur a été mis en examen, car une fusée de feu d'artifice a éclaté dans la foule. On peut difficilement appréhender cette responsabilité.
Emmanuel KESSLER. - Tout à l'heure, le Président du Sénat a parlé d'une judiciarisation ; c'est vrai pour l'ensemble des décideurs publics.
M. Jacques PELISSARD. - Il ne faut pas tout confondre. La judiciarisation, qu'est-ce que cela veut dire ? Nous avons tous le risque d'être mis en examen. La mise en examen est le fait que quelqu'un dépose plainte, se constitue partie civile et vous êtes mis en examen, mais ce n'est pas la condamnation. Très peu de mises en examen débouchent sur une condamnation, car deux lois y ont veillé : une loi de 1996, dont j'avais été à l'époque le rapporteur, qui prévoit que l'on doit avoir une appréciation concrète et non plus abstraite, c'est-à-dire que l'on prend en compte la taille de la commune, la compétence de ses services, l'existence des services techniques, ses moyens financiers, donc approche très concrète des moyens du maire. Cette loi a été complétée par la loi Fauchon de 2000 sur la faute caractérisée, qui seule donne lieu à une condamnation.
Il est vrai que la mise en examen nous reste en travers du gosier !!!
UN INTERVENANT. - La jurisprudence du Mont Blanc ne va pas dans votre sens.
M. Jacques PELISSARD. - La jurisprudence du Mont Blanc n'est pas une jurisprudence, puisqu'elle est frappée d'appel, M. Charlet ayant à juste titre exercé ce recours.
Une jurisprudence est l'approche figée d'un texte une fois les recours épuisés. Nous sommes en plein recours et l'AMF appuie totalement notre collègue M. Charlet dans le cadre de l'appel qu'il a diligenté. Nous sommes actuellement en phase procédurale. Ce n'est pas une jurisprudence.
Pour en revenir à la loi de 1996 et la loi Fauchon, cela a permis de cantonner la responsabilité du maire aux cas vraiment caractérisés. Heureusement, il y a peu d'exemples de condamnation, car les fautes caractérisées sont extrêmement rares.
Emmanuel KESSLER. - Nous allons poursuivre ce dialogue, mais peut-être souhaitez-vous poser des questions ?
M. Jean LAUTREY. - Je suis maire de Coublanc en Saône-et-Loire, depuis 1971.
Deux points ont été soulignés la semaine dernière lors de l'Assemblée générale des maires de Saône-et-Loire : les maires n'en peuvent plus des "réformites" que l'on a considérées comme une épidémie des ministères et qui sont en train de se transformer en pandémie.
Vous avez évoqué, Monsieur le Président, une certaine pause, mais il existe une autre manière de reprendre la décentralisation au profit de certains services administratifs qui, eux, n'ont jamais diminué. Je suis maire depuis 35 ans, je n'ai encore pas vu d'administrations de l'État diminuer en effectif ; au contraire, je les vois augmenter.
Pour que ces personnes justifient un certain nombre de leurs emplois, elles concoctent des réformes qu'elles viennent nous appliquer sur le terrain. Nos collaborateurs n'en peuvent plus de lire des circulaires qui se contredisent : trois réformes des marchés publics et trois réformes de la fiscalité et de l'urbanisme depuis 2001.
Lorsque l'on parle de digestion, il faut que l'on prenne le temps de digérer ce qui est fait pour bien l'appliquer.
On dit souvent que bien gouverner, c'est prévoir. Il y a un an, on a contrôlé ma maison de retraite : parfaite au point de vue cuisine. On nomme une nouvelle fonctionnaire à la Direction des services vétérinaires (DSV) cette année : elle vient et écrit un rapport de 25 pages.
Cette année, on nous a fermé trois cantines municipales. En milieu rural, on ne va pas faire un passage des plats de telle manière et un passage d'une autre. On refuse de prendre les produits locaux pour nourrir les enfants ; il faut prendre des produits stérilisés, en pack, etc.
Je pourrais multiplier ces exemples.
Dans cette assemblée de sénateurs, de parlementaires, il faudra me dire qui commande dans ce pays. Est-ce vous les parlementaires ou l'État qui, d'une manière ou d'une autre, prend le pouvoir ?
(Applaudissements...)
Emmanuel KESSLER. - L'État ou l'administration.
M. Jean-François BARNIER. - Je suis maire de Chambon-Feugerolles dans la Loire, élu depuis 1971, maire depuis 1988. J'ai été pendant douze ans conseiller régional et je suis vice-président de Saint-Etienne Métropole.
Emmanuel KESSLER. - Comme quoi, malgré toutes les difficultés des maires, vous arrivez à vous faire réélire !
M. Jean-François BARNIER. - On doit avoir quelques petites qualités !
Je crois que le combat remonte à la Révolution : Girondins, Jacobins, vous ne me l'enlèverez pas de la tête. J'ai une foule d'exemples, dont le plus récent est le suivant : on a déposé un dossier à l'Agence nationale du renouvellement urbain (ANRU). Pour déposer le dossier, il faut d'abord une grande enquête auprès de la population, afin de connaître ses desiderata , ce qui est tout à fait logique.
Puis, il se passe six mois, un an, un an et demi et toujours rien. On me dit : "Il y avait trop de dossiers, on a pris les gros. Ensuite, on passe une deuxième tranche de dossiers moyens. Vous y êtes, rassurez-vous, vous passerez avant le mois de juin !"
Après, il y a un petit remaniement ministériel. Cela vous repousse en septembre et on dit que c'est toujours engorgé et que vous passerez certainement avant la fin de l'année.
Les citoyens qui ont répondu à toutes les questions, à qui on a exposé le grand dossier de l'ANRU les concernant directement, à qui s'en prennent-ils ? Toujours au dernier maillon, c'est-à-dire au maire. M'adressant au président de l'AMF, vous comprenez bien que cela nous met dans des situations complètement impossibles.
Il est vrai qu'il y a eu des décentralisations, mais essentiellement de facture. Je les ai vu arriver dans la région Rhône-Alpes, je les vois toujours arriver dans ma commune et les exemples sont légion. Ce n'est pas que l'État : France Télécom abandonne ses cabines téléphoniques et nous demande de les entretenir.
Encore une fois, il faut vraiment que l'on sache cela.
On nous dit que l'on a une grande décentralisation. Des lois de décentralisation se sont heurtées, notamment les lois Voynet et Chevènement. On a voulu créer les communautés de communes et d'agglomération, mais on ne savait pas comment s'y prendre pour croiser les compétences. Le préfet nous écrivait pour nous dire que ce que nous étions en train de faire n'était pas légal.
Alors, comment fait-on ?
On parle de décentralisation, mais il faudrait réellement qu'elle soit profonde. Il faut absolument que, au-delà de la décentralisation de facture, les citoyens s'y retrouvent vraiment ; nous, nous sommes perdus, alors imaginez-vous le citoyen lambda !
Emmanuel KESSLER. - Merci de votre témoignage vécu.
M. Michel SCICLUNA. - Je suis maire de la commune d'Auneau, petite commune d'Eure-et-Loir de 4 000 habitants qui se situe à peu près à 25 km de Rambouillet, 25 km de Chartres, 60 km d'Orléans et 80 km de Paris. Nous sommes en plein dans ce que l'on appelle les franges franciliennes.
Je suis aussi président de la communauté de communes de 8 000 habitants.
Effectivement, on parle de décentralisation et de l'élu au cœur de la décentralisation. Aujourd'hui, on a quand même une décentralisation descendante ; ce sont plutôt des pouvoirs d'État qui descendent sur les régions, les départements et sur les collectivités locales que nous représentons.
Pour moi, la décentralisation est également montante : aujourd'hui, on a une fébrilisation, une fracture sur la représentation du métier de maire. J'ose employer ce mot, car on est vraiment sur des notions fondamentales en matière d'étymologie et il faut vraiment employer le terme "métier de maire" aujourd'hui.
Je vis un mandat sacrificiel : je n'ai pas la chance d'avoir été élu depuis 1971, je ne suis élu que depuis janvier 2003. Nous avions un maire qui était médecin et il s'est représenté avec le statut d'élu, comme ce qui se faisait dans les années 1980 : il arrivait, il faisait son courrier, il administrait la mairie comme on pouvait l'entendre, puis, comme tout le monde, il a assisté à ces lois de décentralisation, avec les empilages que l'on appelle millefeuille : l'intercommunalité naissante, le pays pour aménager le territoire, il y a également le canton, les interlocuteurs au niveau des contrats franges franciliennes, les régions. Tout cela est très compliqué pour un maire, donc il a démissionné.
Comme j'étais premier adjoint, j'ai été obligé de prendre le relais, pour avoir une mission sacrificielle. Je ne pouvais pas laisser 8 000 individus et 4 850 foyers comme cela à vau-l'eau. Résultat de la manoeuvre : aujourd'hui, j'ai arrêté tout métier pour ne faire que mon métier de maire et de président de communauté de communes.
Emmanuel KESSLER. - Le regrettez-vous ?
M. Michel SCICLUNA. - Pas du tout. Au contraire, je suis très épanoui et je vous remercie d'ailleurs de nous donner tribune pour en discuter et remonter les informations au niveau des parlementaires.
Aujourd'hui, nous avons le véritable souci de ce métier de maire. Nous n'avons pas de cohérence derrière. Preuve en est au niveau des Caisses régionales d'assurance maladie (CRAM) : il n'y a pas de points de retraite et, aujourd'hui, j'ai un trou dans mes cotisations. C'est un problème.
Emmanuel KESSLER. - C'est ce qui a été évoqué ce matin autour du statut d'élu et nous en reparlerons cet après-midi. Pour vous, cela paraît être une nécessité d'avancer sur ce sujet ?
M. Michel SCICLUNA. - Tout à fait. De plus, une formation est inhérente à tout ce qui est en train de se passer, que l'on n'a absolument pas mesuré. Le problème est : quand ?
Vous êtes quinze heures en mairie, mais vous avez aussi votre vie de famille. C'est pourquoi une pause est impérative pour réexpliquer les thématiques. Je suis effaré d'être avec certains collègues qui ont du mal à absorber la loi Voynet, la loi Chevènement.
Les gens ne connaissent pas leurs textes. On interfère toujours au niveau du préfet, donc on est obligé d'être thématique, très pointu et on technocratise le métier.
Une réforme est donc absolument impérative et l'on ne réussira pas la décentralisation dans ce pays si elle n'est que descendante.
Emmanuel KESSLER. - Merci pour votre témoignage qui recoupe cette idée de pause semblant recueillir un certain assentiment, en tout cas l'idée que, face à une complexité, il faut avoir le temps de la digérer.
M. Pierre CORNELOUP. - Je suis maire de Montchanin en Saône-et-Loire, conseiller général et vice-président de la Communauté urbaine Creusot Montceau (CCM).
Je voudrais simplement poser le problème des péréquations ou des compensations, en prenant l'exemple des routes nationales : en Saône-et-Loire, la Nationale 6 est très fréquentée. On va faire l'expertise sur les trois dernières années et transférer les compétences et les crédits sur cette période.
En France, les routes nationales ont été plus ou moins entretenues de la même manière, avec des crédits plus importants sur certaines régions et moins sur d'autres. Nous avons des routes nationales qui, depuis trois ans, n'ont pas eu l'entretien et la maintenance nécessaires ou les déviations programmées pour éviter quelques passages dans certaines communes. Aujourd'hui, la Nationale 6 est parallèle à l'autoroute, avec un trafic énorme.
Comment ces transferts de compétences sont-ils accompagnés, cher collègue, Louis de Broissia, par rapport à une péréquation qui existera peut-être ? Si l'on nous transfère simplement les crédits sur les trois dernières années, on risque d'être frustré au niveau du département, car il faudra procéder à des travaux importants pour compenser.
Quelle réponse sur les compensations ?
M. Jean-Michel ARNAUD. - Je suis maire de Tallard dans les Hautes-Alpes, conseiller général de mon département et Président de l'Association départementale des maires.
Je souhaite d'abord évoquer une contradiction que je ressens souvent en montant à Paris. Lorsque l'on est dans les Assemblées générales des maires et que l'on invite nos parlementaires, on a l'impression de partager le même constat, celui que nous faisons ce matin.
Lorsque l'on monte à Paris, on a le sentiment d'une déconnection complète entre les propos tenus dans les Assemblées générales et la réalité législative, gouvernementale que l'on ressent, en particulier sur la décentralisation.
En tant que conseiller général, je ressens surtout le fait que, dans les conseils généraux, nous avons eu une augmentation importante de la fiscalité pour faire face de manière conséquente aux augmentations de compétence, mais on s'aperçoit que 50 % de cette augmentation de fiscalité sur les quinze dernières années correspondent à des transferts de charges assumées jusqu'alors par l'État ; finalement, nous devons assumer devant nos concitoyens une augmentation de fiscalité que nous n'avons pas décidée.
En conséquence, j'ai l'impression que nous sommes bien souvent dans l'acte de décentralisation au niveau des conseils généraux en particulier, des sous-traitants de l'État et, comme l'a dit un ministre devenu célèbre dans le domaine de l'Education nationale, nous sommes à portée de "baffe" de nos électeurs, mais pas forcément en pleine responsabilité. Cela nous pose véritablement un problème.
Je voulais interroger les parlementaires au sens large, afin de savoir comment ils gèrent ce don d'ubiquité, parfois un peu de schizophrénie entre les discours tenus dans nos départements et la réalité des votes au Parlement sur un certain nombre de dispositions.
Ma deuxième observation concerne les problèmes de finances locales. On nous reproche d'avoir une augmentation de fiscalité très importante et nous n'avons aucune garantie sur le maintien, quoi qu'en dise la loi constitutionnelle, des dotations de l'État et de l'autonomie véritable des collectivités locales en termes fiscaux. Au-delà de ces aspects, je constate que c'est l'intercommunalité que l'on veut attaquer.
J'ai entendu le Ministre des collectivités locales et j'attends la déclaration et le rapport de la Cour des Comptes de Philippe Seguin.
En tant que maires, nous confions de plus à plus de compétences, l'État nous y invitant au niveau intercommunal, car ce serait un espace de projet, l'espace de gestion plus adapté que les petites communes.
Puis, le retour des hautes autorités de l'État : il faut que l'intercommunalité cesse de prendre du poids et d'être un aspirateur à fiscalité additionnelle, à fiscalité en accroissement.
Je vous avoue que je suis en déconnexion entre ce que j'entends ici et ce que l'on nous demande sur le plan local. J'aimerais avoir votre réaction.
Emmanuel KESSLER. - Déconnexion, schizophrénie : faisons d'abord réagir les parlementaires.
M. Louis de BROISSIA. - Je ne sais pas si je suis un schizophrène heureux ou conscient. Je sais que certains prônent le non-cumul des mandats. Ils supprimeraient donc immédiatement la schizophrénie mais ils laisseraient les parlementaires décider seuls des lois.
Mon sentiment de Sénateur et Président de Conseil général est que nous menons la vie dure à l'appareil de l'État. L'État n'est pas simplement un Président de la République, un chef de gouvernement et des ministres, c'est aussi un appareil d'État extraordinairement présent partout en France.
Si nous n'étions pas là pour le réformer et le faire avancer, nous n'obtiendrions rien.
C'est en brandissant la menace d'un recours constitutionnel que l'État a entendu notre demande sur le financement des dépassements des dépenses des départements en RMI pour 2004. Désormais, nous sommes en discussion pour le financement du dépassement 2005. De même, le 8 novembre, au Sénat, une négociation aura lieu entre les parlementaires - Présidents de conseil général et le Gouvernement. Ainsi, nous avons des contacts réguliers avec le chef du gouvernement et ses ministres. Ils ne passent pas forcément des moments faciles avec nous. Toutefois, le principal problème n'est pas la volonté de dialogue du Gouvernement mais la faiblesse de ses marges de manoeuvre financières.
En effet, la schizophrénie serait aussi de demander à l'État ce qu'il ne peut plus donner. Quand je sais que l'État emprunte 131 000 Md€ pour payer ses dépenses, mais que j'ai remboursé en Côte d'Or tous mes emprunts et que j'en fais de nouveaux, je me demande : "Suis-je schizophrène ? Est-ce que je demande à l'État, qui est déjà très pauvre, de payer encore plus ?"
Comme j'ai exposé tout à l'heure mon idée de pause de la décentralisation, je vais exposer ma deuxième idée, celle d'un pacte de gestion. L'État travaille de façon annuelle, cela s'appelle l'annualité budgétaire. Or, lorsque j'étais chef d'entreprise, si je ne présentais pas des documents sur cinq ans à mon Conseil d'administration, je me faisais renvoyer immédiatement. De même, devant les élus de mon département, je présente des projets à trois ans, voire à dix ans. Pourquoi l'État, via un pacte de gestion pluriannuel, n'adopterait-il pas un rythme identique ?
Cette idée ne concerne pas que le département. Elle peut aussi se décliner pour les régions, les communes, les intercommunalités.
Jean-François Copé a repris cette idée en parlant d'un « pacte fiscal et de gestion ».
Ainsi, nous pourrions afficher clairement nos priorités politiques. Le contribuable départemental saurait la raison pour laquelle on augmente ou pas les impôts. Rien ne serait pire que de voir l'État, quel qu'il soit, se glorifier de limiter la pression fiscale et nous obliger, de façon très hypocrite, à le faire.
M. Jacques PELISSARD. - Quelques réactions sur la complexité, les circulaires, les normes, le fonctionnement de l'ANRU et autres.
Premièrement, il faut que l'on sorte d'une situation schizophrénique, en matière d'empilement des circulaires, des textes. On ne s'en sort plus, en particulier au niveau européen.
L'AMF a installé un bureau à Bruxelles et est en train de recruter une personne qui aura pour mission de veiller à la conception des normes européennes, car celles-ci s'imposent à nous, en particulier en matière environnementale. On les supporte financièrement et je pense en particulier à la gestion de déchets ménagers. Cela coûte très cher et nous échappe complètement au niveau de la conception et de la maîtrise.
Soyons donc vigilants face à la complexité !
Deuxièmement, le métier de maire est une fonction qui se technocratise. Nous sommes en train de veiller à développer le principe d'un statut du maire. Encore hier soir, le Bureau de l'AMF a proposé des amendements sur le futur texte de loi sur la réforme de l'IRCANTEC, pour que nous soyons présents, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, avec les départements et les régions, au Conseil d'administration de l'IRCANTEC et afin qu'il y ait un régime de retraite minimale au profit des maires.
Troisièmement, la schizophrénie, la différence de comportement incriminée s'agissant des votes locaux et nationaux, ce n'est pas le cas de l'Association des maires de France, et je vous en donne un exemple, est le vote de la loi du 29 juillet 2004 sur l'autonomie financière des collectivités locales.
Nous nous sommes battus extrêmement fermement contre une approche qui n'était pas la nôtre. Je suis député de la majorité, Daniel Hoeffel était à l'époque Président de l'AMF et sénateur, et nous avons eu le même combat, lui ici, au Sénat, et moi à l'Assemblée pour faire évoluer le texte.
Aujourd'hui, le dispositif n'est pas merveilleux, mais le principe de l'autonomie financière est affirmé par la loi constitutionnelle et la loi organique du 29 juillet 2004 en précise les modalités.
Nous aurons un nouveau combat et j'espère que nous serons aussi combatifs sur la réforme de la taxe professionnelle où nous nous battons de façon forte en disant : "Le principe d'un plafonnement, pourquoi pas, mais avec une année de référence acceptable, 2005 en particulier, et surtout une approche incorporant des simulations dont nous ne disposons pas aujourd'hui et également des mécanismes pour faire face aux interactions entre le plafonnement d'une commune par rapport à une autre".
Un exemple rapide : la réforme de la taxe professionnelle prévoit de la plafonner à 3,5 % de la valeur ajoutée, mais cette dernière est celle d'une entreprise pouvant avoir son siège en Côte d'Or, des usines dans le Jura, la Saône-et-Loire ou le Nord. Les interactions entre les augmentations de taxe professionnelle par les départements, les régions, les EPCI ou les communes sur l'ensemble du territoire national risquent de provoquer des interactions infernales. On risque de plafonner la capacité fiscale d'une commune, car une autre collectivité territoriale, à l'autre bout de la France, aura saturé le taux de 3,5 %.
Soyez rassurés sur ce principe de la réforme de la taxe professionnelle. Nous serons aussi très vigilants pour éviter une aggravation de la complexité.
M. Jean-Luc BOEUF. - En me plaçant uniquement sur un point de vue historique et en ne rentrant surtout pas sur le champ parlementaire, rien ne serait plus catastrophique que la séparation totale entre le mandat d'élu national et celui d'élu local. Les collectivités locales, en tant que techniciens, ont des représentants élus à leur tête ou dans leur circonscription, région ou département, à qui elles peuvent faire référence et c'est au-delà des questions de majorité, opposition, droite, gauche, que ce mouvement de respiration entre aspect national et local peut s'opérer.
Emmanuel KESSLER. - Vous n'êtes pas favorable et l'on peut retenir l'idée que les parlementaires ne soient que parlementaires et n'aient aucun mandat.
M. Jean-Luc BOEUF. - Vous les déconnectez des réalités de terrain, vous empêchez totalement une respiration et vous faites un cloisonnement complètement étanche.
J'ai une remarque macro-économique ayant trait à l'organisation des services. Face à cette complexification des processus, je suggère aux élus locaux ici présents quelque chose que nous avons mis en place en région Franche-Comté : tout collaborateur se rendant à l'extérieur a l'obligation de rendre un compte rendu d'une page ; cela permet aux élus, qui sont les décideurs, d'avoir toujours un mouvement de respiration du niveau national et local de ce qui se passe dans leur collectivité.
Deuxième élément concret : la durée des réunions. Dans la collectivité où je suis, j'ai imposé des réunions d'une demi-heure à une heure, quel que soit le sujet.
De plus, quelle n'est pas notre surprise lorsque l'on se trouve en réunion en préfecture de région ou ailleurs où la région, le département ou la commune ont chacun un représentant, alors que l'État en a dix, quinze ou vingt.
Les élus de niveau local et national ont le pouvoir de dire que ce n'est pas acceptable Je m'amuse dans ce cas à calculer le coût de ce genre de réunion.
M. Emmanuel KESSLER. - N'y a-t-il pas un problème de décalage entre cette capacité d'adaptation et le caractère un peu figé de la réforme de l'État ?
M. Jean-Luc BOEUF. - Pour vendre les collectivités locales aux futurs étudiants et conseillers territoriaux, je leur dis : "Dans les collectivités locales, vous aurez de la réactivité face à des élus qui vous demandent quelque chose et vous verrez la réalisation de ce l'on vous demande de proposer ».
Emmanuel KESSLER. - Ne faudrait-il pas aujourd'hui faire en sorte qu'il y ait une vraie circulation, y compris au niveau de la haute fonction publique d'État, qui entretient malgré tout une mesure de méfiance vis-à-vis des collectivités locales, et forcer un peu la main pour rompre la barrière ?
M. Jean-Luc BOEUF. - Les passerelles commencent à exister dans les fonctions publiques locales.
Un autre élément pour ne pas être uniquement un pourfendeur de l'État, face à une intervention concernant le maintien du nombre des fonctionnaires d'État avec une diminution des compétences de l'État : il faut un peu d'honnêteté intellectuelle pour dire que, face aux contraintes qui pèsent sur l'État, notamment en termes d'environnement, de sécurité avec tous les sens que ce mot regroupe, les normes et les contraintes obligent l'État à repositionner son appareil administratif au niveau local et à faire des choses qu'il ne faisait pas il y a cinq, dix ou quinze ans et qui mobilisent des collaborateurs.
Un exemple très concret : les cadres A des préfectures de département et de région sont de plus en plus mobilisés vers ces contraintes et ces compétences de sécurité et d'environnement.
Cela doit être dit, afin d'atténuer le fait que l'État, ayant moins de compétences, a quand même beaucoup de contraintes.
Emmanuel KESSLER. - Les départements ont le plus grand mal à obtenir des transferts de personnel, notamment des cadres A de l'État vers les collectivités locales.
M. Louis de BROISSIA. - C'est vrai. La réforme de la fonction publique territoriale en préparation apportera de vraies réponses.
Il serait trop long de parler dans chacun de nos départements, mais des discussions ubuesques ont lieu en ce moment avec les Préfet, le directeur régional de l'équipement et les syndicats sur le transfert des personnels de l'équipement. Les ingénieurs qui travaillent sur les routes nationales ne s'occupaient comme par hasard que des tronçons qui demeurent de la compétence de l'État. Cette anecdote révèle l'état d'esprit de l'administration de l'État quant à la mise en œuvre de la décentralisation.
Je souhaite noter que l'appareil de l'État est visiblement tendu. Il est vrai qu'on a demandé beaucoup d'efforts à nos fonctionnaires. En fait, l'État a beaucoup changé. Par exemple, il ne s'occupait pas de l'emploi il y a vingt ans, alors qu'il est mobilisé maintenant sur ce sujet.
De même, nos fonctionnaires territoriaux sont un peu épuisés. On leur demande tellement de choses. Des textes nouveaux leur tombent dessus toutes les semaines. D'où le sentiment qu'une respiration serait bénéfique. La fonction publique territoriale vit dans un esprit d'efficacité, d'évaluation, de programmation. Elle a besoin de prendre le temps d'y voir clair.
Au moment de la bascule des générations, où l'on va beaucoup recruter, il ne faut pas décourager ceux qui souhaitent la rejoindre. Nous avons besoin d'eux.
Mme Mireille CELLIER. - Je voulais simplement revenir sur les propos contenus des maires qui ont pris la parole, que je partage pour la plupart.
Je voudrais que l'on se recentre sur les responsabilités du maire. Je relève des termes comme "de plus en plus de complexité" ou "lenteur". Un maire disait tout à l'heure qu'il a présenté un dossier à l'ANRU il y a un an et qu'il ne sait toujours pas ce qu'il va faire d'un îlot en attente de réhabilitation au cœur du secteur sauvegardé de la ville.
Quelque part, les électeurs, les voisins, les associations avec qui nous avons travaillé posent des questions et je suis incapable de dire ce que nous allons faire.
Après avoir motivé ces personnes durant trois ou quatre mois, après les avoir harcelées pour qu'elles comprennent avec moi la position qu'il fallait adopter ensemble, nous nous retrouvons confrontés à des problèmes d'attente.
Se pose également le problème juridique : j'ai la chance d'être dans une ville de 15 000 habitants et d'avoir un conseil à la mairie, mais je me mets à la place des maires de plus petites communes qui sont obligés de se débrouiller seuls. Heureusement que l'Amicale des maires de France est là pour les soutenir et les encourager, sinon, j'imagine le découragement qui s'installe.
Lorsque l'on parle de sécurité, c'est au sens large : sécurité routière, lutte contre la délinquance et la criminalité et sécurité dans l'environnement.
La ville de Beaucaire, comme la plupart des villes du bord du Rhône, est marquée par les inondations, car nous sommes dans un secteur où les risques d'inondabilité sont très importants. Nous avons également des risques industriels, avec deux ou trois usines classées "Seveso" autour de nous.
Le maire est au cœur de tous ces dispositifs avec des responsabilités et des prises de décision pas toujours faciles.
Emmanuel KESSLER. - Pour conclure et être dans l'actualité, vous êtes dans une commune à Beaucaire avec des zones sensibles, difficiles. Que vous inspire la flambée de violence à laquelle on assiste dans les banlieues et qui, selon vous, doit répondre le plus possible à cette crise ? Le maire, l'État, les associations, les entreprises ?
Mme Mireille CELLIER. - Dans un premier temps, une réflexion tout à fait personnelle : je ne voudrais pas être le maire qui est en train de subir dans sa ville ce genre d'actions. Nous avons connu ce genre de problème à Beaucaire, avec des flambées de violence dans les années 1983, 1985 et 1988, ce qui nous a valu d'être classés en zone de redynamisation urbaine, « Développement Social des Quartiers » (DSQ) à l'époque.
Emmanuel KESSLER. - On a donc mis des moyens.
Mme Mireille CELLIER. - Oui, mais pas toujours des moyens allant dans le sens de ce que souhaitait le maire : il souhaitait une démolition d'immeubles pour aérer, assainir et voulait mettre en place des associations plus structurelles que cultuelles ou culturelles, mais cela a été refusé.
Il a donc fallu composer avec beaucoup de patience, nous avons pu contenir un peu la situation et, aujourd'hui, la ville de Beaucaire vit une période beaucoup plus calme, car nous avons pu dialoguer avec certaines associations.
Qui est responsable, qui devrait se sentir responsable ou qui a la responsabilité de ce genre de situation que vous connaissez dans la Région parisienne en particulier ? Je crois que nous sommes tous responsables, à quelque niveau que ce soit, de la part de l'élu local, sur le terrain, car c'est lui qui connaît le mieux ces quartiers, mais également tous les échelons de ce qui peut toucher cette population en déshérence.
Nous avons vraiment besoin d'efforts constants, pour aller à l'encontre de ce genre de situation.
Emmanuel KESSLER. - Jacques Pélissard, votre analyse de ce genre de problème.
M. Jacques PELISSARD. - C'est un triptyque : il y a un rôle essentiel de prévention, ce que nous faisons chaque jour, à titre personnel, à travers les associations et les services municipaux.
Ensuite, il y a une action d'interpellation par la police qui, à mon sens, doit être de la compétence de l'État. Je ne suis pas un fanatique de la police municipale, mais c'est à l'État d'assurer ce rôle totalement régalien.
Dernier élément du triptyque, souvent un peu tardif : la partie sanction judiciaire. On a souvent un temps de latence extrêmement long entre la constatation des faits et la sanction, ce qui nuit à l'exemplarité de la peine.
C'est bien le triptyque qui donne à l'ensemble sa cohérence et sa globalité.
Emmanuel KESSLER. - Est-ce que l'argent mis dans les quartiers depuis vingt ans est utile ou l'a-t-on mal utilisé ?
M. Jacques PELISSARD. - C'est utile, mais on l'a souvent mal évalué. Toute la politique qui a été conduite avec les DSQ et, aujourd'hui, les contrats de ville, avec un vrai partenariat entre l'État et les communes, va dans le sens d'une prévention efficace. Encore faut-il une vraie volonté politique pour porter ces actions.
Mme Mireille CELLIER. - Je crois que le partenariat est indispensable entre la police, la justice et le maire pour avancer, ainsi qu'avec les associations de quartier. Nul ne sait si l'argent que l'on a mis dans ce genre d'action est profitable. Cela aurait-il été pire si on ne l'avait pas fait ?
M. Jacques PELISSARD. - Il faut conduire un partenariat au quotidien. Il ne faut pas une grande messe du conseil communal de sécurité intérieure et de lutte contre la délinquance, avec cinquante personnes, dont beaucoup de représentants de l'État tous les trimestres, mais, au contraire, toutes les semaines, une cellule qui associe les partenaires sociaux, les bailleurs sociaux, les assistants et travailleurs sociaux, la police et la gendarmerie, avec un suivi précis.
Emmanuel KESSLER. - Nous vous remercions pour vos propos qui alimentent nos débats.
Emmanuel KESSLER. - Comment l'élu local, moteur de la décentralisation, peut-il être l'animateur du développement du territoire ?
Nous accueillons :
§ Jacqueline Gourault , première vice-présidente de l'Association des maires de France, sénatrice centriste UDF du Loir-et-Cher et vice-présidente du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation.
§ Jean-Pierre Guillon , chef d'entreprise, président du MEDEF Nord Pas-de-Calais et président d'Entreprises et Cités.
§ Jean-Louis Cazaubon , secrétaire-adjoint du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture, maire de Poueyferré, une petite commune dans les Hautes-Pyrénées, et agriculteur.
M. Jean-Pierre GUILLON, Président de « Entreprises et Cités »
Ma simple présence ici, en réponse à l'invitation du sénateur Puech, est le signe de l'intérêt que je porte à ce débat.
Je pourrais apparaître un peu marginal par rapport à la question, en tant que chef d'entreprise ; et pourtant, c'est un débat auquel je suis confronté chaque jour.
Nous devons aborder ce problème en replaçant la société française dans son contexte mondial, et ouvrir les fenêtres du regard sur ce qui est en train de se passer.
Je ne vais pas vous parler de la mondialisation, bien qu'il y ait beaucoup à dire sur l'écart, en France, entre le discours sur ce phénomène et sa transposition dans les actes, ce qui crée cet état d'esprit de sinistrose.
Le temps politique n'est plus le temps de l'économique, et l'économique n'a pas choisi son temps : il le subit par l'intermédiaire du consommateur. Il ne faut pas oublier que le citoyen est aussi consommateur et qu'en tant que tel, il n'a pas tout à fait les mêmes valeurs qu'en tant que citoyen.
L'entreprise est prise dans cette contradiction : elle a tendance à privilégier son positionnement sur le marché, là où nous lui disons que le marché n'est que la somme des décisions des consommateurs, qui sont également des citoyens. On est donc obligé de se préoccuper de l'entreprise dans la société.
Non seulement le temps du politique n'est plus le temps de l'économique, mais les processus mis en œuvre ne sont plus de la même nature. La dématérialisation de l'ensemble des économies modernes, la volatilité de la valeur ajoutée nous conduit à nous préoccuper de l'attractivité de nos territoires, à construire une culture de développement.
L'ensemble des débats auxquels nous assistons aujourd'hui porte sur la performance de nos processus économiques et sociaux, que nous ne pouvons que comparer à la performance des sociétés concurrentes.
Aujourd'hui, dans la société française, les élus, les entreprises, les citoyens qui souhaitent faire aboutir un projet doivent fournir une énergie anormalement importante.
Ceci provient des blocages de notre société, qui est souvent plus compliquée que véritablement complexe.
Un exemple : les pôles de compétitivité. Voilà une ingénierie géniale, moderne, très intéressante, inventée par l'État, et innovante à plus d'un titre :
Premièrement, elle implique de faire des choix entre les activités à soutenir.
Deuxièmement, elle allie innovation, recherche, formation, activité innovante dans un territoire donné et, par rapport aux activités de ce territoire, apporte des moyens.
Formidable mobilisation de la société française et des acteurs, puisque je vous rappelle que le gouvernement ne prévoyait qu'une dizaine de pôles de compétitivité. J'ai eu des contacts avec un certain nombre de ministres qui me disaient que l'on manquait de moyens et que l'on en aurait très peu. En réalité, on est arrivé à 67 pôles de compétitivité. Nous avons eu des partenariats extrêmement forts entre universités, etc. J'ai tenu environ 200 réunions sur ce sujet, j'ai travaillé sur six pôles de compétitivité pour le Nord Pas-de-Calais et l'État a eu un rôle extrêmement positif dans sa représentation territoriale, auprès des universitaires et des représentants du monde l'entreprise.
Une fois les pôles agréés, nous passons à la remontée des contraintes : comment allons-nous structurer les pôles de compétitivité ?
Nous avons mobilisé, par exemple, les entreprises autour d'un pôle de compétitivité sur la distributique, c'est-à-dire sur le lien entre les activités de distribution et l'informatique. Je n'ose plus réunir l'ensemble des entreprises par rapport au problème que je traite, car je ne peux plus leur expliquer les problématiques de gouvernance que l'on est en train d'affronter pour mettre en place cette ingénierie pourtant formidable des pôles de compétitivité. C'est en train de devenir extraordinairement compliqué.
Troisièmement, si je veux aller plus loin dans les pôles de compétitivité en durée, alors que je partage cette stratégie, il va bien falloir que je puisse travailler avec l'université beaucoup plus qu'elle ne peut le faire. Le système dans lequel elle se développe est celui de l'Education nationale. En conséquence, les enseignements qu'elle mettra en œuvre dans nos régions ne seront pas corollaires des entreprises qui y sont.
J'ai besoin, pour mon pôle de compétitivité, que l'université ait la capacité, ce qui est la volonté de son président, de s'investir sur les activités phares que nous avons dans le pôle.
Emmanuel KESSLER. - C'est un problème d'autonomie.
M. Jean-Pierre GUILLON. - Par rapport à la marge de manoeuvre de l'université, vous êtes tout de suite confrontés au problème de l'autonomie de l'université et nous ne pourrons pas aller très loin dans ce processus sans cette autonomie, c'est-à-dire la capacité des universitaires à s'organiser en fonction du pôle de compétitivité dans lequel ils doivent développer des diplômes, de la recherche, etc.
Formidable ingénierie qui a besoin de processus adaptés et ces derniers m'échappent complètement ; ce sont eux précisément qui sont l'objet du débat d'aujourd'hui.
Emmanuel KESSLER. - C'est très intéressant et je pense que nous pourrons revenir sur cette idée avec un projet visiblement très mobilisateur qui a permis à beaucoup de personnes de discuter.
M. Jean-Pierre GUILLON. - Je coordonne pour le MEDEF toutes les régions françaises. Formidable mobilisation ! Les pôles de compétitivité ont révélé une formidable énergie des acteurs de toute nature.
Emmanuel KESSLER. - Même pour ceux qui n'avaient pas l'habitude.
M. Jean-Pierre GUILLON. - J'ai rendu hommage aux services de l'État représentés et, immédiatement, la machine revient en boomerang.
Emmanuel KESSLER. - Aujourd'hui, vous n'êtes pas certain que l'on pourra maintenir ce niveau d'énergie, en raison des lourdeurs administratives...
M. Jean-Pierre GUILLON. - Le temps du politique n'est plus le temps de l'économique.
Emmanuel KESSLER. - Jean-Louis Cazaubon, avez-vous également l'impression qu'il y a une forme de décalage ou de frein, quand bien même il y aurait des volontés de fédérer ensemble des fonctions et des acteurs différents ?
M. Jean-Louis CAZAUBON, Secrétaire-adjoint du bureau de l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA)
Je reprends un peu ce qui a été dit ce matin à plusieurs reprises au niveau de la décentralisation : il ne faut pas qu'elle soit sélective, en ne transférant que les choses que l'on ne souhaite pas garder et en transférant à la charge des élus locaux.
Je suis élu à deux titres : élu consulaire, puisque président de la Chambre d'agriculture des Hautes-Pyrénées et de la Régionale Midi-Pyrénées et maire d'une commune de 1 000 habitants.
Lorsque, dans le thème, on parle de l'élu local, moteur de la décentralisation, il existe différents catégories d'élus locaux.
Le maire d'une commune de 500 habitants et le président du Conseil général ou du Conseil régional n'ont pas le même statut, les mêmes responsabilités ni les mêmes pouvoirs. Si vous interrogez le maire de la commune de 500 habitants, il a l'impression que le président du Conseil régional recentralise. C'est un débat sans fin.
En revanche, il y a de bonnes choses au niveau de la décentralisation et elles ont été soulignées ce matin ; il est vrai que, lorsque le président du Conseil régional a, dans sa ville, un lycée qui périclite et a besoin d'être rénové, il le fait et cela se faisait peut-être moins vite et moins bien quand c'était de la responsabilité de l'État.
Je souhaiterais également, peut-être par rapport à ma casquette d'élu consulaire, une plus grande collaboration entre les élus locaux et les élus consulaires ; les organismes consulaires comportent des services que l'on peut mettre à disposition des élus locaux. Bien entendu, une chambre d'agriculture, ce n'est pas aussi ronflant que Cap Gemini ou KPMG et c'est vrai pour les Chambres de commerce, mais il y a des compétences dans nos organismes à la disposition des élus et on ne collabore pas assez.
Emmanuel KESSLER. - Par exemple ?
M. Jean-Louis CAZAUBON. - Tout ce qui est station d'épuration, déchets, même urbanisme par rapport à l'enjeu que constitue la maîtrise du foncier dans certaines zones périurbaines ou les zones de montagne ; il y a des collaborations à mettre en place.
Un aparté par rapport au statut de maire : il est vrai que l'élu local est le moteur de la décentralisation et du développement. On entend les maires se plaindre et, dans deux ans, pratiquement tous vont se représenter.
Notre société s'américanise : le promeneur du dimanche qui fait du VTT tombe dans un nid de poule, il veut faire payer son vélo. Nous vivons mal la responsabilité des maires, mais c'est aussi un sacerdoce. Je ne connais pas d'évêques qui veulent revenir au simple rang de curés et c'est vrai pour les maires.
Emmanuel KESSLER. - Et c'est vrai pour vous.
M. Jean-Louis CAZAUBON. - Oui.
Emmanuel KESSLER. - Jacqueline Gourault, une réflexion a été formulée par Jean-Pierre Guillon, que l'on retrouve en filigrane dans le propos qui vient d'être tenu : il y aurait une forme de décalage entre le temps de la mise en œuvre des décisions politiques et le besoin de la société ou de l'économie.
Ressentez-vous cela en tant qu'élue ?
Mme Jacqueline GOURAULT, Sénateur de Loir-et-Cher, première vice-président de l'Association des maires de France, vice-président du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation
Je vais essayer d'exprimer le plus clairement possible les réactions suscitées par votre intervention.
D'abord, vous avez su montrer quelque chose de très positif : l'extraordinaire capacité d'énergie et d'inventivité qu'il y a en France, d'entrepreneurs, etc. Il est bien de le rappeler, car, en ces temps où la sinistrose est plutôt de mise, il faut rappeler qu'il existe de formidables potentialités.
Vous avez dit que le temps du politique n'est plus le temps de l'économique. Je ne voudrais pas vous contredire, car je crois que c'est assez vrai, mais défendre le politique.
Le politique a souvent conscience de ce décalage. Cela revient à la question de fond : qui fait quoi et avec quels moyens ?
Lorsque l'on a lancé les pôles de compétitivité, est-ce que nous savions bien où nous allions ? Avions-nous bien mesuré tout ce qu'il fallait mettre en œuvre, tous les moyens qu'il fallait mettre à disposition et toute la liberté qu'il fallait laisser à tous les partenaires ?
Vous avez également évoqué la capacité de l'État de choisir.
Vous avez précisé vous-mêmes que, au début, il devait y avoir un nombre limité de pôles de compétitivité et, finalement, on s'est retrouvé avec 67 pôles de compétitivité. Pourquoi ?
Il faut avoir le courage de le constater : il a fallu satisfaire un certain nombre d'élus ici ou là et on a sacrifié une espèce de souhait des élus locaux à une véritable pertinence de choix qu'il aurait fallu faire.
Il est clair que les choses ne sont pas toujours faciles et que le Gouvernement a toujours des choix cornéliens à faire, mais, en même temps, que font l'État et les collectivités locales et, plus loin, le Conseil général et le Conseil régional ?
Au fond, c'est la mission et les compétences de chacun. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître que nous sommes dans une organisation où tout le monde fait un peu tout.
Quelqu'un a évoqué tout à l'heure le rôle de chef de file de la région en matière économique, mais vous savez combien aussi les départements sont attachés à leur rôle dans le développement économique. Lorsqu'il a été discuté de cette mission de chef de file pour les régions, on a vu que ceux qui se sont battus pour conserver une mission étaient les présidents de Conseils généraux.
Les intercommunalités sont très importantes et se sont développées. Quel est le rôle d'une agglomération aujourd'hui dans un département ? Quels sont les rôles des communautés de communes.
Vous savez bien que l'on fait essentiellement vivre les communautés de communes et d'agglomération sur la ressource de la taxe professionnelle. Si on leur donne comme ressource essentielle la taxe professionnelle, cela signifie qu'on leur donne aussi, je l'espère, une mission de développement économique ; d'ailleurs, c'est une des missions obligatoires de l'intercommunalité, le pilier central.
Au fond, vous vous apercevez que de multiples acteurs s'occupent du développement économique et cela ne m'étonne pas que les organisations professionnelles, syndicales, etc. aient en face d'elles beaucoup de partenaires et que l'on ne sache pas qui fait quoi.
Vous avez utilisé le mot "gouvernance" et c'est un vrai sujet auquel nous devons réfléchir, sans parler de la transformation absolument fantastique que l'intercommunalité est en train de faire sur la géographie des départements. Comment superpose-t-on les communautés de communes et les cantons ?
Tout cela est un vrai sujet de gouvernance territoriale auquel il faut naturellement bien réfléchir.
Emmanuel KESSLER. - Il faut aussi avoir la franchise de dire que, jusqu'à présent, on a empilé, rajouté et on n'a jamais supprimé, donc, le mouvement n'ira pas sans doute vers la simplification.
Mme Jacqueline GOURAULT. - Il est un peu facile de dire que l'on a empilé. L'intercommunalité, ce n'est pas un mouvement supplémentaire, mais réfléchi et longtemps pensé, avec de longues hésitations en France. On a fait l'intercommunalité pour essayer de résoudre des problèmes qu'un certain nombre de communes seules ne pouvait pas résoudre
On ne peut pas affirmer que c'est un échelon supplémentaire, surtout si l'on considère, comme moi, commune et intercommunalité comme un seul échelon.
Il est assez facile de critiquer l'intercommunalité. Cela me fait penser à ce que l'on disait de la part de l'Europe ; on disait, au niveau de l'État français : "Ce n'est pas nous qui imposons cela, c'est l'Europe", mais qui siégeait à l'Europe, sinon des représentants du Gouvernement et de l'État français ?
Dans l'intercommunalité siègent les représentants locaux et les représentants des mairies.
Tout cela, pour moi, ne fait qu'un et il faut bien mesurer notre responsabilité chacun où nos sommes.
En revanche, il faut éviter de compliquer la vision des choses en intercalant des périmètres qui sont dénaturés par l'action. Prenons les pays :
D'abord, il faut noter l'extrême diversité des pays en France. Dans la région Centre, des pays sont nés par la volonté de la région, c'est-à-dire que c'est à partir de la région que les pays se sont structurés et des fonds régionaux les font vivre.
Je me suis déplacée sur le terrain, en Bretagne, au pays de Fougère ou de Redon, où vous avez une autre conception du pays : un pays espace de projets, composé d'intercommunalités, mais avec des élus qui ont compris que la réalisation des projets se faisait ensuite dans les collectivités territoriales.
Lorsque des pays veulent s'intercaler entre les communes, les intercommunalités et la région, cela ne va plus du tout.
Il faut effectivement que les espaces gardent les vocations pour lesquelles ils ont été créés.
Ceci dit, il est vrai que c'est compliqué, si vous avez des pays imaginés par M. Pasqua, par Mme Voynet, etc. et il y a une simplification à faire.
M. Jean-Louis CAZAUBON. - Sur cet empilement des structures, notamment dans les territoires ruraux, on a les SIVOM, les SIVU, les syndicats mixtes, les syndicats d'ordures ménagères et vous avez raison de dire que l'on a rien supprimé. Le débat porte sur le fait que les compétences de beaucoup de structures sont couvertes par les communautés de communes.
Je veux m'arrêter un instant sur l'intercommunalité et les bienfaits qu'elle apporte. Tout à l'heure, on a précisé que les premières intercommunalités qui se sont créées ont bénéficié de plus d'avantages qu'aujourd'hui mais, évidemment, le gâteau est resté le même et il est partagé par plus de convives, donc l'intérêt financier est moindre.
En revanche, dans le rôle de l'élu local, il y a une concurrence entre maires du même département, du même périmètre, pour aller chercher les entreprises, qu'elles soient commerciales ou industrielles, pour les installer sur le territoire. Il y avait cette espèce de compétitivité, de surenchère à la baisse.
Aujourd'hui, en traitant cela au niveau de l'intercommunalité, une commune de 1 000 habitants ne peut faire qu'une zone artisanale, mais elle ne peut pas équiper une zone d'activité telle que la demandent des porteurs de projets et l'on est obligé de se mettre à plusieurs si l'on veut être efficace pour équiper cette zone.
Cela évite aussi le nomadisme des entreprises au niveau du département, de la micro-région.
Evidemment, il repose de sacrées responsabilités sur les épaules des élus qui siègent dans les intercommunalités. Lorsqu'un entrepreneur vient vous voir et vous dit : "J'ai 80 emplois, je veux passer à 120. On me loue telle surface en atelier et je souhaite que vous fassiez la même chose, sinon je passe dans le département voisin où l'on m'offre cette possibilité", c'est l'élu qui porte le risque industriel et je parle d'un cas concret : je ne sais pas si, dans deux ans, l'entrepreneur en question pourra peut-être s'expatrier en Chine et nous laisser avec l'investissement réalisé. D'un autre côté, si on ne le fait pas, je me dis que l'on va faillir à notre tâche.
Ce problème nous est posé à tous. En revanche, l'intercommunalité a du bon de ce côté.
Emmanuel KESSLER. - Jean-Pierre Guillon, on parle de la décentralisation et de ses effets pour le développement économique. Vous évoquiez tout à l'heure un décalage entre le temps économique et le temps politico-administratif.
Ce décalage est-il dû à la complexité de cette décentralisation, aux lourdeurs de l'administration d'État ? Déplorez-vous d'avoir de multiples interlocuteurs que ce soient les régions, les départements et, maintenant, les intercommunalités ? Dans la complexité du débat, y a-t-il un frein ?
M. Jean-Pierre GUILLON. - Oui, c'est certain, il y a un frein beaucoup plus grave que la superposition des échelons : l'absence de stratégies communes. Si nous n'en avons pas, personne ne trouve sa place.
Je ne critique pas le monde politique, vous vous êtes trompé sur mon intention, je dis simplement que nous sommes collectivement en difficulté : il y a un décalage entre l'analyse de notre positionnement dans la mondialisation et le fait de s'arrêter, de changer de chapitre et de dire : "Si l'on regardait nos affaires entre nous".
Non, nous sommes obligés de suivre le rythme des événements, et la remise en cause est considérable.
Je vous donne un exemple : j'ai lancé il y a dix ans la candidature de Lille aux Jeux olympiques, un rêve complètement fou, en décalage entre la réalité sur laquelle nous étions construits et la capacité réelle de réaliser l'événement Jeux olympiques.
Pourquoi l'ai-je fait ? Simplement pour donner une stratégie, regarder comment nous allions nous comporter collectivement sur mon territoire par rapport à cette stratégie.
Qu'ai-je découvert ?
Premièrement, à ma stupéfaction, j'ai eu la candidature française aux Jeux olympiques, ce que je n'aurais jamais imaginé ; donc, il faut oser pour entreprendre.
Deuxièmement, une fois que j'ai eu cette candidature, j'ai vu les départements, les communes, l'agglomération, la communauté urbaine se mettre en mouvement sur un schéma virtuel qui est : "Nous allons tout changer, car nous allons avoir les Jeux olympiques" ; les autoroutes changeaient de sens, le village des journalistes, celui des athlètes, tout le monde parlait d'un schéma de développement complètement virtuel, pour aboutir finalement à : "On n'a pas eu les Jeux olympiques, mais nous avons regardé autrement tous ensemble ce que nous pourrions faire sur un grand projet".
J'ai recommencé quelques années plus tard en lançant Lille, Capitale culturelle de l'Europe. J'ai pris un collaborateur pendant deux ans, puis nous avons eu la candidature. Je ne suis pas légitime pour gérer cette candidature, donc je l'ai transférée à la municipalité de Lille et à la communauté urbaine. Pendant trois ans, nous avons fait converger les départements, l'ensemble de toutes ces structures sur un projet grandiose, puisque nous avons eu 9 millions de visiteurs.
De quoi nous apercevons-nous en faisant cela ?
Nous partageons d'un seul coup des tas de choses que nous n'aurions pas partagées autrement. Si je dis à Pierre Mauroy que nous manquons cruellement de 3 et 4 étoiles, il voit le monde autrement que moi ; mais quand, globalement, dans l'évènement donné, on commence à nous dire : "Vous aurez du mal à vous faire élire, car vos concurrents ont dix fois plus de capacités d'hôtellerie", on fait exploser le marché 3 et 4 étoiles sur l'agglomération.
Pourquoi ? Parce que nous faisons converger par un projet, alors que, autrement, nous écrivons le premier chapitre d'un livre et nous dépêchons de l'oublier pour aller dans nos problèmes de pouvoir. Nos problèmes de pouvoir doivent être au service de notre objectif de développement et c'est là où nous avons un vrai problème stratégique.
Mme Jacqueline GOURAULT. - En vous écoutant parler, je me demande si l'on n'a pas un problème de cloisonnement de la société française trop important.
Je vais vous faire part de quelques expériences à la fois positives et négatives et de quelques réflexions.
Je vois actuellement dans mon département du Loir-et-Cher quelques petits problèmes avec la Chambre de commerce et d'industrie. Quels sont ces problèmes ?
Ils consistent à dire : nous connaissons le développement économique, nous sommes des chefs d'entreprise, mais vous êtes des élus, donc vous ne connaissez rien au développement de l'entreprise. C'est un postulat qui est posé, même si nous, élus, nous avons une vie. Monsieur est élu, il est président de la Chambre d'agriculture.
J'ai été professeur d'histoire géographique, ce qui n'arrange pas mon matricule pour l'économie, mais je suis mariée avec un chef d'entreprise, donc cela rattrape un peu. Je suis fille de commerçant, j'ai été élevée dans ce milieu et je ne dis pas que je connais bien l'entreprise au même titre qu'un chef d'entreprise, mais j'ai quelques notions, comme je crois, en vous écoutant parler, que vous avez des notions d'aménagement du territoire, de démocratie, etc.
On est dans un monde où l'on cloisonne, on met les gens dans des cases et on ne s'écoute pas entre cases.
Concernant la démocratie participative, vous avez dit tout à l'heure que les élus n'utilisent peut-être pas les services des Chambres d'agriculture, etc.
En France, il existe la mode de la démocratie participative, mais il faut faire attention et je vais être peut-être brutale : on a tendance à mettre le premier individu seul dans son coin à revendiquer quelque chose dans l'affaire de démocratie participative et on oublie tous les corps intermédiaires qui, en France, ont petit à petit disparu et qui représentent les syndicats.
Il faut faire attention aussi en France, lorsque l'on parle de démocratie participative, à bien faire participer les personnes qui ne représentent pas que leur intérêt personnel, mais qui représentent au moins une communauté, un corps.
Vous avez raison, lorsque vous avez donné les exemples : ce n'est que sur les projets que les choses se fédèrent et je crois que l'une des grandes vertus de l'intercommunalité à laquelle je crois profondément est le fait de mettre des personnes ensemble, sur un même bassin de ville, à partir du moment où l'intercommunalité s'est construite sur un vraie bassin de ville.
A partir du moment où c'est sur un périmètre pertinent, on rassemble dans un même bassin de vie des personnes qui travaillaient isolément, qui peuvent travailler sur un projet et qui, en plus, font travailler ensemble des gens n'ayant pas toujours la même sensibilité, mais tous élus du suffrage universel et qui, en se mettant les uns à côté des autres, s'aperçoivent qu'ils ont beaucoup de points communs, que les grandes idéologies dans lesquelles on veut nous entretenir sont parfois dépassées et qu'il faut faire preuve de pragmatisme auprès de tous les acteurs.
Emmanuel KESSLER. - Jean-Pierre Guillon, une critique vous est renvoyée sur le fait que le monde de l'entreprise a parfois une certaine condescendance vis-à-vis des élus. On pourrait également vous mettre face à la contradiction selon laquelle le MEDEF a fait un lobbying forcené pour qu'il y ait de moins en moins de taxes professionnelles, mais, avec la dernière réforme, vous asséchez le levier de développement de l'intercommunalité qui est chargé de permettre le développement économique pour attirer les entreprises.
Enfin, vous disiez qu'il faut des projets fédérateurs ; aujourd'hui, il y a en un, c'est celui de l'emploi. Comment voyez-vous concrètement déclinée, dans une France décentralisée, une mobilisation au niveau territorial pour l'emploi ?
M. Jean-Pierre GUILLON. - Je réponds à Madame sur le problème des chefs d'entreprise : ils ont aussi leur culture et cela fait également partie de la société française.
Ce qui compte est moins le projet que le regard sur celui-ci. Le problème est le regard commun que l'on a. Nous avons des problèmes culturels et je partage votre analyse sur le cloisonnement de la société française. Nous devons travailler à décloisonner les milieux les uns par rapport aux autres et ne pas penser que des milieux seraient plus ou moins exposés dans la société : nous sommes tous confrontés aux mêmes types de problèmes.
Nous faisons une analyse des problématiques nouvelles du monde. Prenons cet exemple du développement en réseaux où l'on demande si c'est à la Région, au Département, etc. ? C'est le pigeon voyageur par rapport au satellite, lorsque toutes les administrations vont être confrontées à l'introduction de l'autonomie des systèmes informatifs, c'est-à-dire la micro-informatique comme mode de transformation de la relation institutionnelle. Cela peut paraître un peu théorique, mais imaginez que, demain, chaque professeur de l'Education nationale soit muni d'un équipement autonome en micro-informatique : il n'y aurait pas besoin de la réforme de l'Education nationale, elle serait faite - puisque tous les circuits d'information et tous les produits donnés ne pourraient plus être centralisés.
Nous sommes tous confrontés à cela.
Monsieur, vous parliez du phénomène de délocalisation, d'investissement public par rapport à la durée de vie de l'investisseur. D'abord, l'entreprise ne souhaiterait qu'une seule chose : que l'on puisse lui garantir ses clients, mais, comme ce n'est pas possible, elle ne peut pas garantir grand-chose et cela pose des problèmes dans tous les sens, des acteurs les uns par rapport aux autres.
Emmanuel KESSLER. - Il y avait plusieurs aspects, comme la relation entre les différents acteurs que vous souhaitez voir se renforcer, au niveau de projets fédérateurs, par exemple sur la thématique capitale de l'emploi.
Jean-Pierre GUILLON . - Avant, je souhaiterais revenir sur le problème de la dématérialisation : l'entreprise, dans la pression qu'elle subit du client sur la compétitivité de ses produits et la concurrence internationale dans laquelle elle est, va faire exactement l'inverse de ce que l'on faisait.
Dans le théâtre classique, on disait qu'il y avait une unité de temps, une unité de lieu et une unité d'action. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas dans l'entreprise, car elle se dématérialise, se déconsolide et devient un système qui se répartit avec le risque monumental pour les élus qu'elle ne soit plus qu'un utilisateur de prestations de service et qu'elle dise : "C'est bon, je prends, ce n'est pas bon, je vais ailleurs".
Je vous parlais du pôle de compétitivité : de nombreuses entreprises sont dans un système international et procèdent à des recherches avec une université suédoise par leur filiale.
Ce sont les réseaux. Nous ne pouvons pas regarder se développer indirectement ces réseaux sans immédiatement réagir : comment, sur les territoires, restons-nous attracteurs, donc plus intéressants que d'autres ?
Lorsque j'attaque la taxe professionnelle, il ne s'agit pas d'empêcher les collectivités locales d'investir, puisque je propose des projets, mais étudions ce que signifie "partenariat public privé". Allez voir ce qui se fait à Manchester, etc., dans toutes ces zones où se développent d'autres façons de procéder.
Au-delà des problèmes de superposition, ce sont nos cultures communes, nos visions communes et nos processus qui sont en jeu.
Dernière question sur l'emploi : dans le Nord Pas-de-Calais, 600 000 emplois ont été convertis en vingt-cinq ans.
Aujourd'hui, nous retrouvons des taux de conversion que nous ne connaissions plus depuis plus de dix ans, avec les crises successives des bassins d'emploi.
Au niveau des collectivités, le problème de l'emploi est posé, nous concernant, dans un total partenariat. Je suis favorable à une expression nouvelle du paritarisme qui doit être basée sur la culture économique du syndicalisme français, c'est-à-dire en fournissant des efforts colossaux pour que notre syndicalisme nous accompagne sur les problématiques économiques, et à ce que, sur les territoires, nous puisons contractualiser à trois : collectivités locales, syndicats, entreprises.
Actuellement, nous sommes dans un monde dans lequel nous ne contractualisons plus rien. La contractualisation, c'est pour l'étage du dessus. Je discute avec des interlocuteurs syndicaux, des collectivités locales, mais je les renvoie à l'étage supérieur. Je suis pour le dialogue social territorial, afin que, sur les territoires, nous ayons des contractualisations au-delà des compétences des professions sur ce qui intéresse directement les territoires par rapport aux activités données et je considère que les collectivités locales doivent s'intégrer en tant que partenaires. Il existe des outils, toute une série de choses que nous développons...
Emmanuel KESSLER. - En matière de formation ?
M. Jean-Pierre GUILLON. - Pour tout. Je n'ai pas compris pourquoi, en France, nous avons laissé tomber les contrats d'objectif avec les régions ; je suis pour, mais, pour cela, il faut déjà monter au niveau régional, puisque les contrats d'objectif ne peuvent pas se faire à partir de la commune.
Emmanuel KESSLER. - Il y a une place pour une responsabilité décentralisée partenaire...
M. Jean-Pierre GUILLON. - Aujourd'hui, nous sommes tous tétanisés par l'échelon central : les syndicats de salariés, le MEDEF et de nombreuses collectivités.
Deuxième point sur les problèmes de l'emploi : la culture de démassification.
Aujourd'hui, nous sommes dans un monde devenu extrêmement complexe et il faut démassifier l'ensemble des problèmes. Des personnes, avec un très court accompagnement, sont capables de retrouver un emploi, ainsi que d'autres avec un handicap majeur lorsque survient un licenciement économique.
Nous avons des outils de reclassement puissants, puisque je reclasse environ 2 000 personnes en accompagnement individuel. Lorsque nous analysons individuellement, nous avons des ingénieurs, avec lesquels nous n'aurons pas de grandes difficultés, et environ 25 % d'illettrés.
Evidemment, si vous prenez une personne de 45 ans avec des problèmes d'illettrisme, son reclassement n'a rien à voir avec quelqu'un présentant des handicaps comportementaux ou fondamentaux. Le vrai problème de notre action collective est qu'il faut arrêter de conceptualiser pour individualiser nos actions à partir de contrats collectifs sur le suivi des personnes, leur accompagnement et leur capacité.
M. Jean-Louis CAZAUBON. - Je souhaitais revenir sur le cloisonnement, un fléau que l'on retrouve à tous les niveaux : un cloisonnement entre les activités économiques, on ne se connaît pas les uns les autres, les routes sont parallèles et c'est également vrai au niveau des élus.
En Midi-Pyrénées, l'agriculture et l'agroalimentaire représentent 105 000 emplois et c'est encore le premier secteur employeur de main d'œuvre. Pourtant, nous avons l'aéronautique et Airbus et je n'ai rien contre ce dernier. Si, demain matin, il peut y avoir un autre Airbus dans notre région, je le souhaite ardemment, mais cela signifie que, en comparaison, beaucoup d'élus décideurs n'en ont pas conscience.
Le tourisme représente également 50 % de cela et si nous voulons qu'il perdure dans nos régions, les élus doivent être un élément moteur du fait que l'agriculture doit être présente dans ces zones, car c'est l'homme et l'animal qui font le paysage. Si nous voulons du tourisme, il faut garder un minimum d'hommes et c'est l'élu local qui peut être le liant entre tout cela. Je ne crois pas à l'élu fonctionnaire, je préfère qu'il vienne du monde du travail diversifié et, à partir de là, on peut lutter contre ce cloisonnement.
Mme Jacqueline GOURAULT. - Nous avons parlé ce matin de décentralisation. Prenons l'exemple du Revenu Minimum d'Insertion (RMI) : on l'a transféré aux départements ; je n'appelle pas cela une décentralisation, mais une déconcentration de l'État, car l'État garde la main sur beaucoup de choses.
Tout à l'heure, le Président Louis de Broissia a raconté comment il allait tous les ans négocier avec le gouvernement. Il n'y a pas eu, en réalité, un véritable transfert de cette politique, qui aurait été absolument nécessaire, c'est-à-dire décider les tarifs de l'indemnisation, etc.
On est toujours traversé en France par ce profond dilemme. Je vous écoutais comme quelqu'un qui représente bien sa région, car vous avez parlé du syndicalisme qui est une tradition forte dans votre région, etc. Peut-être que les solutions qui existent dans le Nord et qu'il faut regarder de près peuvent être dupliquées ailleurs, mais peut-être pas exactement, car, dans une autre région, ce n'est pas la même culture ni les mêmes traditions et habitudes. Lorsque je vais voir des élus locaux en Bretagne, ils n'ont pas les mêmes réflexes que dans ma région, car il y a une habitude de travail en commun, une culture commune, une identité commune.
Une vraie décentralisation est celle qui donnerait aux élus locaux la possibilité de traiter différemment selon les secteurs et avec les moyens qui sont toujours le nerf de la guerre.
Je ne suis pas schizophrène, donc je tiens les mêmes propos en province qu'à Paris : je comprends qu'un chef d'entreprise puisse être sensible à ce qui est contenu dans la loi de finances comme réforme de la fiscalité et, notamment, de la taxe professionnelle, car il y a la mondialisation, etc., mais comment vont vivre les collectivités locales à qui on a donné de plus en plus de missions si on leur supprime et plafonne la taxe professionnelle. Je ne suis pas une accro de cette dernière, mais peut-être faut-il réfléchir maintenant à d'autres moyens.
C'est un débat que nous avons dans notre famille politique : on a inventé la solidarité en la faisant peser sur le travail. On l'a inventée au XIX ème siècle, c'est le système bismarckien. On est passé d'une société où 90 % des gens travaillaient à une société où les jeunes suivent des études de plus en plus longtemps et où les personnes vivent de plus en plus longtemps ; on a donc toute une masse de personnes à faire vivre par la solidarité.
Ne faut-il pas réfléchir à un autre mode de solidarité qui ne pèserait plus sur le travail ? A-t-on les moyens aujourd'hui, dans une mondialisation et une concurrence internationale très forte, de faire peser encore la solidarité sur le travail ? C'est un vrai sujet.
Il y a la réflexion de fond et, en même temps, la préoccupation des élus locaux ici dans la salle pour établir un budget : si l'on retire une partie de la taxe professionnelle dans les années à venir, comment ferons-nous ?
Emmanuel KESSLER. - Vos questions et vos réflexions portent sur votre rôle d'élu local, moteur de la décentralisation, avec la gestion des contradictions que vous avez à gérer entre les ressources et les dépenses, les demandes des entreprises, le partenariat.
M. Patrick BERNARD. - Je suis maire d'une commune rurale en Creuse.
Nous abordons dans cette deuxième table ronde des questions importantes : on pose la question du "quoi faire", mais le noeud du problème réside dans le "comment faire". L'important est la vision convergente pour une stratégie commune, mais les choses se gâtent sur la mise en œuvre.
Tout à l'heure, on évoquait l'État qui vient à des réunions avec dix ou quinze personnes. On n'est pas en mode d'organisation en termes de gestion de projet, mais on a une gestion très verticale des choses, alors que l'on a des problèmes horizontaux. Comment gérer cette transversalité, sachant que l'organisation en réseau et les nouvelles technologies permettent de travailler de façon convergente, sans avoir besoin de processus très verticaux ?
L'État est le moins adapté et fonctionne avec de grandes difficultés, car il veut s'associer à des projets de coopération transversaux, mais il a son fonctionnement vertical avec des agents chargés de le mettre en œuvre.
L'important est de savoir comment mettre cela concrètement en œuvre. C'est pourquoi il faut peut-être avoir une autre façon de raisonner, comme on le fait traditionnellement en France où l'on essaie d'imaginer à l'avance ce qui va se passer et le législateur va émettre des lois très complexes où seront prévus tous les cas particuliers, etc... On a quelque chose de très compliqué à mettre en œuvre sur le terrain où l'on perd la visibilité sur le sens de l'action et, surtout, on expérimente pas.
Emmanuel KESSLER. - Que visez-vous concrètement ?
M. Patrick BERNARD. - Une organisation beaucoup plus coopérative où l'on place un cadre de principe et, ensuite, on essaie.
Par exemple, je suis favorable à la judiciarisation de la vie publique ; mieux vaut avoir un système où l'on expérimente des choses sous contrôle du juge a posteriori en sachant que des sanctions peuvent être importantes, mais qu'il faut faire confiance au bon sens du juge.
En tant que maire, lorsque l'on met en place quelque chose, mieux vaut dissocier ceux qui mettent en place le cadre, l'État, le législature, de l'évaluation que ce soit via les Chambres Régionales des Comptes ou via le juge sur la régularité juridique.
UN INTERVENANT. - Encore un exemple de démocratie et de décentralisation montante : sur la commune, le département, nous avons aidé l'État à mieux travailler.
Sur notre commune, alors que j'avais deux mois de mandat, une entreprise agroalimentaire du Lot souhaite se déplacer sur la Région parisienne, mais décide de venir sur ma commune avec 1 200 emplois. C'est extraordinaire pour un élu local et il ne s'agissait pas de le louper. En face, d'autres points d'implantation peuvent être régionaux ou en Région parisienne, voire décentralisés en Pologne et c'est une menace permanente.
Quel est le rôle de l'élu ? On ne vise pas taxe professionnelle, mais emploi et bassin d'emploi, c'est une réalité.
Comment mieux faire ? Il existe des organismes départementaux, la région vous semble un peu loin, des référents parlementaires peuvent être plus ou moins présents, car ils ne dominent pas nécessairement le sujet ou parce que cela ne fait pas partie de la stratégie ambiante, mais vous êtes en face de l'État, avec la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale (DASS), les architectes des Bâtiments de France, etc., avec qui il faut travailler.
Nous avons été entendus lorsque nous avons demandé de mettre en place une mission inter-services pour mieux travailler à l'amont, afin que, dès que le monteur de projet arrive, on puisse indiquer les problématiques de loi sur l'eau, de récupération et de traitement des déchets, les divers problèmes environnementaux, le bassin d'emploi, etc. Nous avons réussi ce cap.
Emmanuel KESSLER. - L'État a su réagir rapidement et s'organiser.
LE MÊME INTERVENANT. - En Eure-et-Loir, lorsqu'une entreprise s'implante, l'élu local remonte l'information et, en préfecture, une mission inter-services se met en place.
Emmanuel KESSLER. - Cela signifie que cette réorganisation passe si vous êtres réactif.
LE MÊME INTERVENANT. - L'État est sensible à cela.
Emmanuel KESSLER. - C'est un élément de proposition et un exemple important.
M. Jean-Luc CRUCKE. - Je suis député maire d'une commune de 15 000 habitants près de Lille.
Je trouve que M. Guillon a été trop modeste. Il n'a pas simplement réveillé les gens du Pas-de-Calais, mais il a également sensibilisé l'autre côté de la frontière, du côté flamand en Belgique, soit environ 5 millions d'habitants qui sont derrière ces projets.
J'aurais souhaité qu'il nous relate le rôle de l'Europe dans ce projet. J'ai été un des plus déçus lorsque j'ai vu que le Nord Pas-de-Calais a voté "non" à quasiment 60 %. Je suis dans les six parlementaires faisant partie des commissions franco-belges chargées d'éliminer les difficultés qui existent encore à travers cette frontière.
Il y a beaucoup d'argent pour de beaux projets, même s'il est peut-être difficile de l'avoir, mais quand je vois ce que nous avons réalisé tous ensemble, que l'on habite en Belgique, en Wallonie ou en Flandres, je me sens très lillois.
Emmanuel KESSLER. - Lorsque vous évoquez des projets réalisés, vous parlez de Lille, Capitale de la culture, de la reconversion économique ?
M. Jean-Luc CRUCKE. - Surtout de la COCPIT, une confédération des organisations qui rassemblent l'ensemble du développement économique, mais qui va bien au-delà, le patronat, les syndicats et les collectivités locales des deux côtés de la frontière.
Mme Marie-Michelle BATAILLE. - Je suis ancienne conseillère régionale et consultante.
Une personne a parlé de partenariat public/privé et a vite écourté sa discussion. Je voulais savoir si ce n'est pas un outil donné aux élus et un rapprochement qui pourrait se faire dans l'avenir entre le public et le privé. Ne faudrait-il pas, à ce moment-là, une formation des élus ?
Mme Jacqueline GOURAULT. - Il faut former les élus car, a priori , ils ne connaissent rien au privé ? C'est ainsi que je le comprends.
Mme Marie-Michelle BATAILLE. - Non. Je dis simplement que, apparemment, c'est un moyen qui est donné aux élus. Estimez-vous que c'est une possibilité dont les élus se serviront ?
Emmanuel KESSLER. - Pour investir et créer des structures.
Mme Marie-Michelle BATAILLE. - Oui, le partenariat public/privé permettra de financer un certain nombre d'infrastructures, peut-être dans le cadre d'une coopération envisagée au niveau d'une région, d'un secteur de développement, comme un hôpital. C'est par le partenariat public/privé que les choses pourront éventuellement se mettre en place, car il y a un problème de financement.
Ce n'était donc pas une critique et je demande s'il ne faut pas que l'on se forme tous à cette nouveauté.
Mme Jacqueline GOURAULT. - La formation est un besoin permanent de tout le monde et à tous les niveaux. La seule idée sur laquelle je me bats toujours est de penser que les élus sont des gens désincarnés, si je puis dire ; les élus sont des personnes qui, en général, ont aussi un métier, vivent avec une famille, ont un mari ou une femme qui travaille, etc. Les élus, comme les autres, doivent toujours se former, mais ce sont des gens normaux, qui vivent dans la société.
Emmanuel KESSLER. - Dans l'idée que l'on puisse marier public et privé, on se rend compte que, socialement, c'est très difficile à manier pour des élus, lorsque l'on voit ce qui se passe à Marseille où l'on essaie d'ouvrir un peu le marché des transports à une structure différente de la gestion directe.
Mme Jacqueline GOURAULT. - Je connais des exemples de partenariat public/privé où les élus se sont beaucoup investis et cela marche très bien.
M. Michel KOEBEL. - Je suis maître de conférences en sociologie à l'université de Reims.Je rebondis sur les propos de Mme Jacqueline Gourault selon lesquels les élus sont des personnes comme les autres. On ne peut pas laisser dire cela et les chiffres disent le contraire : si l'on prend le cas des maires des communes de plus de 3 500 habitants, on y trouve 60 % de cadres supérieurs et moins de 1 % d'ouvriers.
Ce matin, il a été dit que les conseillers généraux représentent bien la République, mais, là aussi, plus de 60 % d'entre eux sont des cadres supérieurs.
Je ne suis pas sûr que l'on puisse dire qu'un cadre supérieur qui vit dans un certain milieu puisse facilement comprendre les intérêts de l'ensemble des catégories de population présentes sur son territoire ; ce n'est pas facile et cela demande un travail particulier.
Mme Jacqueline GOURAULT. - Je vous l'accorde. Simplement, ce n'était pas tout à fait sur le même registre, je n'ai pas dit que l'élu représente tout le monde, mais je me sens comme tout le monde.
C'est un homme ou une femme qui a, évidemment, son niveau de compétence au niveau social, etc., mais il faut se battre contre le fait que les élus sont des personnes à part ; il en existe peut-être, mais on oublie de dire que ces personnes ont été élues, qu'il y a eu un scrutin et que la démocratie représentative représente quelque chose.
Après tout, on ne peut pas toujours montrer du doigt les élus comme étant les coupables de tous les maux de la société. Je serai toujours là pour défendre cette vision.
M. Jean-Pierre GUILLON. - M. Crucke et moi-même, nous avons un vrai problème : la limite transfrontalière. Evidemment, nous avons une sociologie que rien ne sépare, sauf la partie flamande avec le problème de la langue, mais, indépendamment de cela, nous sommes en continuité culturelle et économique.
Je parlais de changer de regard et nous travaillons à faire en sorte que cette frontière ne soit pas une des cloisons, et la pire. M. le Premier Ministre Raffarin nous a donné la zone d'expérimentation transfrontalière en France et nous sommes en train de construire un district européen entre nous. Il faut quasiment un acte international pour arriver à le créer.
Evidemment, nous arrivons à créer des liens entre nous, par lesquels, ensemble, nous changeons la vision. Nous, les acteurs de la société, nous retournons vers nos contraintes de toute nature et nous disons : "Si nous le voulions, nous pourrions être une seule ville de 3 millions d'habitants" et, lorsque nous allons voir les uns et les autres, tout le monde répond que ce serait génial.
On ne serait pas une banlieue de la Région parisienne, mais, au contraire, le plus grand centre de passage, avec 200 TGV par jour sur la totalité de l'Europe et une position géopolitique qui n'est pas celle de Lille par rapport à l'ensemble des villes belges, mais l'ensemble de notre communauté. On me dit qu'il faudrait décloisonner tout cela et l'on se tourne alors vers tous ceux qui ont un pouvoir qu'ils tiennent des électeurs à tous les niveaux pour indiquer comment procéder.
Monsieur témoigne du fait que les collectivités locales répondent « présent », mais c'est infranchissable avec l'État.
Je n'oserais pas vous raconter ce que sont les problèmes transfrontaliers au quotidien : l'eau, les pompes funèbres, etc. Nous n'avons qu'une idée en tête : que cela saute, car nous avons compris que nous voulons être une grande ville européenne, en appartenance de nos territoires nationaux, que nous avons beaucoup de choses à faire ensemble et que nous avons commencé à les faire ensemble. Nous sommes devant des cloisons considérables, alors que nous avons franchi ensemble des caps culturels très importants, d'un côté ou de l'autre de la frontière.
Le deuxième problème que pose Madame est fondamental : arrêtons de regarder comment on fait en France. Lorsque l'on a un problème, merci d'aller regarder ce que font les autres qui ne sont pas plus bêtes que nous !
Emmanuel KESSLER. - Cela s'appelle le benchmarking !
M. Jean-Pierre GUILLON. - Je ne suis pas d'accord avec le dialogue consistant à dire : "Si nous n'avons plus de taxe professionnelle... » Les autres pays n'en ont pas.
Comment font-ils ? Ils procèdent autrement.
Ouvrons les portes et les fenêtres et discutons entre nous de ce qu'est la meilleure solution entre les contraintes des élus, celles de l'État et ce que l'on veut construire !
Arrêtons d'avoir des faux débats : si vous taxez durablement l'industrie par la taxe professionnelle, vous aurez une désindustrialisation massive du pays ; elle n'a pas le choix, ce n'est pas uniquement la taxe professionnelle, mais un ensemble de choses qui rendent incompatible son développement sur notre territoire.
On ne peut pas oublier les contraintes et ne pas passer aux solutions. Il faut revoir ce problème du financement des collectivités locales, une des pistes étant le partenariat public/privé. Il est globalement accepté que des projets puissent être à la fois financés par une collectivité locale et avoir des parts privées.
Est-ce que cela doit être majoritaire ? Nous pourrions en discuter, mais ce n'est pas le cas.
Cela s'appelle PPP. On se dépêche, après PPP, de passer au point suivant, car on a de la résistance.
Cela change la nature de nos partenariats et de nos cloisonnements et, de temps en temps, nous nous énervons de cette incapacité que nous avons à traiter au moins le problème.
L'ouverture que fait madame me semble intéressante et je salue d'ailleurs les travaux du Sénat à ce sujet : on ne va pas pouvoir taxer le travail indéfiniment. Le modèle social français s'inscrit dans une économie ouverte, et on a bien du mal à faire la transposition.
Emmanuel KESSLER. - C'était peut-être une allusion au projet de la TVA sociale.
Mme Jacqueline GOURAULT. - C'est une des pistes, mais il en existe d'autres.
M. Jean-Pierre GUILLON. - Je suis partisan du travail accompli par le sénateur Arthuis. Le vrai problème est de changer la nature des choses. Je ne sais pas si c'est la TVA sociale telle qu'elle apparaît, mais cela mérite discussion. Il faut également que l'on traite des problématiques de réforme qui changent la nature du système. Globalement, ne nous racontons pas d'histoire, nous sommes dans la seringue.
Si l'on s'énerve le lundi sur l'État, le mardi sur la fiscalité, le mercredi sur la défiscalisation, c'est parce que l'on est dans la seringue et notre travail collectif est d'en sortir.
Mme Mireille CELLIER. - Une réflexion tout à fait anecdotique concernant les difficultés transfrontalières entre la région lilloise et la Belgique : nous avons connu cette même difficulté entre le département du Gars et celui des Bouches-du-Rhône lorsque, il y a cinq ou six ans, nous avions voulu mettre en place l'intercommunalité entre le canton de Beaucaire (25 000 habitants) et celui de Tarascon, ces deux villes étant quasiment jumelles, partagées uniquement par un pont qui enjambe le Rhône...
Emmanuel KESSLER. - Un peu rivales quand même ?
Mme Mireille CELLIER. - Oui, mais c'est l'histoire qui a voulu cela.
Un bassin de vie au quotidien, des élèves de Beaucaire scolarisés au lycée d'enseignement général de Tarascon et inversement, 4 000 personnes franchissant quotidiennement le pont pour aller travailler.
Lorsque nous avons voulu mettre en place une intercommunalité regroupant les deux cantons, soit une population 50 000 à 60 000 habitants, nous n'avons pas eu le feu vert. Les départements, les régions, l'État l'ont interdit, car c'est trop compliqué et chaque département reste avec sa frontière. Nous avons donc fait, nous, communauté de communes et Tarascon, une communauté d'agglomération avec Arles.
Emmanuel KESSLER. - Manque de souplesse administrative, un des éléments qui traversent les réflexions de ce matin.
M. Jean-Louis CAZAUBON. - Je souhaite revenir sur la question du partenariat public/privé.
Dans la réalité, nous le vivons au quotidien : sur mon département, le développement économique et l'emploi étaient assurés par des grands groupes industriels gérés depuis Paris ou ailleurs et qui ont déserté le département ; aujourd'hui, un tissu de PME prend le relais fortement aidé par le public.
Concernant la typologie des élus, en tant que rural, je pose la même question, mais on n'y peut rien.
Lorsque quelqu'un est assuré de retrouver son emploi s'il est battu, c'est une sorte de parachute. Pour un chef d'entreprise, c'est beaucoup plus difficile, encore qu'il ait quelques latitudes. Pour un salarié, c'est encore plus compliqué.
D'un autre côté, un conseiller général dans le milieu rural a vraiment un rôle à jouer. Le même conseiller général en milieu urbain, à part dans le social, a un rôle moins riche à jouer. Même si l'élu a le même titre, il n'a pas le même rôle dans tous les secteurs.
Emmanuel KESSLER. - Nous avons vu tout à l'heure les blocages, les résistances et la volonté unanime dans un monde qui n'est pas fermé, ni à l'entreprise ni au social.
Cela peut-il aujourd'hui être un élément fédérateur pour le développement de politiques concrètes ?
Mme Jacqueline GOURAULT. - Oui, je crois que la France a un formidable réseau d'élus. Plus que la superposition des structures, ce sont les projets qui comptent, comme cela a été évoqué.
On critique souvent les 36 000 communes de France. Je crois vraiment que c'est une richesse, car beaucoup de choses réalisées par les élus locaux sur le terrain représentent déjà un acte vivant de décentralisation. Si, demain, il fallait remplacer ces bénévoles, cela manquerait beaucoup à la France.
Cela dit, le monde évolue. Nous sommes maintenant dans un espace de mondialisation et l'État, donc, par voie de conséquence, l'organisation territoriale de la France, doit aussi évoluer. Elle évolue et l'intercommunalité en est une des preuves.
Il reste encore beaucoup à faire. Il faut encore parfaire l'intercommunalité, il faut que l'État se réforme vraiment.
Tout à l'heure, quelqu'un a dit qu'il y a toujours autant de fonctionnaires : oui, il y en a trop dans certains domaines et plus assez dans d'autres. On voit parfois les maires manifester, car il n'y a plus d'école ou pas suffisamment d'infirmières dans les hôpitaux.
Il faut être très prudent et, là aussi, ne pas être schizophrène et voir la réalité des territoires.
Il faut également cesser de penser que l'État a toutes les vertus et que les élus locaux seraient des dépensiers, des mauvais gestionnaires. Il faut arrêter de tomber dans ces caricatures.
Comme partout, comme dans n'importe quelle société, il y a des bons et des mauvais patrons, des élus qui se débrouillent moins bien que les autres, mais, d'une manière générale, de nombreux élus se passionnent pour leur territoire, essaient de le développer et sont des vrais moteurs de la décentralisation. Encore faut-il que l'organisation territoriale leur en donne les moyens, c'est-à-dire les moyens de décision et de fonctionnement.
J'ai confiance dans mon pays, dans les élus comme dans les chefs d'entreprise. Il faut cesser de mettre en exergue le fait que, un jour, un chef d'entreprise a fait une mauvaise affaire ou tronqué la réalité de son entreprise ou qu'un élu a fait des malversations ; il faut arrêter de mettre tout le monde dans ce mauvais panier.
La plupart des personnes sont dévouées et il faut faire attention à ne pas tomber dans un populisme rampant où il est facile de critiquer les responsables politiques et les élus.
De nombreuses actions réalisées sont exceptionnelles. J'étais tout à l'heure à côté du président Jean Puech et je lui demandais quand il me fera visiter le Viaduc de Millau.
Quelque part, des élus ont dû faire quelque chose pour que se construise ce viaduc et cela a été une très belle réalisation française.
Nous pouvons être fiers et il faut vivre dans notre monde ouvert et ne pas se regarder uniquement entre franco-français. Notre pays a des potentialités extraordinaires et nous devons travailler tous ensemble à son développement et à celui de notre société.
Je pense à la question soulevée à la fin de la première table ronde : lorsque l'on voit ce qui se passe aujourd'hui dans les banlieues, il faut quand même s'interroger et se serrer tous les coudes pour y arriver.
(Applaudissements...)
Emmanuel KESSLER. - Merci pour ces échanges riches qui ont montré de façon équilibrée les contraintes, mais également la volonté d'agir.
Cet après-midi, nous ferons le lien avec la démocratie locale qui a été un peu esquissée ce matin.
Merci à tous.
(La séance est suspendue à 12 h 45 et reprise à 14 h 35)
Après-midi animée par M. Pierre-Henri GERGONNE
Journaliste à Public Sénat
Sous la présidence de M. Jean PUECH
Pierre-Henri GERGONNE. - Le premier point qui nous occupera sera la démocratie locale, cette démocratie de proximité, participative, renforcée par la loi et qui apparaît de plus en plus comme un remède à ce que l'on pourrait appeler la crise du politique.
Ensuite, nous aborderons un point qui nous concerne directement, à savoir le travail de l'élu local, un métier de plus en plus complexe
et aux multiples facettes. Nous en verrons peut-être les limites, nous évoquerons le cumul des mandats, du statut d'élu.
Je remercie beaucoup Valérie Léard qui a couru pour nous rejoindre, car elle était encore il y a quelques minutes dans le bureau de M. Borloo, afin de travailler sur un texte important sur le logement.
Vous êtes sénatrice du Nord, ancienne adjointe au maire de Valenciennes et une spécialiste de ce qu'on appelle maintenant la démocratie participative, de proximité, de tous ces instruments faisant que les élus se rapprochent des citoyens et inversement.
Comment est-ce que cela se passe à Valenciennes ?
Mme Valérie LÉTARD, Sénatrice du Nord
Je ne suis pas une spécialiste, mais une élue qui a eu à mettre en pratique des politiques publiques faisant largement appel à la consultation des habitants.
J'avais en charge la responsabilité de mettre en place la politique de la ville à Valenciennes, que ce soit le contrat de ville comme le grand projet de ville et, ensuite, le programme de renouvellement urbain proposé dans le cadre du dispositif ANRU.
Vous savez tous, si vous êtes originaires de territoires urbains, qu'une des conditions pour la mise en œuvre de ce type de politique publique est d'associer la population à la réflexion visant à la reconstruction, à la requalification urbaine des quartiers complètement dégradés.
Les questions que nous nous sommes posées ont été les suivantes : comment associer les habitants de ces quartiers en grande difficulté à des dispositifs aussi complexes qui vont de la démolition et la reconstruction de logements, à la réorganisation d'une politique de peuplement sur un territoire donné ? Comment associer ces habitants à toutes les stratégies d'accompagnement des populations, de formation, d'accompagnement dans la vie sociale, dans la citoyenneté, dans la vie culturelle ? Comment faire participer et contribuer à ce débat des personnes qui ne sont pas forcément formées, aguerries à l'échange avec des élus locaux ?
Il nous a fallu tout d'abord voir de quelle manière associer ces habitants au travers de certaines structures.
Pour cela, nous avons développé des structures formelles sur l'ensemble des quartiers et pas seulement des quartiers en politique de la ville, avec des comités de quartier dans lesquels les habitants désignaient eux-mêmes leurs représentants. Depuis des années, ces comités de quartier étaient des partenaires associés à toute la réflexion communale, à tous les conseils municipaux et à leur préparation, ils étaient informés de tous les projets que nous montions sur ces quartiers, mais aussi, ils suivaient nos réflexions sur les projets annuels de développement urbain, donc sur l'investissement comme sur les actions que nous allions mener en matière de prévention sociale, etc.
Concrètement, cela signifie organiser des réunions annuelles de concertation en assemblée plénière, en associant tous les habitants, comités de quartier, représentants des associations présentes sur le quartier et tous les habitants souhaitant s'exprimer.
Ensuite, nous avions organisé des commissions thématiques où des professionnels intervenant sur ces quartiers et les représentants des habitants pouvaient venir s'exprimer et faire des propositions sur des sujets très spécifiques, comme l'éducation, la formation, l'accompagnement éducatif, le prévention de la délinquance, etc.
Pierre-Henri GERGONNE. - Qui participe à ces structures, à ces comités de quartier ? Quel est le profil du citoyen qui s'engage dans le dialogue auprès des élus locaux ?
Mme Valérie LÉTARD. - Naturellement, lorsque nous proposons des réunions, nous avons l'habitude de voir arriver les représentants du monde associatif. Lorsque vous êtes déjà engagé dans le milieu associatif, vous vous intéressez à la chose publique et il est plus facile pour vous d'aller rencontrer et échanger avec des élus locaux. Il est plus difficile de créer le lien et l'échange permanent avec des habitants qui, a priori, n'ont pas envie ou qui n'ont pas, à un moment de leur vie dans le quartier, eu l'occasion d'être sollicités au travers d'une association ou de s'impliquer sur un projet. La plupart des gens ont simplement envie de dire où ils veulent être logés et de savoir si on va les maintenir dans le quartier ou les envoyer dans un autre.
Quels outils faut-il créer pour cela ?
Nous avions créé trois types d'outils : les ateliers de travaux urbains qui permettent, au fur et à mesure que les projets de renouvellement urbain avancent, d'associer des architectes urbanistes et des services de la ville travaillant sur ces projets, une équipe d'animation politique de la ville qui a plutôt un caractère social et a l'habitude d'accompagner ces populations au quotidien et les habitants qui le souhaitent.
Dans ces ateliers de travaux urbains, nous avons, une fois par mois, des échanges avec des habitants dans des situations sociales très diverses, souvent des gens en grande difficulté qui viennent demander dans quel logement on va les mettre et qui souhaitent s'exprimer sur le type de logement dont ils ont besoin. Ces ateliers de travaux urbains permettent d'avoir un projet partagé et, surtout, de désamorcer de grosses difficultés de compréhension sur le projet qu'une collectivité peut mener sur un territoire.
Nous avons également développé deux autres types de dispositif nous permettant de travailler au quotidien avec les habitants de ces quartiers : les fonds de participation des habitants et les fonds de travaux urbains. Ils existent dans la Région Nord Pas-de-Calais depuis très longtemps et permettent de dégager des enveloppes financées à 50 % par les collectivités et à 50 % par le Conseil régional.
Ces enveloppes représentent environ 1 000 € par projet pour les fonds de participation des habitants et sont gérées par un collectif d'associations piloté par un élu et chef de projet. Cela permet, dans le cadre de la citoyenneté, du développement et de la mobilisation des associations, d'avoir une enveloppe globale utilisée pour mener de petits projets de proximité, des actions en lien direct avec les habitants, déterminées et priorisées par eux-mêmes, en accord avec les élus.
C'est un premier moyen d'accompagner des projets plus ambitieux grâce à des petits outils très réactifs et cela permet de mobiliser des associations et des organismes sur des projets en lien avec l'aménagement des quartiers, mais également de montrer qu'il leur est possible d'être acteurs ; cela leur donne surtout la possibilité de se former au montage de projet, à la recherche de financement et un peu à la fois à la responsabilisation et à l'action dans la vie de leur quartier.
Le fonds de travaux urbains était l'équivalent de ces fonds de participation des habitants. Nous avions des enveloppes d'environ 50 000 €. Ces fonds de travaux urbains permettaient, pour des projets de l'ordre de 5 000 €, de réaliser des petits aménagements de proximité, des petits espaces publics en lien avec des groupes de parents, des mamans qui souhaitaient avoir du mobilier urbain au pied d'un immeuble, de requalifier avec des jeunes une cage d'escalier, etc.
Cela se faisait toujours de la même manière, en mobilisant les habitants sur une réflexion dans l'urgence sur ces projets de proximité permettant de les associer au premier chef et qu'ils fassent eux-mêmes des choix en attendant une réalisation plus importante et au travers desquels ils se formaient progressivement pour s'approprier le projet final.
Pierre-Henri GERGONNE. - Vous parlez de cage d'escalier, de petits aménagements, mais est-ce que l'écoute et ce dialogue entamé avec vos concitoyens vous ont également amenés à modifier de grands projets ?
Mme Valérie LÉTARD. - Cela nous a amenés à modifier de grands projets, car ce que l'on imagine idéal pour nos habitants ne l'est pas forcément pour eux-mêmes. Lorsque l'on pensait utile de réaliser de grands espaces verts, eux voulaient garder leur place de parking au pied de leur logement.
Entre l'environnemental, le développement durable et l'utilité, la proximité, la gestion de leur habitat, la pratique de vie au quotidien, il fallait trouver la synthèse. Nous l'avons trouvée dans ces ateliers de travaux urbains.
Nous avons très souvent désamorcé des malentendus, car, dès qu'un problème se posait, dès que nous entendions courir un bruit sur des projets d'aménagement ou de démolition, nous avons pu nous expliquer en vis-à-vis, clarifier la situation et parfois rectifier le tir.
Un lieu de consultation et d'échange régulier a permis de rester en phase avec la réalité. Il ne faut pas non plus trop formaliser les dispositifs de concertation des habitants et il n'y avait pas que des comités de quartier dans l'organisation que nous avions mise en place à l'occasion de ces réunions de concertation. Au bout d'un certain nombre d'années, le comité de quartier "s'institutionnalise" et n'est plus forcément le représentant de tous les habitants. Pour ouvrir des concertations à l'ensemble de la population, que ce soient les associations représentatives ou l'habitant qui, à titre personnel, a envie de s'exprimer, il faut que chacun puisse trouver un lieu.
M. Didier LE MAITRE. - Je suis professeur à l'université d'Angers et je suis surtout un citoyen.
Vous nous parlez d'un monde formidable, etc., mais il y a des problèmes à côté de Paris et on se dit que tout est merveilleux. Dans Le Monde aujourd'hui, M. Sarkozy et M. de Villepin s'affrontent. M. Borloo est quelqu'un de formidable quand on l'entend et, finalement, on a des problèmes.
On vous entend depuis dix minutes...
Mme Valérie LÉTARD. - On m'a demandé d'introduire cette table ronde par une expérience. Je ne souhaitais pas mobiliser la parole, mais seulement donner un éclairage.
Ce n'est pas un paysage idyllique, mais une manière d'aborder des problèmes compliqués, avec des personnes qui ne sont pas formées pour cela, loin de là, puisqu'elles sont en très grande difficulté et vivent dans l'urgence, car, le plus souvent, elles ne savent pas comment elles finiront leur fin de mois.
Dans un projet ambitieux tel que l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), si vous dites aux personnes qu'elles verront les choses sortir de terre dans quatre ans, car c'est le temps nécessaire pour maîtriser le foncier, monter les dossiers de financement et construire des nouveaux logements décents, il faut pouvoir le leur faire comprendre...
Il ne s'agit pas de polémiquer et je ne partage pas tout ce que fait le gouvernement, mais lorsque des choses sont bien faites, elles ne se réalisent pas dans l'urgence, mais par paliers. Pour cela, il faut trouver des lieux d'échange et d'explication avec les habitants.
Effectivement, il y a des choses à améliorer et il faudrait certainement mettre plus de moyens pour accompagner les habitants de ces quartiers : démolir et reconstruire est essentiel, mais il faut voir les moyens que l'on est en capacité de consacrer pour les aider à se former, à se qualifier en fonction de la réalité économique, à faire de la prévention de la délinquance.
Ce dont je vous parle aujourd'hui, c'est d'un essai d'échange avec les habitants d'un territoire dans la proximité, c'est un témoignage comme un autre, ce n'est peut-être pas la panacée, mais il nous a permis de garder le contact avec les habitants.
(Applaudissements...)
Pierre-Henri GERGONNE. - Dominique Reynié, lorsque l'on parle de démocratie de proximité, de démocratie participative, inscrite dans la loi, peut-on en dresser un bilan ?
M. Dominique REYNIÉ, Directeur de l'Observatoire interrégional du politique (OIP), membre du Comité d'experts de l'Observatoire de la décentralisation.
C'est un mouvement en plein essor et l'on assiste à une transformation de la culture politique en France.
Tous les élus en témoignent, de plus en plus souvent, nos concitoyens expriment le souhait de participer à la décision politique : on parle de « démocratie locale », de « démocratie participative », voire de « démocratie directe ».
Cela pose différents problèmes et nous n'allons pas nous tromper de sujet de débat : il s'agit bien de l'élu au cœur de la décentralisation.
Cela pose le problème de la représentativité des citoyens actifs. Lorsqu'un élu fait face à une assemblée composée de personnes particulièrement impliquées, il n'est pas certain qu'elle soit représentative. Il peut y avoir des associations, des mouvements, même des lobbies plus efficaces que la généralité et qui imposent un intérêt particulier là où l'intérêt général devrait prévaloir.
Ce n'est pas simple et il faut arriver à identifier la nature de la revendication ou de la réclamation.
De manière générale, nous sommes d'accord pour dire qu'il est bien d'associer le plus grand nombre de citoyens à la prise de décision. Concrètement, cela signifie que, pour les élus, ce qui peut être regardé comme un progrès est aussi une contrainte supplémentaire, une contrainte forte, puisque, plus souvent aujourd'hui qu'hier, les élus locaux sont regardés comme des responsables politiques détenant un important pouvoir de décision. Il n'y a pas si longtemps, avant 1982, les élus locaux avaient une fonction d'interpellation des pouvoirs publics, voire des élus nationaux et une espèce de fonction de porte-parole.
Le mouvement de décentralisation adresse des messages qui reconfigurent entièrement la perception des élus locaux. Plaçons-nous du point de vue de l'électeur : comme vous le savez, peu d'électeurs sont en mesure de savoir exactement qui fait quoi. Ils ont peu repéré que l'école, c'est plutôt la commune, le collège, c'est plutôt le département, etc., mais excepté quelques sujets précis, grosso modo , ils mettent les élus locaux dans le même sac, confondent les compétences et l'on ne peut pas leur reprocher de ne pas savoir qui s'occupe de quoi, d'autant plus que, souvent, tout le monde s'occupe un peu de tout, comme le montre le cas des financements croisés, souvent dénoncés pour cette raison mais qui permettent par ailleurs de réaliser nombre de projets coûteux.
L'une des conséquences est que l'on entend beaucoup parler de décentralisation. Les pouvoirs publics, les représentants, les médias, les universitaires expliquent que la puissance publique est décentralisée, ainsi que la République. Si nos citoyens ne connaissent pas le détail, ils en retiennent le principe : les élus locaux ont plus de pouvoir qu'ils n'en ont jamais eus.
Par ailleurs, les électeurs sont également informés qu'une même distribution est en cours au niveau supranational, par le biais de transferts de fractions de souveraineté dans l'espace européen où se réorganise une puissance commune entre pays européens. Depuis vingt-cinq ans ou davantage, ils ont entendu que l'État a transféré des compétences à une institution supranationale, l'organisation européenne, tandis qu'au niveau infranational, l'État a transféré une fraction de ses compétences au profit des collectivités locales et aux élus locaux.
Pour les concitoyens, les élus ont donc beaucoup plus de pouvoir que jamais. Ils viennent vous voir et attendent que vous régliez beaucoup de leurs problèmes, convaincus que vos pouvoirs sont désormais réels.
Lorsque, dans le même temps, une administration ou un État, pour des raisons culturelles ou politiques, ne joue pas le jeu de la décentralisation, retient ce qu'il devait lâcher ou essaie de reprendre ce qu'il avait donné, les citoyens ne le voient pas ; pour eux, les élus locaux ont toujours ce pouvoir qui a été proclamé transféré. Conséquemment, au même moment où l'État complique la tâche des élus locaux et où l'administration ralentit le processus au lieu de libérer la compétence, ou la retient, ou essaie de la reprendre, les concitoyens eux-mêmes maintiennent le niveau de leur demande.
Pierre-Henri GERGONNE. - Vous nous expliquez en quelque sorte que la décentralisation est un piège pour les élus locaux ?
Dominique REYNIÉ. - Un piège se referme sur les élus locaux : la décentralisation a été très populaire dans l'esprit des Français, mais ce n'est pas la décentralisation qui est, en elle-même, la cause de ce mal, mais cette espèce d'entre-deux, le fait d'avoir donné et de chercher à reprendre ou d'avoir dit que l'on donnait sans véritablement le faire.
N'en faisons pas le reproche aux concitoyens, car ils ne peuvent voir les arcanes du pouvoir et ils ne peuvent s'orienter aisément dans cet entrelacs de compétences et d'institutions, mais chacun a pu identifier que le pouvoir a été décentralisé, que les élus locaux sont responsables politiquement ; c'est donc à eux qu'il faut demander des comptes et, si cela ne va pas, c'est à eux qu'il faut adresser les reproches.
Vous avez peut-être vu récemment, dans un quotidien, un sondage CSA sur la popularité des élus : on disait depuis très longtemps que les élus locaux, en particulier les maires, échappaient à la défiance. Ce n'est plus vrai et je vous invite à la prudence : les élus locaux, y compris les maires, commencent désormais à susciter une forme de déception et de défiance auprès des concitoyens qui, évidemment, au fur et à mesure que leurs pouvoirs sont censés croître.
Dans le même temps, pour des raisons tout à fait différentes, le mouvement culturel fait que, politiquement, on a envie de prendre davantage sa part dans les décisions publiques, mais ce sont comme deux mâchoires, d'un même piège, qui peuvent se refermer sur les élus locaux.
Que demande la décentralisation aujourd'hui ? Aller jusqu'au bout du geste et laisser les élus locaux pleinement responsables, c'est-à-dire avec la pleine décision et pouvant ainsi assumer totalement la responsabilité politique, électorale, ce qui est au fond la démonstration que l'idéal républicain se réalise dans une décentralisation réussie. Il n'y a pas de contradiction entre la République et la décentralisation, comme on a pu le penser au cours de nos débats.
La décentralisation est peut-être la forme contemporaine de l'idéal républicain. Autrefois, dans une société française plus asservie, il fallait un État jacobin, une tutelle centralisatrice et puissante pour conduire les affaires publiques, mener ce peuple là où il est arrivé ; aujourd'hui, rares sont les personnes qui acceptent encore ce type de relation, autoritaire et hiérarchisée. C'est un progrès qu'il faut intégrer. Il faut admettre que, désormais, comme le dit la loi, la République est décentralisée.
Pierre-Henri GERGONNE. - Voulez-vous réagir, en particulier sur le danger que vous percevez sur le pouvoir des élus de base, des maires en particulier ?
M. Jean LAUTREY. - Ne pensez-vous pas que notre espace de liberté par la réglementation s'est considérablement réduit ? Nos concitoyens nous reprochent de ne plus prendre suffisamment les initiatives auxquelles ils ont été habitués, au moins au niveau local.
Pendant longtemps, on réglait les problèmes au jour le jour ; or, la réglementation que l'on nous impose dans le cas de cette réappropriation du pouvoir par rapport à la décentralisation a réduit notre espace de liberté.
Au bout de trente-cinq ans, j'ai l'impression d'être dans un carcan et je plains les nouveaux élus qui arrivent.
Pierre-Henri GERGONNE. - Madame Létard, êtes-vous confrontée à cette réglementation de plus en plus complexe et pesante ?
Mme Valérie LÉTARD. - Oui, comme tout le monde et je pense que la difficulté d'agir est à tous les niveaux, autant au niveau réglementaire qu'au niveau local ; pour monter le moindre projet, il faut solliciter des partenariats extérieurs et des financements croisés.
Avec l'évolution de la décentralisation, chaque niveau de responsabilité s'est doté de compétences facultatives qui viennent empiéter sur les compétences obligatoires du voisin, donc chaque niveau institutionnel gère les mêmes thématiques. Pour boucler un plan de financement, il faut souvent aller chercher cinq types de financeurs différents, Intercommunalité, Département, Région, État et Europe (sur les territoires éligibles aux fonds européens).
Tout cela mis bout à bout, il est extrêmement difficile, pour l'élu local, de prendre une décision rapide. Il peut agir, mais plus aussi rapidement et simplement qu'avant. Il y a également de nombreuses responsabilités pour lesquelles il est l'interlocuteur vis-à-vis des administrés et pour lesquelles il n'est pas forcément compétent et doit passer par des décisions syndicales, intercommunales, etc. Il est ainsi en prise directe avec ses habitants à qui il doit donner une réponse précise et, en même temps, il n'a pas forcément tous les leviers pour donner une réponse claire et immédiate, ce qui rend sa tâche extrêmement difficile. Il y a certes des moyens supplémentaires, mais ils sont beaucoup plus réglementés, cadrés et difficiles à utiliser.
Pierre-Henri GERGONNE. - Craignez-vous que cela décourage les futurs jeunes élus de demain ?
Mme Valérie LÉTARD. - Cela montre d'abord que, plus on avancera, plus il sera nécessaire d'avoir une formation des élus, car cela devient très complexe. Aujourd'hui, soit on est dans une collectivité disposant de suffisamment de moyens humains, d'ingénierie et l'on est aidé, soit on est dans une petite commune et l'on n'est pas forcément un spécialiste de l'urbanisme, de l'action sociale, etc.
On peut être un généraliste, sentir les choses auprès de ses habitants et avoir l'aide technique autour de soi lorsque l'on a l'instance de bon niveau, mais tous les élus ne l'ont pas ; des petites communautés de commune ne sont pas forcément dotées de moyens humains suffisamment dimensionnés par rapport à la taille de leurs problèmes.
Mme Christine PIRON . - Depuis ce matin, on parle de cette frustration par rapport à la décentralisation et du fait qu'il s'agit d'une histoire de délégation de transfert de l'appareil d'État.
Je voudrais savoir si quelqu'un dans l'assemblée fait partie de cet appareil d'État et pourrait nous répondre.
UNE INTERVENANTE. - Je voudrais reprendre ce qui a été dit sur le malaise des maires. Je suis tout à fait partisane de la décentralisation qui a créé un mouvement de responsabilité chez les maires. Maintenant, avec les communautés de communes et d'agglomération, ces maires se sentent un peu frustrés.
Je ne parle pas des maires ruraux qui, dans les communautés de communes, peuvent retrouver l'appareil qui leur manque pour prendre un certain nombre de décisions, mais pour la ville centre ou chef-lieu de canton, le maire a l'impression que ses concitoyens lui demandent des comptes pour des décisions qu'il ne peut plus prendre seul et dont il n'a plus la franche responsabilité.
Je pense qu'il y a quelque chose dont l'État devrait se rendre compte, mais également des assemblées de maires comme aujourd'hui ; autant des communautés de communes sont un progrès, autant il faut se rendre compte que cela peut gêner des maires de communes moyennes, ayant l'impression d'être dessaisis d'un certain nombre de leurs pouvoirs qu'ils avaient acceptés depuis quelques années.
Peut-on essayer de trouver une solution, un moyen terme ou une évolution, afin que la décentralisation, notamment grâce aux communautés de communes, se fasse d'une façon plus douce, utile et efficace ?
M. Dominique REYNIÉ. - Je note, comme vous, que ce sont de nouvelles formes d'association et parfois confondues avec des échelons qui peuvent aussi poser une question intéressante. Au moment où nous constatons les progrès de la démocratie participative, locale, de la revendication de nos concitoyens, nous voyons émerger des formes d'organisation et des modes de décision - dont l'intercommunalité fournit un bon exemple -, qui ne sont pas fondées sur le suffrage universel. C'est une espèce de tension entre deux mouvements contradictoires : l'un, de type culturel, qui est la volonté plus répandue de prendre une part active à la décision publique et l'autre, plus fonctionnel, qui est l'idée d'aménager des formes d'association entre les collectivités locales afin de gagner en efficacité, apparemment parce que l'on change de taille, mais aussi bien parce que l'on réduit sensiblement la pression exercée par les électeurs.
Il faut rappeler que nos concitoyens ignorent, ce qui est dommage, l'existence de cette forme de gouvernement que sont les intercommunalités, comme ils sont plus encore ignorants sur le reste.
Je pense qu'il y a, à un moment donné, une décision compliquée à prendre, car on ne peut pas non plus multiplier les échelons élus.
J'en profite pour préciser ceci, en liaison avec ce qui a été dit précédemment : on peut quand même concevoir de travailler pour l'État sans être fonctionnaire ! Ce matin, j'avais le sentiment que l'on ne pouvait travailler pour l'État qu'en étant fonctionnaire. Dans d'autres pays comme la Suède ou le Danemark, plutôt avancés sur le plan social et pas très éloignés de nos exigences en ce domaine, on emploie beaucoup de personnes qui travaillent très bien pour l'État, y compris dans l'enseignement, sans être fonctionnaires.
Je termine en apportant un témoignage d'universitaire : les institutions locales, la décentralisation ne sont pas suffisamment enseignées ni transmises. Malgré les efforts déployés par quelques enseignants, on en reste au strict minimum. Il en va de même pour les institutions européennes, ce sont les deux aspects les plus développés depuis quelques années : le supranational et l'infranational et c'est ce qui est le moins enseigné en raison, là aussi, d'une espèce de résistance culturelle, la culture profonde de bon nombre d'enseignants est peut-être plus jacobine, ce qui peut également expliquer les résistances.
Pierre-Henri GERGONNE. - Gérard Lapie, vous présidez l'ANDAFAR, Association pour le développement de l'aménagement foncier, agricole et rural, donc une association en prise directe et en dialogue continu avec les élus locaux.
M. Gérard LAPIE, Président de l'ANDAFAR (Association Nationale pour le Développement de l'Aménagement Foncier, Agricole et Rural)
J'ai eu des responsabilités en temps qu'élu local pendant dix-huit ans.
Par rapport au débat que nous venons d'avoir, nous sentons bien aujourd'hui, au niveau notamment du territoire, que nous sommes de plus en plus interdépendants les uns des autres ; cela me paraît un élément tout à fait fondamental sur lequel il faut insister.
Je suis aussi accessoirement ancien agriculteur ; aujourd'hui, le développement local ne peut pas être le seul fait des agriculteurs. Donc, si nous voulons véritablement prôner un développement harmonieux sur la participation des uns et des autres, il faut tenir compte au départ de cette notion d'interdépendance entre les uns et les autres. L'élu local ne mettra pas en place une structure de service, comme l'école, si son village ou son intercommunalité se dépeuple.
Il faut arriver à une harmonie entre la notion de service au niveau du territoire, la notion d'activité économique et la notion d'habitat et cette interdépendance permettra aux uns et aux autres d'être acteurs dans le développement local ; c'est tout à fait fondamental.
Aujourd'hui, nous sentons bien que la mutation dans laquelle nous sommes n'est pas suffisamment prise en compte par les acteurs locaux que nous sommes. Si nous voulons prendre en compte toute cette mutation dans laquelle nous sommes, nous avons aussi davantage besoin, au niveau des ruraux, d'accompagnement de ce que j'appelle la matière grise. Il est fondamental que nous ayons la matière grise pour permettre d'anticiper les mutations dans lesquelles nous sommes.
Je prends deux exemples.
L'ANDAFAR essaie de mettre en place des groupes de réflexion au niveau du territoire sur l'ensemble des régions. Lorsque nous mettons autour d'une table l'ensemble des acteurs, que ce soit des collectivités territoriales, des responsables économiques ou du monde associatif, on arrive, au travers de cette notion d'interdépendance, à faire évoluer les choses. Donc, tout n'est pas perdu d'avance.
J'ai également eu quelques responsabilités en Champagne-Ardenne autour des pôles de compétitivité qui, au travers de cette interdépendance entre le monde économique, le monde enseignant et le monde des collectivités territoriales, nous permet de faire des choses réelles dans le cadre de la décentralisation.
Nous sommes confrontés à une réalité de difficulté qui existe, mais lorsqu'un projet cohérent apparaît au niveau du territoire, tout le monde, dans le cadre de cette interdépendance, est prêt à s'en emparer dans le cadre de l'évolution qui permettra au territoire d'être dynamique demain.
Je suis de ceux qui réagissent par rapport à la morosité ; la morosité, on la cultive, alors que l'ambition du projet peut également se cultiver. Aujourd'hui, dans le cadre de cette interdépendance, il existe une ambition du projet qui peut nous permettre de cultiver une notion de projet dynamique pour l'ensemble des territoires ; à ce moment-là, l'élu a son rôle d'animateur de démocratie locale.
Aujourd'hui, même s'il y a des difficultés, si nous arrivons, au niveau de l'ensemble de nos territoires, à avoir le diagnostic et le projet partagés, les choses peuvent bouger.
Pierre-Henri GERGONNE. - Arrivez-vous, Monsieur Lapie, à concentrer toutes les énergies chez vous ?
M. Gérard LAPIE. - Il est capital de démontrer qu'il n'y a pas de fatalité au déclin. Tout le monde sait que, aujourd'hui, une mutation est en train de se produire et le monde rural, qui était plutôt en déclin il y a une quinzaine d'années où l'on parlait de désertification, de déclin, etc., connaît un mouvement inverse.
Comment nous, en tant qu'animateurs de notre démocratie locale, allons-nous prendre en compte cette problématique ? Il existe des problèmes de cohabitation de diverses activités et de communes : comment allons-nous réussir à faire en sorte que nos concitoyens puissent s'entendre sur un projet cohérent ?
J'insiste à nouveau en tant qu'élu sur cette notion qui m'apparaît fondamentale de diagnostic partagé avant d'aller au projet.
Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous le sentiment que des associations comme la vôtre, particulièrement dans les territoires ruraux, sont plus écoutées, mieux entendues par les élus ?
M. Gérard LAPIE. - Je ne veux pas passer de la brosse à reluire, mais, dans le cadre des groupes que nous animons au niveau des territoires ruraux, ce sont souvent les responsables des associations de maires ou d'élus qui demandent à s'emparer de cette animation. Cela signifie que, aujourd'hui, il y a une demande forte du côté des élus pour être des acteurs de cette animation et il appartient aux uns et aux autres de faire en sorte que les élus puissent être les animateurs de l'évolution de nos territoires.
Pierre-Henri GERGONNE. - Je donne la parole à Sylvie Errard qui représente le CELAVAR, Comité d'études et de liaison des associations à vocation agricole et rurale.
Procédez-vous de la même manière que M. Lapie ?
Mme Sylvie ERRARD, membre du bureau de l'Association de Formation et d'Information Pour le développement d'initiatives rurales (AFIP), représentant du Comité d'études et de liaison des associations à vocation agricole et rurale (CELAVAR)
Nous sommes assez proches dans la mesure où nous sommes dans une démarche de développement local où nous souhaitons faire émerger des projets de la population. Ce matin, on évoquait le fait que la décentralisation ne devait pas venir simplement du haut vers le bas, mais qu'il fallait des remontées ; en termes d'animation locale, il est important que les demandes viennent aussi de la base.
Je représente le CELAVAR, mais plus particulièrement l'AFIP, une association de formation et d'information pour le développement d'initiatives rurales. Nous insistons bien sur la notion d'information et formation. Pourquoi ?
L'AFIP est implantée sur sept régions en France avec une tête de réseau basée à Paris, car nous travaillons en étroite relation avec le ministère de l'Agriculture selon les périodes. Lorsque nous avons décelé les besoins sur les territoires régionaux, ce qui signifie une implication très forte des animateurs des associations, mais également des administrateurs, il faut les faire vivre et cela passe autant par de l'information des porteurs de projets que par leur formation et, parallèlement, la formation et l'information des élus. Nous sommes vraiment à l'interface entre des porteurs de projets, qu'ils soient agricoles ou d'activités plus économiques, et les collectivités locales.
Nous sommes dans des notions d'économie plus sociale, plus solidaire que ce qu'évoquait M. Guillon ce matin, mais il y a de la place pour tout le monde. Si nous voulons que tous les territoires puissent vivre et que tout le monde y vive à son rythme, il est essentiel de faire émerger tous les projets et d'essayer d'aider tout le monde à faire réaliser son projet. Tout le monde n'est pas capable de travailler dans une grande entreprise ou de créer une entreprise pour faire du business , mais tout le monde peut avoir des projets et l'envie de réaliser quelque chose dans lequel il se sent bien, seul ou à plusieurs.
Nous avons un pôle pour l'AFIP, très important dans la création d'activités ; il s'agit aussi bien de créer sa petite activité à soi que son association pour réaliser cette activité sur le territoire.
Lorsque tous ces projets émergent, on en parle, l'écoute prend beaucoup de temps et nous rencontrons souvent un problème de temps avec les élus, car ils ont un temps budgétaire, des lignes de budget qu'ils utilisent dans l'année et c'est tout.
Pour nous, entre le moment où nous sentons quelque chose qui émerge et celui où les personnes sont prêtes à travailler ensemble et à commencer à réaliser, la ligne budgétaire est passée.
Il est donc assez difficile de concilier ces deux choses.
Une autre difficulté que l'on rencontre avec des élus, mais ce n'est pas un reproche : ils ont besoin que nous leur disions clairement ce que nous voulons réaliser. Or, au départ, lorsqu'il y a ce frémissement, que nous sentons sur le territoire que des personnes ont envie d'agir, nous avons encore du mal à formaliser exactement ; ce sont les deniers publics qu'ils engagent et ils n'ont pas envie de nous suivre sur quelque chose de flou.
Pierre-Henri GERGONNE. - Les élus manquent-ils parfois d'audace ?
Mme Sylvie ERRARD. - Oui, dans certaines actions.
Par exemple, en Bourgogne et Franche-Comté, sur le pays d'Autun, les élus ruraux avaient vraiment besoin que nous les aidions à soutenir des porteurs de petites activités économiques, de type garderie d'enfants, etc. Ils voulaient y aller, car cela correspondait à un réel besoin du territoire, mais la ville centre, qui ne vit pas au même rythme et n'a pas les mêmes besoins, ne voyait pas pourquoi l'intercommunalité aurait suivi un tel projet.
La démocratie a fonctionné et les élus ruraux étant plus nombreux, ils ont réussi à tirer le projet.
Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous le sentiment que l'élu local est l'animateur de la démocratie de ses territoires ?
Mme Sylvie ERRARD. - Les élus locaux ont de plus en plus besoin d'être des techniciens, de se former et je me demande s'ils ont encore du temps pour avoir cette dimension politique et d'écoute.
Peut-être des associations comme les nôtres peuvent-elles être des relais, afin de leur amener ces informations dont ils peuvent avoir besoin. D'un autre côté, nous les gênons un peu, car nous arrivons avec un regard très large et politique, alors qu'eux souffrent de ce besoin de devenir des techniciens dans tout. Nous avons donc un peu de mal à nous comprendre.
Lorsque nous offrons des formations très généralistes aux élus, cela ne les intéresse pas ; en revanche, si nous leur apprenons à lire ou à réaliser un budget, ils s'inscrivent. Ce n'est pas un reproche, mais un réel besoin et il faut trouver cet équilibre pour avoir une vision globale, être à l'écoute du territoire et de plus en plus capable de répondre à des besoins très précis.
Les élus sont également très demandeurs de formation autour des responsabilités de l'élu et nous sentons vraiment une angoisse réelle par rapport à cela ; dans ce cas, peuvent-ils prendre des risques, ne serait-ce que de soutenir des projets plus ou moins flous ?
Lorsque cela fonctionne, ils le reconnaissent, ce qui est valorisant.
Nous avons différents financements : les associations ne viennent pas demander de l'argent, mais proposer quelque chose et, par définition, il faut de l'argent. Ce n'est pas l'association qui apporte quelque chose, mais elle vient parler au nom des personnes et l'AFIP a toujours fonctionné avec une action sur un territoire donné, afin de permettre à des personnes de créer quelque chose ; à un moment, lorsque les personnes sont capables d'agir seules, l'AFIP se désengage et va voir ce qu'elle peut faire sur un autre territoire.
Pierre-Henri GERGONNE. - La décentralisation a-t-elle changé quelque chose dans vos méthodes de travail et vos rapports avec les élus ?
Mme Sylvie ERRARD. - Non, car nous avons toujours travaillé aussi bien avec des collectivités locales, telles que les communes et les régions, qu'avec l'État.
En revanche, nous constatons un grand changement au niveau du Ministère de l'agriculture qui nous refuse de plus en plus de financements en invoquant le fait que c'est la décentralisation, des actions locales et qu'il n'a aucune raison de financer quelque chose de national.
Nous avons un réel problème à ce niveau, mais les associations ne vivent essentiellement que des subsides publics.
Nous mettons beaucoup de temps à mettre quelque chose en place et les élus ont du mal à intégrer tout le temps de réflexion, de maturation d'un projet et ne prennent en compte que le moment où nous agissons.
Pierre-Henri GERGONNE. - J'ai le plaisir de me tourner vers M. Alain Griset qui préside les Chambres des métiers, vous êtes le principal artisan de la troisième entreprise de France. La formation et l'apprentissage font bon ménage depuis maintenant pas mal de temps avec les régions, en particulier.
Peut-on dire que le financement de cet apprentissage par les collectivités territoriales est une vraie réussite de la décentralisation ?
M. Alain GRISET, Président de l'Assemblée permanente des Chambres de métiers (APCM)
Entre Lille et Valenciennes, les relations ne sont pas toujours au beau fixe, mais, du point de vue des Lillois, ce qui a été fait à Valenciennes est remarquable. L'espoir est revenu grâce à l'action menée sur Valenciennes et l'on peut voir aujourd'hui la différence concrète grâce au travail réalisé.
Concernant l'apprentissage, il est évident que le passage de compétences au Conseil régional a été pour nous un vrai changement, d'abord par rapport aux interlocuteurs, mais également par rapport aux possibilités de pouvoir passer des messages nouveaux auprès d'élus pour qui l'apprentissage n'était pas la priorité.
Dans de nombreuses régions, l'apprentissage a été pris à bras le corps par les élus régionaux, aussi bien en investissement qu'en fonctionnement dans les centres de formation, et a été considéré comme un vrai outil de formation à côté de l'enseignement général ou comme outil d'insertion professionnelle des jeunes. Pour une fois, dans notre région qui est très jeune, il y avait vraiment un besoin d'insérer professionnellement, de qualifier les jeunes.
Pierre-Henri GERGONNE. - Cela fonctionne-t-il mieux avec les régions qu'avec l'État ?
M. Alain GRISET. - Sur l'apprentissage, oui.
Il existe 880 000 entreprises artisanales, soit 3 millions de salariés, mais elles sont de petite taille, avec en moyenne quatre salariés, même si de plus en plus en ont dix ou quinze. Tout à l'heure, on évoquait le fait que les communes de petite taille n'ont pas d'ingénierie, mais l'artisan qui a trois, quatre, cinq ou dix salariés n'a pas avec lui un directeur financier, juridique ou des ressources humaines. Toute la complexité est pour lui source de difficultés dans sa gestion de tous les jours.
Le fait d'avoir un interlocuteur de proximité a été pour nous source de facilitation dans la gestion et le développement de l'apprentissage.
Pierre-Henri GERGONNE. - Avez-vous rencontré des problèmes financiers avec les régions et cela se passe-t-il mieux aujourd'hui qu'avant dans ce domaine ?
M. Alain GRISET. - C'est plus délicat, car il y a des limites. Les régions ont des ressources provenant pour la plupart des entreprises. Un grand débat est en cours sur la taxe professionnelle, mais nos entreprises la payent et, au fur et à mesure que des politiques sont mises en œuvre dans les collectivités, on risque de pénaliser l'emploi par l'impôt.
Nous sommes à la fois demandeurs de financement pour l'apprentissage et, en même temps, nous contribuons et souhaitons quelque chose de raisonnable.
Néanmoins, il y a une volonté politique nécessaire : la région a-t-elle une vraie volonté politique de développer l'apprentissage comme un mode de formation complémentaire d'un autre mode de formation et comme mode intégrateur dans le monde du travail ?
Pierre-Henri GERGONNE. - Quelle est votre réponse ?
M. Alain GRISET. - C'est nuancé suivant les régions. Dans certaines régions, des politiques très fortes ont été menées, avec des évolutions importantes et objectives, d'autres régions se sont moins impliquées.
Néanmoins, globalement, on peut considérer que le transfert aux Conseils régionaux a développé les moyens mis à disposition de l'apprentissage, même s'il reste un vrai problème dans lequel les sénateurs auront un rôle à jouer : sur l'apprentissage, il y a au minimum deux financeurs, le Conseil régional, dont c'est la compétence, et l'entreprise par la taxe d'apprentissage.
Aujourd'hui, la gestion de la taxe d'apprentissage peut s'améliorer : nos entreprises qui forment 30 % des apprentis ne récoltent que 3 % de taxe d'apprentissage, alors que les très grandes branches professionnelles en capitalisent et en captent une très grande partie.
Nous espérons toujours que les parlementaires décideront d'affecter en réalité la taxe d'apprentissage à ceux qui forment les apprentis. Les conseils régionaux ne devraient pas être les seuls à supporter le financement de l'apprentissage, car il existe d'autres modes de financement qui devraient être mieux utilisés de façon à mieux répartir ce financement.
Pierre-Henri GERGONNE. - Quel argument utilisez-vous ? J'imagine que vous faites du porte à porte chez les Présidents de région pour les convaincre d'investir plus encore dans l'apprentissage des apprentis.
Alain GRISET. - Autant, il y a vingt ans, l'artisanat était le seul secteur qui continuait à considérer l'apprentissage comme une vraie source de formation, autant, aujourd'hui, par ses résultats surtout en termes d'efficacité pour trouver du travail et avoir un vrai métier, tout le monde reconnaît que cette forme de formation a réellement fait ses preuves. Lorsque nous rappelons aux Présidents de conseils régionaux qu'il y a 11 ou 12 % chômeurs, en particulier des jeunes, à qui il faut donner la possibilité, par l'apprentissage, d'avoir un vrai métier, peu d'entre eux considèrent qu'il n'y a pas un effort à faire, car il faut bien gérer les jeunes qui n'ont pas de métier.
Cet argument est reconnu, car prouvé par les chiffres : plus de 80 % des jeunes étant passés par l'apprentissage sont ensuite intégrés dans le monde du travail sans difficulté et les 20 % autres trouvent aussi à s'insérer.
Pierre-Henri GERGONNE. - Nous avons constaté qu'il existe une énorme palette des responsabilités et des compétences des élus. L'élu local peut-il tout faire ? Peut-il faire face à des responsabilités de plus en plus étendues, voire lourdes ? Doit-on adapter ce statut ?
Je me tourne vers Philippe Lauvaux, professeur de droit public à l'Université Paris II, qui exerce également à l'Université libre de Bruxelles.
M. Philippe LAUVAUX, Professeur de droit public à l'Université Paris II
L'élu ne peut certainement pas tout faire et il ne doit pas tout faire. Or, c'est l'un des problèmes que pose cette tradition culturelle qui a ses lettres de noblesse, tradition culturelle politique propre à la France, même si elle existe dans quelques autres pays comme le Portugal, mais qui distingue la France de l'Allemagne, la Grande-Bretagne ou l'Italie : le cumul des mandats parlementaires nationaux avec les mandats locaux.
Si nous avons tous des souvenirs d'images paternelles de sénateur ou député-maire, cette époque est bien révolue et le problème actuel n'est pas seulement un problème de temps que les élus peuvent consacrer à leur fonction, mais également un problème de compatibilité institutionnelle, lié à l'éventualité d'une extension de la corruption.
Compatibilité institutionnelle, car, si le rôle principal du Parlement, qui est de contrôler l'exécutif, est bien tenu en général en Allemagne et au Royaume-Uni, il ne l'est pas en France pour des raisons au départ constitutionnelles.
Pierre-Henri GERGONNE. - Vos propos signifient-t-ils que nos parlementaires, les sénateurs et députés rédigent mal les lois ?
Philippe LAUVAUX. - Je ne parle pas de la fonction législative, mais de la fonction de contrôle, qui avait été sérieusement rabotée par les dispositions constitutionnelles du titre V de la Constitution de 1958. Depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, on a rendu aux parlementaires et spécialement à l'Assemblée Nationale des moyens de contrôle, que facilite la session unique (dont j'ai vu qu'un auteur était contre, car cela allait contre le principe du cumul des mandats, comme si c'était la fin en soi, et qu'il fallait tout adapter à cela) ; or, le cumul des mandats qui n'est qu'autorisé, permis du fait du silence de la loi, mais maintenant plafonné du fait des dispositions de la loi de 1985, met les parlementaires dans l'impossibilité matérielle, faute de temps disponible, d'exercer leur mission principale : le contrôle de l'exécutif. L'affaire de la directive Bolkenstein est un bon exemple de cette carence.
De plus, le cumul des mandats vient poser des problèmes en termes de corruption virtuelle. En effet, depuis les lois Defferre de 1982, cela place les élus locaux en même temps parlementaires en face d'inévitables conflits d'intérêt. Or, relevait Yves Mény, c'est une des nécessités prudentielles sinon législatives les plus absolues dans un État de droit moderne que d'éviter de placer les parlementaires, élus locaux en même temps, dans une situation de tentation ; c'est le moyen le plus sûr d'éviter l'extension du phénomène de corruption, dont nous avons eu quelques exemples criants il y a une dizaine d'années dans plusieurs grandes et moyennes villes françaises.
Pour éviter ce phénomène, l'interdiction du cumul des mandats me paraît la solution. Il faut l'interdire, sinon le cumul des mandats devient obligatoire, comme Michel Debré l'avait déjà remarqué en 1955. C'est une obligation politique, mais une obligation qui fait que, par rapport aux régimes précédents, depuis la V ème République, on est arrivé à ce que seulement 10 % des députés et 15 % des sénateurs n'aient pas un mandat local.
Il faut au moins instituer une interdiction du cumul des mandats parlementaires avec les mandats de direction d'un exécutif local, ceci valant non seulement pour les parlementaires nationaux, mais en premier lieu pour les membres du gouvernement. Dans le projet de loi organique de M. Jospin de 1998, l'interdiction était prévue pour les parlementaires, mais pas pour les membres du Gouvernement, ce que le rapport Larché avait bien mis en évidence : le premier danger vient d'abord des membres du Gouvernement et, ensuite, des parlementaires.
Pierre-Henri GERGONNE. - Pour vous, c'est un mandat et un seul ?
M. Philippe LAUVAUX. - En tout cas en ce qui concerne les membres de l'Assemblée nationale. Pour le Sénat, on peut discuter, car il existe une spécificité qui s'appuie sur l'article 24 de la Constitution.
Je pense que l'interdiction devrait valoir également pour le Sénat concernant la direction d'un exécutif local important, donc un conseil régional ou général ou pour une ville de plus de 30 000 habitants.
Pierre-Henri GERGONNE. - Valérie Létard, quelle est votre pensée profonde sur ce très délicat problème ?
Mme Valérie LÉTARD. - Je suis très sensible à la réalité de terrain et je ne conçois pas mon engagement politique sans une prise directe avec le terrain. Par conséquent, si je n'étais que sénatrice, je me sentirais très vite déconnectée de la réalité.
Je suis contre le cumul de multiples mandats, mais je suis convaincue qu'un bon parlementaire doit avoir un mandat territorial, tel qu'élu local, conseiller général ou régional pour être en lien avec les porteurs de projet, économiques, associatifs ou élus locaux. Vous les rencontrez au quotidien, car ils viennent vous expliquer leurs difficultés. Si vous n'avez pas ce mandat territorial, vous êtes pris dans votre engagement national, vous voyez de moins en moins le terrain et vous vous éloignez de plus en plus, et vous perdez tous vos réseaux de proximité.
Si je n'étais pas élue territoriale, je ne verrais plus de nombreuses personnes.
Aujourd'hui, mon travail parlementaire porte sur le logement et j'ai l'impression de pouvoir le faire efficacement, car je travaille au quotidien avec des gens investis sur le terrain : des associations, des organismes HLM, tous les partenaires élus locaux, départementaux, régionaux, sur les problématiques d'impayés de loyer, de types de logement, les difficultés des élus pour atteindre le quota des 20 % de logements sociaux, etc. Si vous n'êtes pas en même temps sur le territoire, vous ne pouvez pas, au quotidien, rapporter au niveau national une réalité concrète et vous creusez le fossé entre la réalité et ce qui sort de l'hémicycle.
Maintenant, si l'on est élu local et président d'une très grosse intercommunalité ou d'une communauté urbaine de la taille d'une institution territoriale, départementale ou régionale, cela commence à représenter beaucoup de responsabilités, mais, entre tout et rien, il faut peut-être trouver un juste équilibre sur lequel il faut réfléchir.
Pierre-Henri GERGONNE. - Certainement des questions ou des réactions sur le cumul des mandats ?
M. Dominique REYNIÉ. - Le problème du cumul des mandats est lié à l'absence de statut de l'élu; c'est un serpent de mer et en l'état actuel des choses, les élus sont amenés à cumuler, assez rationnellement.
Ce matin, on disait sur un mode un peu ironique que les élus se plaignent, mais se représentent en fin de mandat ; pour une bonne part d'entre eux, c'est parce qu'il n'y a pas de stratégie de sortie de statut de l'élu, à part pour les membres de la fonction publique ou les retraités, soit les deux catégories les plus représentées dans le monde des élus, ce qui pose un problème démocratique. Il faut donc introduire le statut de l'élu dans cette réflexion.
Pierre-Henri GERGONNE. - Philippe Lauvaux, partagez-vous ce sentiment ?
M. Philippe LAUVAUX. - Bien sûr. D'ailleurs, je faisais remarquer que le silence des textes fait que le cumul des mandats est politiquement obligatoire. Il faut donc commencer par un statut de l'élu.
Quant au lien avec le terrain évoqué précédemment, nous sommes bien d'accord, mais avez-vous le sentiment que le député anglais est coupé du terrain ?
Mme Valérie LÉTARD. - Nous n'avons peut-être pas la même organisation.
M. Philippe LAUVAUX. - Il peut exister une solution moyenne : que cela se fasse successivement dans le temps, comme en Allemagne où l'on commence par être un élu local et on est ensuite un élu au Bundestag, mais on ne cumule pas les fonctions.
Pierre-Henri GERGONNE. - N'y a-t-il pas un problème de lisibilité du travail de l'élu ? Parfois, le citoyen ne sait plus qui parle : le président de l'agglomération, le maire ou le président du Conseil général.
M. Dominique RÉYNIE. - Je pense qu'il ne s'est jamais retrouvé dans tout cela, mais il retient aujourd'hui qu'il y a des élus de proximité pouvant être en même temps des élus nationaux qu'il connaît, reconnaît, auxquels il sait poser des questions et, éventuellement, porter des revendications. Il sait donc à peu près comment cela fonctionne, qui aller voir et que dire, mais il est évident qu'il n'est pas en mesure de savoir qui fait quoi exactement.
Je ne suis pas certain que l'on progresse beaucoup dans cette connaissance à partir du non-cumul qui est une vraie question.
Pour les électeurs, c'est un monde complexe, mais ils surpassent cette complexité d'une manière très ingénieuse par un rapport de proximité avec les élus, des personnes très connues dans les territoires qu'elles représentent et pour lesquels elles agissent tous les jours.
M. Philippe LAUVAUX. - D'un autre côté, l'exception française peut se justifier si la France tient à sa tradition de cumul. Encore faudrait-il que les choses soient claires. Dans son rapport sur le projet de loi Jospin en 1998, dont l'objectif était la clarification des rôles en matière institutionnelle, le sénateur Larché avait fait remarquer que le cumul était bien accepté localement. D'autres études font état de sondages défavorables au cumul.
Un référendum a eu lieu récemment et s'il me paraît bien qu'il puisse y avoir un référendum dépassionné donnant lieu à un débat intéressant, il consisterait à savoir si les Français souhaitent voir poursuivre le cumul des mandats ou pas.
Mme Valérie LÉTARD. - Avant, il faudrait procéder à une très forte information sur les différents niveaux institutionnels vers l'ensemble de la population avant de lui demander de trancher. Combien de Français connaissent précisément ce qu'est une intercommunalité, une communauté de communes, une communauté agglomération, une communauté urbaine, une région, un département et pourquoi il y aurait intérêt ou pas à ne pas cumuler de mandats.
Cela représente un énorme travail qui commence par l'école.
M. Dominique REYNIE. - Le président Giscard d'Estaing disait : "Le référendum est une bonne idée à condition que la réponse soit oui !"
Pierre-Henri GERGONNE. - Madame Errard, Monsieur Lapie, cela vous gêne-t-il que les élus puissent être représentés au Parlement, au département ou à la région ?
Mme Sylvie ERRARD. - Pour nous, il existe un intérêt à avoir un mandat local de proximité, en raison des dimensions trop importantes en termes de responsabilité.
Il est également important pour nous d'avoir des représentants locaux au niveau national, car nous avons comme partenaire le ministère, et ces échelons permettent à l'information de bien circuler de manière ascendante.
Nous nous posons quand même la question, dans la mesure où les députés et les sénateurs votent des textes de loi sur le fait que l'animation rurale est dotée d'un budget de tant et que les associations sont financées sur leurs projets. Lorsque nos élus reviennent sur le terrain, ils indiquent qu'ils ont bien défendu le texte, mais nous ne voyons jamais l'argent.
M. Gérard LAPIE. - Un mot sur la démocratie locale : le problème récent du référendum a été évoqué. Il est clair aujourd'hui que les élus au Parlement européen ont besoin d'une attache locale. Si l'on veut véritablement que l'idée européenne progresse, il faut éviter une trop forte séparation entre les uns et les autres. Nous avons besoin de cohérence entre les uns et les autres et de cette nécessaire adaptation au niveau du terrain des élus.
Si nos concitoyens sont trop distants de la notion européenne, cela m'interroge. Il y a donc cette notion permanente du lien entre une responsabilité qui peut être locale et, que nous le voulions ou non, le fait que nous sommes dans l'Europe et, en plus, dans la mondialisation. Comment arriver à harmoniser cela pour faire en sorte que l'élu soit en capacité d'expliquer les évolutions dans lesquelles nous sommes aujourd'hui et soit véritablement animateur de démocratie locale ?
Je poserais plus la question en termes de réflexion prospective : dans l'évolution et la mutation dans lesquelles nous sommes, comment l'élu peut-il être moteur de cette réflexion et de cette animation sur la démocratie locale qui, pour moi, est fondamentale ?
Aujourd'hui, nous souffrons beaucoup plus d'un déficit d'animation de démocratie locale.
Je n'ai pas de responsabilités dans le domaine politique, j'ai été dans le domaine économique, des collectivités, mais je crois que nous avons besoin de cette cohérence entre les uns et les autres pour permettre une évolution dans une société en pleine mutation, à un moment où l'on demande à l'élu d'être un animateur de démocratie locale, ce qui est fondamental. Donc, il ne faut pas être complètement déconnecté de tout ce qui se passe autour de nous.
Cela mérite une vraie réflexion.
Mme Johanne VILLEGAS. - Je suis citoyenne lambda, mais pas complètement déconnectée des questions de décentralisation, etc.
Poser la question juridique du rôle d'animation par l'élu local du territoire uniquement ciblé sur la question des mandats et de façon très verticale est un peu limité. Le cumul des mandats se fait également au niveau du territoire, avec un cumul de responsabilités des élus locaux dans un certain nombre de services, etc.
Faisons attention à ne pas penser la question de l'animation de la démocratie locale que verticalement d'un point de vue juridique.
On dit que le citoyen lambda n'est pas au courant : il est vrai qu'il manque d'information et c'est le rôle d'un certain nombre d'élus, des collectivités locales, de l'État, des associations et les citoyens doivent également s'informer.
J'ai l'impression, à travers les interventions, que l'on va aller expliquer aux citoyens ; que ce soit des acteurs habitants au sens personnes physiques à titre personnel et collectivement de manière organisée sous forme associative, syndicale, etc., il ne faut pas les négliger.
Je trouve que cette question de l'animation au sens horizontal où l'élu peut être au centre de l'animation manque au débat. Il est élu, donc il a une représentation démocratique, mais il y a également des délégations de responsabilité, des partenariats ou des projets communs à mettre en place, ce qui sera d'autant plus facile pour l'élu local s'il fait un peu confiance aux citoyens lambda et aux acteurs organisés localement.
M. Gérard LAPIE. - Il n'y a pas d'ambiguïté : si l'on veut véritablement qu'il y ait une animation du territoire, il faut que l'élu soit l'animateur de l'ensemble des activités, qu'elles soient économiques ou associatives. Il doit donc également donner la responsabilité au monde associatif et au monde économique. Si nos concitoyens ne se sentent pas acteurs de ces développements locaux, il y aura un déphasage entre les uns et les autres.
Que nous soyons élus d'association, de collectivité territoriale ou élus économiques, notre rôle est de faire en sorte que nos concitoyens soient acteurs du développement.
Le monde consulaire doit travailler en commun pour que cette prise de conscience se produise.
Un certain nombre de structures existent et il ne faut pas que l'élu s'asseye dessus et soit omniprésent, car il n'y aura pas cette prise en compte de l'ensemble de nos concitoyens d'avoir un rôle à jouer dans cette construction dans laquelle nous sommes.
M. Roland VATRY. - Mairie d'Argenteuil
Je posais la question sur la taille des territoires que représente l'élu. Des maires sont d'office à la tête d'une ville de trois cantons ou d'une circonscription.
Je m'interroge, à propos des maires de très grandes villes, sur la nécessité de cumul des mandats concernant leur propre personne. On a l'impression depuis ce matin que l'élu de plus petite échelle, le maire, travaille seul et qu'il n'y a pas d'équipe locale autour celui. Or, pourquoi parle-t-on de cumul des mandats ? On ne pense qu'au maire, alors qu'il a été élu à la tête d'une équipe. Le cumul des mandats se résoudrait plus facilement s'il y avait de sa part une délégation de ses fonctions pour un mandat législatif ou autre plus important et indépendant de la mairie, en confiant cela à un adjoint qui sera à même de représenter la ville dans un autre mandat.
Pierre-Henri GERGONNE. - Les situations sont très hétérogènes.
M. Pierre CORNELOUP. - Je souhaiterais revenir sur le problème de l'éloignement entre l'Europe et les citoyens.
Je siège au Congrès des pouvoir locaux du Conseil de l'Europe, cette institution fonctionnant avec trois dimensions : le Conseil de l'Europe, le Conseil des Ministres et le Parlement. En 1992, le Conseil de l'Europe s'est aperçu que l'on était très loin des problèmes locaux et a voulu créer au sein de son institution le Congrès des pouvoirs locaux constitué d'élus locaux.
Nous travaillons sur des cas ponctuels au niveau le plus bas : la violence à l'école, dans les stades, l'autonomie locale, la démocratie locale, les cultes, l'intolérance, des problèmes de société.
Le Conseil de l'Europe a voulu, depuis 1992, avoir des élus de terrain, car il s'est aperçu que c'était indispensable et nécessaire.
Lorsque l'on veut travailler même à un échelon national, on a besoin de l'expérience des élus locaux.
Pierre-Henri GERGONNE. - La démocratie locale, telle qu'elle se construit et se pratique en France, est-elle un exemple pour d'autres pays européens ?
M. Pierre CORNELOUP. - Le Conseil de l'Europe aide les pays émergents arrivés chez nous, et depuis la chute du mur de Berlin, à avoir une autonomie et une démocratie locale.
Nous aidons à la préparation des élections dans ces pays, nous surveillons le déroulement et nous faisons de la formation. L'exemple à la limite de l'Europe de l'ouest pourrait être appliqué à la grande Europe pour une raison essentielle : travailler sur le respect des droits de l'Homme, des citoyens. Le Conseil de l'Europe est une institution de réflexion qui, ensuite, envoie des directives, des recommandations aux gouvernements pour essayer de les retenir, de les appliquer. Nous avons besoin des élus locaux pour faire passer nos messages.
M. Pierre-Henri GERGONNE. - Valérie Létard , on voit de plus en plus sur les écrans Internet des blogs, des forums de discussion, y compris très locaux.
L'émergence d'Internet, de ces forums, de cette parole libérée, parfois très critique, fait-elle partie de cette avancée de la démocratie de proximité, du dialogue nécessaire et fécond entre les élus et les citoyens ?
M. Valérie LÉTARD. - Il faudra une nécessaire adaptation du monde des collectivités et de la politique à ce nouveau moyen d'échanges et de communication avec la population. C'est l'évolution de notre société et de sa façon d'entrer en contact avec les autres.
Bien sûr, les collectivités doivent s'emparer de cela le plus rapidement et le plus efficacement possible et, peut-être, au niveau national, réfléchir à la façon dont nous devons l'organiser. Ce sont des moyens de communication qui évoluent très vite, que l'on ne maîtrise pas bien et sur lesquels il faut se pencher.
Je suis incapable de vous indiquer la bonne solution, mais il est certain que les jeunes communiquent majoritairement et pratiquement essentiellement via Internet et nous ne pouvons pas ignorer ce fait si nous voulons vraiment entrer en contact avec la population de tous âges.
C'est un vrai chantier en matière de démocratie qu'il faut absolument creuser et développer.
Un mot par rapport au Conseil de l'Europe et les élus locaux : il n'en reste pas moins que, à côté, il y a des parlementaires européens qui peuvent s'éloigner de cette réalité locale ; dans le cadre du processus de co-décision, ils peuvent être amenés à voter sans avoir connaissance de votre réalité territoriale. Il faudrait trouver un moyen pour que les parlementaires européens restent en contact avec le terrain. Il est essentiel que le plus haut niveau, l'Europe, puisse bénéficier de la réflexion en amont, mais, au moment du vote, le parlementaire européen doit aussi toujours être bien en phase avec sa réalité territoriale et la réalité européenne.
M. Patrick BERNARD. - Je propose de faire une distinction entre le compliqué et le complexe.
Le compliqué n'est pas tellement évitable, c'est la technicité de nos missions. Il existe de nombreuses règles très précises et détaillées, car il y a beaucoup de problèmes pour lesquels nous cherchons des solutions. En revanche, il ne faut pas que les réglementations rajoutent une couche de complexité, alors que l'on parle de simplification administrative.
Comment faire face techniquement à ces réponses ?
Les élus à la tête d'institutions importantes peuvent s'appuyer sur des techniciens en ingénierie ; a contrario , dans les petites collectivités, il n'y a pas une transparence, une mutualisation, une organisation afin de faire circuler la connaissance pour savoir qui fait quoi.
C'est le paradoxe de la question du statut de l'élu : on pourrait penser que l'on professionnalise les élus, alors que c'est tout le contraire. Aujourd'hui, les élus sont amenés à cumuler des mandats, car il n'existe pas de stratégie de sortie, donc sociologiquement, ils sont amenés à sécuriser leur parcours en ayant toujours des portes de sortie, car il n'y a pas de statut de l'élu. A contrario , le statut de l'élu permet que ce soit des mandats qui tournent, que les personnes ne se sentent pas obligées de se représenter.
La complexité vient du fait que nous vivons dans un monde d'incertitude, que l'avenir n'est pas complètement prévisible, qu'il y a des interdépendances très fortes entre les acteurs, les thématiques, ce qui n'est pas évitable.
Une des solutions pour y faire face est cette démocratie locale : comment faire vivre toutes les paroles d'expert, tout le monde ayant une parole d'expertise, y compris un citoyen ou un habitant ? S'il y a une professionnalisation des élus à mettre en place, la question n'est pas qu'ils soient des techniciens et puissent prendre une décision sur un dossier, mais qu'ils soient des professionnels de l'animation de la démocratie locale, plus outillés, afin d'animer ce débat d'experts, de toutes les parties prenantes ; grâce aux méthodologies, on peut faire participer davantage de personnes à une discussion vivante et pas simplement en organisant des grand-messes où seulement certaines personnes peuvent prendre la parole.
(Applaudissements...)
Pierre-Henri GERGONNE. - En tant que maire d'une petite commune, le fait d'être en même temps chef d'entreprise vous amène-t-il à avoir plus de facilité pour gérer cette complexité, en particulier réglementaire, que vous évoquiez à l'instant ?
M. Patrick BERNARD. - Non. M. Reynié évoquait la culture de la décentralisation que l'on n'avait pas en France. J'ai fait Sciences Po et, à cette époque, j'étais découragé par la complexité de l'État et je ne voulais pas rentrer dans cette institution déresponsabilisante ; je n'avais absolument pas imaginé les collectivités territoriales, car nous n'avons pas cette culture, alors que c'est un terrain d'expérimentation très intéressant.
Je me suis trouvé démuni en tant que maire, malgré mon apparente qualification, pour faire face à de nombreuses réglementations, prescriptions très impressionnantes. Il est passionnant de pouvoir contribuer à l'évolution de la collectivité, mais il n'existe pas de qualification qui prépare à exercer un mandat : c'est spécifique pour des raisons d'animation et, sur le plan technique, c'est très lourd. Il est important de mettre en place des relais, avec une certaine transparence et une accessibilité pour que les élus ne soient pas obligés d'être des techniciens de la politique.
Pierre-Henri GERGONNE. - Merci Monsieur le maire de votre témoignage.
Merci à tous d'avoir participé à cette table ronde.
M. Jean PUECH, Président de l'Observatoire de la décentralisation, Sénateur de l'Aveyron
M. Jean PUECH. - Après les points de vue et les témoignages que nous avons entendus avec intérêt au cours de cette intéressante journée d'échange et d'analyse, je voudrais vraiment vous remercier toutes et tous d'avoir remarquablement animé ce débat. Ce n'était pas simple, mais c'est une première et j'estime que le bilan est positif.
Je souhaiterais remercier M. le ministre chargé des collectivités locales, Brice Hortefeux qui est parmi nous, et, en même temps, associer M. le Sénateur Jean-Pierre Raffarin et Premier Ministre.
Ce matin, en accueillant tout le monde, j'ai évoqué cette réforme de la mère des réformes, combien elle est importante pour notre pays qui en a besoin pour avancer.
Le Ministre Brice Hortefeux est depuis peu de temps dans le gouvernement, mais je suis sensible à sa capacité d'écoute et je suis convaincu qu'il saura traduire la demande très forte des acteurs de la décentralisation sur le terrain, ces acteurs qui, tout au long de la journée, ont exprimé un certain nombre de propositions, ont regretté un certain nombre de comportements.
Je vais essayer de les rassembler et je souhaiterais que l'on ne prenne pas à titre personnel les observations parfois un peu rudes ; ce ne sont pas les personnes qui sont critiquées, mais des systèmes engendrent des situations et sont critiqués. D'ailleurs, ces systèmes ont bien souvent été créés ou ont évolué à notre insu et l'on se rend compte plus tard que cela ne va pas très bien et qu'il faut corriger ; le système, lorsqu'il est en place, veut perdurer. Tout cela n'est pas très simple.
Si l'Observatoire de la décentralisation n'a pas une longue existence, je pense que, au terme de cette journée qui n'est qu'une étape, je souhaite vous livrer quelques réflexions qui, en vous entendant, se confirment et sont devenues des convictions.
Sur ce vaste chantier considérable, on trouve l'État, c'est-à-dire vous, et les administrations centrales. Tout à l'heure, quelqu'un a demandé si l'État est représenté. Je dois vous indiquer que les administrations ont été toutes invitées, mais je n'ai pas vu de réponse.
Il y a également les collectivités locales et la société civile qui s'est très largement exprimée.
Je constate vraiment la nécessité d'intensifier le dialogue. Si l'on demande davantage de dialogue, cela signifie qu'il est faible et qu'il y a très peu d'échanges ; j'ai même noté l'expression "cloisonnement des discours, cloisonnement des pensées", employée par Jacqueline Gourault et Jean-Pierre Guillon. Ces difficultés, dans les échanges, dans cette nécessaire communication, dans cet indispensable dialogue, se sont amplifiées sans que l'on en prenne conscience, ni les uns ni les autres, malgré la multiplication des structures, des instances dites participatives qui ont été créées à tous les niveaux.
On peut en conclure que toutes ces instances dites participatives ont compliqué la vie et, en compliquant la situation, on a compliqué la communication, ce qui est un vrai problème qu'il me paraît urgent de prendre en compte.
Il m'est souvent arrivé de dire qu'il y a les lois de décentralisation, notamment cet Acte II que l'on met en œuvre ; quel courage il a fallu pour porter ce dossier, participer à de nombreuses réunions ! La loi est là.
Il y a la loi, qu'il faut évidemment appliquer, et il y a l'esprit de la loi.
Je voudrais, pour favoriser ce dialogue, que l'on rappelle ce qu'est l'esprit de la loi.
Dans cette "maison", nous votons des lois, mais le suivi n'est pas suffisant pour savoir si elles sont vraiment bien mises en œuvre ; il n'y a pas d'évaluation pour vérifier si tout est mis en œuvre, afin d'atteindre les objectifs fixés par la loi.
Pour arriver au résultat que nous souhaitons et que souhaitent nos concitoyens, c'est-à-dire la plus grande efficacité possible de l'action publique, il est indispensable qu'un dialogue confiant se développe entre les acteurs de la décentralisation : on attend la réforme de l'État et nous, collectivités locales, avons mis en œuvre cette réforme depuis plus de vingt ans. L'État a-t-il accompli un tel changement depuis vingt ans ? Non, loin de là. Et il y a les sociétés civiles, avec le monde socioéconomique avec lequel nous travaillons au quotidien au niveau local.
Or, aujourd'hui, au lieu de cette confiance que nous souhaitons et qui pourrait susciter l'enthousiasme dans la mise en œuvre de ces lois aussi importantes pour notre pays, c'est plutôt la défiance qui domine, voire même la résistance au changement. C'est la défiance de l'État, qui par la voix de ses services centraux, répond trop souvent a minima ou essaie de reprendre d'une main ce que le législateur a décidé d'une autre.
Avec ce comportement, on ne peut pas être surpris si, en retour, les collectivités locales expriment également leur défiance malgré les assurances données et la Constitution qui a été adaptée et affirme qu'aucun transfert de charge ne se fera sans compensation. Louis de Broissia a indiqué ce matin que c'était la bombe atomique nous permettant de préserver les intérêts des collectivités, mais, chaque jour, nous sommes obligés de continuer à batailler pour obtenir ce qui est simplement dû aux collectivités.
Des exemples ont été livrés ce matin : on a évoqué le RMI, les transferts de compétence et les transferts de moyen, mais on n'a pratiquement pas abordé les transferts de personnel. Par exemple, pour le RMI transféré depuis le 1 er janvier 2004, bientôt deux ans, le personnel a été mis à disposition, mais il ne connaît pas encore son futur statut ; on ne connaît pas les personnes qui seront transférées à l'unité près et, lorsqu'elles seront transférées, on ne connaît pas encore le statut qui sera proposé. Cette situation ne peut pas engendrer chez ces personnes la sérénité.
Demain, il y aura le transfert du personnel de l'équipement en plus grand nombre : connaîtront-ils la même situation ?
On retrouve cette défiance dans la mise en œuvre du calendrier de la loi, avec des décrets qui, en raison du retard pris dans leur élaboration, sortent seulement quelques jours avant leur mise en application, donnant ainsi le sentiment aux collectivités locales qu'elles sont toujours mises devant le fait accompli.
Un exemple : une excellente loi concerne les handicapés et il était temps de reprendre ces textes. Cette loi sera mise en œuvre le 1 er janvier 2006, mais les décrets ne sont pas publiés, ils viennent juste d'être transmis au Conseil d'État qui, peut-être, permettra de les publier avant la fin de l'année. Ensuite, il faut attendre les circulaires que l'on ne connaîtra qu'une fois la compétence vraiment transmise à compter du 1 er janvier.
Tout cela arrive toujours en retard, alors que toutes les informations demandées au niveau local et des départements ont été transmises par les préfets au niveau central avant le 1 er janvier 2005.
On attend toujours le dernier moment et même après et tout cela n'est pas bien dans l'ambiance générale pour avoir un climat de dialogue.
On constate que, malgré les lois ou les circulaires qui rappellent que les préfets dans les départements sont les chefs des services administratifs de l'État, des administrations centrales travaillent directement avec leur direction au niveau des départements et court-circuitent les préfets.
Là aussi, cela ne favorise pas l'ambiance. Il se crée ainsi un état de confusion, que l'on peut ignorer, mais tout cela peut être corrigé très rapidement ; il suffit de tirer ces premiers enseignements, on les enregistre et on prend rapidement les décisions pour les corriger.
Pourquoi la décentralisation est-elle toujours plus difficile à mettre en œuvre et à faire exister que prévu ?
La France a une gouvernance territoriale se heurtant à de très nombreux obstacles ; notre pays est marqué par cette pesanteur historique centralisée et nous-mêmes et nos concitoyens sommes enracinés dans cette histoire et cette culture ; on dit facilement qu'il faut changer, mais à condition que cela touche seulement le voisin, donc le changement est toujours difficile à orchestrer.
Il faut tout de même entrer un peu plus dans le détail, comme vous l'avez fait, donc je passerai rapidement sur ces trois mots : l'administration centrale, les collectivités locales et tous nos partenaires au niveau local.
ü Les collectivités territoriales :
J'ai noté ce qui a été dit et ce qui ne l'a pas été.
Les niveaux, ce sont la commune, l'intercommunalité, la communauté de commune, d'agglomération, les pays, le département, la région, l'État, soit sept niveaux, avec de grands changements :
L'intercommunalité est en route depuis longtemps, on en a relevé les bienfaits, on a parlé d'espace de projet.
Les pays avancent : c'est un niveau supplémentaire qui, à l'heure actuelle, n'a pas trouvé sa place.
Ce sujet est important, car les structures nouvelles existent, se développent, deviennent plus lourdes et l'on crée des organes consultatifs ; les élus n'ont pas le temps d'y participer, c'est pourquoi ce sont des administratifs qui y participent. Ce qui se passe dans la plupart des départements concernant l'organisation de ce niveau est très préoccupant, excepté lorsque cela a été voulu, né de la base autour d'un grand projet, avec des hommes et des femmes porteurs de ce projet. Lorsque cela arrive d'en haut, comme cela a été proposé il y a quatre ou cinq ans, cela ne prend pas et finit par engendrer des situations difficiles à gérer.
Concernant les collectivités, je pense qu'il faut savoir aborder, comme cela vient d'être fait, l'aspect que l'élu ne bénéficie pas d'inflation horaire. Certes, il n'est pas tenu par les 35 heures, mais cela représente tout de même beaucoup de travail. Le cumul des mandats a été abordé et entretient cette idée que le parlementaire a forcément ses entrées auprès des ministres et a son action au Parlement, ce qui n'est pas forcément faux, donc il peut facilement peser sur certaines décisions.
Le travail d'un exécutif au niveau local, départemental, régional est de plus en plus prenant. Tout à l'heure, j'indiquais que le Parlement n'assurait peut-être pas un suivi assez permanent de la mise en œuvre des textes, mais c'est peut-être aussi parce que nous, parlementaires, sommes bien souvent entre Paris et la province et l'organisation du travail n'est pas très simple.
Cet aspect existe et j'ai bien entendu que cela concernait également les mandats des parlementaires européens, mais comme j'aimerais connaître mon député européen !
Je suis d'accord pour que l'on soit proche de nos populations, je l'ai fait depuis ma première élection, mais à condition qu'il y ait un territoire, une population, que cet élu représente cette population et ce territoire, qu'on le connaisse, alors il sera en contact avec nos concitoyens. Je constate que les élus vraiment identifiés sont de plus en plus rares et j'aimerais que cette identification puisse se vérifier, quel que soit le niveau d'administration et de représentation.
Je pense que cet aspect est important, mais cela a été soufflé, à travers la révision du statut de l'élu. C'est un chantier qu'il faut ouvrir à nouveau.
ü L'État :
Il revient à l'État de prendre des initiatives dans ces domaines. J'ai évoqué la simplification des échelons territoriaux et je ne reviens pas sur les transferts sur lesquels il faut vraiment engager un vrai dialogue et ne pas retenir l'information.
Il faut mettre, Monsieur le ministre, un coup d'arrêt à l'inflation des instructions données à tous les niveaux et, notamment, au niveau local. Nous en sommes à 92 lois ayant trait à la décentralisation. On n'a pas pu m'indiquer le nombre de décrets et de circulaires et j'ai découvert récemment l'existence de lettres circulaires interprétatives qui arrivent et que l'on ne connaissait pas il y a quelques années.
Comment voulez-vous que les élus se retrouvent dans tout cela ?
Au même moment, c'est la multiplication de comités et de commissions en tout genre, qui paralysent toute capacité d'initiative. Je ne sais pas comment faire, mais il faut poser le problème. C'est un coup d'arrêt qu'il faut imaginer.
Bien évidemment, il faut faire cesser la dérive du contrôle de légalité qui évolue depuis des années vers un contrôle d'opportunité. Concernant l'opportunité, il faut faire confiance aux électeurs, ils s'en chargent régulièrement, s'expriment, votent et changent d'équipe s'ils le souhaitent : c'est le contrôle de la légalité.
La gestion de la fonction publique territoriale est également un chantier à reprendre : il est assez difficile d'avoir un responsable d'une équipe, d'une administration, qu'elle soit communale, départementale ou intercommunale et il faudrait que ce personnel soit sous l'autorité de l'exécutif, mais dont l'évolution au niveau des carrières, etc. soit décidée à un autre niveau, notamment dans le cadre de la fonction publique d'État, territoriale et hospitalière, sous l'autorité des exécutifs et soumises dans son évolution de carrière à d'autres décisions prises dans des instances auxquelles les responsables locaux ne participent pas.
ü Les partenaires économiques et sociaux :
Il m'est difficile de parler en leur nom, mais je constate par expérience que les organisations syndicales, patronales sont également, dans leur organisation, très centralisées et préfèrent souvent traiter les problèmes avec les administrations centrales qu'avec les élus locaux, même si, au niveau local, cela fonctionne assez bien ; elles sont là aussi marquées par cette pesanteur de cette France centralisée.
Pourtant, lorsque la décentralisation est effective, elle est réussie, donc efficace. Il existe de très nombreux exemples dont on cite toujours les mêmes : la réussite des collèges, des lycées, etc., mais on parle moins du domaine social pour lequel la décentralisation est très bénéfique. Lorsqu'elle est effective, elle est vraiment bénéfique à la cohésion sociale, pour le développement de nos territoires et pour la croissance en général.
Les élus sont par nature, par mandat, porteurs de missions partagées entre les acteurs locaux au bénéfice de leur territoire, de leur population. De nombreux points de convergence existent entre les partenaires économiques, sociaux et les collectivités à plusieurs titres, dans l'intérêt du développement de nos territoires où les domaines sont multiples : les équipements où l'on parle d'attractivité, le volet environnemental, les logements, le transport, l'enseignement, la formation, les loisirs, le tourisme. On est présent sur tous ces chantiers.
Les logiques budgétaires, économiques que l'on aborde au niveau local se rejoignent et cela fait partie des choses très nouvelles : c'est la transparence, on sait ce qui se passe au niveau local, la recherche de la performance, la culture du résultat, car on est toujours sous l'oeil très attentif du citoyen, contribuable, électeur.
Aujourd'hui, pour affronter les marchés européens, les marchés mondiaux, les partenariats se multiplient et constituent autant d'exigences qui poussent les structures d'État dans leurs retranchements, car elles ne peuvent plus suivre. En raison de ce type d'initiative, on est présent à l'extérieur, bien au-delà même des limites nationales.
Les collectivités territoriales, avec des partenaires au niveau local, les entreprises font toujours cela, en respectant une donnée essentielle pour laquelle nous sommes interdits de déficit, nous équilibrons nos budgets. J'ai entendu dire tout à l'heure que l'État devait contrôler au niveau financier : je veux bien, mais si l'État pouvait nous livrer des budgets en équilibre, nous en serions très heureux !
On peut recevoir des leçons, mais on peut également livrer quelques conseils.
La décentralisation, la réforme de l'État, le vrai dialogue entre partenaires, c'est-à-dire le vrai partenariat, tout cela offre de belles perspectives et la France a besoin de réussir cette réforme.
Je souhaite que les élus locaux eux-mêmes, que j'appelle souvent les polytechniciens du terrain, avec les acteurs économiques et sociaux de nos territoires, puissent nous dire si cette vision, ces propositions sont déplacées ou correspondent bien à la situation actuelle telle qu'ils la vivent. Je souhaite que les acteurs locaux s'expriment sur ces questions.
Bien évidemment, pour l'Observatoire de la décentralisation, c'est un premier débat qui doit être prolongé. Je considère qu'il s'ouvre seulement après ces quelques mois d'existence et ces quelques heures passées avec nos invités.
Il faudra bien resituer ce débat dans le cadre européen, de la mondialisation. Ce débat fera mieux apparaître que la culture de projets et la culture de résultats font partie maintenant d'un langage commun, de l'État, des collectivités, du monde économique, socioéconomique.
Le dernier épisode de cette mutation des politiques publiques est la mise en œuvre de la LOLF, véritable remise en cause des comportements de toutes nos administrations. Pourtant, nous constatons déjà à quelle résistance le Gouvernement se heurte dans ses premiers pas de la réforme de l'État : nous sommes là pour vous accompagner, pour réussir. Les voix les plus autorisées, à droite comme à gauche, s'élèvent pour que le corporatisme d'État, qui est toujours dominant, s'efface devant la réalité d'un déficit budgétaire public abyssal.
Jean Arthuis devait être là au moment de cette conclusion et je pensais à lui en tant que président de la Commission des finances. Il nous disait mercredi dernier que l'État vit et vivra quotidiennement à crédit jusqu'à la fin de l'année, non seulement pour rembourser sa dette passée, mais pour vivre tous les jours de l'année et financer ses dépenses courantes.
Ce sont des situations qu'il faut connaître et je pense que cela doit interpeller tous les responsables, quelle que soit la responsabilité ou la sphère d'influence. Devant cette situation, la culture de projets et du résultat est certainement nécessaire, mais elle ne suffit plus dans un tel contexte, car elle est encore génératrice de cloisonnement et du "chacun pour soi", l'entreprise, chaque collectivité, chaque administration, chaque acteur de la société civile, chacun attend de l'autre qu'il exerce une solidarité à sens unique.
Aussi, il faut passer dès à présent, dans les mois et les proches années, à une véritable culture de gouvernance territoriale.
On a parlé tout à l'heure d'interdépendance : les élus investis par le suffrage universel sont en mesure d'impulser un tel état d'esprit et seul un dialogue construit et suivi entre les acteurs économiques, sociaux et territoriaux peuvent y parvenir. Il convient que l'État les accompagne, les aide sans faire écran, sans s'interposer pour imposer des méthodes uniformes dans un pays caractérisé par sa diversité.
La démocratie locale qui est la nôtre est la seule capable de faire perdurer à la fois un modèle français, synonyme d'humanisme et de qualité de vie, et de moderniser notre vie économique et sociale.
Oui, l'élu local est au centre de la décentralisation, non comme pour arracher un pouvoir ou une domination ou comme une sorte de revanche, mais comme la voie d'une modernité et d'un humanisme retrouvés dans la gestion des affaires publiques.
Si l'on finissait par faire confiance à ces élus ! Est-ce une utopie que d'y croire ? Personnellement, j'y crois profondément.
Je vous remercie.
(Applaudissements...)
M. Brice HORTEFEUX, Ministre délégué aux collectivités territoriales.
Mesdames, Messieurs, Monsieur le Premier Ministre, Monsieur le Président Jean Puech, Messieurs les Sénateurs, je retrouve au premier rang mon complice de 29 ans, le jeune sénateur Philippe Goujon.
Merci, cher Jean, de m'avoir proposé d'intervenir à cette occasion. Il est assez logique que l'on se retrouve ici, puisque l'article 24 de la Constitution rappelle que le Sénat " assure la représentation des collectivités locales de la République ". C'est donc tout naturellement que, voici un an, a été créé cet Observatoire de la décentralisation.
Depuis que le Premier Ministre m'a confié la responsabilité des collectivités territoriales au Gouvernement, j'ai l'occasion de travailler très régulièrement avec Jean Puech, ce qui n'est pas un vain mot, puisque la dernière fois qu'il m'a auditionné, cela a duré deux heures et demie et nous avons eu le temps de faire un tour d'horizon assez complet.
Cet Observatoire a trois mérites que j'ai pu apprécier depuis quelques mois :
§ Un rôle de surveillance :
Je pense que nous avons besoin de cette surveillance de la mise en œuvre de cet acte 2 de la décentralisation, car les principes doivent être accompagnés de précisions et de faits et il fallait préciser un certain nombre de faits.
§ Un rôle d'évaluation des politiques publiques et de leur financement.
§ Un rôle de proposition de nouvelles mesures.
Mes collaborateurs m'avaient préparé un texte assez complet, mais je vais essayer de rebondir sur un certain nombre de points que Jean Puech a évoqués.
D'abord, il a évoqué la lisibilité des élus et donc des institutions. Lorsque sont menées des enquêtes d'opinion, on s'aperçoit d'abord qu'il y a en réalité deux niveaux d'administration clairement identifiés : la commune et l'État. Pour le reste, un curseur se déplace, mais c'est encore assez incertain.
J'étais député européen jusqu'en 2004 où j'ai conduit une liste. C'est précisément une des préoccupations qu'avait Jean-Pierre Raffarin, lui-même ancien parlementaire européen, qu'il y ait davantage d'identification, de personnalisation de l'élu européen dont on mesure mal le rôle exact dans notre pays, mais on leur confère un rôle et une place très différents dans un certain nombre d'autre pays, que ce soit des pays rentrants ou des pays plus anciens.
C'était précisément l'idée de la réforme électorale : on facilite l'identification et, pour être tout à fait clair, l'idée du Gouvernement était que les parlementaires européens soient encore mieux identifiés, car élus dans le cadre de circonscriptions purement régionales.
Simplement, le poids démographique et la règle voulant que l'on ne dépasse pas grosso modo 700 députés européens pour l'ensemble de la Communauté européenne faisaient que nous avions simplement 78 députés européens répartis dans les 22 régions, soit un siège dans quelques régions, notamment dans la Nièvre, en Auvergne, dans le Limousin, et deux sièges comme en Franche-Comté. Par définition, cela causait une bipolarisation de la vie politique française, ce qui n'aurait pas été un mal insurmontable, mais cela aboutissait à ce qu'il y ait essentiellement des élus UMP et des élus socialistes et que les minorités représentées au Parlement européen seul ne puissent pas avoir de représentation.
Il n'en reste pas moins qu'il y a un effort de personnalisation, et si Jean Puech voulait mener une enquête personnelle sur le terrain, en Auvergne et dans le Puy de Dôme, peut-être pourrait-il me rassurer sur ce point de l'identification.
Deuxièmement, Jean Puech a évoqué l'abondance des textes : 92 lois depuis 1982, sans compter les décrets et les circulaires. Je crois me souvenir que les seules lois de 1982 ont été l'objet de 30 lois et de 130 décrets, soit une masse très importante.
Nous pouvons effectivement nous interroger sur l'utilité de l'ensemble de ces textes, mais soyons quand même assez prudents, car nombre de ces textes sont précisément demandés par les élus locaux eux-mêmes qui ont besoin de précisions, d'orientations et de directions. Sur ce thème, je ne suis pas chargé de défendre l'histoire de l'État depuis des décennies, mais reconnaissons au minimum que ces besoins d'interrogation ont nécessité des réponses dont les origines sont partagées.
Troisième réflexion : je vais contribuer à un texte supplémentaire, précisément pour illustrer ce que je viens de dire, car je veux répondre à la demande des élus locaux. On ne peut pas dire qu'il y a trop de textes, mais regretter que l'on n'ait pas évolué sur la fonction publique territoriale. Je propose donc un projet de loi sur la fonction publique territoriale que je vous présente rapidement.
Ce projet a été initié sous le gouvernement Raffarin et a été difficile à préparer. Il l'a été sous la houlette de deux membres du gouvernement de l'époque : un peu Patrick Devedjian et Jean-Paul Delevoye.
Pour des raisons que je ne connais pas bien, ce projet a été présenté en Conseil des Ministres et ces textes ont été plus ou moins enterrés, les forces de l'immobilisme dans ce cas étant terriblement puissantes et une conjonction a dû aboutir à ce que tout cela soit légèrement enseveli.
Etant moi-même issu de l'administration territoriale, avant d'être passé dans celle de l'État, j'avais des souvenirs assez précis. Dès que je suis arrivé, j'ai voulu que l'on ressorte cela. Je me suis rendu compte qu'il y avait eu beaucoup de strates successives, puisque, lorsque je suis arrivé, il y avait déjà eu huit projets sur un laps de temps assez court. On a abouti au neuvième et, même si c'est un peu au forceps, il a fallu convaincre un certain nombre d'interlocuteurs - ce qui est assez logique puisqu'ils sont aujourd'hui au cabinet du Premier Ministre - de la nécessité d'adapter cette fonction publique à laquelle vous vous êtes habitués quotidiennement.
Pourquoi fallait-il bouger les choses ? La pyramide des âges, si l'on ne faisait rien, aboutissait à ce que l'on décime la fonction publique de proximité, car, d'ici cinq ans, 38 % de la fonction publique territoriale et 50 % des cadres A, donc la moitié de l'encadrement, partaient à la retraite. Si l'on n'agissait pas, on ne trouvait plus la secrétaire de mairie, la secrétaire-adjointe de mairie, etc. Autant il existe des artifices pour attirer dans les grandes collectivités, les Conseils généraux, les Conseils régionaux, autant il y aurait eu des difficultés pour la petite commune de 2 000 à 10 000 habitants. C'est un vrai sujet susceptible de devenir extrêmement angoissant pour les élus ruraux.
Cette réforme de la fonction publique repose en réalité sur trois objectifs :
§ Un objectif d'attractivité :
Il est indispensable que l'on rende cette fonction publique plus attractive. Cela signifie que l'on donne des perspectives de carrière. Vous ne pouvez pas recruter quelqu'un en lui disant qu'il n'aura aucune perspective de carrière. Les secrétaires de mairie auront des perspectives de carrière : on supprimera un certain nombre de seuils et de quotas, donc l'employeur, le Maire pourra promouvoir plus facilement et recruter plus facilement, notamment dans le secteur privé.
Il faut que ce soit également attractif vis-à-vis de l'État. Cela existait déjà, mais dans un sens unique. Les Présidents de régions, de conseils généraux et les maires de grandes villes pourront offrir des perspectives de carrière à leurs principaux cadres.
§ Recruter plus facilement :
Il existe un dogme sacro-saint, celui du concours. Naturellement, si l'on remet en cause ce principe, on met le feu aux poudres avec les interlocuteurs naturels que sont les représentants syndicaux.
Après pas mal de discussions et de temps, nous avons réussi à faire passer le fait de garder le principe du concours, un facteur d'égalité, mais, en même temps, on va pratiquer la reconnaissance des acquis de l'expérience.
Un exemple très simple que vous avez certainement vécu : dans une commune, vous voulez recruter une puéricultrice et celle qui vous paraît la plus compétente travaille depuis treize ans. Si elle n'est pas issue de la fonction publique, vous la recrutez à l'échelon le plus bas. Avec les acquis de l'expérience, vous avez un critère vous permettant de la recruter de manière plus souple et à un certain niveau de rémunération et de responsabilité.
§ Recentrer sur les missions :
La fonction publique territoriale, c'est aujourd'hui 253 métiers. Il faut se former et des organismes sont chargés de formation. Nous avons également demandé que, à l'occasion de cette réforme, l'on recentre véritablement la formation sur ses véritables enjeux, afin que les agents voulant être promus et progresser bénéficient d'une formation un peu plus pointue.
Les élus que vous êtes auront plus de souplesse pour recruter et promouvoir, mais il faut bien comprendre qu'il y a une contrepartie : on augmente un peu le droit à la formation. Il y a un coût, mais si cette dernière est efficace et utile, je pense que l'employeur local sera gagnant, surtout que l'on rajoute une nouveauté très importante. Il y a parmi vous un grand nombre d'élus de petites communes ou ruraux. Jusqu'à présent, le système était quand même vicié : un agent compétent vous demandait de suivre une formation, il partait la suivre et, au-delà d'un certain délai, il passait dans la collectivité voisine plus importante, car cela lui permettait une promotion plus rapide.
Maintenant, nous offrons deux possibilités :
- La première pour la collectivité : permettre la promotion.
- La deuxième : si l'agent persiste à vouloir partir, ce qui est tout à fait son droit, au-delà des années légales, la collectivité d'accueil sera obligée de rembourser une partie de la formation ou du salaire. Cela garantit quand même pour le maire d'avoir des collaborateurs qu'il peut promouvoir et, s'ils décident de partir, il ne fait pas supporter cette formation aux finances de la commune, donc aux citoyens électeurs contribuables.
Depuis que j'ai été nommé au sein du Gouvernement par le Premier Ministre Dominique de Villepin, j'ai participé, en dehors de mon département, à un certain nombre d'assemblées générales de maires, notamment celle du Vaucluse, présidée par M. Paul Durieu, auquel Jean-Pierre Raffarin avait confié une mission et c'est à chacune de ces étapes que j'ai pu percevoir cette interrogation. J'ai donc demandé que, dans ce projet de loi, figure expressément cette possibilité d'équilibre.
Pardon, mon cher Jean, il y aura donc un texte supplémentaire, un projet de loi supplémentaire ! Ce projet de loi sera déposé sur le bureau du Sénat très vite, puis discuté par la Commission des lois, puis par le Sénat au cours du premier semestre et que tout sera réglé avant la fin de l'année, car, comme le dit Jean-Pierre Raffarin avec sa grande sagesse, pour le reste de l'année 2006 et début 2007, peut-être sera-t-il un peu plus compliqué de faire passer un certain nombre de projets.
Je souhaiterais, enfin, dire un mot de l'intercommunalité.
Un vent mauvais souffle incontestablement sur l'intercommunalité. Quel est ce vent mauvais ?
D'abord, des rapports parlementaires de qualité pointent un certain nombre de dysfonctionnements : le rapport Mariton à l'Assemblée Nationale, le rapport d'un certain nombre de parlementaires essentiellement franciliens, le rapport Philippe Pemezec et Patrick Beaudoin, deux parlementaires des Hauts-de-Seine et du Val de Marne, ainsi qu'un parlementaire de l'Isère et de l'Hérault. Puis, vous allez avoir quelque chose qui sera un véritable bonbon à l'occasion du congrès de l'AMF : la présentation par le très sourcilleux président de la Cour des Comptes, Philippe Seguin, du rapport sur l'intercommunalité, qui a l'intention de le rendre public à l'occasion de la Journée des Maires le 23 novembre.
Je pense que deux attitudes sont possibles : la première consiste à ne rien entendre et ne rien voir, et la deuxième est de ne pas pratiquer la politique de l'autruche, c'est-à-dire lire ce qui est écrit, examiner ce qui est dénoncé et, éventuellement, en tirer un certain nombre de leçons. C'était plutôt ma position et il est vrai que l'intercommunalité, aujourd'hui, souffre d'un certain nombre de difficultés : les périmètres de l'intercommunalité ne sont pas tous pertinents. Il y a quelques jours, j'ai demandé aux préfets d'être très stricts sur ce sujet. Je leur ai dit que je les soutenais s'ils refusaient des demandes de création d'intercommunalité quand les périmètres ne sont pas pertinents. Je souhaite simplement que ce soit le contre-exemple et que ce ne soit pas la règle.
Un autre problème est celui du contenu. Que mettons-nous dans cette intercommunalité ? On a des exemples d'intercommunalités qui sont des coquilles vides, mais heureusement de nombreux exemples où l'intercommunalité permet de fournir des prestations et surtout des équipements à des communes, donc à des populations qui n'auraient pas eu les moyens de se les offrir si c'était demeuré dans la gestion individuelle des communes. Il est vrai que, parfois, on a le sentiment que les élus se sont lancés là-dedans pour bénéficier des effets d'aubaine. Il faut donc faire attention à cela.
Le Gouvernement a accordé un an de plus pour définir l'intérêt communautaire, jusqu'au 18 août 2006. J'ai demandé que les secrétaires généraux des préfectures le précisent bien à l'ensemble de leurs interlocuteurs. Tout ce qui n'aura pas été défini comme intérêt communautaire au 18 août 2006 sera perdu. Il faut donc vraiment réaliser un effort sur ce sujet.
Conclusion de tout cela : si l'on intègre bien ces critiques, en considérant qu'elles ne constituent pas des exemples pour la majorité du genre et que ce sont des exemples néanmoins suffisamment nombreux pour s'y attarder, si on les corrige, si on arrive à démontrer que ce ne sont que des erreurs de jeunesse, cela permettra de répondre à une incompréhension chez beaucoup de nos concitoyens et de nos partenaires.
Lorsque je siégeais au Parlement européen, on disait toujours qu'il y avait autant de communes dans notre pays qu'il n'y en avait dans l'Europe des quinze. C'est vrai et nous savons que toutes les politiques qui ont voulu encourager les fusions de communes ont toutes échoué et l'intercommunalité est un moyen de répondre précisément à cette interrogation ou ces reproches concernant le trop grand nombre de communes.
Concernant le coût sur le plan humain, nous avons tous des exemples de structures redondantes et j'ai des exemples très précis de communautés d'agglomération où l'on a recruté par centaine de personnes pour des travaux en réalité toujours dévolus aux structures communales précédentes. A un moment donné, il faudra mettre tout cela sur la table et je me demande d'ailleurs si le rapport de la Cour des comptes ne va pas le faire.
Je crois beaucoup à l'intercommunalité, à condition qu'elle corrige ses défauts et je suis persuadé que, si elle corrige précisément ses erreurs de jeunesse, elle deviendra l'élément majeur de la structuration de nos territoires, de la France de demain. Ce sera alors un élément déterminant.
Concernant la décentralisation en général, l'acte I s'est déroulé dans des conditions extraordinairement mauvaises. Nous nous souvenons tous que, en 1982, l'estimation par le gouvernement du transfert des collèges et des lycées était de 1 Md€, mais à l'arrivée : 100 % de plus.
Grâce à la constitutionnalisation de tout cela, la compensation à l'euro près, la vérité oblige à dire que, lorsque l'on en discute individuellement avec les présidents de Conseils généraux et régionaux, je suis parfois obligé d'admettre qu'il peut y avoir à la marge quelque chose. Louis de Broissia l'a évoqué ce matin, c'est quand même une protection extraordinaire : 1, 2 ou 3 % de marge d'erreur, ce n'est pas la même chose que 100 % comme lors de la première vague de décentralisation.
Nous en sommes à cet acte II de la décentralisation, initié par le Gouvernement et le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin. Je pense que nous arrivons au terme de cet Acte II de la décentralisation, mais la question est la suivante : y aura-t-il un Acte III ?
Ma conviction est qu'il n'y aura pas d'Acte III, au sens où l'on a entendu les deux premiers actes. En revanche, s'il y a un acte 3, ce sera celui de la lisibilité et de la simplification.
Je crois, très sincèrement, que nos compatriotes sont un peu dubitatifs entre la commune, tous les SIVOM et les SIVU qui continuent à augmenter, l'intercommunalité qui se développe, les départements, les pays, les régions, l'État et l'Europe.
Nos concitoyens ont besoin de simplification, ce à quoi ils aspirent aujourd'hui.
Quels signaux pouvons-nous leur donner ?
D'abord, rappeler la mission des uns et des autres, car il y a une interrogation sur le rôle des pays, qui ne doivent pas être une structure de gestion.
Il faut sans doute une réflexion sur les structures de conseils, qui sont souvent d'ailleurs les interlocuteurs des régions, car c'est un moyen pour elles de contourner souvent les départements.
Aux élections municipales de 2001, les questions étaient exclusivement tournées sur la voirie, l'assainissement, les équipements collectifs, etc. Je suis persuadé que, aux élections de 2008, si elles ont lieu à cette date, toutes ces questions seront naturellement posées, mais également des questions très simples, compréhensibles et visibles.
Quelles seront-elles ?
En quoi la décentralisation est-elle un mieux ? En quoi le fait de donner la possibilité de prendre les décisions plus proches est-il plus efficace que lorsqu'elles étaient prises à Paris ?
L'intercommunalité, à une ou deux exceptions près, n'a jamais été un débat lors du précédent scrutin municipal. Là, ce sera l'occasion d'un débat, un des éléments du débat municipal : en quoi est-ce mieux pour nous, citoyens, administrés, contribuables et électeurs ? En quoi a-t-on fait cela moins cher ?
Ne vous y trompez pas ! Il y aura cette interrogation. Il nous reste donc deux ans pour pouvoir y répondre. L'Observatoire de la décentralisation doit permettre de nous y aider, et c'est pourquoi j'ai tenu à être présent cet après-midi.
Merci, Monsieur le Président.
(Applaudissements...)
M. Jean PUECH. - Merci Monsieur le ministre. Nous avons beaucoup parlé de dialogue et vous êtes un homme de dialogue, ce que nous apprécions et nous aurons l'occasion de nous retrouver régulièrement.
Mesdames, Messieurs, merci beaucoup pour votre participation tout au long de cette journée.
Revenez dans vos territoires, dans vos provinces pour dire que la bonne réforme, la mère des réformes consiste à bien réussir ce rapprochement, ce dialogue au niveau local pour être le plus efficace possible.
Merci et bon retour.
(Applaudissements...)
(La séance est levée à 17 h 05.)