La diplomatie parlementaire


Actes du colloque

Table des matières





Allocutions d'ouverture

M. Christian PONCELET, président du Sénat

Je déclare ouvert le colloque sur la diplomatie parlementaire, organisé par le Président de l'Assemblée nationale et moi-même. Je constate que ce sujet présente un grand intérêt au vu de l'assistance particulièrement nombreuse venue participer à ce débat.

I. - Allocution de M. Raymond FORNI, président de l'Assemblée nationale

Mesdames et Messieurs, permettez-moi de vous dire le plaisir que j'ai d'être parmi vous pour évoquer un sujet qui m'est cher, celui de la diplomatie parlementaire. Cette notion, nous essayons de la pratiquer au quotidien dans nos relations internationales. Depuis un peu plus d'un an que j'exerce mes fonctions, je me suis rendu compte combien les relations internationales étaient importantes. Il nous est apparu, à Christian Poncelet et à moi-même, utile d'organiser ce colloque qui fixe la voie que nous devrions demain emprunter ensemble. Le parlement de la République est un : il est composé de l'Assemblée nationale et du Sénat et chaque fois que c'est possible, travailler ensemble est pour nous utile, voire agréable.

On a coutume d'opposer diplomatie et assemblée. L'Histoire donne tort à ceux qui le croient, car c'est une République et son Sénat qui ont inventé la diplomatie. Venise, puisqu'il s'agit d'elle, eut, sans doute la première, l'idée d'implanter des missions permanentes dans les pays où ses marchands avaient des intérêts. C'est devant son Sénat que les Ambassadeurs de la Sérénissime prononçaient solennellement leur « relazione ». De la richesse d'informations, de la finesse d'observation, de la qualité littéraire de ce récit de leurs ambassades dépendait tout leur avenir -Procurateur de Saint Marc, Sénateur, Doge peut-être un jour ? Bien sûr, cette République était patricienne, et son Sénat était donc l'égal d'un souverain, mais à plusieurs têtes.

1. - Les monarques que nous avons connus étaient uniques et la diplomatie une prérogative royale

Ce privilège des monarques ne tolérait pas d'entorse. Seule limite en France : l'aliénation ou la cession des parties du Royaume exigeait l'approbation des États généraux, réunis pour la dernière fois, rappelons-le, avant la Révolution, en 1614. Plus tard, c'est aussi dans le secret d'un « cabinet noir » que s'élaborait la politique étrangère. Ce passé monarchique fut longtemps difficile à surmonter. Je m'interroge même sur le fait de savoir si nous avons complètement surmonté cet obstacle. La Révolution elle-même hésita. Un décret du 22 mai 1790 décida que les traités de paix, d'alliance et de commerce ne prenaient effet qu'une fois ratifiés par le Corps législatif. Néanmoins, lorsque la Constituante proposa de former un comité chargé de prendre connaissance des traités et des relations extérieures de la France pour en rendre compte à l'Assemblée, on objecta le risque « d'empiéter sur les pouvoirs du Roi » et « qu'informer l'Assemblée serait communiquer au public des secrets dont ne profiteraient que nos ennemis ». C'est un argument que j'ai parfois entendu. Les régimes qui suivirent chassèrent de leur pré carré les Assemblées, ou ce qui en portait le nom. Le Consulat, la Restauration, le second Empire refusèrent une intervention des assemblées dans les affaires internationales, qui ne fut de nouveau autorisée qu'en 1875. En outre la III ème République garda l'habitude du secret. Certes, elle étendit l'obligation de consulter le parlement avant de ratifier les traités engageant les finances de l'État, ainsi que ceux relatifs à l'état des personnes et au droit de propriété des Français à l'étranger. Néanmoins les conditions exactes de l'alliance franco-russe, base du système diplomatique français à partir de 1891, ne furent connues, jusqu'en 1914, que de certains ministres et hauts fonctionnaires. De nos jours, le secret a vécu.

Les parlements ont aujourd'hui conquis leur place dans les relations internationales. Ils se sont appuyés pour cela sur la ratification des accords et traités. En France, le parlement refuse dès 1878 de ratifier un traité de commerce. La politique étrangère devient un élément de responsabilité gouvernementale. C'est un élément important puisque Jules Ferry chute en 1885 sur l'affaire du Tonkin. La liste plus longue des traités dont la ratification est soumise à autorisation parlementaire, dans la Constitution de 1946, la prééminence des traités sur les lois, dans celle de 1958, ont encouragé les Assemblées à faire de plus en plus entendre leur voix. Parfois au prix d'éclats mémorables, parfois aussi au prix de renoncements douloureux. Le refus par le parlement, et l'échec consécutif de la Communauté européenne de défense, en août 1954, décida pour longtemps du destin de l'Europe. Surtout les idéaux pacifistes et internationalistes de certains parlementaires les ont incités à agir ensemble. Je veux rappeler quel rôle ont joué des députés français dans ce mouvement d'internationalisation de la vie parlementaire. C'est le Français Frédéric Passy qui, avec l'Anglais William Randal Cremer, organisa en juin 1889 à Paris, la première conférence interparlementaire qui, sur près de 100 députés, comptait 55 Français. De cette initiative devait naître l'Union interparlementaire, l'année même -1901- où Passy recevait avec Henri Dunant, le prix Nobel de la Paix. Le formidable essor que connut en un siècle la coopération interparlementaire a donné aux parlements une place nouvelle dans les relations internationales. Cette place acquise par la diplomatie parlementaire, nous en redessinons chaque jour les contours.

2. - L'activité internationale des parlements complète l'action diplomatique des gouvernements

Elle multiplie les occasions de contact. Selon une pratique inaugurée à la Présidence de l'Assemblée nationale par mon prédécesseur Louis Mermaz, c'est une multitude d'entretiens que nous tenons avec les hôtes de la France, ceux que je reçois après le Président de la République, le Premier ministre et le Président du Sénat, ceux qu'auditionnent la commission des affaires étrangères et la délégation pour l'Union européenne, ceux qui parfois nous rendent visite à l'invitation d'un groupe d'amitié.

La diplomatie parlementaire non seulement complète la politique diplomatique des Gouvernements, mais accompagne aussi, dans ses choix, celle du Gouvernement. Dans un pays comme le nôtre, où la politique étrangère relève à la fois du Président de la République et aussi, dans une certaine mesure de l'action gouvernementale, nous savons combien cet accompagnement est important. J'aurais envie de dire, surtout en période de cohabitation. Il m'a ainsi paru nécessaire, dans le choix de mes déplacements en Europe, cette année, de retenir trois des pays candidats les mieux placés pour l'adhésion à l'Union européenne. Les ministres de Pologne, de Hongrie, de la République tchèque siègeront un jour au « Conseil agriculture », au « Conseil économie finances », au « Conseil justice et affaires intérieures ». Ils décideront demain avec nous. Il nous faut donc renforcer les relations suivies que nous entretenons avec leurs Assemblées.

La diplomatie parlementaire est aussi une diplomatie exploratoire. C'est ainsi que l'an dernier, trois parlementaires -MM. Richard Cazenave et Jean-Michel Boucheron accompagnés du Général Morillon, membre du parlement européen-, se sont rendus en Afghanistan dans des conditions difficiles pour essayer, et ils y sont parvenus, d'assurer un contact avec les forces du Commandant Massoud.

La diplomatie parlementaire est en outre une diplomatie d'influence. Du fait de l'indépendance des parlementaires, de la diversité des enceintes et des occasions de rencontres, le contact informel en est le vecteur privilégié. Dans un monde où s'affirment des logiques de réseau, c'est un avantage dont peut bénéficier la diplomatie classique, au profit de l'influence collective de nos idées, de nos positions et de nos propositions.

3. - La diplomatie parlementaire répond surtout à une nécessité démocratique nouvelle

Certes l'activité diplomatique de gouvernements qui émanent du suffrage universel n'est pas dans son essence moins démocratique que celle des parlementaires, mais ces derniers sont plus étroitement à l'écoute d'électeurs qu'ils retrouvent régulièrement dans leurs circonscriptions.

La diplomatie parlementaire porte la voix des peuples dans un monde qui s'unifie. Certes des organisations non gouvernementales s'affirment. Exprimant des valeurs universelles, elles signalent l'émergence d'une possible citoyenneté planétaire qui, de Seattle à Nice, se fait entendre avec plus de vigueur. Toutefois, de cette « société civile internationale » ne naîtra pas spontanément une démocratie mondiale. Les ONG n'ont pas la représentativité de parlements démocratiquement élus, fondés à incarner la société civile, à traduire ses revendications et ses besoins. Ce qui ne signifie cependant pas que les ONG soient inutiles, mais elles sont à côté du processus démocratique.

C'est pourquoi la diplomatie parlementaire a pour vocation naturelle d'être au service de la paix, de la liberté, des droits. Agir pour la paix, c'est en marquer le souci à l'occasion de chacun de nos déplacements. En Égypte, en mars dernier, comme tant de parlementaires, j'ai exprimé le souhait commun aux Européens de voir s'interrompre le cycle de la violence au Proche-Orient. Au Kosovo, le 19 avril dernier, j'ai pris toute la mesure du travail accompli par la KFOR et le représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies, mais aussi le ressentiment accumulé durant plusieurs décennies de coexistence difficile puis d'affrontements. Recevoir, dans l'hémicycle de l'Assemblée nationale, le 14 juin 2000, le Président algérien Bouteflika, pour qu'il s'y exprime, fut aussi un geste d'apaisement, une étape de l'inlassable travail de réconciliation et de compréhension mutuelle qu'il nous faut poursuivre avec l'Algérie. J'avais ce jour-là le sentiment, en écoutant cette voix dans cette enceinte privilégiée, d'entendre pour la première fois depuis 1962 un Algérien s'exprimer au nom de son pays et non plus en tant que représentant de la France, puisqu'à l'époque, l'Algérie était représentée à l'Assemblée nationale par un certain nombre de ses parlementaires.

Agir pour la liberté, c'est accueillir ceux qui luttent pour la liberté de leur peuple, comme le Dalaï Lama, reçu à l'Assemblée nationale le 28 septembre 2000, comme Alejandro Toledo, le 16 novembre 2000, ou plus récemment le Commandant Massoud, le 4 avril 2001. C'est aussi oeuvrer à l'enracinement de la démocratie, soutenir ces hommes et ces peuples, leur assurer un accompagnement démocratique. Nous sommes en capacité de le faire car nous avons une expérience. C'est en tous les cas donner le plus de chances possible à cet enracinement au Pérou, en Ukraine, en Indonésie, au Zimbabwe, en allant observer, comme nombre de députés et de sénateurs, le déroulement des élections. Cette présence, même symbolique, est importante et utile.

Agir en faveur des droits, c'est poursuivre un combat personnel contre la peine de mort dans lequel beaucoup de députés sont engagés, par un appel de présidents de parlements à un moratoire mondial des exécutions que nous lancerons le 22 juin prochain, à Strasbourg. C'est aussi pour nous, à l'occasion du 50 ème anniversaire de la convention de Genève, accueillir à l'Assemblée nationale une assemblée de réfugiés, le 16 juin 2001, afin de réfléchir à l'avenir du droit d'asile, parfois malmené.

Pour remplir ces missions, la diplomatie parlementaire doit renouveler les formes de son action. Travaillons d'abord à la création de nouvelles assemblées internationales. L'UIP pourrait à terme former une véritable Assemblée parlementaire des Nations Unies, comme l'a souhaité le Secrétaire général de l'ONU, consultée par l'Assemblée générale, le Conseil de Sécurité, le Conseil économique et social. De même, les parlementaires présents à la Conférence de Seattle ont adopté une résolution réclamant l'instauration d'une Assemblée parlementaire de l'OMC. Nous devons y réfléchir.

Il nous faut rénover l'action internationale des parlements. La création d'organes spécialisés assurant le suivi régulier des grandes négociations internationales multilatérales demeure nécessaire. C'est le cas au sein de l'Union européenne, où les parlements ont formé des organes spécialisés sur les affaires européennes. Nous pouvons en créer d'autres, sur les négociations commerciales multilatérales, sur le fonctionnement des institutions financières internationales. Représenter les peuples, ce n'est pas simplement se faire porte-voix des peuples.

Représenter, ce doit être aussi précéder, entraîner, favoriser l'engagement de chacun. Il nous faut créer pour cela des enceintes démocratiques nouvelles, permettant aux élus de se faire les interprètes éclairés de la volonté populaire. La « convention » composée de représentants des États membres, de la Commission européenne, du parlement européen et de parlementaires nationaux, associée à un cyberforum, qui fut chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, en est un bon exemple. Je parle devant ceux qui ont suivi ce processus.

Mesdames et Messieurs, c'est un vaste champ d'action qui s'ouvre devant nous. La démocratie planétaire, le parlement mondial sont des utopies sympathiques -des utopies malgré tout- qui nourrissent l'espoir et la réflexion. Tant que les États resteront le lieu où vit et se bâtit la démocratie, tant que les parlements nationaux abriteront le coeur battant de cette vie démocratique, la diplomatie parlementaire devra oeuvrer à nouer de nouveaux liens entre peuples. C'est sur cette tâche inlassablement recommencée, à laquelle nous vouons tous nos entretiens, toutes nos rencontres, tous nos discours, que je voudrais conclure, en souhaitant à vos travaux un plein succès.

II. - Allocution de M. Christian PONCELET, président du Sénat

Monsieur le président de l'Assemblée nationale, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, chers collègues et chers amis, à voir une réunion d'une telle qualité et une participation aussi nombreuse, je suis tenté de dire, sans mauvais jeu de mots, qu'en guise d'introduction, une conclusion déjà s'impose : nous avons bien fait d'organiser ce colloque. Réunir un tel auditoire, dans la dernière ligne droite d'une session passablement chargée, sur ce thème un peu mystérieux, pour ne pas dire encore flou, de la diplomatie parlementaire, était un pari risqué. Nous savons maintenant qu'il sera gagné, parce que vous êtes là et que nombre d'entre vous ont beaucoup de choses à dire à ce sujet.

Ce pari sera également gagné parce que nous venons d'entendre mon collègue et ami Raymond Forni, qui, avec son talent habituel, tout son dynamisme, nous a brossé une image stimulante de l'évolution du rôle du parlement dans la sphère des relations internationales. Je tiens à le remercier d'avoir si bien ouvert la voie, même si, évidemment, cette fougue et ce talent ne me simplifient pas la tâche !

C'est donc des modalités contemporaines de la diplomatie parlementaire que je dois traiter, de son contexte, de sa spécificité aussi, car il y a sans aucun doute une spécificité de la diplomatie parlementaire à la française. Une anecdote est révélatrice de cette spécificité et je ne résiste pas au plaisir de vous la livrer : lorsque nos services ont interrogé leurs correspondants des parlements étrangers pour la préparation de ce colloque, ils ont suscité une perplexité certaine : à l'exception de la Roumanie et de l'Espagne, la notion de diplomatie parlementaire semble totalement inusitée. Au parlement britannique, on nous a répondu : « si vous souhaitez des informations sur la politique étrangère du Royaume-Uni, vous pouvez vous adresser au ministère des affaires étrangères ! ». On ne saurait mieux témoigner de l'existence d'une spécificité française dans ce domaine, car si nous devons, c'est vrai et nous sommes réunis aujourd'hui pour cela, mieux définir et faire émerger le concept de la diplomatie parlementaire, c'est bien parce que la réalité de cette modalité particulière de la diplomatie est bel et bien présente. Elle est d'ores et déjà un fait, un fait têtu, que nous avons mutuellement d'autant plus intérêt à prendre en compte que nous avons peut-être là -mais je suis prudent sur ce point- une longueur d'avance sur nos partenaires.

1. - Quelques idées fausses

Avant de faire le bilan et la comparaison des structures et des activités concourant à la diplomatie parlementaire, c'est-à-dire dans une première approche, à la conduite par les parlements d'une activité internationale suivie et cohérente pour la réalisation d'objectifs déterminés, il me paraît indispensable de tordre le cou à quelques idées fausses déjà, hélas, fort répandues, puisque nous sommes ainsi faits, nous Français : la critique et la contestation accompagnent l'action, pour ne pas dire qu'elles la précèdent et même parfois en tiennent lieu !

A. - Première critique : l'action internationale des assemblées permet de compenser leur absence de pouvoirs réels dans les domaines de la législation et du contrôle

Il faut être d'une singulière cécité, d'une particulière mauvaise foi, être mû par d'inavouables préoccupations, ou même cumuler ces défauts, pour propager ce genre de critiques. Contrairement à ce qui a été trop complaisamment affirmé depuis trop longtemps au nom d'un mythique âge d'or des parlements -et, mes chers collègues, nous devons être très attentifs sur ce point- le parlement français dispose en effet de pouvoirs qui le placent aux tout premiers rangs des parlements dans le monde : pourquoi sinon, serions-nous si fréquemment sollicités par les réformateurs étrangers soucieux d'affirmer et de développer leurs institutions parlementaires ? Par conséquent, nul souci de compensation, mais en revanche, perception claire et nette d'un fait évident : la France ne vit pas en autarcie, l'interaction entre l'interne et l'externe est constante ; il est par conséquent de la responsabilité de tout parlementaire d'être « ouvert à l'international ».

B. - Deuxième critique malicieuse : il ne saurait y avoir de diplomatie parlementaire, car la France doit parler d'une seule voix.

A défaut, le message serait brouillé : pour parodier Montesquieu « trop de diplomatie tuerait la diplomatie ». Cette critique est sans aucun doute mieux fondée que la précédente. Elle ne me paraît pourtant pas davantage pertinente. Tout d'abord, il est clair pour chacun que la diplomatie parlementaire ne peut, ni ne doit, être une diplomatie parallèle, concurrente ou rivale de la diplomatie gouvernementale. Elle n'en a pas les moyens -ce qui est déjà une bonne raison-, ni d'information, ni d'action ; mais surtout elle s'exerce dans un domaine et avec des interlocuteurs qui relèvent d'une sphère différente. Poser le problème en termes de rivalité est donc tout simplement mal le poser. En revanche il est nécessaire de le poser en termes de complémentarité, mais je crois très franchement qu'il n'est pas utile de s'appesantir sur ce point, tant les choses sont évidentes : nul ne conçoit une diplomatie parlementaire autonome ou isolée. Il y a tout intérêt, et c'est d'ailleurs la pratique qu'instaurent les autorités de l'Exécutif (pratique qu'il faut saluer et encourager), à associer les parlementaires aux initiatives de la diplomatie gouvernementale. J'évoque ici, par exemple, l'invitation adressée aux présidents de groupes d'amitié de chaque assemblée à participer aux visites officielles à l'étranger du Président de la République ou du Premier ministre, ou encore la participation de délégations parlementaires à des réunions ou conférences internationales, comme à l'Assemblée générale de l'ONU, la Conférence de Kyoto sur l'environnement ou les réunions de l'OMC. On est parfois satisfait bien sûr que certaines dispositions soient reprises en écho par le parlement.

C - Troisième critique à réfuter : celle consistant à avancer que la diplomatie parlementaire est une diplomatie artificielle

Par artificielle, j'entends tout à la fois qu'elle serait sans consistance et sans fondement d'après certains.

Le fondement pourtant me paraît évident et il me semble même indispensable de le rappeler. C'est tout simplement celui de la légitimité démocratique. Je dois même dire que je suis frappé, par l'extraordinaire « demande de parlement » qui se manifeste actuellement, tant dans le domaine de l'organisation institutionnelle interne de pratiquement tous les Etats que dans la sphère internationale. C'est bien cette demande que vient d'ailleurs de prendre en compte le PNUD à la Conférence des PMA, en décidant que désormais, les programmes d'appui institutionnel devraient privilégier les parlements conformément d'ailleurs à la résolution adoptée par le Forum des Sénats du Monde que nous avions réuni à Paris, le 14 mars de l'année dernière. Oui, il y a une véritable demande de parlement parce qu'il y a une véritable demande de légitimité et que celle-ci, ce sont les parlements, issus du suffrage universel, qui l'incarnent. La demande ne concerne pas seulement l'ordre interne, elle se manifeste aussi dans l'ordre international. C'est le sujet que traitera cet après-midi la troisième table ronde : « la régulation internationale, une nouvelle frontière pour les parlements ? », de façon interrogative certes, mais nous savons bien d'ores et déjà que le mouvement est lancé et que nous ne pouvons pas faire l'économie d'une réflexion sur la légitimité de la régulation internationale, c'est-à-dire sur le rôle des parlements, expression légitime des peuples, dans cette régulation. C'est un sujet vaste et passionnant, éminemment complexe, que certains seraient peut-être tentés de résumer en la formule malicieuse « quelles utopies promouvoir ? » que je considère personnellement comme d'une actualité pressante. On comprend que, dans ce contexte, dénier tout fondement à la diplomatie parlementaire, c'est faire preuve d'une singulière méconnaissance des réalités et c'est faire fi des principes qui sont à la base même de nos sociétés démocratiques. Je disais tout à l'heure que la critique d'artificialité portait non seulement sur le fondement, mais aussi sur la consistance de la diplomatie parlementaire. Ce reproche, mes chers amis, est tout aussi infondé que les précédents, mais, plutôt que de réfuter par une démonstration abstraite, je vais m'attacher à le réfuter par une description concrète. Ceci nous permettra, au passage, de mieux cerner la notion et de dégager quelques enseignements.

2. - La diplomatie parlementaire existe

Qu'on le veuille ou non, qu'on s'en réjouisse ou qu'on le déplore, la diplomatie parlementaire existe, je l'ai rencontrée. Elle est pratiquée par tous les pays, avec une intensité et selon des modalités sans doute variables, et elle prend également une importance croissante à l'échelon international, par la multiplication des organismes interparlementaires. Ce phénomène -il faut le souligner- est la manifestation parlementaire d'un mouvement beaucoup plus ample d'internationalisation, de mondialisation, qui se traduit par la multiplication des acteurs sur la scène internationale : collectivités locales dans le cadre de la coopération décentralisée, ONG internationales, entreprises, etc..., multiplication d'organismes divers qui dessine une nouvelle réalité internationale parfois difficile à appréhender. S'agissant du parlement français et de la diplomatie parlementaire française, les débats à venir vont permettre d'aborder en détail les structures et les actions. Je vais limiter mon propos à quelques lignes de force.

A. - Les moyens des assemblées françaises

Un constat tout d'abord : pour conduire leurs actions internationales, les assemblées françaises disposent aujourd'hui d'une gamme relativement diversifiée et partiellement spécialisée de moyens. Outre, bien entendu, le rôle des Présidents et des Bureaux, il convient de citer les instances suivantes :

· les commissions des affaires étrangères
Leur rôle est essentiel dans le domaine du contrôle parlementaire de l'action diplomatique du Gouvernement, mais aussi bien sûr dans celui de l'information des assemblées et de l'action diplomatique par les nombreuses missions effectuées.
· les délégations parlementaires françaises

Elles jouent un rôle important au sein ou auprès de nombreuses institutions ou organisations internationales. Je pense aux délégations françaises à l'Union interparlementaire ou à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, de l'OSCE, de l'OTAN, ainsi qu'aux parlementaires appelés par le Gouvernement à assister aux débats de l'Assemblée générale de l'ONU.

· les délégations des deux assemblées pour l'Union européenne
Leur rôle est très original puisque nous sommes ici dans un mécanisme d'élaboration normative qui ne relève plus vraiment ni de l'international ni du national.
· les groupes d'amitié
L'évolution de leur rôle épouse celle des relations interparlementaires et témoigne de toutes les innovations qu'a connues ce domaine. Il ne s'agit pas d'offrir de façon très volontariste aux parlementaires de deux pays des occasions de se rencontrer pour tout simplement se connaître, mais -c'est du moins notre conception au Sénat- de faire de chaque groupe le vecteur privilégié des relations de toute nature avec un pays déterminé. Les idées de base sont en quelque sorte celles d'une décentralisation ou démultiplication de l'action internationale et celles d'une spécialisation de chaque acteur.
· les services des relations internationales
Parmi les structures administratives qui aident à la gestion et à la bonne marche de toutes ces structures politiques, les services des relations internationales ont un rôle tout à fait spécifique à jouer dans le domaine de la coopération technique interparlementaire. En fait, il s'agit d'ingénierie démocratique et même, pour être précis, d'ingénierie parlementaire qui doit être conduite par des praticiens de l'organisation et du fonctionnement parlementaires.

Cette rapide énumération permet de mesurer à quel point l'international est déjà sérieusement entré dans les préoccupations et le fonctionnement des assemblées françaises.
B. - Le Sénat et sa spécificité constitutionnelle

Vous me permettrez sans doute de compléter ce constat par deux observations concernant plus particulièrement le Sénat, et qui tiennent à sa spécificité constitutionnelle.

La première est que le Sénat de la République française a pour mission supplémentaire de représenter les Français établis hors de France. Douze sénateurs sont élus à cet effet et siègent en son sein. Il y a alors une sensibilité particulière pour tout ce qui concerne nos compatriotes expatriés et le contexte dans lequel ils vivent et agissent.

La seconde observation est que le Sénat a pour mission constitutionnelle de représenter les collectivités territoriales et que le mouvement de décentralisation, qui touche pratiquement tous les États du monde, les amène à se rapprocher du Sénat pour examiner les agencements institutionnels que cela entraîne. C'est ainsi que nous avons organisé l'an dernier le premier Forum des Sénats du Monde, que nous avons participé en février dernier au premier Forum des Sénats africains et du Monde arabe organisé à Nouakchott par le président du Sénat de Mauritanie, et que j'ai pris l'initiative de la création de l'Association des Sénats d'Europe qui tiendra sa première session, le 6 juin prochain, précisément sur le thème de la représentation des collectivités territoriales. En Europe, de nombreux départements et régions sont jumelés avec d'autres régions des pays d'Europe, à l'intérieur ou à l'extérieur de l'Union européenne.

Il est temps de coordonner tout cela. Il n'est évidemment pas question de dresser ici le bilan de toutes ces initiatives, mais je crois utile d'en mentionner deux enseignements, qui sont deux pistes de recherche.

Le premier est que le bicamérisme est perçu comme une technique d'intégration sociale et politique, d'appropriation du modèle démocratique et de garantie du respect du principe de séparation des pouvoirs, et c'est pour cela qu'il est en pleine expansion dans le monde contemporain.

Le second est que le système français des collectivités locales et leur mode de représentation est compris comme un rempart contre les développements et les risques du communautarisme. C'est bien là une question d'une importance vitale pour de très nombreux États, tant d'ailleurs des États en construction qui doivent dépasser cette problématique, que des États déjà très développés, mais confrontés aux menaces de destruction que font peser les revendications communautaristes. Voilà en tout cas une illustration très concrète de notre action internationale, fondée sur notre spécificité institutionnelle et qui est, je crois, un complément heureux à l'action diplomatique du Gouvernement.

C. - L'expérience des parlements étrangers

Qu'en est-il à l'étranger et quels enseignements peut-on tirer des expériences des autres parlements ? Sans entrer là encore dans le détail, je crois que quatre observations présentent pour nous un intérêt particulier.

La première est que la notion de diplomatie parlementaire reste assez floue, sauf exception. On constate certes une présence marquée dans certains domaines, mais pratiquement nulle part l'utilisation combinée des différents vecteurs dont dispose le parlement français. Le Sénat américain, par exemple, dispose de pouvoirs importants dans le domaine du contrôle de l'action diplomatique du Président, mais pour le reste, il est absent, et les parlementaires américains, nous le savons, ne se déplacent pratiquement pas à l'étranger, ce qui est sans aucun doute un tort.

Deuxième observation : dans le secteur devenu hyper concurrentiel de la coopération juridique et plus spécifiquement encore de la coopération technique parlementaire, les pays étrangers sont capables de mobiliser des ressources considérables, très supérieures à celles que nos assemblées peuvent mobiliser. Soyons lucides : aucune comparaison n'est possible ici entre ce dont disposent les assemblées françaises et ce que les autres pays affectent aux programmes d'appui technique à des parlements étrangers.

Néanmoins -troisième observation- on constate dans ces pays une départementalisation de la coopération parlementaire. Celle-ci est en effet généralement confiée, soit aux organismes gouvernementaux chargés de la coopération, soit à des fondations politiques partisanes ou dans la mouvance universitaire. Ceci pose évidemment une question de fond puisqu'en réalité ce ne sont pas les assemblées qui interviennent, mais dans la quasi-totalité des cas, des enseignants, des consultants ou des fonctionnaires de l'État. Sans doute faut-il voir dans cette départementalisation de la coopération parlementaire, en même temps que le symbole implicite d'une certaine banalisation des parlements, l'une des raisons pour lesquelles les assemblées françaises sont autant sollicitées. D'une part, les parlements demandeurs préfèrent coopérer avec des parlementaires ou des fonctionnaires parlementaires, parce qu'ils se sentent mieux écoutés et parce qu'un parlement exprime une réalité politique et psychologique particulière. D'autre part, la vie et les procédures parlementaires, l'organisation et le fonctionnement des parlements sont des domaines très spécifiques qu'il est difficile de bien comprendre et connaître de l'extérieur. Bref, je crois que le parlement français bénéficie dans ce secteur d'un bonus de compétitivité, et nous devons évidemment nous en réjouir.

Enfin, et ce sera ma quatrième observation, il me semble que beaucoup de parlements étrangers accordent à leur participation aux organisations internationales, qu'il s'agisse d'organisations interparlementaires ou non, une importance plus grande que les assemblées françaises. Je crois qu'il y a là un phénomène auquel nous devons réfléchir : nous constatons en effet une tendance assez forte à la multiplication des rencontres parlementaires sur des sujets précis. Or c'est dans ces instances que les parlementaires français peuvent exposer les positions de la France. Il ne sert à rien de se lamenter si l'on ne participe pas...

Il y aurait beaucoup de choses à dire encore sur la diplomatie parlementaire ; sur le foisonnement des structures parlementaires internationales et leur étonnante absence auprès des institutions financières internationales ; sur le nombre impressionnant des ONG et l'incertitude qui pèse sur leur légitimité ; sur le rôle des parlements dans la résolution ou la prévention des conflits, etc.

Je ne traiterai pas de tous ces sujets qui feront l'objet des trois tables rondes de ce colloque. En guise de conclusion, je crois utile de formuler une ultime observation : si nos assemblées sont d'une certaine façon en pointe dans ce domaine de la diplomatie parlementaire, nous devons nous garder de deux tentations : la première est celle de l'éparpillement, de l'activisme ; et la seconde est celle de la centralisation et de la banalisation. C'est entre ces deux écueils que nous devons rationaliser nos activités autour de notions d'autonomie et de coordination, de façon à en préserver la souplesse et l'efficacité. Bref, après nous être adaptés avec, je crois, un certain succès à ce nouvel environnement international, nous devons tirer les conséquences internes et j'ai toute confiance, dans ce domaine en notre pleine réussite.

TABLE RONDE :
LA DIPLOMATIE PARLEMENTAIRE :
UN CONCEPT ÉMERGENT

I. - L'affirmation du parlement sur la scène internationale

Cette table ronde a été co-présidée par M. François LONCLE, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, et M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Y ont participé :

MM. Jean-Bernard RAIMOND et Michel VAUZELLE, députés

M. Jacques VALADE, sénateur

· Intervention de M. François LONCLE, président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, mes chers amis, « diplomatie parlementaire », il paraît que cette expression agace quelque peu certains diplomates. Je suis certain que ce colloque et les deux exposés remarquables que nous venons d'entendre sont un signe et lèveront ce que je crois être un malentendu.

Notre Assemblée nationale est par maints aspects, une assemblée internationale. D'abord parce qu'elle s'occupe activement des questions de politique étrangère sur le plan législatif. Savez-vous par exemple qu'une loi sur deux présentées au parlement concerne l'autorisation de ratification d'une convention internationale ? Ensuite parce qu'elle revendique un rôle accru en matière diplomatique, sans pour autant contester nullement la prééminence du pouvoir exécutif dans la définition et la mise en oeuvre de la politique extérieure de la France. Depuis la fin de la guerre froide et encore plus depuis 1997, l'Assemblée nationale a multiplié les initiatives en matière internationale, dans un souci d'ouverture au monde, de transparence démocratique, de participation des représentants du peuple aux affaires qui, pour être étrangères n'en intéressent pas moins tous les Français. D'autant que le parlement est le lieu privilégié où s'élaborent les principaux choix politiques. C'est ainsi que, pour reprendre le titre de cette séance, le parlement s'est affirmé sur la scène internationale.

1. - Le rôle de la commission des affaires étrangères

Pour ma part je soulignerai ici surtout le rôle spécifique de la commission des affaires étrangères avant de formuler quelques propositions destinées à contribuer à renforcer l'action diplomatique de la France.

La commission des affaires étrangères exerce une triple mission institutionnelle : s'informer sur la diplomatie mise en oeuvre par un Gouvernement responsable devant le parlement, contrôler l'exécution de cette politique, examiner et voter les textes internationaux qui lui sont soumis par l'exécutif.

L'information s'opère de différentes manières : par des questions écrites et orales, par des auditions des ministres compétents, mais aussi par celles d'ambassadeurs, d'experts, de responsables d'organisations internationales, de personnalités politiques étrangères : autrement dit, l'éventail est particulièrement large et diversifié. Mentionnons, depuis un an, des personnalités aussi éminentes que les Présidents Wade, Clerides, Mesic, Estrada, les ministres Fischer, Cook, Bartoszewski, la plupart des Commissaires européens, Jacques Delors, Michel Rocard, etc. Par ailleurs, le président de la commission reçoit quotidiennement une copieuse sélection de télégrammes diplomatiques : environ 400-500 par jour ! En outre, la commission publie chaque année des rapports d'information sur divers sujets internationaux et ses membres entreprennent des déplacements à l'étranger. Elle a également la possibilité de désigner des commissions d'enquête ou des missions d'information. Il faut bien reconnaître que les premières sont relativement rares. Les missions d'information se sont en revanche multipliées depuis quelques années, au point de devenir une pratique privilégiée. Je me contenterai de mentionner, en 1998, la mission d'information sur le génocide rwandais et celle qui est en cours sur les événements tragiques de Srebrenica.

2. - Le parlement et la PESC

Le parlement dispose également, en vertu de l'article 88-4 de la Constitution, d'un pouvoir particulier de résolution dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Il s'agit d'une nouveauté qui n'a pas encore été utilisée, mais qui s'avère importante, dans la mesure où c'est le seul cadre dans lequel le parlement peut voter une résolution sur un problème international. Elle est d'autant plus importante qu'il n'y a jamais eu à ma connaissance de lois autorisant la ratification d'un traité ou l'approbation d'un accord qui soit issue d'une « proposition » de loi déposée par un parlementaire. Toutes les lois de ratification émanent en effet de l'exécutif, même si une proposition de loi autorisant la ratification du traité créant la Cour pénale internationale a été jugée recevable par le président de l'Assemblée nationale.

3. - Le vote des projets de textes internationaux

Lors de l'examen et du vote de projets de textes internationaux, le parlement a une compétence législative somme toute réduite, puisqu'il lui est interdit d'amender un traité (ce qui est naturel). Il peut soit l'adopter, soit le rejeter, soit l'ajourner, étant entendu que le report plus ou moins long peut être interprété comme une manifestation politique, comme c'est le cas de l'Accord d'association entre l'Union européenne et Israël ou plus récemment la convention d'extradition avec les États-Unis. Néanmoins, les délais sont parfois, voire trop souvent, occasionnés par les lourdeurs des procédures gouvernementales et parlementaires, au point que la France fait figure de l'un des pays qui ratifient le plus lentement. Cependant cette compétence législative n'est pas négligeable, puisque les parlementaires peuvent suggérer au Gouvernement d'ajouter un ou des amendements à certains projets de loi. Je pense notamment à l'article additionnel au Traité d'Amsterdam, certes officiellement déposé par le Gouvernement, mais en réalité initié par la commission des affaires étrangères, à l'initiative de Jack Lang, du Président Giscard d'Estaing et de moi-même. Toutefois, au-delà des compétences constitutionnelles, les parlementaires français, soit individuellement soit collectivement, tendent à exercer une action diplomatique qui ne vise pas évidemment à concurrencer celle de l'exécutif, mais plutôt à la soutenir, à l'orienter, à l'aiguillonner. Ce développement est particulièrement perceptible dans les affaires européennes. Alain Barrau y reviendra certainement.

A mon sens, il est nécessaire d'associer de plus en plus parlementaires et diplomates. Au demeurant, parlementer n'est ce pas le fondement de la diplomatie ?

4. - Des ambiguïtés à lever

Dans cette optique, il convient de lever certaines ambiguïtés législatives. Mon collègue Paul Quilès, président de la commission de la défense, a proposé que le parlement soit informé, consulté sur l'engagement des forces françaises et, éventuellement, de l'autoriser. Certes, l'article 35 de la Constitution stipule que « la déclaration de guerre est autorisée par le parlement », mais c'est une disposition obsolète puisque les opérations militaires ne sont plus précédées de déclarations de guerre. Il faut donc remédier à cette incohérence. Pour ma part, je considère comme normal et légitime que la représentation nationale soit au moins tenue informée de l'emploi de nos soldats en dehors du territoire français et qu'elle ait l'occasion de se prononcer sur ce sujet important. C'est d'ailleurs ce qu'avait estimé le Président François Mitterrand au moment de la guerre du Golfe. En revanche, le parlement n'a pas été formellement consulté sur l'engagement militaire français au Kosovo, même s'il a été au préalable largement informé du déroulement et de l'échec des négociations de Rambouillet.

Je pense comme Paul Quilès qu'il est nécessaire de prévoir un mécanisme nouveau permettant d'associer le parlement aux décisions en matière de défense. De même, il faudrait dorénavant que les accords de coopération militaire, les traités de défense et les accords de sécurité conclu par la France avec d'autres pays, dont la Constitution n'impose pas qu'ils soient présentés au parlement pour ratification, soient désormais systématiquement soumis au contrôle démocratique des assemblées.

La situation est plus satisfaisante au niveau européen, puisqu'il existe un dispositif qui associe le parlement à l'élaboration des décisions européennes. Les échanges entre les parlements des Quinze sont nombreux. Par exemple, les présidents des commissions des affaires étrangères des pays membres de l'Union se réunissent deux fois par an. D'autres rencontres bilatérales ou multilatérales ont lieu ici et là. C'est bien, mais plus pourrait être fait encore. Personnellement, je crois qu'il serait utile que les présidents de commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat participent, en tout ou partie, aux sommets institutionnalisés que la France tient avec ses principaux partenaires, l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie, l'Espagne. De la même manière, ils devraient avoir la possibilité d'assister aux réunions du Conseil européen, tout au moins quand celles-ci se déroulent dans leur propre pays. Il conviendrait enfin de s'inspirer de l'exemple de la convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne qui a été un éclatant succès parce qu'elle a rassemblé des représentants des gouvernements, de la Commission européenne et des parlements nationaux et du parlement européen. Cette expérience prometteuse doit servir de modèle pour de futures discussions. S'agissant du parlement européen, comment ne pas souligner le rôle particulier qu'il joue en matière diplomatique et dont ce colloque pourrait utilement examiner l'évolution.

Ces quelques propositions ne me semblent pas excessives. En tout cas, elles n'empiètent pas du tout sur les prérogatives de l'exécutif. Elles ont au contraire pour objectif de renforcer les liens entre d'une part, le Gouvernement, et d'autre part, les élus et les citoyens. En somme, de faire vivre notre démocratie. En paraphrasant Paul Valéry, je dirais que la diplomatie doit cesser de donner l'impression d'être « l'art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ».

· Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, comment affirmer le rôle du parlement sur la scène internationale ?

J'aborderai le sujet sur la base de trois observations :

· l'application de la fonction législative du parlement au domaine diplomatique et ses limites ;

· les initiatives que notre parlement a su prendre pour aller au-delà de cette seule fonction législative et jeter les bases d'une diplomatie parlementaire innovante ;

· les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui sur la scène internationale et qui mettent le parlement au défi de préserver et de renforcer son rôle.
1. - L'application de la fonction législative du parlement au domaine diplomatique et ses limites

Notre Constitution comme notre pratique institutionnelle font de l'action diplomatique un domaine privilégié de l'Exécutif. En amont des initiatives de politique étrangère où des négociations de traités et de conventions, le parlement n'intervient pas réellement. Il constitue cependant l'étape indispensable et solennelle par laquelle notre action diplomatique peut se traduire dans les faits. L'article 53 de la Constitution lui confère cette fonction essentielle qui est d'adopter ou non les projets de lois qui tendent à autoriser la ratification ou l'approbation de traités internationaux. Soyons réalistes, les quelque 50 projets de loi annuels qui nous sont soumis sont loin de revêtir la même importance, mais au-delà de ce recensement trompeur, le parlement se trouve invité à intervenir sur les points essentiels de choix réellement politiques. La Cour pénale internationale, le protocole de Kyoto, les traités européens, pour ne citer que ces sujets-là, ont été ou seront l'occasion de véritables débats parlementaires avec à la clé la décision grave d'accepter et d'engager notre pays. Cette fonction législative incontournable apparaît cependant quelque peu formelle. L'observateur attentif relèvera tout d'abord que les rejets de tels projets de loi sont quasi inexistants, semblant ainsi confirmer l'esprit consensuel qui prévaut en la matière. Il relèvera surtout que si légiférer consiste à modifier un projet de loi pour l'enrichir et le compléter, le parlement se trouve en l'occurrence confronté à une limite constitutionnelle stricte qui lui interdit d'amender non seulement les traités, ce qui va de soi, mais aussi les projets eux-mêmes. Le projet autorisant la ratification du Traité d'Amsterdam est un cas particulier et non un précédent qui serait une entorse à cette règle d'airain.

2. - Les initiatives que notre parlement a su prendre pour aller au-delà de cette seule fonction législative et jeter les bases d'une diplomatie parlementaire innovante

Le parlement met donc à profit, pour dépasser l'aspect plutôt formel de sa fonction législative, d'autres méthodes d'expertise et d'action. Un premier mode d'action relève de l'information et du contrôle. En effet, l'affirmation du parlement sur la scène internationale suppose, en préalable, son information complète et sincère sur les événements qui s'y déroulent. Les auditions régulières du Ministre des affaires étrangères par les deux commissions permanentes sont au coeur de ce processus d'information, comme les nombreuses questions orales ou écrites. Dans un autre contexte, l'association des parlementaires par le ministère des affaires étrangères à la délégation française à l'Assemblée générale de l'ONU participe du même souci d'information. Si ces instruments fonctionnent dans de bonnes conditions, je voudrais formuler une observation complémentaire. Il me semble qu'un progrès significatif reste à accomplir pour mieux associer le parlement aux décisions d'engagement de nos forces dans les principales opérations extérieures. Je rejoins tout à fait François Loncle sur ce qu'il a dit. Le Gouvernement dispose de la faculté de provoquer un vote des deux assemblées après débat sur une décision d'engagement militaire hors du territoire national. Il en a d'ailleurs fait usage en janvier 1991 lors de la guerre du Golfe. Depuis cependant, aussi bien pour la Bosnie que pour le Kosovo, cette procédure n'a pas été utilisée et je le regrette. Il y aurait, à mon sens, une réelle logique institutionnelle et politique à adapter la pratique en rééquilibrant d'une manière ou d'une autre les rôles respectifs du Gouvernement et du parlement en la matière. Cela étant, cet exercice d'information et de contrôle pour essentiel qu'il soit en ce qu'il traduit la nécessaire transparence de l'Exécutif à l'égard du parlement reste limité au cadre franco-français. Il laisse la question d'une capacité d'expression internationale propre au parlement. Nous disposons d'une palette d'instruments. Tout d'abord, les déplacements à l'étranger des présidents de chacune de nos assemblées, ceux de délégations parlementaires, ceux de nos groupes parlementaires d'amitié ont comme mérite commun d'assurer, auprès des responsables du pays visité, la continuité du message diplomatique. Elle y associe cette légitimité supplémentaire que suppose l'implication d'élus du suffrage universel. Il en résulte en quelque sorte un multiplicateur d'influence. Le parlement a également développé ces dernières années, notamment le Sénat, de nouveaux moyens d'action : un service des relations internationales a été créé en charge d'un ambitieux programme de coopération interparlementaire. Encore un mot sur la capacité d'initiative du parlement : l'insertion de l'article 88-4 dans notre Constitution, en permettant au parlement de se prononcer par des résolutions sur des questions de politique extérieure et de sécurité commune, constitue une opportunité réelle que nos deux assemblées devront mettre à profit à mesure que cette PESC s'affirmera sur la scène internationale. En dehors de ce cadre européen, nous ne disposons pas de la faculté de voter des résolutions ou des motions et je le regrette car à mon sens il faut conduire une réflexion sur les moyens donnés au parlement d'une réelle capacité autonome d'expression dans le domaine international.

3. - Les forces concurrentes qui apparaissent aujourd'hui sur la scène internationale et qui mettent le parlement au défi de préserver et de renforcer son rôle

Je ne saurais conclure ce propos sans évoquer brièvement, car le thème est vaste, le défi que constitue la mondialisation. Chacun sait en premier lieu la part prééminente que prennent aujourd'hui les normes internationales dans la vie quotidienne du citoyen du monde. Normes dont l'élaboration relève de moins en moins des institutions nationales. Le risque se profile d'un dépérissement progressif du rôle des États, et donc des parlements, alors même que c'est prioritairement en leur sein que doivent continuer de s'élaborer les choix politiques fondamentaux. En second lieu, nous constatons le rôle de plus en plus actif de ce qu'il est convenu d'appeler la société civile internationale ou les ONG. Ces nouveaux acteurs jouent un rôle considérable, souvent supérieur à ceux des parlements dans l'élaboration de ces normes. Je pense par exemple à la négociation de la convention instituant la Cour pénale internationale ou à celle du protocole de Kyoto. Sans dénier aux ONG la respectabilité que leur expérience et leur efficacité peuvent justifier, certaines questions doivent être posées. Qu'en est-il, par exemple, lorsqu'elles interviennent dans l'élaboration des normes, de leur légitimité représentative et du contrôle démocratique auquel elles sont soumises ?

L'affirmation de nos assemblées sur la scène internationale dépend avant tout, me semble-t-il, de nous-mêmes, de notre propre volonté de concevoir et de délivrer en coopération réciproque avec l'Exécutif, un message parlementaire sur les événements internationaux particulièrement importants que nous vivons. Je pense au Moyen-Orient. Cette démarche me semble d'autant plus pertinente à un moment où, dans notre monde globalisé, la nécessité se fait de plus en plus sentir d'une architecture internationale de régulation qui, en procédant des États ou des groupes d'États, devra donner une place prééminente aux parlements.

· Intervention de M. Jean-Bernard RAIMOND, député, ancien ministre des affaires étrangères

Messieurs les Présidents, Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs, j'ai remarqué avec plaisir que de nombreux Ambassadeurs à Paris étaient présents. Je suis le premier des témoins à prendre la parole. Je devrais être un bon témoin, puisque j'ai passé 35 ans au Quai d'Orsay et que je suis député depuis plus de huit ans. Étant donné que les orateurs précédents ont très bien traité les questions de fond et les grands sujets, je risque de présenter des remarques un peu trop concrètes.

1. - Le concept de diplomatie parlementaire

La première remarque à propos de la diplomatie parlementaire c'est que j'apprécie beaucoup le sous-titre qui a été donné à cette table ronde « concept émergent ». Je voudrais traiter les deux termes, à la fois le concept et pourquoi il est émergent.

Qu'est ce que la diplomatie ? C'est un mot que j'ai rarement employé car j'ai remarqué que lorsque l'on dit « il faut être diplomate », cette formule a des connotations positives mais également négatives. Comme l'ont dit nos deux Présidents, l'action diplomatique est par définition une action régalienne : elle dépend fondamentalement de l'État. Plus couramment, lorsque l'on parle de diplomatie, on pense « négociation ». Le mot « diplomatie » et l'idée de négociation ne me suffit pas car tout le monde négocie. Je préfère deux termes : « affaires étrangères » ou « relations extérieures », car au fond qu'est ce qu'un diplomate ? C'est un agent de l'État qui a comme caractéristique de travailler avec l'étranger sur l'étranger. Il a, à mon avis, deux grandes missions fondamentales. Premièrement, le diplomate en administration centrale ou en poste a pour mission d'informer et d'analyser la situation des pays étrangers, notamment du pays où il est accrédité. Cette analyse porte d'ailleurs à la fois sur le politique, l'économique, le social. Il suffit de penser à notre Ambassade à Moscou en ce moment : sa fonction fondamentale est d'interpréter tout ce que fait et tout ce que veut faire M. Poutine. Il se trouve finalement que la source d'information principale du Gouvernement ou du Président de la République, ce sont les Ambassades, la fameuse collection des télégrammes, les rapports quotidiens de toutes les Ambassades qui arrivent sur les bureaux des décideurs en France. Je voudrais parler d'une autre profession qui n'a pas été citée jusqu'à présent, celle des journalistes. On dit souvent : « à quoi bon les Ambassades puisque les journalistes informent plus vite ». Je crois que les journalistes ne sont pas des concurrents. Ils sont pour les ambassadeurs, des partenaires. Il faut donc souligner ce partenariat que nous retrouverons tout à l'heure de manière différente pour les parlementaires. Deuxièmement, le diplomate a pour mission de représenter la France et le Gouvernement à l'étranger. Enfin, sa troisième mission, que j'ai écartée tout à l'heure, est la négociation. En effet, dans la vie quotidienne du diplomate, la négociation est une mission ponctuelle qu'il fait en général sous l'étroite instruction du Gouvernement.

En ce qui concerne la première mission « diplomatique », il me semble que les parlementaires peuvent jouer un grand rôle et ils le font de plus en plus, par leurs déplacements, les missions, les commissions d'enquête, tout cela a été cité par les orateurs précédents. De ce point de vue, ils complètent le travail et enrichissent celui des ambassades. En outre par ces missions et ces déplacements, ces parlementaires représentent aussi la France vis-à-vis de l'étranger. A titre de mission de diplomatie parlementaire, je citerai un souvenir personnel. Au début de l'année 1996, le président de la commission des affaires étrangères, M. Giscard d'Estaing, avait décidé d'envoyer auprès de Saddam Hussein trois députés dont j'étais. Il l'a décidé avec l'accord écrit du Gouvernement. Nous sommes donc allés voir Saddam Hussein et en sortant de l'audience, nous avons pu confirmer ou infirmer qu'il accepterait la résolution « Pétrole contre nourriture ». Nous avions pris position, à l'époque, pour la levée des sanctions et l'arrêt des survols. C'était une diplomatie parlementaire bien ajustée car nous avons pu faire un télégramme avec le chargé d'affaires. J'ai retrouvé, à ce moment, un plaisir d'ancien diplomate, en tant que parlementaire. Je citerai également la mission que M. Forni a envoyée en Palestine et en Israël au moment où éclatait la violence. Nous avions alors pu rapporter des avis de nos homologues à la Knesset et du Conseil législatif palestinien expliquant que malgré cette violence, les deux parties souhaitaient la reprise des négociations.

2. - L'émergence de la diplomatie parlementaire

Alors en quoi ce concept est-il émergent ? Pendant longtemps, le rôle des parlementaires à l'international a été marginal, mais il y avait une raison fondamentale. Si l'on excepte l'Europe occidentale, très peu de parlements étaient issus d'élections libres. Lorsque j'étais Ambassadeur au Maroc (fin 1973 - fin 1977), ce n'est qu'à la fin de l'année 1977 qu'il y a eu pour la première fois un parlement élu démocratiquement au Maroc. Ce fut un tel événement que l'inauguration se fit sous la présidence d'honneur du Président Edgar Faure. Ensuite, lorsque j'étais à Varsovie, sous la présidence de Jaruzelski, il y avait une Diète, mais les contacts avec ses membres étaient impossibles. D'ailleurs, pendant cette période, seulement deux parlementaires sont venus en Pologne : Pierre Joxe (à l'époque président du groupe socialiste à l'Assemblée) et Alain Peyrefitte. En 1985-1987 lorsque j'étais à Moscou, Gorbatchev arrivait au pouvoir et le parlement était le Soviet Suprême : il n'y avait donc pas de contact non plus. Une délégation parlementaire est cependant venue à une période non dénuée d'intérêt sur le plan intérieur, lors de la lutte anti-alcoolique de Gorbatchev. Les parlementaires de la délégation sont allés en Géorgie où ils ont eux-mêmes acheté leur vin. Lorsqu'ils revinrent et qu'ils furent reçus par le Soviet des nationalités, ils virent arriver des coupes remplies d'un liquide rouge : c'était du jus de raisin. Bref, tout cela pour dire qu'il n'y avait pas de parlement.

C'est l'effondrement du système soviétique en 1989 qui a entraîné et accentué le rôle des parlements. Il a provoqué la libération de toute l'Europe centrale et orientale et l'émergence de parlements issus d'élections libres. La Grande Commission franco-soviétique, du temps de la guerre froide, était une commission de coopération présidée par le ministre du Commerce extérieur, avec essentiellement des techniciens. Aujourd'hui, cette commission est la réunion annuelle des présidents de la Douma et de l'Assemblée nationale. Tout cela montre bien qu'il y a eu un renversement de la situation. Autre exemple cher aux parlementaires membres de la commission des affaires étrangères, le Triangle de Weimar où, indépendamment des rencontres de l'Exécutif, les commissions des affaires étrangères de la France, de l'Allemagne et de la Pologne se réunissent régulièrement.

L'élargissement de l'Union européenne a lui aussi transformé la diplomatie parlementaire. Nous avons un contact entre l'Assemblée nationale et les assemblées de ces pays. M. Forni évoquait tout à l'heure ses visites dans les trois pays susceptibles de rentrer le plus rapidement dans l'Union européenne. Des rapports quasi-familiaux entre parlementaires se développent et se développeront comme ceux entre les ministres des affaires étrangères des 6, des 9, des 12, puis des 15. Les parlementaires français seront amenés à rencontrer souvent leurs homologues européens pour s'informer sur les opinions publiques des pays et pour informer sur l'opinion publique française par rapport à l'élargissement. J'ajouterais même que pour la première fois, dans ce cadre européen, les parlementaires interviennent dans la négociation, au coeur de la diplomatie.

Je voudrais terminer sur les droits et devoirs des parlementaires. Pour ce qui est de l'information, une mission parlementaire doit avoir, à son arrivée dans un pays étranger, une réunion de travail avec l'Ambassadeur. Cela permet de compléter oralement le dossier écrit du Quai d'Orsay, d'ajouter des indications très précieuses pour permettre aux parlementaires de nourrir leur conversation avec leurs interlocuteurs parlementaires. Cela assure une cohérence aux conversations. Pour ce qui est de la représentation de la France, le parlementaire doit respecter un devoir de réserve.

En conclusion, la diplomatie parlementaire doit reposer sur la confiance réciproque des diplomates, des députés et des sénateurs. Sur ce point, les députés et les sénateurs doivent mettre de côté leur mission de contrôle lorsqu'ils sont à l'étranger. Le contrôle intervient lors de la discussion du budget. S'il doit y avoir contrôle des Ambassadeurs, l'Inspection des postes diplomatiques et le Ministre y veillent. Il appartient donc aux parlementaires de créer la confiance et aux diplomates d'être très disponibles et d'assurer les contacts.

M. Christian PONCELET

Merci M. le ministre pour votre prestation que nous avons tous appréciée. Vous avez cité Weimar, vous me permettrez d'y faire référence pour défendre le bicamérisme. Weimar était une République où le parlement n'avait qu'une seule assemblée, vous connaissez la suite, je n'insiste pas. En ce qui concerne le contrôle, je n'émettrais qu'une seule réserve : le parlement peut exercer sa fonction de contrôle même auprès de la représentation française à l'étranger.

· Intervention de M. Jacques VALADE, vice-président du Sénat

Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, mes chers collègues, mes chers amis, Jean-Bernard Raimond disait tout à l'heure qu'il était le premier à témoigner. Je suis le deuxième à le faire. Il déplorait que déjà des exposés fondamentaux aient été développés. C'est la même situation dans laquelle je me trouve. Je plains mes successeurs qui auront à faire preuve d'originalité. Le souci de témoignage qui a été celui des Présidents Forni et Poncelet me fait m'exprimer devant vous essentiellement en tant que participant et animateur d'un certain nombre de groupes d'amitié sénatoriaux. Les interventions passionnées de nos deux présidents ont donné le ton : attitude volontariste, voire offensive avec une diplomatie parlementaire qui pourrait être un « concept émergent ». Je crois, sans faire preuve d'un optimisme excessif, que ce concept est largement émergé. En effet, l'affirmation de la présence du parlement français sur la scène internationale, cette ouverture à l'international, se développe largement à l'initiative de nos deux présidents d'assemblée. Elle a également été souhaitée par l'Exécutif au niveau de la Présidence de la République puisque, comme l'a évoqué le Président Poncelet, il n'y a pas de voyage du Président de la République et du Premier ministre où il n'y ait pas une bonne association de parlementaires.

La mondialisation se traduit par une volonté exprimée par le parlement français d'être présent sur la scène internationale. Cela doit se faire en parfaite complémentarité avec la politique nationale. En période de cohabitation, le problème se pose, mais actuellement, il est entièrement résolu. Il est bien clair qu'il ne nous appartient pas à nous parlementaires de venir troubler le jeu. Nous devons parler d'une seule voix et il y a une difficulté lors des missions à l'extérieur compte tenu de la pluralité des représentations politiques, au sens français du terme, des différents membres de ces missions : chacun des parlementaires doit veiller à ne pas déroger à cette règle d'unanimité nationale. En ce qui me concerne, l'expérience m'a montré qu'il n'y avait pas de dérogation à cet égard.

Comment au Sénat les choses sont-elles mises en oeuvre ? Je voudrais revenir sur quatre points.

1. - Le Président du Sénat

Premièrement, le Président du Sénat, ses collaborateurs et ses services organisent les relations internationales à leur niveau, que ce soit en ce qui concerne l'accueil et la représentativité. Il y a peu de personnalités extérieures à la France qui passent sur le territoire national qui ne soient pas reçues par le Président. Par ailleurs, à l'image du Président de l'Assemblée nationale, depuis le début de son mandat, le Président Poncelet s'est efforcé de rendre cette ouverture internationale la plus efficace et la plus concrète possible. Il a entrepris de nombreux voyages avec une association des parlementaires concernés par le pays visité. Son souci a également été de prendre contact sur place avec les nationaux et les représentants de la communauté française sur le développement économique auquel nous sommes attachés. Les messages que les Présidents d'assemblée peuvent délivrer sont soit des messages cohérents avec la politique nationale, soit des messages spécifiques dont ils sont chargés à l'occasion de tel ou tel déplacement. L'organisation du Forum des Sénats du monde avec ses conséquences a un peu étonné les sénateurs dans leur ensemble et pour nous tous qui avons participé à cette séance, nous avons été surpris, intéressés et enthousiasmés par la présence de nos collègues des Sénats du monde qui ont répondus à l'invitation du Président Poncelet. Cette séance a permis une rencontre et des échanges qui sont actuellement prolongés dans les différentes organisations que le Président Poncelet a évoquées.

2. - La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

Deuxièmement, la commission des affaires étrangères et de la défense, présidée par M. Xavier de Villepin, a un rôle institutionnel, mais également un pouvoir de proposition et d'initiative. J'ai trouvé dans le propos de François Loncle des dispositions identiques à celles dans lesquelles le président de Villepin se trouve. Les travaux de la commission sont fondamentaux, mais la personnalité des Présidents est également stratégique. Xavier de Villepin n'a de cesse de sillonner le monde pour essayer de porter le message qui est celui du Sénat et celui de la France.

Troisièmement, les délégations parlementaires ont été évoquées, tout particulièrement les délégations à l'Union européenne.

3. - Les groupes sénatoriaux d'amitié

Enfin, en ce qui concerne les groupes d'amitié parlementaires, la presse a longtemps considéré ce type d'activité comme la possibilité pour tel ou tel parlementaire d'aller effectuer un voyage annuel ou bisannuel. Depuis quelques années il n'en est rien. Les groupes parlementaires d'amitié au Sénat fonctionnent avec rigueur : le vice-président Jean Faure en parlera cet après-midi. Ils sont des vecteurs de relations tout à fait essentielles qui complètent les voyages que le Président Poncelet peut faire à l'extérieur. Ils concourent à l'établissement d'une ambiance favorable aux bonnes relations entre le Sénat et les parlements étrangers et à une meilleure connaissance du mode de fonctionnement des démocraties que nous avons l'occasion de rencontrer lors de ces voyages. La culture parlementaire partagée passe certainement par des organisations du type Forum des sénats du monde, mais également par un échange au niveau des parlementaires en ce qui concerne les structures. Le Sénat français est souvent sollicité pour fournir des informations et pour permettre à chaque parlementaire d'échanger des expériences réciproques. Elles sont l'occasion de rencontres avec les communautés françaises à l'étranger, les communautés diplomatiques, gouvernementales (rares sont les missions qui ne sont pas reçues au niveau du Gouvernement), économiques, culturelles et au niveau de l'éducation.

Je ne citerai qu'un seul exemple. A Taïwan, au cours d'une mission économique et scientifique, nous avions été reçus par les trois quarts du Gouvernement taïwanais à une époque où les relations étaient un peu difficiles pour des raisons qui sont présentes à l'esprit de beaucoup de personnes ici, mais également parce que les relations entre les entreprises françaises et le communauté taïwanaise n'étaient pas des meilleures. J'ai le sentiment que les conversations que nous avons eues ont permis d'améliorer l'ambiance par rapport à celle qui pouvait préexister. Il s'agit donc d'une multiplication d'influences et d'initiatives. Ceci trouve un écho au titre de la coopération décentralisée. Raymond Forni a évoqué les relations avec des régions, des départements, des grandes villes, et il est clair que les parlementaires (députés ou sénateurs) sont « territoriaux ». Par conséquent, chez eux, à partir de leur région, circonscription ou département, les parlementaires ont des actions de coopération décentralisée parce que la loi nous le permet et parce que les Gouvernements successifs y sont favorables. Au travers de ces groupes d'amitié, nous avons la possibilité de conforter ces actions de coopération et de recueillir les résultats, les observations et les critiques qui peuvent être formulées. Je crois qu'il y a là une nécessité de complémentarité bien réalisée sur le terrain. Les messages de solidarité et de partage au niveau des démocraties que nous pouvons rencontrer sont pour nous parlementaires, des messages de convivialité et de fraternité. Je pense que, dans le cadre de cette diplomatie parlementaire, cet aspect humain de relations de base n'est pas négligeable.

Encore une fois, au moment où les concepts de mondialisation et d'internationalisation sont banalisés, il serait paradoxal que les parlements et les parlementaires en soient absents et n'y apportent pas leur contribution.

M. Christian PONCELET

Merci Jacques Valade, nous avons été sensibles à votre encouragement. Vous avez parlé d'une mission de notre groupe d'amitié conduite en Thaïlande et qui était ciblée sur des intérêts technique et scientifique. J'avais oublié de mentionner que vous aviez été Ministre de la recherche et donc particulièrement qualifié pour conduire cette mission. Je passe la parole à M. Michel Vauzelle.

· Intervention de M. Michel VAUZELLE, député, ancien garde des Sceaux

Je voudrais dire combien il est difficile de parler en troisième position, puisque tout a déjà été dit auparavant et de parfaite manière.

1. - Les parlementaires, la démocratie et les affaires internationales

En tant que parlementaires, nous sommes des militants et des soldats de la démocratie puisque nous sommes les élus de la nation. Nous le voyons bien dans les instances internationales et notamment à l'UIP où j'ai l'honneur de présider la délégation française composée de sénateurs et de députés.

Dans nos institutions, il faut renforcer la démocratie parlementaire et il y a beaucoup à faire pour renforcer le rôle du parlement dans la V ème République. Il faut également insérer le rôle des parlements nationaux dans la construction européenne en démontrant aux parlementaires européens que nous ne sommes pas un danger pour eux, mais au contraire nous apporterons un renforcement de la démocratie européenne. Dans ce cadre, il faut beaucoup encourager les parlementaires nationaux parce que rien n'est plus mal vu par un électeur français moyen que les missions parlementaires à l'étranger. Lorsque moi-même je me rends à l'étranger, je supplie la presse pour qu'elle n'en dise rien. Ce courage face à nos électeurs peut être soutenu par la volonté de nos présidents. A ce titre, le Président Forni s'engage de manière très importante sur la scène internationale : l'exemple donné par la présidence de nos assemblées est autant d'encouragement. De même, les fonctionnaires de l'Assemblé nationale apportent une compétence et un soutien formidables : sans eux, nous ne pourrions pas jouer convenablement notre rôle.

Il faut que nous fassions entendre la voix des nations non seulement par nos Gouvernements à l'ONU, mais également par les élus de la nation, les élus du peuple qui représentent la majorité politique dans leur pays et les oppositions. C'est là qu'il y a une nuance avec les Gouvernements. Dans nos délégations, nous représentons la majorité mais également les minorités et en ce moment, avec les ethnicismes en évolution, la représentation des minorités est un élément important à mettre au crédit du rôle international que doivent jouer les parlementaires.

Nous portons également au quotidien une sensibilité aux problèmes vécus à la base, ce qui n'est pas toujours le cas des Gouvernements, notamment lorsqu'ils sont en place depuis longtemps. Les problèmes que l'on ressent au niveau mondial (air, eau, sécurité, justice, droits de l'homme, droits sociaux...), qui, mieux que les parlementaires, peuvent les défendre au quotidien, eux qui traitent ces questions dans leurs circonscriptions de manière immédiate. Les parlementaires sont également les défenseurs des droits de l'homme dans les organisations internationales : petit à petit, une éthique internationale s'établit au nom de laquelle il y aura de moins en moins de soldats nommés dans les parlements et de plus en plus de parlementaires élus au suffrage universel et dans des conditions démocratiques.

En ce qui concerne l'UIP, il est clair qu'à côté de l'ONU, il est bon qu'un rassemblement mondial des parlementaires améliore le climat international. De ce point de vue, l'impact de la politique menée par nos pays sur le plan international a souvent un lien avec la politique intérieure. La composition et les origines ethniques de l'État français font que la France et notamment la région que je préside est extrêmement sensible aux problèmes du Proche-Orient et aux relations que nous avons avec le monde arabe et le monde maghrébin. Sur ce thème, la politique internationale ne concerne pas seulement le Quai d'Orsay, mais également nos concitoyens. Aussi quand il y a détente en Méditerranée, il y a également détente en région PACA.

Pour ce qui est des enceintes politiques et parlementaires internationales, on se demande ce qui se passe en séance. Souvent, un ennui profond règne car c'est la langue de bois qui s'exprime : les délégations présentes somnolent tandis que les autres font du tourisme. De même à l'Assemblée nationale, nos concitoyens se posent des questions à propos des bancs vides. Il faut savoir que beaucoup de choses se passent dans les commissions et dans les couloirs de l'Assemblée. C'est là que notre pays retrouve son équilibre démocratique : après les invectives entendues dans l'hémicycle, les discussions réconciliatrices ont lieu dans les couloirs. Les mêmes contacts et discussions ont lieu dans les couloirs des enceintes internationales visant à réduire les tensions et à rechercher des solutions.

Dans sa démarche, l'UIP met en exergue le rôle des parlements nationaux et au moment où nous voyons les dangers de la mondialisation, il est clair que les identités culturelles nationales doivent trouver une expression dans les parlements nationaux, sinon ces identités culturelles s'exprimeront à travers l'extrême droite ou dans des ethnicismes ou nationalismes xénophobes et racistes. Le rôle des parlements nationaux à ce niveau-là est donc très important pour défendre de manière démocratique et républicaine les identités culturelles nationales. Il en est de même pour la construction européenne où il faudra bien trouver une place pour les parlements nationaux défendant les identités culturelles nationales.

En ce qui concerne les régions du monde, je préside, en ce moment, la Conférence sur la sécurité et la coopération en Méditerranée. Je l'ai réunie à Marseille l'an dernier dans l'enceinte du Conseil régional. Des parlementaires israéliens y côtoyaient des parlementaires palestiniens, des Syriens et des Libanais, toute la Méditerranée était représentée. Je ne pense pas que cela ait pu aggraver une situation déjà tendue au Proche-Orient. Les parlementaires doivent donc jouer leur rôle dans ces processus régionaux qui traitent de problèmes divers et réels tels que la dette, la coopération avec les PMA, etc.

2. - Le rôle de la commission des affaires étrangères

Je voudrais terminer par quelques mots de mon expérience en tant que président de la commission des affaires étrangères à la suite du départ du Président Giscard d'Estaing pour le parlement européen. Peu de temps après, la guerre du Golfe éclata et j'ai pu appliquer la diplomatie parlementaire active à cette période de l'histoire de l'Europe et du monde. J'ai pu constater que le parlementaire en tant que représentant de la nation a une légitimité reconnue et qu'il représente la France à l'étranger. Ensuite, il est en principe responsable. Il peut y avoir une diplomatie exploratoire qui soutienne et aide le Quai d'Orsay et le Ministre. Là aussi le facteur humain chez les ministres joue beaucoup : M. Dumas était très jaloux de ses prérogatives et ne favorisait pas toujours mon activité. Beaucoup de choses se passaient à l'est, je suis allé voir Saddam Hussein car il était préférable d'envoyer en premier lieu un député plutôt que de reprendre les contacts au niveau ministériel. Pendant la guerre du Golfe, il fallait expliquer à l'opinion publique maghrébine pourquoi la France avait pris cette position, ce qui aurait été impossible pour un membre du Gouvernement. Je me suis donc trouvé en Libye en face du Président Kadhafi qui me conduisit devant les chefs d'État des pays arabes qui regardaient les informations télévisées et notamment les bombardements de l'Iraq par des Alliés. Un ministre aurait été très gêné à ma place. De même, lorsque je suis allé à Moscou lors du coup d'état contre Gorbatchev, je me suis trouvé poussé sur le balcon du parlement russe devant une foule à qui je n'ai pu dire que « Vive Gorbatchev, vive Moscou et vive Eltsine ». Il était positif qu'un Français soit présent à ce moment-là et s'adresse à tout le monde.

3. - La coopération décentralisée

Je terminerai en disant qu'il est très important que nous ayons mentionné la diplomatie régionale, c'est-à-dire le rôle que peut jouer la coopération décentralisée. Je rends hommage à M. Védrine et au Gouvernement actuel qui favorisent la diplomatie parlementaire et qui n'y voient aucun inconvénient. Je pense notamment à la Méditerranée et à la coopération décentralisée où le Gouvernement nous soutient après une période d'interdit.

Je crois très important qu'au moment où émerge une conscience internationale et une opinion publique internationale qui peuvent être déviées vers toute sorte d'errances xénophobes, racistes ou autres, il faut que les parlementaires puissent jouer entièrement leur rôle. Ils sont mieux placés que d'autres pour le faire.

M. Christian PONCELET

Merci cher ministre pour votre intervention. En écho à ce que vous avez dit je voudrais souligner que lorsqu'une mission parlementaire se rend à l'étranger, on surprend toujours nos interlocuteurs par le fait que cette mission est composée de sénateurs ou de députés de toute tendance, ce qui est une excellente expression de la démocratie et de la tolérance chez nous. Par ailleurs, je suis tout à fait d'accord avec M. Vauzelle quand il dit qu'il manque une structure au niveau européen. Nous militons depuis longtemps pour qu'il y ait un Sénat européen pour permettre un équilibre entre les institutions européennes.

· Débat avec la salle

Mme Sylvie FLEURY

Je suis maître de conférences à Sciences Po sur l'Union européenne. Je voudrais poser une question très précise à M. Vauzelle. Je rentre d'Algérie où je me suis rendue pour une mission de conseil et j'aimerais avoir des compléments d'information sur les liens entre votre région et les wilayas puisque j'ai eu l'impression d'une demande extrêmement forte de coopération avec la France et de l'importance de la francophonie compte tenu du contexte actuel.

M. Michel VAUZELLE

On s'aperçoit que l'Algérie est un grand pays francophone et de plus en plus francophone. Je me suis rendu à Alger à maintes reprises pour rencontrer, en tant que Président de région, le Président Bouteflika et le Wali du Grand Alger pour établir sur des dossiers très concrets une réelle coopération décentralisée. En matière d'eau, d'assainissement, d'urbanisme, nous devons avoir des échanges techniques et nous avons signé, dans le cadre d'un accord, une série de coopérations techniques qui nourriront ensuite des échanges plus ouverts sur le domaine politique. Par exemple, au Printemps des lycées qui est la grande fête lycéenne de notre région, nous recevrons systématiquement des délégations de lycéens palestiniens, israéliens et algériens.

M. Angus LAPSLEY, ambassade de Grande-Bretagne

Dans son discours sur l'avenir de l'Europe à Varsovie l'année dernière, mon Premier ministre a proposé l'éventuelle création d'une deuxième chambre du parlement européen qui serait composée des représentants des parlements nationaux. Il s'agirait, sans porter atteinte au parlement européen ou au Conseil des ministres, de donner l'opportunité aux parlementaires nationaux de s'exprimer ensemble sur les questions (PESC, défense, immigration) qui relèvent de leur compétence et qui sont de plus en plus abordées au niveau européen. Ma question est de savoir si cette idée intéresse les parlementaires français. Êtes-vous d'accord sur le principe selon lequel il faut faire plus pour associer les parlements nationaux dans le travail européen.

M. Christian PONCELET

Je vous remercie de cette question et vous rappelle que mon prédécesseur, Alain Poher, avait émis l'idée de la création d'un Sénat européen, considérant qu'il était nécessaire qu'une institution puisse exprimer la volonté des parlements, à côté du parlement européen qui est lui issu du suffrage universel. Le Sénat français continue dans cette démarche et nous espérons que les pays qui adhéreront à cette idée seront nombreux. J'ai entendu une proposition identique faite par M. Gerhard Schröder, le Chancelier allemand qui partage cette idée. Nous espérons qu'il y aura bientôt un Sénat européen. Il s'agira alors d'en définir entre nous les modalités.

M. Raymond FORNI

Je voudrais m'exprimer sur les relations entre les parlements nationaux et le parlement européen. Dans nos parlements nationaux, nous avons des délégations aux affaires européennes : 60 % de la législation est d'origine européenne et il est tout à fait légitime que cette structure existe sur le plan interne, mais je déplore que les relations ne soient pas suffisamment assidues entre le parlement européen et les parlements nationaux. Ce qui est vrai en France est sans doute vrai ailleurs, de sorte qu'il existe un risque d'isolement du parlement européen par rapport à nos pays et d'une coupure entre l'opinion publique et la représentation européenne. Lorsqu'un parlement n'est pas suffisamment connu de l'opinion, le risque est qu'il dérive sur des chemins qui ne sont plus empruntés par l'opinion publique. Si l'on n'y prend pas garde, cela peut conduire à une forme de rejet de la construction européenne pour laquelle nous sommes tous mobilisés. La question est donc de savoir comment nous pouvons assurer ce lien fort entre le parlement européen et nous. Il est vrai qu'aujourd'hui Madame Nicole Fontaine est très active en tant que Présidente du parlement européen, mais il n'en a pas toujours été ainsi. Aujourd'hui ce dynamisme est fort compte tenu de la personnalité de sa Présidente, mais je crois savoir que la Présidence tournante du parlement européen devrait conduire à une modification à la tête de cette institution à l'automne prochain. Je souhaiterais que la même résolution soit assurée par le successeur de Madame Fontaine. Il ne s'agit pas seulement de parler de diplomatie lointaine, il faut également évoquer notre diplomatie européenne. La construction européenne s'appuie sur cela.

M. Mihaly FÜLÖP, professeur des universités

Je suis professeur à l'Université de sciences économiques de Budapest, invité par l'IEP Paris. La fiche technique distribuée par les Présidents des deux assemblées souligne la lenteur du processus de ratification de la part de la France. Vous dites : « il arrive que les États de l'Union européenne se mettent d'accord pour tout ratifier le même jour ». S'agissant de l'élargissement de l'UE, comment allez-vous procéder ?

M. Raymond FORNI

C'est vrai que la France dans ce domaine n'est pas un bon élève et nous avons tendance à ratifier les traités avec un certain retard. Cela est dû essentiellement au fonctionnement de nos institutions, au fait que l'ordre du jour est déterminé par le Gouvernement. Nous n'avons pas de prise sur l'ordre du jour puisque le Gouvernement dispose de la priorité d'inscription. Ce dernier a bien évidemment ses exigences par rapport à la politique nationale. A partir du moment où le traité est accepté par notre pays et par les pays concernés, l'exigence de l'aval du parlement ne paraît pas urgente à accomplir. Sans doute a-t-on pris la mauvaise habitude de considérer qu'une fois que le traité est négocié avec d'autres pays, le fait est accompli et le parlement ne vient que de manière très secondaire dans le processus d'adoption des conventions ou traités internationaux. Cette procédure n'est pas acceptable, et c'est pourquoi je vous ai dit que je souhaitais que nous soyons associés le plus possible au processus d'élaboration des traités. Par exemple, j'entends toujours avec beaucoup d'intérêt dire que tel ou tel pays adhérera à l'UE à telle ou telle date. Un calendrier est ainsi fixé alors qu'il ne correspond pas toujours à la réalité. Lorsque nous sommes contraints de nous expliquer avec nos partenaires présents ou futurs, cela pose aux parlementaires de nombreux problèmes. Je souhaite plus de concertation entre le parlement et le Gouvernement, de telle sorte que nous avancions d'un même pas. Il ne faut pas décevoir les pays auxquels on s'adresse, les échéances doivent être clairement définies. En modifiant les dates, nous courons le risque de détacher l'opinion publique par rapport à l'idée européenne, car il arrive un moment où l'on finit par se désespérer de ne pas pouvoir mettre un pied à l'intérieur et de rester à la porte. Je pense donc qu'il faut être réalistes et pragmatiques.

M. Christian PONCELET

Je partage l'observation faite par mon collègue. Si la diplomatie parlementaire était davantage associée à l'élaboration de certains traités, plutôt que d'être placés devant le fait accompli, la ratification serait plus rapide. Je crois que fin juin seulement, nous allons ratifier les accords de Nice auxquels nous n'avons pas été suffisamment associés et nous avons des questions à poser. Le débat sera donc sûrement plus long qu'on ne l'imagine. Il faut associer les parlementaires plus en amont pour que les traités soient le reflet de l'expression de la représentation populaire, plus que celle de techniciens aussi qualifiés soient-ils.

M. Jean-Pierre MOUSSY

Je suis membre du Conseil économique et social (CES) et j'appartiens au sein de cette instance au groupe de la CFDT. Je prends beaucoup d'intérêt à l'organisation de cette journée et je remercie vivement les deux présidents d'avoir pensé à nous inviter. Le Président du CES attache beaucoup d'importance à l'activité internationale de cette institution, car il existe une association des conseils économiques et sociaux qu'il anime depuis le Palais d'Iéna. J'ajoute qu'à côté de la section des relations extérieures, nous venons de créer une délégation pour l'UE. Je souhaite que dans ce cadre, les contacts qui ont démarré avec les délégations des deux assemblées puissent se dérouler fréquemment et continûment sur des thèmes à l'ordre du jour au niveau de l'UE : élargissement et gouvernance, agenda social, etc.

M. Christian PONCELET

Il est pris note de la volonté de votre institution de coopérer davantage avec les deux assemblées parlementaires. Cette coopération existe déjà puisqu'un ministre peut éventuellement demander à être accompagné d'un membre du CES pour exprimer la volonté de ce dernier sur tel ou tel texte au sein des assemblées.

M. Jean-Marie DAILLET

J'ai été député de la Manche de 1973 à 1993 et ambassadeur de France en Bulgarie de 1993 à 1995. Je voulais vous féliciter de votre initiative car dans l'expression « diplomatie parlementaire », il y a une double géostratégie : consolider la démocratie parlementaire européenne en vue de l'élargissement, mais aussi illustrer à travers le monde l'innovation du siècle dernier que fut la création de la communauté européenne. Sur ce dernier point, je donnerais un exemple très simple. Lorsque l'on parle d'opposition et de majorité, je dirais que les Européens ont également intérêt à se prononcer d'une seule voix. J'ajouterais que les progrès de la démocratie dans certains pays et notamment en Amérique centrale ont été le fruit d'une politique bipartisane européenne puisque les grands courant démocratiques de nos pays pouvaient trouver leurs homologues dans des pays en grave difficulté et en proie à des régimes totalitaires ou militaires. Nous avons réussi, en Amérique centrale et au Chili, à forger des majorités établissant ou rétablissant la démocratie.

II. - La montée en puissance des parlements en Europe

Cette table ronde a été co-présidée par :

M. Alain BARRAU, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale

M. Hubert HAENEL, président de la délégation pour l'Union européenne du Sénat

Y a participé :

M. Gérard LARCHER, sénateur

· Intervention de M. Alain BARRAU, président de la délégation pour l'Union européenne de l'Assemblée nationale

A ce stade de la matinée, je préfère faire une intervention réactive, plutôt que de vous communiquer l'intervention écrite que j'avais préparée.

Je partage beaucoup d'observations évoquées auparavant et je voudrais faire quelques remarques générales, puis aborder la question de l'Union européenne avant de conclure par deux préoccupations d'avenir.

1. - Remarques générales

Il y a une première pression qui amène les parlementaires à s'intéresser et à être actifs sur le champ international : ce sont tout simplement les citoyens. Sur les thèmes de la mondialisation, de la faim dans le monde, de la sécurité, de la paix ou de l'Europe, il y a maintenant une demande citoyenne. C'est une très bonne chose pour la démocratie car le débat qui s'est esquissé depuis ce matin sur le bien fondé et la légitimité des actions des ONG est liée à cela. Si les ONG ont pu se développer sur un certain nombre de question, c'est parce qu'il y a eu, dans nos populations, le sentiment diffus et injuste qu'il y avait eu une action régalienne en matière internationale, mais que le pouvoir démocratique qu'incarnent les parlementaires n'était pas suffisamment entendu. Une partie de l'opinion s'est donc organisée pour se faire entendre sur un sujet qui lui tenait à coeur. Je trouve cette démarche très légitime. Nous-mêmes devons avoir le soin d'affirmer et d'être dignes du mandat qui nous est donné par nos électeurs sur ce sujet.

En outre, j'estime que le travail entre les parlementaires et les diplomates doit être un travail de confiance et non de rivalité. Pour être efficace, il ne faut pas travailler sur le même terrain, mais plutôt en complémentarité. De la même manière et quelle que soit notre position politique dans l'échiquier national, nous devons travailler en confiance avec les représentants de l'Exécutif qui traitent des questions internationales. Une telle démarche, en période de cohabitation, ne présenterait que des avantages.

Dans ce travail, les parlementaires doivent se soucier d'exprimer la position de la France. Toutefois, je m'oppose à l'idée de donner une seule vision des questions internationales qui sont un enjeu politique. En France, pourquoi y aurait-il un accord sur tout entre la gauche et la droite sur les questions internationales. Ayons donc soin de distinguer ce qui doit être une grande réserve quand nos propos peuvent jouer contre l'intérêt de notre pays, de la liberté de ton sur le jugement mené par telle ou telle autorité. Un consensus mou ne fait pas progresser le débat dans une démocratie.

Le même problème se pose en ce qui concerne les relations entre le parlementaire intéressé par les questions internationales et les journalistes. M. Vauzelle a dit tout à l'heure à juste titre que ce n'était pas une activité parlementaire valorisée par rapport à une élection. Chacun le sait. Il est cependant bien légitime que l'on ait une responsabilité de circonscription, une responsabilité dans le travail de la politique nationale et, par ailleurs, ce goût pour la dimension internationale et européenne.

Néanmoins, pour arriver à un résultat positif de la diplomatie parlementaire, il faut du temps. En ce sens, je ne pense pas que le cumul des mandats permette d'effectuer un bon travail de diplomatie parlementaire. Il y a, par exemple, dans le système allemand une partie des parlementaires désignés pour légiférer ou pour avoir un rôle d'activité nationale politique que ce soit sur le plan national ou international. Nous pourrions nous inspirer de ce système.

Enfin, je pense que nous ne devons pas considérer que notre système est le meilleur. J'ai eu l'occasion d'être invité par la Douma russe à un travail sur l'élaboration d'une loi sur les capitaux étrangers en Russie. Avec René André, notre Ambassadeur, notre chef de poste et des avocats français, nous nous sommes retrouvés en présence de tout l'État-major de la Douma. Nous avons eu l'intérêt de voir arriver une délégation américaine de 26 personnes (sénateurs, représentants, une équipe envoyée par les ministères et les entreprises concernés). Ils ont fait l'erreur, au bout d'un certain temps de discussion, de dire qu'ils avaient préparé un projet de loi que les Russes pouvaient amender. On voit là jusqu'où il ne faut pas aller : la réaction des parlementaires russes sur cette affaire, vous pouvez tous la comprendre. Restons donc à notre place, faisons notre travail, avec le temps, les efforts et l'humilité nécessaires pour agir.

2. - Les questions européennes

Nous ne sommes plus là dans le champ des questions internationales puisque la plupart de nos projets ou propositions de loi sont inspirés ou décidés par la dimension européenne. Depuis la réforme de la Constitution, avant la ratification du traité d'Amsterdam, les choses se passent bien avec l'article 88-4. Je n'ai pas d'exemple du Gouvernement refusant un avis parlementaire avant une décision à Bruxelles. En revanche, il est problématique que le parlement ne puisse s'exprimer en aval des décisions. Les directives sont adoptées avec l'accord du représentant à Bruxelles, mais il y a un stock de 92 directives non encore soumises au parlement pour transposition. C'est inacceptable, on ne peut demander à la fois une place supplémentaire des parlements nationaux sans une vigilance par rapport à l'intégration de la directive communautaire.

Comme l'a rappelé Raymond Forni, la France n'est pas efficace en termes de ratification des traités. Je tiens cependant à souligner qu'exceptionnellement, la France est parmi les premiers pays à ratifier le Traité de Nice. Cela est très positif car ce qui importe dans ce Traité ce n'est pas qu'il donne satisfaction à tout ce qui avait été souhaité, mais qu'il ne fasse pas obstacle à l'élargissement de l'Union. Les Français ont montré qu'ils étaient prêts à faire des sacrifices pour que l'Union puisse politiquement s'élargir.

3. - L'avenir

Pour les parlements nationaux, deux priorités s'imposent. La première est d'adopter la bonne position vis-à-vis des pays candidats et expliquer que nous sommes favorables à l'entrée de nouveaux pays dans l'Union parce que ce sont des peuples européens qui contribuent à la civilisation européenne. Il faut donc que les parlements nationaux s'engagent dans un travail de « lobbying » politique sur cette question.

Deuxièmement, je pense qu'il est tout à fait légitime que les parlements nationaux organisent et participent au débat sur l'architecture future de l'Union, la perspective 2004. C'est une occasion centrale pour assumer notre rôle démocratique sur la question. Nous avons là quelques années pour faire en sorte qu'il y ait un débat public et politique permettant aux Français, dans leur diversité, de s'exprimer sur la future UE qu'ils souhaitent et ainsi de faire avancer les intérêts bien compris de notre pays en France et sur la scène internationale.

M. Christian PONCELET

Il est vrai que la population française est beaucoup trop éloignée des problèmes européens. Dans certains cas, les directives que nous votons ne sont pas comprises.

· Intervention de M. Hubert HAENEL, président de la délégation pour l'Union européenne du Sénat

Le premier constat que l'on doit faire est que depuis environ dix ans, nous assistons à une montée en puissance des parlements en Europe. Je rentre de la réunion de la COSAC qui a eu lieu à Stockholm et je puis vous dire que ce phénomène est amené à s'amplifier encore.

Les débuts de la CEE se sont placés sur une sorte de relégation des parlements. Il y a quelques années, le parlement européen et les parlements nationaux n'avaient pas une grande importance au niveau de la construction européenne et des débats européens. Même si dans les années 1970 le parlement européen a acquis des pouvoirs importants, notamment dans le cadre de l'élection au suffrage universel, cette élection n'a pas fait pour autant disparaître le thème du déficit démocratique de la CEE. Aujourd'hui, c'est encore un débat en vigueur. Pour combler ce déficit, on doit passer par les parlements nationaux qui doivent s'approprier le débat européen.

A la fin des années 1980, nous nous sommes rendu compte que les parlements nationaux devaient avoir leur place dans le débat de l'Union : ce fut la naissance des délégations pour l'UE, le développement de leurs compétences et l'introduction de l'article 88-4 de notre Constitution.

Cette montée en puissance des parlements nationaux en matière européenne ne se limite pas au contrôle par chaque parlement de la politique européenne de son Gouvernement. Le fait que les Gouvernements de l'Union travaillent entre eux et s'influencent réciproquement, a conduit les parlements nationaux des quinze États-membres à travailler également ensemble. Nous avons ainsi assisté à un développement des rencontres parlementaires.

Je vous ferai part de deux expériences : la réunion de la COSAC et mon expérience personnelle en participant à la convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux européens.

1. - La COSAC

Il s'agit de la rencontre semestrielle des représentants de toutes les commissions européennes des parlements des quinze États, des représentants des parlements des États candidats à l'entrée dans l'UE, et des représentants du parlement européen. Pour la première fois, à l'occasion de la Présidence suédoise, le Premier ministre suédois, Président du Conseil européen, a formellement demandé, par une lettre adressée au Président de la COSAC, que la COSAC contribue au Sommet de Göteborg. Nous demandons d'intervenir dans le processus d'élargissement et souhaitons que les parlements nationaux soient associés très en amont au débat européen et à la préparation de la future CIG de 2004.

2. - La convention chargée de l'élaboration de la charte des droits fondamentaux européens

C'est un bon texte destiné à être intégré dans les traités et qui peut être considéré comme la préfiguration d'une Constitution européenne. Il devrait être affiché dans les mairies, les écoles et les universités, pour être compris par le commun des mortels.

Cette convention avait un grand mérite. Elle réunissait notamment des représentants des parlements nationaux, du parlement européen, des Exécutifs et un représentant de la Commission. Les différentes légitimités se retrouvaient pour travailler sur un sujet précis dans un organisme ad hoc et pour un temps donné. La convention a fonctionné à l'image d'une conférence diplomatique. Avec François Loncle (titulaire représentant le président de l'Assemblée nationale) et M. Braibant (titulaire représentant l'Exécutif français), nous avons travaillé ensemble. Nous nous sommes coordonnés et réunis périodiquement pour que la France, sur ce sujet, ait une position commune.

La convention a si bien fonctionné qu'elle est aujourd'hui considérée comme un modèle pour la réunion qui permettra de préparer en amont le travail de la CIG de 2004. Hier, les représentants des parlements nationaux et du parlement européen ont demandé au Conseil européen, dans le cadre de la COSAC, que l'on s'inspire de cette formule pour mettre en place un organisme ad hoc pour que les différentes légitimités soient associées largement en amont, notamment les parlements nationaux. Je pense qu'Alain Barrau et moi-même pouvons insister pour faire en sorte que la France appuie la proposition faite par la COSAC.

Enfin, je donnerais deux exemples sur la manière dont le Sénat travaille sur l'intégration des futurs pays candidats à l'entrée dans l'UE. Douze sénateurs sont chargés de travailler en étroite collaboration avec ces pays pour décrire comment ces pays évoluent.

3. - Exemple de diplomatie parlementaire dans le cadre du fonctionnement de l'UE

Vous vous souvenez des difficultés rencontrées avec l'Autriche. Il était de bon ton de ne pas avoir de relations bilatérales avec les Autrichiens, mais le Président du Sénat a jugé souhaitable de faire venir le Président de la Cour constitutionnelle autrichienne, M. Adamovitch, pour qu'il nous dise ce qu'il se passait réellement dans son pays et nous exposer les verrous qui empêcheraient la dérive que l'on pouvait supposer. Ensuite, la Ministre des affaires étrangères autrichienne a demandé à être reçue par la Délégation pour l'UE du Sénat. Je l'ai reçue, pour qu'il y ait un lieu où elle puisse s'exprimer. Je constate finalement que le Sénat a eu à ce moment-là un rôle utile. J'ajoute que lorsque je me suis rendu en Autriche avant Noël, l'Ambassadeur d'Autriche a demandé à m'accompagner dans les différentes rencontres que j'avais, notamment avec le Chancelier, parce que le Sénat permettait de renouer des liens entre l'Ambassadeur de France en Autriche et les différentes instances autrichiennes.

Pour conclure, je dirais que les parlements nationaux ont un rôle fondamental à jouer dans le débat qui s'instaure d'ici 2004 et dans les réflexions que nous aurons les uns et les autres à formuler pour savoir quelle architecture nous imaginons pour l'Europe de demain.

· Intervention de M. Gérard LARCHER, vice-président du Sénat

Le premier élément de mon témoignage sera de modifier le titre de la table ronde « la diplomatie parlementaire, un concept émergent ». Je dirais que ce concept est déjà émergé. Comme le disait Michel Vauzelle, je fixe la date de l'émergence de cette diplomatie parlementaire à la mission confiée par le Président Mitterrand en 1990 à un certain nombre de parlementaires, lors de la crise du Golfe.

Sur les principes et la réalité de la diplomatie parlementaire, tout a été dit ce matin. Je vous apporterai donc des exemples, à travers mon expérience.

1. - L'article 88-4

En décembre 2000, se posait la question de la réunion du Conseil des Ministres des Postes pour l'adoption d'une directive modifiant les orientations dans le secteur postal et allant vers une plus grande libéralisation. Les conclusions et l'avis donné sur le futur acte communautaire est à l'aval du Gouvernement. Le Sénat conduit un débat et ses conclusions qui s'inscrivent dans une vision à caractéristique libérale modérée ne reçoivent pas l'aval du Gouvernement. Dans la nuit du 22 décembre, le Ministre Christian Pierret échoue avec le texte qui a l'aval de l'Assemblée nationale. En fin de nuit, il propose le texte du Sénat. Nous avons donc contribué à ouvrir un espace de négociation diplomatique à l'Exécutif. Je dois dire que si nous n'avons pas réussi ce matin-là, c'est néanmoins sur cette base que la Présidence Belge proposera sans doute un compromis à la fin du second semestre de cette année. Si je prends cet exemple, c'est qu'en application de l'article 88-4, y compris dans la richesse de l'approche différente de deux assemblées, nous avons permis à l'Exécutif d'avoir élargi éventuellement son espace de négociation et de proposition. Depuis, nous rencontrons le Ministre et les collègues suédois et belges qui suivent le dossier pour préparer le nécessaire compromis et ne pas laisser en 2004 à la seule Commission le soin de décider en lieu et place des politiques.

2. - La préparation à l'adhésion

Dans la liste des critères de convergence par rapport à l'adhésion, on constate un déficit de la Hongrie dans le domaine environnemental. Nous négocions un accord avec le parlement hongrois pour échanger sur la richesse de notre législation. Il y a donc là un espace de diplomatie et un espace de préparation au processus d'adhésion.

3. - Le rôle du parlementaire lorsqu'il est membre d'une ONG ou au coeur d'initiatives personnelles

Étant parlementaire et travaillant en liaison avec l'Ordre souverain de Malte, au moment de la guerre libanaise, j'ai observé que le statut de parlementaire confère une autorité, une crédibilité et un recours dans les moments difficiles. Je préfère un parlementaire engagé qui rendra des comptes à un individu qui s'en va négocier au nom de je ne sais qui, sans jamais rendre de comptes.

Autre exemple : j'ai eu à rencontrer M. Karadzic pour une affaire impliquant des prisonniers pilotes français. Il y avait donc une dimension humanitaire et naturellement, je n'étais l'envoyé de personne, si ce n'est de cette ONG.

La rencontre avec un certain nombre de chefs religieux, qui n'est pas toujours possible pour des diplomates, l'est, en revanche, par un parlementaire sans qu'il engage pour autant son pays.

4. - Disponibilité de nos assemblées pour réfléchir ensemble à l'enrichissement démocratique d'un pays

Je prendrais l'exemple du Sénat mauritanien sur lequel le Sénat français et le Sénat marocain ont travaillé. Par ailleurs, je voudrais dire notre disponibilité sur ce qui arrivera peut-être un jour au Moyen-Orient. Les accords de Taëf prévoyaient une deuxième chambre pour déconfessionnaliser la première. Le Sénat sur ces sujets a une grande réflexion, une grande expertise et une grande disponibilité.

5. - Les conditions

Jean-Bernard Raimond l'a dit : il faut informer au préalable l'Exécutif, faire le point complet avec l'Ambassadeur ou son représentant et ne pas déroger sur l'essentiel à l'unanimité nationale, mais avoir sa liberté malgré tout sur un certain nombre de sujets. Cette liberté est ce qui fait ma spécificité parlementaire, à la fois adhérant pleinement à mon pays, mais non tenu par les règles de la solidarité gouvernementale.

Voilà Mesdames et Messieurs le témoignage que je voulais vous apporter.

· Intervention de M. Roger PAQUIN, député québécois

M. Barrau, Mesdames et Messieurs les sénateurs et députés, c'est un honneur et un plaisir pour moi d'être ici aujourd'hui et de prendre la parole au nom de M. Jean-Pierre Charbonneau, le président de l'Assemblée nationale du Québec.

Vous constaterez qu'il y a une grande convergence ou concordance de phases entre ce qui se fait chez nous au Québec et ce que vous faites en termes de diplomatie parlementaire. L'ensemble des propos que j'ai entendus ce matin me permettra peut-être de faire une transition entre la première table ronde et celle de cet après-midi sur l'essor de la coopération interparlementaire et de la régulation internationale comme prochaine frontière pour les parlements. Je vous transmets les amitiés des parlementaires québécois, tous partis confondus. Je vous prie d'agréer mon intervention comme le témoignage d'un député engagé dans la diplomatie parlementaire et de considérer mes propos comme une contribution amicale à vos travaux.

Vous ne serez pas surpris d'apprendre que dans la deuxième session de la 35 ème législature du Québec, pas moins de 4 500 interventions ont porté sur des sujets d'ordre international. 160 de ces interventions concernaient la question du commerce à l'intérieur de l'ALENA. Nous assistons en effet à un passage d'une réalité intérieure à de nouveaux paradigmes. Un passage aussi marquant et important est survenu lorsque la souveraineté est passée de personnes, d'individus et de monarques à des assemblées, voire à des parlements. Actuellement, la souveraineté est déportée vers d'autres horizons, des horizons en grande partie supranationaux.

Pourquoi cela ? Les pouvoirs et les organisations qui font en sorte que les souverainetés s'expriment doivent tenir compte des mouvements de l'ensemble des caractéristiques de nos sociétés. A une époque où :

· du côté environnemental, les pollutions sont transnationales ;

· la préoccupation génomique devient importante ;

· la science nous offre des solutions novatrices dans des domaines de pointe pour lesquelles les législations ne sont pas prêtes ;

· le « village global » s'installe parce que les communication sont transnationales ;

· le commerce se mondialise, les entreprises se déplacent et les investissements sont inter-nationaux ;

on change de paradigmes et une nouvelle adaptation se produit. On assiste à l'émergence de toutes sortes de diplomaties à côté de celles traditionnelles et gouvernementales. Elles apparaissent dans les milieux universitaires, dans les milieux ecclésiastiques, mais aussi à travers les ONG, les milieux d'affaires, les milieux commerciaux, les milieux environnementaux... Partout émergent des diplomaties sous des formes nouvelles qui correspondent à ce changement de paradigmes que l'humanité connaît en ce moment.

Cela a des effets sur les devoirs et les fonctions des députés. Au moment de légiférer, les parlementaires ont à prendre en compte toutes sortes de réalités internationales qui interviennent souvent sur la teneur de leur législation et au moment de contrôler l'Exécutif. Les représentants nationaux doivent également prendre en considération les questions d'intérêt public et les situer dans leur contexte actuel. Enfin, la fonction de représentation du parlementaire, interface entre le citoyen et les lieux où se décide ce qui devrait être son meilleur intérêt doit prendre en compte les réalités nouvelles qui s'imposent sur la scène internationale. En conséquence, le parlementaire doit intervenir en amont et influencer les décisions qui auront des effets sur les parlements et en particulier le sien.

C'est pourquoi, à l'Assemblée nationale du Québec, on pratique depuis longtemps une participation à l'intérieur de ce qu'il est convenu d'appeler la diplomatie parlementaire. On a vu qu'elle prend des formes variées, mais qu'elle est toujours arrimée à des aspects bien sentis des populations qu'elle vise à accompagner. Dans ce sens, l'Assemblée nationale s'est naturellement inscrite dans la diplomatie parlementaire : dès le début de notre parlement en 1792, la législature s'est ouverte sur ce qui se faisait à l'étranger, et particulièrement aux États-Unis qui avaient d'ailleurs établi leur première mission à l'étranger à Québec. Cette tradition spontanée et cette nécessité de rester arrimé, de par notre type de parlementarisme, aux réalités britanniques, de par nos origines aux réalités de la francophonie et, de par notre géographie, aux nécessités de l'Amérique, tout cela a fait que nous avons ajusté et développé cette stratégie. Elle est devenue pour nous une diplomatie parlementaire agissante.

1. - Les objectifs que poursuit l'Assemblée du Québec à travers cet ensemble de démarches

Premièrement, le maintien et le renforcement de l'efficacité de l'institution parlementaire et des élus dans les quatre fonctions :

· la fonction législative ;

· la fonction de contrôle ;

· la fonction de prise en considération des intérêts publics ;

· la fonction de représentation.

Deuxièmement, le rayonnement institutionnel de notre Assemblée nationale au sein des divers réseaux parlementaires.

Troisièmement, nous voulons assurer une participation active de notre parlement à l'édification d'une communauté mondiale fondée sur des principes de paix, de démocratie, de justice, de prospérité.

Enfin notre quatrième objectif est d'améliorer le positionnement international de notre Assemblée en contribuant ainsi au rayonnement accru de notre société québécoise.

2. - Les caractéristiques de la diplomatie parlementaire québécoise

On dénombre quatre caractéristiques principales.

Premièrement, nous tentons en toute circonstance de refléter le pluralisme du Québec. Ce pluralisme est vécu dans l'institution de l'Assemblée nationale et nous voulons le projeter à travers nos délégations, partout à l'étranger.

Deuxièmement, nous voulons profiter des opportunités, avoir un accès privilégié aux décideurs politiques actuels et potentiels des pays du monde.

Troisièmement, nous tablons sur la crédibilité des parlementaires et des élus sur plusieurs questions majeures dont notamment les questions de promotion des institutions démocratiques, la défense de l'État de droit et la question de la promotion des droits de la personne. Nous souhaitons également profiter de leur légitimité pour exprimer le point de vue des électeurs.

Quatrièmement enfin, nous voulons nous insérer dans des réseaux à ramification internationale et à l'étranger. Le Président de l'Assemblée nationale détient chez nous le privilège et le devoir de représenter l'Assemblée, notamment à l'étranger. Il dispose de deux Directions : la Direction des Relations Interparlementaires et la Direction du Protocole et de l'Accueil. Elles fournissent un soutien pour structurer l'ensemble du fonctionnement et du travail des députés. Ces derniers mènent deux types d'actions :

· Au sein des 11 Commissions parlementaires, chacune représentant un segment précis de l'activité gouvernementale, les députés procèdent à l'examen des textes législatifs, possèdent des mandants d'initiative et mènent des démarches liées à des sujets connexes à la diplomatie parlementaire.

· Les députés participent également aux Sections de l'Assemblée nationale.

3. - Les relations avec l'étranger

Nos relations avec l'étranger sont de quatre types.

a. - Les relations multilatérales

Pour la première fois, nous avons adhéré de façon officielle à l'Association des parlementaires du Commonwealth, qui regroupe pas moins de 16 000 parlementaires issus de 147 parlements différents. Ils échangent autour de sujets importants depuis 1911. Pour notre part, nous en sommes membres depuis 1933.

Nous avons également participé à l'Assemblée des parlementaires de la Francophonie et au Council of State Government des États-Unis. Depuis 1990, l'une de nos délégations participe à différentes instances américaines. A cet égard, il faut rappeler que les deux plus grands rassemblements de parlementaires américains - l'un en 1995 avec plus de 1 000 participants, l'autre en 1999 avec plus de 1 500 parlementaires - se sont déroulés au Québec.

Nous avons également initié la Conférence parlementaire des Amériques, qui représente le pendant parlementaire des travaux actuels dans la zone de libre-échange américaine. Les parlementaires des états fédérés, des états fédéraux et des états républicains de l'ensemble de l'Amérique s'y rassemblent, y compris les organismes supranationaux américains.

b. - Les relations bilatérales

Nous en avons noué avec la France, la Belgique, l'Ontario, Haïti, avec le parlement centraméricain, le Brésil, en Orient, etc.

c. - La coopération interparlementaire

Elle concerne principalement Haïti et quatre pays africains : le Bénin, le Mali, le Niger et Madagascar.

d. - Les partenariats divers

Au sein du Programme Intégré d'Appui pour la Démocratie et les Droits de la Personne, nous avons organisé des séminaires parlementaires techniques ou de soutien aux jeunes démocraties dans les différentes régions du monde, y compris au Vanuatu et au Tatarstan.

Nous participons également à un programme d'appui à la démocratisation dans 10 pays africains.

Nous prenons part à des ateliers de formation de fonctionnaires et de parlementaires des démocraties naissantes, principalement en Haïti de 1996 à 1999.

Il faut également évoquer les missions d'observation électorale, les appuis documentaires aux parlements du sud (programme PARDOC), les interventions sur l'introduction des nouvelles technologies de l'information dans les parlements (en Slovénie, au Sénégal, conférence sur les info-routes et la francophonie parlementaire du Québec en 1998) ou encore le secrétariat permanent de la COFOR depuis 1997 à Québec.

Ensemble, nous avons pris acte du fait que l'avenir ne sera plus jamais comme le passé. Il est opportun pour le parlementaire et l'élu de s'ouvrir à ces réalités, qui agissent sur ses quatre devoirs fondamentaux. Il est nécessaire de se rendre dans les enceintes et les lieux de décision où se déterminent les éléments du futur afin d'influencer ces évolutions. Vous aurez noté que l'esprit de nos initiatives converge fortement avec vos propres expériences.

Enfin, je crois que l'organisation de cette journée à l'initiative de l'Assemblée nationale et du Sénat français est hautement pertinente. J'espère que mes propos constitueront une transition appropriée entre les travaux de la matinée et vos réflexions sur l'essor de la coopération et la régulation internationale comme prochaine frontière de nos travaux parlementaires.

· Débat avec la salle

Une attachée de l'ambassade du Liban

J'aimerais simplement rappeler le travail essentiel effectué par les parlementaires, notamment le vice-président du Sénat, durant la guerre au Liban. Je voudrais le remercier une fois encore pour son action.

M. Jean-Marie HAPPART, vice-président du Sénat belge

Je souhaite d'abord vous remercier pour votre initiative, votre invitation et votre accueil.

J'aimerais également rappeler la problématique du cumul des mandats. En Belgique, nous venons de voter une série de lois interdisant cette pratique : nous considérons que, lorsqu'un parlementaire remplit correctement son mandat, il n'a pas le temps d'en occuper un autre.

Je voudrais également rappeler que les ONG ne fonctionnent que grâce au financement de nos Etats. Elles ne sont pas le fruit du hasard, mais naissent d'un véritable choix politique.

S. Exc. M. Jacques LEPRETTRE, ambassadeur de France

Au sujet de l'élargissement de l'Union européenne, un nouveau jeu, essentiellement parisien, consiste désormais à annoncer régulièrement une nouvelle adhésion de tel ou tel pays. Ce faisant, on semble oublier que chaque candidat doit effectuer un travail préparatoire. Par conséquent, la date d'adhésion dépend à 75 % de l'action du candidat lui-même. Durant huit années, j'ai participé aux négociations en vue de l'adhésion de l'Espagne et du Portugal : à l'issue de cette période, nos amis espagnols et portugais nous suppliaient eux-mêmes de leur accorder un délai supplémentaire. En effet, l'un et l'autre de ces pays avaient été projetés vers une tâche qu'ils n'avaient pas bien mesurée : l'adaptation de plus de 2 000 lois nationales. Par conséquent, plutôt que de fixer des dates arbitraires, il conviendrait plutôt de s'intéresser à l'état d'avancement de la préparation des pays candidats. Sans préparation, pas d'adhésion ; sans adhésion, pas d'avantages.

M. Alain BARRAU

Je vous remercie de ce juste rappel. Il ne contredit pas l'enjeu même de l'élargissement, qui est fondamentalement politique et concerne des peuples libérés de la domination soviétique. L'aspect technique et économique est essentiel. Mais il existe également une dimension politique, à laquelle il faut apporter une réponse appropriée.

TABLE RONDE :
L'ESSOR DE LA COOPÉRATION INTERPARLEMENTAIRE

Cette table ronde a été co-présidée par :

Mme Christine LAZERGES, vice-présidente de l'Assemblée nationale, chargée des relations internationales, et M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

Les débats ont été modérés par MM. Guy CARCASSONNE, professeur de droit public, et Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public Sénat.

Y ont participé :

M. René ANDRÉ, député

M. René DOSIÈRE,député

Mme Michèle RIVASI, députée

M. Claude HURIET, sénateur

M. Jacques PELLETIER, sénateur

· Intervention de Mme Christine LAZERGES, vice-présidente de l'Assemblée nationale, chargée des relations internationales

Mesdames et Messieurs les parlementaires, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, Mesdames et Messieurs, nous allons nous intéresser maintenant à l'analyse de la coopération interparlementaire. Je commencerai par faire le point sur l'état d'avancement du débat en cours à ce sujet à l'Assemblée nationale.

1. - Comment la coopération interparlementaire est-elle née ?

Pendant longtemps, nous avons cru, ou feint de croire, que la démocratie était un luxe réservé aux nations les plus anciennes et les plus riches. Seules ces dernières semblaient pouvoir s'offrir des institutions représentatives alors que, pour les jeunes nations confrontées à la nécessité d'affirmer leur unité nationale et aux contraintes du développement, la démocratie pouvait attendre. Heureusement, de nombreux peuples n'ont pas voulu attendre. Les bouleversements que nous connaissons, en particulier depuis 1989, et qui ont été déjà évoqués ce matin, ainsi que l'échec de nombreuses dictatures dans le monde ont créé une formidable aspiration à la mise en place ou au rétablissement d'institutions parlementaires. Ces nouveaux États ou ces démocraties restaurées se sont alors tournées, assez naturellement, vers les vieilles nations démocratiques, soit parce qu'elles entretenaient avec elles des relations de longue date - momentanément interrompues -, soit parce qu'il s'agissait d'anciennes puissances coloniales auxquelles il apparaissait naturel de s'adresser afin de bénéficier de leur expérience.

C'est dans ce contexte que l'Assemblée nationale et le Sénat ont été conduits à répondre à de nombreuses demandes d'assemblées parlementaires naissantes ou renaissantes à la recherche d'un soutien dans le cadre de la mise en place d'institutions démocratiques. L'attention nouvelle au droit, et tout particulièrement aux droits de l'homme, la recherche d'une stabilité nécessaire à la paix et au développement économique et social, sans oublier l'usure du régime préexistant, ont motivé ce choix. Le parlement français - ce matin, plusieurs interventions en ont d'ailleurs fait état - a su répondre à ces demandes et s'efforce quotidiennement de faire face à ce défi qui, selon moi, est l'un des honneurs de la fonction parlementaire aux côtés du contrôle du gouvernement et du vote des lois. La coopération interparlementaire est, sans doute, l'une des missions les plus porteuses d'avenir. Cette coopération, à l'Assemblée nationale, s'est construite de façon assez empirique, en s'appuyant sur des structures administratives légères. Vous allez constater, aussi, qu'aujourd'hui, cette coopération interparlementaire prend de l'assurance et de l'ampleur, et évolue - ce qui est assez satisfaisant - vers une plus grande association des autorités politiques aux décisions et aux actions. Les interventions sont d'ailleurs, pour la plupart, multilatérales et pluridisciplinaires.

a. - L'empirisme, à la base de la coopération interparlementaire

La première mission de coopération interparlementaire, au sens où nous l'entendons actuellement, remonte à 1978. A l'époque, la Chambre des Députés de la jeune République de Djibouti avait sollicité l'Assemblée nationale pour rédiger son règlement et initier la mise en place de ses services. Peu après, en 1982, la Guinée-Équatoriale, ancienne possession espagnole, qui sortait d'un régime dictatorial sanglant, avait également demandé l'intervention de l'Assemblée nationale française pour l'aider à mettre en place sa propre Assemblée, dans un immeuble déserté de l'ancienne Chambre de commerce espagnole. Cette Assemblée se résumait alors à un bâtiment (son personnel ne possédait aucune connaissance du droit parlementaire ni du fonctionnement d'une assemblée).

Du point de vue diplomatique, l'enjeu d'une telle coopération est évident. D'une manière générale, plusieurs États issus de la décolonisation africaine, en particulier le Sénégal et la Côte-d'Ivoire, mais également des États tels que l'Équateur, le Nicaragua, le Chili ont demandé à l'Assemblée nationale de déléguer auprès d'eux un fonctionnaire susceptible de les aider à restaurer des institutions démocratiques.

b. - Par quel canal privilégié cette coopération interparlementaire s'est-elle engagée ?

Cette initiative est généralement prise par le Président du groupe d'amitié entre notre Assemblée nationale et celle du pays concerné, en concertation avec notre ambassadeur sur place, autant de personnes conscientes de l'intérêt d'une telle action, ou encore par le tout nouveau Secrétaire général de l'Assemblée locale - souvent formé en France. Au départ, la coopération ne relevait pas d'un plan d'ensemble ou d'une politique savamment construite : il s'agissait, et il s'agit souvent encore, de répondre à des demandes ponctuelles et éparses.

Cependant, les services de l'Assemblée nationale constituaient, et constituent encore à mon sens, une trop petite structure pour répondre à ces demandes. Ce n'est qu'en 1994, à l'initiative du Président Philippe Seguin, que la multiplication des missions d'assistance confiées à des fonctionnaires de l'Assemblée nationale, dans tous les domaines de l'activité parlementaire (procédures législatives, fonctionnement des commissions, organisation administrative, statut du personnel, élaboration des compte rendus) a conduit à la création d'une division de la coopération interparlementaire. Curieusement, cette division était rattachée, initialement, au service du protocole.

2. - Les moyens de la coopération

a. - La division de la coopération interparlementaire

Il s'agit d'une structure qui demeure encore aujourd'hui légère : un chef de division, un administrateur, deux administrateurs-adjoints, un secrétaire administratif.

Cette équipe, restreinte mais très efficace, doit, à l'évidence, être renforcée.

En effet, outre les sujets traditionnels, liés essentiellement à la procédure législative et au fonctionnement des commissions, le champ des demandes s'élargit aujourd'hui à des sujets nouveaux : services de documentation, et en particulier le volet informatique ; actions de communication.

b. - Les différentes formes de coopération interparlementaire

La coopération prend aujourd'hui des formes diverses. En pratique, il s'agit soit d'une mise à disposition de fonctionnaires à l'étranger, soit de l'accueil de stagiaires en France, les deux formes pouvant, d'ailleurs, se combiner. Par exemple, une mission d'évaluation menée par l'Assemblée nationale peut se prolonger par un séminaire de formation de fonctionnaires étrangers. Dans les deux cas, il s'agit de déplacements de courte durée, allant de quelques jours à deux semaines pour les missions à l'étranger, et d'un mois, au maximum, pour l'accueil des stagiaires.

c. - Les moyens financiers

Je n'entrerai pas dans le détail des crédits que l'Assemblée nationale consacre à la coopération interparlementaire. Pour être optimiste et positive, je dirai que ces crédits, en 2002, augmenteront de 17 %. J'ajoute que si la somme de départ est assez peu conséquente, cette augmentation représente néanmoins un effort important qui s'avèrera cependant, à terme, insuffisant. Il est à noter que ces crédits ne comprennent pas les éléments dédiés à la coopération mais pris en charge par d'autres services. Ainsi, le budget de la coopération interparlementaire n'intègre pas le coût de fonctionnement de la division. Ce dernier est intégré dans le budget de fonctionnement habituel des divisions de l'Assemblée.

3. - Les évolutions actuelles

La souplesse qui a présidé au développement de la coopération nécessite aujourd'hui davantage de cohérence. De nouvelles tendances se dessinent pour la coopération interparlementaire et notamment deux avancées importantes.

a. - L'association accrue des autorités politiques

J'en veux pour preuve la facilité avec laquelle nous avons convaincu de nombreux députés d'assister à ce colloque et d'apporter leur témoignage sur leurs actions en matière de coopération interparlementaire.

Jusqu'à présent, la coopération interparlementaire était une affaire de fonctionnaires, qui se construisait, le plus souvent, en dehors du champ des groupes d'amitié. Il s'agissait simplement d'un transfert de connaissances et d'expériences entre fonctionnaires français et fonctionnaires étrangers. Le fait que la coopération interparlementaire fasse pleinement partie de la diplomatie parlementaire, le fait qu'elle soit donc devenue un axe fort de l'action diplomatique du parlement, imposait qu'elle devienne enfin l'affaire des députés et non plus, seulement, celle des responsables administratifs de notre assemblée.

Dans cette perspective, le rattachement, à partir du 1 er octobre 2000, à l'instigation du Président Forni, de la division de la coopération internationale aux services des relations internationales dont j'ai la charge est hautement symbolique. Ce rattachement était d'ailleurs une évidence.

La délégation du Bureau chargée des relations internationales, à laquelle tous les groupes de l'Assemblée nationale participent, a défini deux priorités en matière de coopération :

· contribuer au renforcement des institutions démocratiques, en particulier dans la zone de solidarité prioritaire ;

· faciliter - nous en avons également parlé ce matin - l'intégration à l'Union européenne des pays aujourd'hui candidats, voire ceux qui pourraient le devenir dans un avenir proche.

Ceci revient à accorder une attention toute particulière à une préoccupation essentielle de la diplomatie, non seulement parlementaire mais française, à savoir l'action vers les pays francophones ayant appartenu à l'Union française et l'Europe orientale, y compris la Russie et les Républiques issues de l'ancienne Union soviétique. La clarté, dans l'organisation comme dans les priorités, est déterminante.

Une seconde forme de l'association plus étroite des responsables politiques à la coopération interparlementaire a été l'implication, de plus en plus forte, des présidents des groupes d'amitié. Les groupes d'amitié et la coopération relèvent désormais du même service. Ainsi, chaque fois qu'une coopération est envisagée - et j'y suis très attachée - il est proposé au président du groupe d'amitié concerné de s'y associer. Cela est important et prometteur pour le développement de cette coopération dans les années qui viennent. Ainsi mon collègue Adevah-Poeuf a participé récemment, en sa qualité de président du groupe France-Bénin, à un séminaire de formation qui s'est tenu à Porto-Novo, réunissant des fonctionnaires de l'Assemblée nationale française et leurs homologues de cinq pays d'Afrique occidentale : le Burkina-Faso, le Bénin, le Mali, le Niger et le Togo. De même, il y a quelques jours, Michèle Rivasi qui est à cette table et qui préside le groupe d'amitié France-Madascagar, a participé à un cycle de formation de fonctionnaires de l'Assemblée nationale malgache qui avaient été recrutés à la suite d'un concours organisé avec l'appui technique du personnel de notre Assemblée nationale. Alain Barrau, président du groupe d'amitié France-Ukraine, a, de la même manière, récemment reçu une délégation de députés et de fonctionnaires ukrainiens en visite en France dans le cadre d'un programme européen TACIS, ce qui m'amène à mon deuxième point.

b. - La participation et le soutien des institutions européennes

Dans le cadre d'interventions plus multilatérales et pluridisciplinaires, nous nous appuyons désormais sur des programmes européens.

En effet, le second trait marquant de l'évolution récente de la politique de coopération interparlementaire pratiquée par l'Assemblée nationale est son caractère multilatéral et pluridisciplinaire. Naturellement, vous devinerez aisément que des actions multilatérales étaient menées depuis longtemps. Je citerai le cycle existant depuis des années organisé par l'Institut international d'administration publique consacré à l'organisation du travail parlementaire. Il est animé principalement par des fonctionnaires de l'Assemblée nationale et du Sénat. Pendant quatre semaines, une trentaine de fonctionnaires parlementaires francophones d'Afrique, d'Asie et d'Europe est ainsi rassemblée. De même, depuis plusieurs années aussi, un séminaire de formation a lieu chaque année dans un pays différent d'Afrique et regroupe des fonctionnaires de plusieurs pays -- je l'ai évoqué tout à l'heure en parlant du séminaire qui s'est tenu au Bénin.

Mais la coopération multilatérale a pris une autre dimension depuis la disparition de l'Union soviétique. La Communauté européenne a compris l'intérêt global que représentait l'établissement d'un État de droit, et donc d'institutions représentatives : c'est pourquoi les programmes communautaires de coopération TACIS comportent un volet visant à moderniser et revaloriser les institutions parlementaires de ces pays. Ces programmes communautaires - je m'en félicite et nous nous en félicitons certainement tous - mobilisent des fonds d'une ampleur sans commune mesure avec ceux que des assemblées telles que la nôtre peuvent consacrer à leur politique de coopération internationale. Ces fonds sont une véritable manne. Ils étaient, jusqu'à présent, accordés à des sociétés de conseil qui répondaient aux appels d'offres communautaires mais qui, sans vouloir être exagérément critique, ne possédaient pas toujours la savoir-faire très spécialisé nécessaire pour faire fonctionner une assemblée parlementaire. C'est pourquoi, lassée de répondre sans arrêt à des demandes de cabinets privé, qui réclamaient l'envoi, dans différents pays, de fonctionnaires de notre parlement ou la réception, en France, de délégations étrangères, l'Assemblée nationale, associée au Sénat français et à la BundesAcademy allemande a répondu à un appel d'offres des Communautés européennes dans le cadre, précisément, de ce programme TACIS d'assistance technique à la Douma russe. Preuve en est que le service public peut parfois, efficacement, concurrencer le secteur privé. Ce consortium parlementaire, associé à un cabinet comptable pour les aspects financiers et matériels de l'opération, a remporté cet appel d'offres et a ainsi pu mettre en oeuvre pendant cinq ans, de 1996 à 2001, un programme de formation d'une ampleur sans précédent avec un parlement étranger. Nous y avons fait allusion ce matin. Par la suite, le Sénat a conclu un contrat TACIS avec la Géorgie auquel, par réciprocité, l'Assemblée nationale a été associée pour une partie des fonctions demandées en matière de formation du personnel. Plus récemment encore, le Sénat, allié à son homologue espagnol et à notre assemblée, s'est lancé dans le programme PHARE d'aide au parlement polonais pour l'intégration du droit communautaire dans la législation nationale de ce pays. Le président Poncelet part d'ailleurs cet après-midi même en Pologne, dans ce cadre et dans la perspective de l'adhésion de la Pologne à l'Union européenne.

Ces programmes multilatéraux présentent de nombreux avantages. Ils pallient les insuffisances de notre propre coopération qui ne permet que des missions ou des réceptions de stagiaires de courte durée et ne comportent pas d'aide à l'acquisition de matériel informatique, bureautique ou de documentation. Or ces aspects sont particulièrement importants. En outre, ces programmes financés par l'Union européenne, mais aussi par d'autres bailleurs de fonds tels que la Banque Mondiale ou la Banque Interaméricaine de Développement, sont, en général, pluridisciplinaires. Leur volet de renforcement de l'État de droit n'est pas limité au domaine parlementaire, il s'adresse également aux services exécutifs ou juridictionnels de ces pays. Ainsi, même en unissant leurs moyens, nos deux assemblées ne pourraient répondre qu'à une toute petite partie d'une demande qui excède leurs compétences.

c. - La participation de l'administration

Parallèlement, je tenais à signaler que d'autres administrations de l'État - ministère des affaires étrangères, de la Justice, Conseil d'État, Cour de Cassation, Cour des comptes, universités et professions judiciaires (Ordre des avocats, des experts comptables, etc.) - ont ressenti le même besoin de s'unir afin de répondre à une demande globale. Elles ont, à cet effet, créé, en 1998, sous l'impulsion de Robert Badinter, une association dénommée Agence de Coopération Juridique Internationale - que l'on connaît mieux sous le nom d'ACOJURIS. Cette Agence est chargée de suivre les appels d'offres, de constituer les dossiers de candidature et, en cas de succès, de prendre en charge la gestion financière et comptable de ces contrats afin de contribuer à maintenir, voire à renforcer, la place du droit d'inspiration française dans le monde. Après avoir assisté aux débuts d'ACOJURIS sans en faire partie, l'Assemblée nationale a estimé que les compétences de cette structure, qui rassemble des juristes de très grande qualité, répondaient à ses besoins en matière de coopération interparlementaire. C'est pourquoi, à ma demande et en accord avec le président de l'Assemblée, les questeurs, il y a trois semaines, ont approuvé l'adhésion de l'Assemblée nationale à ACOJURIS.

4. - Conclusion

Mes propos ont été très descriptifs mais il me paraissait très important de faire le point sur la situation actuelle ainsi que sur les évolutions que nous souhaitons voir se réaliser demain.

La coopération interparlementaire est devenue une forme normale d'intervention du parlement dans la vie internationale, ce qui constitue, en soi, une avancée majeure. Ses deux axes privilégiés - aider à la consolidation de l'État de droit à travers des institutions parlementaires et contribuer à l'élargissement de l'Union européenne par l'intégration du droit communautaire dans les législations des États candidats - permettent à notre assemblée de participer pleinement à l'action diplomatique de notre pays.

Cependant -et c'est sur ce point paradoxal que je voudrais conclure mon propos-, si le développement de la coopération interparlementaire nécessite l'introduction d'une certaine forme de rationalité, qui n'existait pas à l'origine, il faut nous garder d'y introduire trop de rigidités. Rationalité, cohérence, souplesse : la démocratie, c'est la vie et la vie, c'est le foisonnement, fut-il, quelquefois, désordonné. Aussi, faut-il être prêt à répondre aux demandes multiples de toutes ces nouvelles démocraties qui se tournent vers nous. Il ne s'agit surtout pas de leur livrer une Assemblée nationale clé en main, mais de leur transmettre une expérience de plus de deux siècles, acquise à travers bien des balbutiements, sans chercher à imposer un modèle français dont nous pouvons être fiers mais qui n'est jamais directement transposable hors de nos frontières.

Finalement, notre ambition s'incarne dans un dialogue attentif, fondé sur l'examen de la réalité, mais aussi sur des convictions profondes. Il n'est de système politique digne de ce nom que démocratique. Pour reprendre Spinoza, je dirai qu'il n'est pas de régime légitime sans le respect des droits de l'homme. La coopération interparlementaire constitue donc structurellement, j'insiste, une aide politique et diplomatique à l'État de droit. Je vous remercie.

M. Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public-Sénat

Puisque l'on a fait l'honneur au professeur Guy Carcassonne et à moi-même d'être les modérateurs et animateurs de ce colloque, je voudrais, avant de passer la parole au président Xavier de Villepin, puis aux autres interlocuteurs, demander à Guy Carcassonne s'il partage l'optimisme de Mme Lazerges.

· Intervention de M. Guy CARCASSONNE, professeur de droit public

Je vous remercie. En vérité, je ne partage qu'en partie seulement l'optimisme de Mme Lazerges. J'assume ici un rôle paradoxal. N'étant ni membre du parlement et n'appartenant à aucune structure relevant du ministère des affaires étrangères, je m'interroge sur ce qui justifie ma présence. En outre, le titre de modérateur me convient assez mal. Il est en effet beaucoup plus amusant, dans un colloque, d'être l'« agresseur » et c'est ce que je vais m'efforcer d'être pendant quelques minutes. En parcourant les cinq continents, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreuses missions parlementaires, d'en évaluer l'efficacité et de constater les services indubitables qu'elles apportent. Je vais néanmoins m'attarder sur les problèmes qu'il m'est arrivé de percevoir et qui tiennent en quelques mots. La coopération parlementaire présente les caractéristiques suivantes : d'abord, elle répond à des attentes incertaines, ensuite, elle poursuit des finalités hétérogènes et enfin, elle met en oeuvre des compétences aléatoires, ce qui lui confère évidemment de nombreux handicaps.

1. - La coopération : des attentes incertaines

S'agissant des attentes incertaines, combien de fois n'avons-nous pas assisté au même spectacle navrant : une mission de haut niveau arrive dans un pays et constate que personne ne l'attend et qu'elle n'intéresse pratiquement personne !

De fait, une mission peut être initiée par un ambassadeur dynamique ou un responsable politique local qui, ayant fait des études dans l'une de nos universités, a gardé des liens affectifs avec la France. Elle peut aussi être initiée par quiconque voit en notre pays la terre des droits de l'homme et songe, spontanément, à se tourner vers elle. C'est dans cet esprit que les initiatives sont fréquemment prises mais ce n'est qu'ensuite que l'on tente d'intéresser les interlocuteurs locaux. Ceux-ci font parfois preuve de curiosité, d'autres davantage de politesse ou encore de circonspection que de véritable appétence. Or s'adresser à des gens qui ne demandent rien ou peu de choses est une gageure. C'est pourquoi, pour renforcer l'efficacité de ce type de coopération, il faut d'abord faire en sorte que ceux auxquels cette action s'adresse s'y intéressent - et ce n'est pas une mince affaire !

Que faire, sinon ? Grâce à ses propres vertus, ne faut-il pas essayer de faire découvrir à des gens, qui, finalement, ne demandaient rien, que nous avons des choses à leur apporter, de surcroît susceptibles de les intéresser ? Ce n'est qu'à ce prix que s'opèrera cette mutation extraordinaire, grâce à laquelle non seulement ces personnes écouteront vos discours protocolaires mais consacreront également suffisamment de temps au projet pour le rendre utile.

Ce premier obstacle, celui de ces attentes incertaines, n'est évidemment pas le plus facile à franchir.

2. - La coopération : des finalités hétérogènes

Des parlementaires qui se déplacent, qu'il s'agisse de parlementaires français à l'étranger ou de parlementaires étrangers en France, visent simultanément plusieurs objectifs non nécessairement compatibles.

Certains cherchent d'abord à faire la « propagande » de la démocratie : c'est un rôle majeur, certainement le plus digne. La démocratie a maintes fois démontré qu'elle était un excellent produit d'exportation nécessitant le plus grand soin. Ces mêmes parlementaires cherchent également à être les ambassadeurs collectifs de la France, dans une optique légèrement moins désintéressée. Ils souhaitent ainsi - ce qui est un souci légitime - profiter de l'occasion pour affirmer, renforcer et enrichir la présence française dans les pays où ils se rendent ou bien l'influence de la France auprès de parlementaires étrangers qui leur rendent visite.

Enfin, en tant que parlementaires, ils gardent en tête les intérêts de leur circonscription, ce qui est parfaitement naturel. Ainsi, à l'occasion d'une mission, un parlementaire, en plus de convaincre ses interlocuteurs des mérites de la démocratie et de vanter les vertus de la présence française, peut avoir l'occasion de nouer des contacts utiles au profit des entreprises de sa circonscription, ce dont il ne va pas se priver.

Malheureusement, ces finalités peuvent parfois se télescoper, d'autant plus, qu'une fois encore, les missions s'adressent à des gens dont les attentes n'ont pas été préalablement cernées de manière certaine.

3. - La coopération : des compétences aléatoires

Le dernier handicap concerne les compétences aléatoires, pour ne pas dire les incompétences notoires (je tiens à rester poli). Il manque souvent à la diplomatie parlementaire ce qui caractérise la diplomatie professionnelle, à savoir la continuité. A l'inverse, il manque souvent à la diplomatie professionnelle ce qui caractérise la diplomatie parlementaire, à savoir la communauté de pensée.

J'ai toujours été frappé, en rencontrant des interlocuteurs étrangers, notamment parlementaires mais pas exclusivement, dans de nombreux pays, de leur courtoisie et même de leur intérêt. Ils écoutent les parlementaires qui se soucient de leurs électeurs et, accessoirement d'être réélus, car ils ont, à ce moment-là, l'impression de « toucher » des choses concrètes. Deux parlementaires, dont l'un est Français, ont beaucoup plus d'interrogations et de préoccupations en commun que deux étrangers dont un seul est parlementaire. Si nos postes diplomatiques apportent, à l'étranger, la continuité et le professionnalisme que, malheureusement, les parlementaires ne sont pas en mesure de fournir, ces derniers, en revanche, apportent à l'étranger d'autant plus de capacités de persuasion et de conviction à d'autres parlementaires qu'ils ont de vrais intérêts communs. En principe, les ambassadeurs n'ont pas à se soucier des électeurs quand, spontanément, deux parlementaires sont forcément attachés à des préoccupations communes de ce seul fait.

Ces trois handicaps contribuent à hausser le niveau du défi à relever et certainement pas à rendre toute coopération vaine ou inutile. Je pense, simplement, que sur la base de toutes les réflexions qui se développent - et personnellement je m'en réjouis - sur cette notion de coopération internationale, il faut parvenir - et ce que disait Mme Lazerges à l'instant va tout à fait dans ce sens - à rapprocher les éléments a priori incompatibles, et introduire de la continuité dans ce qui en manque actuellement.

A mon sens, le vrai problème de la coopération interparlementaire réside dans son caractère sporadique. De ce point de vue, la participation directe des assemblées à des programmes, qui, comme PHARE ou TACIS, s'inscrivent dans le long terme, est une excellente réponse. Cette vision de long terme permet de mutualiser des compétences diverses, et d'éviter de les voir, comme cela arrive trop souvent, se neutraliser mutuellement.

M. Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public-Sénat

Merci. A l'énoncé éloquent de ces trois handicaps, l'on pouvait légitimement s'interroger sur la pertinence de la coopération interparlementaire. Heureusement, vous avez souligné l'importance du défi à relever, et approuvé les propos de Mme Lazerges. Je voudrais entendre, maintenant, le Président Xavier de Villepin.

· Intervention de M. Xavier de VILLEPIN, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat

Avant de relayer le message que le Président Jean Faure m'a demandé de vous transmettre sur le sujet de la coopération parlementaire, je voudrais répondre en quelques mots à M. Carcassonne.

Premièrement, mon expérience des commissions des affaires étrangères et de la défense me permet de mettre l'accent, aujourd'hui, sur leurs compétences. Les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat sont composées de membres dotés d'une solide expérience, de par leur passé, et surtout, d'un goût prononcé pour les affaires étrangères et pour la défense. La composition de la table ronde de ce matin l'a bien souligné.

Deuxièmement, nous ne partons pas en voyage uniquement pour découvrir le monde. L'état de notre diplomatie montre que la présence de la France n'est pas toujours suffisante et que notre rôle est de contribuer au maintien d'un dialogue avec de très nombreux pays du monde qui regrettent, souvent, de ne pas avoir davantage de relations avec notre pays. Ces quelques exemples ne sont pas de nature à susciter la polémique. De grandes missions ont récemment été entreprises par la Commission des affaires étrangères du Sénat, en Indonésie, en Iran, en Inde et en Asie centrale. Or nous avons beaucoup travaillé pour rencontrer des interlocuteurs de ces pays étrangers. Je ne crois pas être trop prétentieux, en vous disant que les rapports que nous avons fournis, à notre retour, ont apporté, au Quai d'Orsay et à nos ambassades, des éléments utiles de compréhension de ces pays. Les professionnels doivent de moins en moins penser qu'ils sont les seuls capables d'intervenir dans ces pays. De plus en plus, les parlementaires doivent être conscients que la présence de la France doit être renforcée par leur action.

J'en viens, mes chers collègues, à la lecture du message de Jean Faure. Il complète ce que vous avez dit, Madame, ce dont je vous remercie.

« L'une des évolutions majeures des dernières années est l'essor régulier, et considérable, de la coopération interparlementaire. Embryonnaire au début des années 90, elle a pris une grande ampleur. Mais, avant d'aller plus avant, il convient de préciser ce que l'on entend par coopération interparlementaire. Bien connue des assemblées, elle pourrait l'être mieux à l'extérieur. j'entendrais, donc, par coopération, l'ensemble des actions permettant un échange de savoirs et de méthodes entre assemblées parlementaires. Ces actions peuvent, évidemment, prendre des formes très diverses : accueil de parlementaires ou de fonctionnaires des assemblées, stage de plus longue durée...

1. - Le considérable développement de la coopération interparlementaire (missions d'évaluation sur place, assistance de longue durée)

Bref, ce qu'il convient, d'abord, de souligner, c'est le considérable développement de cette coopération. Je ne citerai qu'un seul chiffre, mais il est éloquent : entre 1993 et 2000, le nombre de stagiaires et de visiteurs reçus par le Sénat, dans le cadre de cette coopération, est passé de 72 à plus de 700 ; encore, 2000 fut-elle une année de basses eaux, puisque le Sénat a organisé le Forum des Sénats du monde . Un autre élément qui témoigne de la vitalité de cette coopération et la variété des pays qu'elle concerne. Il n'est pas un continent d'où elle soit absente, même si ses points forts sont actuellement l'Afrique et l'Est de l'Europe. Pourquoi ce rapide développement ? Disons-le, il tient très clairement aux effets d'une double évolution historique : l'effondrement des pays communistes et avec eux, de leur façade institutionnelle, pseudo démocratique, en est le premier élément. Le second, qui est lié, est la démocratisation progressive, difficile, mais réelle du continent africain. Cependant, aujourd'hui, et au-delà de ces événements historiques, entre en ligne de compte un vaste mouvement, à l'échelle mondiale, qui souligne, et justifie, l'importance de la coopération parlementaire. On constate une immense et quasi-universelle aspiration à une amélioration des méthodes de gouvernement. En d'autres termes, maintenant que le système démocratique s'est imposé dans le monde, il paraît nécessaire d'en perfectionner le fonctionnement. Plus encore, jusqu'alors limitée au plan national, la conquête démocratique doit, aujourd'hui, aborder le champ international et cela passe par une coopération intensifiée entre institutions représentatives.

2. - Les enjeux de cette coopération

Quels sont, aujourd'hui, les enjeux de cette coopération ? Le premier est, bien sûr, la démocratisation. Si sa théorie reste à faire, il n'en reste pas moins que chacun s'accorde, désormais, à reconnaître que la démocratie est constituée, de façon pragmatique, par un patrimoine bien identifiable de pratiques politiques et institutionnelles. Sans prétendre à l'exclusivité, l'existence d'un parlement représentatif, et doté de moyens d'action, est certainement l'un des éléments forts de ce patrimoine, car il est, à la fois, le garant du pluralisme, mais aussi un gage de modération des pouvoirs, en particulier, s'il est bicaméral.

Le deuxième enjeu est international : nous devons avoir la conviction que contribuer à l'affermissement des parlements, c'est travailler à l'émergence d'une communauté internationale démocratisée et démocratique. Seuls ces États démocratiques sont à même de participer avec autorité et assurance à cette communauté. En d'autres termes, en consolidant les parlements nationaux, l'on favorise l'éclosion d'une société internationale digne de ce nom.

Enfin, le troisième enjeu nous rappelle que la construction de cette société internationale est un combat, car rien n'y est définitif : sa configuration dépendra d'un certain nombre de choix. De fait, pourquoi ne pas le dire, elle est l'occasion d'une intense compétition juridique et institutionnelle. Ce qui s'affronte, c'est tout simplement deux systèmes : le droit anglo-saxon et le droit français. De son issue dépendra la forme et la valeur de la démocratie internationale en gestation. Ira-t-on, dans le domaine juridique, comme en matière économique, culturelle, linguistique, vers plus d'uniformité ? Ou s'engagera-t-on dans la voie d'un authentique pluralisme ? C'est aussi pour répondre, positivement, au deuxième terme de cette question que la coopération interparlementaire menée par l'Assemblée nationale et le Sénat est essentielle.

3. - Perspectives de la coopération interparlementaire

Cette coopération, quelles en sont les perspectives ? Dans l'ordre interne, deux séries de considérations s'imposent. En premier lieu, et pour les raisons invoquées par le président Poncelet ce matin, c'est-à-dire de modestie, vu les moyens, l'action de nos assemblées doit être moins axée sur la gestion des programmes de coopération, mais conçue davantage comme fédératrice et animatrice de réseaux au bénéfice de l'État de droit ; ce qui nous engage, très concrètement à développer nos partenariats et à mettre l'accent sur la pluridisciplinarité.

En second lieu, l'un des enseignements de ces dernières années, est que la coopération, dans un cadre bilatéral et multilatéral, se confortent l'une l'autre. En Géorgie, nous sommes partis du bilatéral, pour poursuivre par du multilatéral sur financement européen. Au Cambodge, à l'inverse, nous sommes partis du multilatéral pour passer au bilatéral avant d'aboutir, aujourd'hui, à nouveau, au multilatéral. En d'autres termes, l'une des perspectives de l'avenir est d'assurer une étroite complémentarité entre ces deux types de coopération. À l'échelon international, il me semble utile de souligner l'évolution prometteuse de l'engagement croissant des organisations internationales en faveur du soutien aux institutions représentatives. Comme en écho à la résolution finale du Forum des Sénats du monde de mars 2000 qui demandait à ces organisations, de ne pas limiter leur soutien à leurs exécutifs, mais de l'étendre aux assemblées, la conférence des Pays les Moins Avancés a souligné que les programmes de coopération devaient, désormais, privilégier les parlements. Cela marque, me semble-t-il, une nouvelle étape de la coopération interparlementaire. Reconnue dans l'ordre interne elle l'est, désormais, aussi sur le plan international. »

M. Jean-Pierre ELKABBACH, président de Public-Sénat

Merci, Xavier de Villepin. Je vais donner maintenant la parole à Michèle Rivasi, qui est députée, comme vous le savez, puis au sénateur Claude Huriet. Lorsque chacun aura parlé, la discussion pourra s'engager entre les intervenants à la tribune et vous-mêmes. Je pense que, naturellement, vous avez envie de poser un certain nombre de questions - ou en tout cas de donner votre avis. N'oublions pas, comme l'a annoncé tout à l'heure Mme Lazerges, que le ministre des affaires étrangères, M. Védrine, devrait nous rejoindre vers quatre heures et demie.

· Intervention de Mme Michèle RIVASI, députée, présidente du groupe d'amitié France-Madagascar

Je vais essayer d'être brève tout en apportant des éléments concrets sur la coopération et la diplomatie parlementaire. Vous savez que je suis présidente du groupe d'amitié France-Madagascar. A ma nomination à ce poste, j'avoue avoir été ravie. En effet, je connaissais déjà Madagascar.

1. - Formation des élus et fonctionnaires parlementaires malgaches

C'est en tant que présidente du groupe d'amitié France-Madagascar que je me suis rendue sur place, en novembre 1998, à la demande de l'Assemblée nationale malgache pour faire un stage et former les députés nouvellement élus. L'intérêt de former des députés désireux de connaître le statut exact d'un député en France m'a paru évident.

La polémique locale, à l'époque, était la suivante : fallait-il doter ou non les députés malgaches de 4X4 ? Sachant qu'ils n'avaient pas d'assistants parlementaires, cette polémique se nourrissait du fait que cette Assemblée nationale était quelque peu un gadget. Le président de Madagascar, ainsi que son gouvernement, avait un rôle très important d'un point de vue politique, rôle bien plus important que celui de l'Assemblée nationale. L'attente était donc très forte, contrairement à ce que vous avez dit, M. Carcassonne. Les députés étaient vraiment demandeurs d'une formation. A ce stade, l'implication des députés malgaches était essentielle. Auparavant, l'absentéisme était très important dans cette assemblée.

A la suite de ce stage, j'ai constaté que cette assemblée n'avait pas de fonctionnaires et ne comptait que des assistants politiques. A chaque changement d'assemblée, l'ensemble des personnels était renouvelé. Le président malgache de l'Assemblée souhaitait donc réfléchir à la manière dont cette chambre pouvait se doter d'un outil permanent de fonctionnement. Nous sommes, comme cela a été indiqué tout à l'heure, des exportateurs de démocratie. Mais encore faut-il que des outils démocratiques préexistent dans ces pays.

La demande du président de l'Assemblée nationale malgache, appuyée par le président de l'Assemblée nationale française, insistait sur la question de la formation des fonctionnaires. Nous y avons répondu dans le cadre de trois missions.

La première d'entre elles consistait à élaborer un programme de concours. La seconde visait à la constitution d'un jury, une fois le programme du concours établi grâce à l'équivalent de l'ENA à Madagascar, et à l'institution d'un secrétariat général malgache. Deux fonctionnaires de l'Assemblée nationale française se sont rendus à Madagascar, ce qui est très important pour les Malgaches car, à défaut, nombre d'étudiants ne se seraient pas présentés au concours en raison de la corruption qui règne dans ce pays. Sans la présence de ces fonctionnaires, ils ne se seraient pas présentés. C'est dire l'importance de notre image en termes de démocratie.

Enfin, nous avons organisé un stage de formation de quinze jours - où je ne suis, pour ma part, resté que quatre ou cinq jours (vous savez qu'un député ne peut s'absenter trop longtemps de sa circonscription). Quinze fonctionnaires ont été recrutés selon les règles déontologiques suivantes : la compétence, la disponibilité et la neutralité politique - élément très important dans ce pays.

M. Xavier de VILLEPIN

Sont-ils restés neutres ?

Mme Michèle RIVASI

Oui, du moins pour l'instant... L'histoire nous le dira.

Nous envisageons de les faire venir en stage de formation à l'Assemblée nationale en France. Il nous a fallu trois ans pour mettre sur pied le dispositif, grâce à la volonté des Assemblées nationales malgache et française. Cet outil pourrait d'ailleurs parfaitement être réutilisé dans d'autres pays africains. Plus qu'un outil de formation des fonctionnaires, il s'agit d'un outil de démocratie.

Je voudrais maintenant vous citer un deuxième exemple de coopération parlementaire. Dans une circonscription, il existe de nombreux exemples de jumelage, notamment au niveau de l'Institut national du tourisme (la demande touristique étant importante). Dans ma circonscription, des conventions ont été établies avec le lycée hôtelier et l'hôpital, qui disposent de matériels qui, n'étant plus aux normes européennes, pourraient parfaitement être transférés dans d'autres pays.

Par ailleurs, vous connaissez ma passion pour l'environnement et je me suis engagée, à ce titre, dans des projets de financement en faveur des énergies renouvelables, en coopération avec la Communauté européenne et l'ADEME. J'ai, pour ma part, incité le Conseil régional Rhône-Alpes à nous rejoindre. Pour plus de quinze villages, on a pu ainsi financer l'achat de cellules photovoltaïques et, demain, d'éoliennes.

2. - Pour des jumelages circonscription par circonscription

Je voudrais également formuler une demande concernant les groupes d'amitié. On peut demander à des parlementaires français de se rendre à Madagascar, mais il me semble plus intéressant de mettre en place un jumelage entre députés malgaches et français. Contrairement à ce que vous pensez, lorsque je vais là-bas, je rencontre de nombreux membres de l'Exécutif et pas seulement les parlementaires. Je rencontre ainsi les ministres et le président de la République Didier Ratsiraka, qui sont très demandeurs de l'avis d'hommes politiques français. Ces interlocuteurs doivent, eux aussi, tenir compte de leur électorat et trouvent fructueux les échanges entre parlementaires et entre parlementaires et ministres, qui sont souvent aussi des députés.

Dans le cadre du groupe d'amitié, il me semblerait intéressant d'organiser des jumelages circonscription par circonscription. Un député malgache pourrait se rendre dans la circonscription d'un député français et vice-versa. Notre formation politique nous permet, en fonction de la caractéristique de notre circonscription, de savoir ce que nous pouvons leur apporter et ce qu'ils peuvent nous apporter. Ensuite, nos interventions sont complémentaires à celles des diplomates. Lorsque deux Français ont été emprisonnés après avoir gagné un match de rugby, s'être rendus en boîte de nuit et y avoir réalisé un strip-tease, j'ai dû intervenir personnellement pour les faire sortir de prison ! Les tentatives du Quai d'Orsay avaient échoué et j'ai dû intervenir directement auprès du président de la République.

Je suis persuadée que des députés motivés, passionnés, qui aiment le pays qu'ils représentent, qui souhaitent développer une vraie coopération avec d'autres parlementaires peuvent oeuvrer favorablement pour la démocratie dans le monde.

· Intervention de M. Claude HURIET, questeur du Sénat, président du groupe sénatorial d'amitié France-Pays baltes

J'interviens en tant que témoin à double titre, d'abord en tant que président fondateur du groupe d'amitié France-Pays Baltes, ensuite en tant que questeur du Sénat. Je peux confirmer ce que Mme Lazerges a dit tout à l'heure : la ligne budgétaire du Sénat, comme celle, semble-t-il, de l'Assemblée nationale, est l'une de celles qui connaît la progression la plus rapide...

M. Xavier de VILLEPIN

Le chiffre de 17 % a été avancé.

M. Claude HURIET

Oui, l'augmentation budgétaire est au moins de cette ampleur. C'est l'une des lignes qui augmente le plus avec celle des chaînes parlementaires, mais ceci est une autre affaire, même si l'une et l'autre contribuent à renforcer l'image de nos parlements tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Hexagone.

Ma double casquette - président d'un groupe d'amitié et questeur - traduit, je crois, une volonté politique très forte de la part de la présidence de nos assemblées et l'adhésion de nos parlementaires à ces démarches. Celles-ci doivent continuer de connaître une ampleur et une efficacité croissantes. Je m'exprimerai en tant que témoin et je vous demanderai, M. le Président, après ma déposition, l'autorisation de me retirer pour laisser le jury délibérer en toute liberté...

La coopération interparlementaire, telle qu'elle est vue par le Sénat, doit nous amener à distinguer deux variantes en termes d'objectifs et de moyens. En effet, développer la coopération interparlementaire avec des pays, des régions, des zones géopolitiques qui connaissent une intégration économique et politique est une chose. Développer une coopération interparlementaire avec des pays dans le cadre des rapports Nord-Sud, et éventuellement avec les PECO, en est une autre. Je crois que la coopération interparlementaire n'est pas une démarche homogène et qu'à travers les objectifs et les moyens, il est nécessaire de définir, sans doute, des stratégies quelque peu différentes.

J'ai défini deux variantes et cinq actions.

1. - La coopération interparlementaire

Parmi ces actions, je citerai d'abord la coopération technique interparlementaire dont Xavier de Villepin a déjà donné, au nom de Jean Faure, quelques aperçus. Je vais entrer, plus qu'il n'a voulu le faire, dans les détails. Le nombre de stages d'accueil de stagiaires au Sénat est passé de 35 en 1994 à 141 en 1999. Le nombre de stagiaires, qui a aussi été évoqué, atteint, désormais, à peu près un millier, ce qui traduit cette volonté politique qui s'exprime à travers le budget, mais aussi à travers les actions que nous développons.

2. - Le rôle du président du Sénat

D'autres actions, à mon sens, doivent être rapprochées de la coopération interparlementaire : je veux parler du rôle des présidents de nos assemblées. J'ai constaté l'intensité des actions internationales du président du Sénat qui s'est traduite, entre autres, par l'accueil de près d'une trentaine de personnalités (chefs d'État, de gouvernement ou président des assemblées). Bien sûr, souvent, la démarche protocolaire l'emporte. Cependant, les entretiens auxquels plusieurs d'entre nous ont eu la possibilité d'assister ont permis de cerner des interrogations de nos interlocuteurs, mais aussi la demande qui s'exprime à travers eux et à laquelle, je crois, nous avons l'obligation de répondre.

3. - Les groupes sénatoriaux d'amitié

Les groupes d'amitié ont été évoqués tout à l'heure et je n'y reviendrai que pour compléter l'expérience de Michèle Rivasi. Le groupe d'amitié France-Pays Baltes a un jour été saisi, en urgence, par notre ambassadeur de Vilnius. Ce dernier avait alerté le groupe car un invité du Quai d'Orsay, auquel on promettait un avenir politique important dans son pays, était arrivé et n'avait pas été très satisfait des conditions et du programme qu'on lui avait réservé. Le groupe d'amitié, immédiatement alerté, a fait en sorte que l'accueil qui lui a été réservé soit du niveau que pouvait espérer le maire d'une capitale. Je remercie d'ailleurs Xavier de Villepin qui, avec le président de l'Association des maires de France, ont fait, l'un et l'autre, tout ce qui était en leur pouvoir pour que cet hôte soit reçu dignement. Il était, à l'époque, maire de Vilnius, mais est devenu, quelques semaines après, Premier ministre de Lituanie. Je cite cette anecdote car elle montre à quel point les actions des différents acteurs sont complémentaires. Les groupes d'amitié contribuent, ainsi, à la coopération interparlementaire, mais aussi à la diplomatie parlementaire dont on a parlé précédemment.

4. - Les colloques Sénat-CFCE

Par ailleurs, je voudrais citer une quatrième démarche intéressante : les colloques économiques que le Sénat organise régulièrement avec le CFCE. Ces colloques se situent sur un créneau différent mais donnent, finalement, à la coopération interparlementaire une dimension qui ne se limite pas à l'apprentissage du fonctionnement du parlement.

5. - Les missions d'observation

Enfin, la cinquième action concerne les missions d'observation. Nous sommes sollicités, souvent d'ailleurs dans des conditions d'urgence, pour envoyer un certain nombre de nos collègues à titre d'observateurs, comme garants du fonctionnement et du respect des règles démocratiques dans le cadre d'élections qui ont lieu dans ces pays. Certains, d'ailleurs, s'interrogent sur les conditions dans lesquelles de telles actions doivent se développer pour apporter, effectivement, cette caution et ne pas servir d'alibi à une fausse démocratie.

C'est une autre question, mais je pense avoir, en quelques minutes, balayé les types d'action qui, à notre sens au Sénat, traduisent la volonté politique de développer sans cesse la coopération interparlementaire.

· Intervention de M. René ANDRÉ, député, président des groupes d'amitié France-Asie centrale et France-Kazakhstan

Je voudrais, à mon tour, répondre, très brièvement, à la provocation volontaire de M. le professeur Carcassonne. Vous avez évoqué les attentes incertaines. Vous me permettrez donc d'évoquer rapidement les attentes frustrées. Vous avez évoqué des finalités hétérogènes, je parlerai de finalités multiples, riches de leurs différences. Enfin, vous avez conclu par des compétences aléatoires, vous me permettrez, en un mot, d'évoquer les compétences diverses et complémentaires.

1. - Les attentes frustrées

Il existe des attentes auxquelles nous, parlementaires, lorsque nous sommes dans les différents pays, ne pouvons répondre.

Je garderai longtemps en mémoire les demandes qui m'ont été présentées, avec d'autres collègues lorsque j'étais au Vietnam. Elles nous étaient présentées par des parlementaires vietnamiens et nous ne pouvions y répondre. J'ai également un autre souvenir, assez récent, celui de l'époque où j'étais au Kosovo, à Pristina et des demandes qui nous étaient présentées par la collectivité, aussi bien serbe qu'albanophone. Nous avons relayé ces demandes mais nous savions que nous n'aurions pas beaucoup de succès. Les attentes vis-à-vis de la diplomatie parlementaire sont réelles. Malheureusement, nous ne pouvons pas toujours y répondre.

2. - Des finalités multiples riches de leurs différences

Il ne faut pas confondre le travail - ce serait une erreur considérable - que font nos ambassadeurs et nos diplomates sur le terrain et le travail que nous avons à faire lors de notre venue dans un pays. Notre action n'est pas la même et, pour répondre concrètement aux interrogations du public, nous n'allons pas dans les divers pays où nous nous rendons pour faire du tourisme. Je voudrais, à cet égard, rendre hommage au travail de Mme la présidente Lazerges : elle a tenu, justement, à regrouper les différentes zones de façon à ce que notre travail, comme vous l'avez déjà fait au Sénat, soit plus cohérent. Je pourrais encore continuer à ce propos.

3. - Des compétences complémentaires

Nos compétences  ne sont pas seulement aléatoires, elles sont diverses et complémentaires. Notre travail n'est pas le même et je vais prendre un exemple très récent et très précis. Tout le monde connaît maintenant le président Ibrahim Rugova. Il se trouve qu'il y a quelques années, le président Ibrahim Rugova a été reçu comme un chef d'État en Allemagne. Il est arrivé en France pensant être reçu exactement de la même façon. Il a été immédiatement arrêté par la Police de l'Air et des Frontières et mis au placard à l'aéroport. Une intervention parlementaire auprès du ministre de l'Intérieur de l'époque a été nécessaire pour, non sans difficultés, faire en sorte que le président Ibrahim Rugova soit libéré. Je pense que cela aussi fait partie intégrante des compétences diverses et complémentaires. Voici ce que je tenais à vous dire, M. le professeur.

Mon témoignage ne sera pas à charge ! Il se trouve que je ne suis plus le président du groupe d'amitié France-Russie, qui est aujourd'hui présidé avec compétence et bonheur par Jean-Louis Bianco. Cependant, j'ai eu, pendant un certain temps, à m'en occuper. Je voudrais souligner que, dès la chute de l'Union soviétique, les délégations parlementaires russes ont commencé à se succéder à l'Assemblée nationale. Ce mouvement s'est amplifié de façon considérable à partir de 1994 lorsque la Russie a adopté une nouvelle Constitution et lorsque la Douma d'État a remplacé le Soviet suprême. Il est alors apparu, très rapidement, que le groupe d'amitié qui existait ne pouvait pas répondre à toutes les demandes de relations et de coopération : il est apparu nécessaire de se doter de moyens permettant des contacts plus réguliers et d'établir ces contacts avec les différents organes du parlement - aussi bien la présidence et le bureau que les commissions et les délégations. C'est pourquoi MM. Séguin et Ritkine, à l'époque respectivement président de l'Assemblée nationale et président de la Douma d'État, ont décidé, en octobre 1994, de créer un organe unique de coopération interparlementaire : la Grande Commission parlementaire France-Russie. Cette grande commission reste, encore aujourd'hui, originale tant par sa composition que par le niveau auquel elle se réunit ainsi que par la régularité de ses rencontres. La Grande Commission est, en effet, composée, pour la partie française, de trois membres du Bureau de l'Assemblée nationale, de représentants de chacune des commissions permanentes et des délégations de l'Assemblée nationale à vocation internationale ainsi que des membres du bureau du groupe d'amitié France-Russie. Ses réunions se tiennent toujours dans un strict respect de l'équilibre politique. Depuis 1994, la Grande Commission s'est réunie six fois sous la présidence effective, aussi bien du président de l'Assemblée nationale que sous celle du président de la Douma d'État - ce qui a, bien entendu, toujours conféré à ces réunions un éclat particulier. Ses travaux durent généralement de deux à trois jours et portent traditionnellement sur l'examen de la situation internationale, sur la coopération européenne et sur des thèmes d'intérêt commun pour les deux parlements. Lors de notre dernière session, nos travaux ont porté sur les questions stratégiques - le bouclier anti-missiles, les relations entre l'Union européenne et la Russie, l'évolution des Balkans - l'affaire du Kosovo - et les relations entre le parlement russe et le parlement français. C'est une structure à laquelle nos collègues russes sont profondément attachés et qui, je crois, remplit bien son rôle de diplomatie parlementaire.

Le deuxième exemple que je voudrais apporter et qui a été évoqué par Mme la présidente Lazerges concerne la coopération qui existe entre l'Assemblée nationale et la Douma d'État dans le cadre du programme TACIS. Le point intéressant de ce programme, comme vous l'avez souligné Madame la présidente, est qu'il fait travailler l'Assemblée nationale et le Sénat, mais aussi les parlements allemand, espagnol avec l'ensemble de nos collègues russes. C'est vous dire l'intérêt novateur de cette expérience tout à fait intéressante et qui va continuer à se poursuivre. L'ensemble de ces activités a débouché sur plusieurs rencontres, aussi novatrices les unes que les autres, puisque nous avons mis en place une coopération trilatérale réunissant les parlementaires français, russes et allemands. Nous avons commencé, et ce n'était pas une chose facile, à aborder le cas difficile et irritant de Kaliningrad auquel nos collègues russes et allemands sont extrêmement sensibles. Ce sont d'ailleurs les parlementaires allemands qui nous ont dit que nous, Français, étions peut être les mieux placés pour aborder, avec les Russes, cette question.

Le plus important à mes yeux n'est pas forcément la structure dont émane telle ou telle étude, mais plus exactement la capacité du parlement - Sénat et Assemblée nationale -, par ses divers organes et ses divers moyens d'action, à étudier de manière approfondie un sujet, d'une part, et, en matière internationale, d'en percevoir toute la complexité, par les contacts auxquels il peut participer, d'autre part.

C'est - et j'en porte le témoignage - le cas, en ce qui concerne les relations entre la France et la Russie, où l'Assemblée nationale a réussi à créer un climat de dialogue particulièrement approfondi dont est exclue toute langue de bois et qui permet d'aborder, dans la plus grande clarté et la plus grande simplicité, les sujets les plus difficiles. C'est peut-être là le propre de la diplomatie parlementaire d'établir un style de relations moins formelles, moins policées, que celles de la diplomatie traditionnelle. Notre parole est naturellement plus libre, nos responsabilités ne sont pas non plus du même niveau, M. le professeur.

Cela a, néanmoins, un corollaire auquel il faut veiller avec soin : celui de la responsabilité et de la conscience des enjeux qui font l'objet des discussions. Par définition, la diplomatie parlementaire doit se situer au même niveau qualitatif que la diplomatie traditionnelle afin de pouvoir, lorsque cela s'avère utile, la compléter et l'enrichir sans, bien entendu, se substituer à elle de quelque manière que ce soit.

· Intervention de M. Jacques PELLETIER, sénateur, ancien ministre de la Coopération

Merci. Je me contenterai de quelques mots car, d'une part, l'on m'a demandé d'être bref et d'autre part, Mme Lazerges et M. de Villepin ont déjà tout dit et cela de la meilleure façon qui soit.

Ne m'en veuillez pas car je reste toujours inhibé par mon passage au ministère de la Coopération et j'ai du mal à séparer démocratie et développement. J'estime qu'il ne peut y avoir de vraie démocratie sans un bon développement ni de vrai développement sans bonne démocratie. Comment voulez vous que s'instaure, dans des pays où la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, une démarche citoyenne ? Ce n'est tout simplement pas possible ! Ces populations ont d'autres préoccupations : pouvoir survivre et s'alimenter tous les jours.

Nous devons donc concentrer nos efforts sur le développement. Ce n'est qu'une fois ce problème de développement résolu que nous pourrons aider les pays auxquels nous nous intéressons à promouvoir l'État de droit. L'État de droit est une priorité essentielle. État de droit signifie : justice, administration fiscale, Cour des comptes, décentralisation, collectivités locales, développement des associations et des syndicats, création d'un médiateur de la République, création d'un code des investissements qui soit favorable aux entreprises, fonctionnement correct du parlement, élections transparentes, pouvoir législatif, pouvoir de contrôle. Dans ces domaines, naturellement, la coopération interparlementaire entre le Nord et le Sud est une excellente chose. Nos techniques parlementaires, nos expériences, nos processus électoraux - même s'ils sont critiqués - ne sont pas si médiocres que cela et peuvent profiter aux démocraties naissantes - notamment en Afrique, en Europe de l'Est et dans certains pays d'Asie et d'Amérique centrale.

Je voudrais terminer en faisant trois observations.

Premièrement, je crois que l'Assemblée nationale et le Sénat doivent s'unir, encore davantage qu'ils ne le font aujourd'hui, pour mettre en commun leurs moyens et leurs compétences au service de la démocratisation et du renforcement des parlements dans le monde. De même, il faut davantage associer certains parlements francophones (Québec, Belgique, Suisse), ainsi que certains parlements de l'Union européenne - on a parlé de l'Allemagne et de l'Espagne. Ces exemples méritent d'être multipliés : les tâches sont nombreuses et doivent être bien réparties, sous peine de se faire concurrence comme j'ai pu le constater, malheureusement, souvent en Afrique, du temps où j'étais ministre de la Coopération.

Deuxièmement, vous savez qu'ont régulièrement lieu des rencontres interparlementaires, qui rassemblent des représentants de tous les parlements du monde, qu'ils soient démocratiques, moins démocratiques ou peu démocratiques. Notre tâche est d'ailleurs de faire en sorte que les parlements les moins démocratiques le deviennent davantage. Ces échanges sont en mesure de favoriser cela. Je pense néanmoins qu'une réunion annuelle serait amplement suffisante.

Troisièmement, Mme Rivasi parlait de l'importance des groupes d'amitié. Je partage son avis. Ces groupes d'amitié nous apportent une connaissance réciproque des hommes et des pays. Ils permettent aussi de faire passer un certain nombre de messages au plan diplomatique, sachant que nous entretenons des relations avec le ministère des affaires étrangères.

Néanmoins, il faut aller plus loin. Chaque groupe d'amitié devrait, pour être vraiment efficace, déboucher soit sur un jumelage (qui donne un caractère populaire aux échanges), soit sur des projets de développement (financés par le ministère de la Coopération ou le ministère des affaires étrangères). Les groupes d'amitié, qui se multiplient, méritent, à ce titre, tous nos encouragements. Je vous remercie.

· Intervention de M. René DOSIÈRE, député

Je voudrais faire quelques remarques sur les missions d'observations électorales, qui, paraît-il, se multiplient.

1. - Les critères qui président à l'envoi d'une mission d'observation électorale

L'Assemblée compte, depuis 1988, environ une centaine de missions. Cela nous a conduit, naturellement, à définir quelques règles puisque ces missions n'ont plus désormais de caractère exceptionnel. Le Bureau de l'Assemblée décide ou non de l'envoi d'une mission. Une mission, pour être acceptée, doit remplir au moins quatre critères.

En premier lieu, le pays doit en faire la demande. A ce propos, mon cher Guy Carcassonne, je tiens à insister sur le fait que nous ne nous rendons pas là où l'on ne nous demande pas d'aller ! En second lieu, nous devons obtenir, de la part des autorités locales, la garantie de circuler librement dans le pays où aura lieu l'élection. En troisième lieu, nous devons recueillir un avis favorable du ministère des affaires étrangères. Nous collaborons étroitement, sur place, avec les ambassadeurs en poste et il est donc tout à fait souhaitable que le ministère soit informé de notre mission. En dernier lieu, le pays demandeur doit présenter une certaine importance politique. Cette notion est naturellement vague puisqu'elle s'applique aussi bien à la Russie, durant la période 1993-1996, qu'au Chili en 1988, à l'Afrique du Sud et au Mozambique en 1994 ou encore au Cambodge en 1999.

Ces missions mobilisent, en général, deux ou trois parlementaires, l'opposition et la majorité étant réunies. Ces missions sont, soit autonomes, soit communes avec le Sénat. Je dois d'ailleurs reconnaître que la nécessité, soulignée par Jacques Pelletier, de renforcer le travail commun des deux missions se heurte, y compris dans le cadre de missions d'observations parlementaires, à l'autonomie propre de chaque assemblée.

2. - Comment ces missions se déroulent-elles ?

L'observation du scrutin est précédée d'un certain nombre d'entretiens avec les divers responsables politiques locaux. Le jour du scrutin est l'occasion d'une observation électorale classique qui consiste à visiter un grand nombre de bureaux de vote. A l'aide d'un communiqué, les membres de la mission donnent leur sentiment sur la mission. Ce communiqué est suivi ultérieurement par la publication d'un rapport détaillé.

Pour qu'une mission soit valable, il serait souhaitable qu'elle dure au moins une semaine. Cependant, dans la plupart des cas, elles sont réduites à trois jours, voire à quarante-huit heures, ce qui est très court. Il faut toutefois reconnaître qu'il est difficile de trouver des parlementaires en mesure de s'absenter à l'étranger pendant une semaine, d'autant plus que, quelquefois, les demandes de missions arrivent tardivement - quinze jours ou trois semaines avant les élections.

Quant à l'idée selon laquelle ces missions seraient l'occasion pour les parlementaires de faire du tourisme, vous savez ce que j'en pense...

· Débat avec la salle

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Qui vous le reproche ?

M. René DOSIÈRE

De temps en temps, quelques rumeurs courent...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Les électeurs sont incorrigibles....

M. René DOSIÈRE

Quelles constatations peut-on faire ? Ces missions d'observation sont-elles une caution ou un alibi, comme on le disait tout à l'heure ? Quelle est leur efficacité ? Un grand nombre d'observateurs est nécessaire pour juger de la validité d'une élection. Il est donc souhaitable que ces missions soient multilatérales et que les parlementaires français ne composent qu'une partie du groupe d'observation. L'on constate, d'ailleurs, une certaine rivalité entre la France et les États-Unis dans le cadre de ces processus d'observation démocratique. Je me souviens d'une mission au Mozambique où l'Union européenne était en réelle concurrence avec la fondation Carter. Chaque observateur avait, dans ce cadre, une autonomie totale...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Êtes-vous favorable à l'organisation de missions européennes ?

M. René DOSIÈRE

Tout à fait. Elles sont d'ailleurs indispensables. L'intervention de trois ou quatre parlementaires français ne permet pas de vérifier l'ensemble d'un processus électoral. Dans le cadre d'une mission européenne, les moyens seraient beaucoup plus importants. Néanmoins, un processus électoral peut être faussé avant même le vote. Les missions permettent uniquement de vérifier que le vote se déroule dans des conditions de régularité satisfaisante. En revanche, elles ne vérifient en aucun cas le processus d'établissement des listes électorales, par exemple, ce qui est un problème.

De même, une mission ignore comment sont utilisés les différents moyens de propagande qui permettent de faire voter en faveur de telle ou telle liste. Autrement dit, je ne conclurai pas sur l'utilité pratique de ces missions. Je me contenterai de noter qu'elles ont un effet dissuasif sur la fraude et qu'elles permettent d'apporter un soutien aux démocrates locaux.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Puis-je vous demander à qui est destiné le rapport que vous établissez ?

M. René DOSIÈRE

Le rapport est, comme tous les rapports de l'Assemblée nationale, publié. Sur place, le communiqué de fin de mission est rendu public et transmis, à ce titre, à la presse et à l'ensemble des médias présents qui, d'ailleurs, sont souvent très attirés par la présence d'observateurs...

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Ce rapport n'est donc pas destiné au pouvoir en place qui a accepté que vous lui rendiez visite ?

M. René DOSIÈRE

Non, pas du tout. Il est destiné à la presse. Je crois que, dans ces missions, l'essentiel est ailleurs. D'abord, ces missions permettent aux parlementaires français de nouer des échanges directs avec nos ambassadeurs, échanges enrichissants dans les deux sens. Elles permettent d'ouvrir l'esprit du député français, ce qui fera plaisir à Guy Carcassonne, et d'élargir son horizon au-delà de sa circonscription. Par ailleurs, ces missions sont aussi, pour les députes français, une leçon d'instruction civique. J'ai le souvenir des élections législatives, en 1999, au Mozambique : ce jour-là était extraordinaire. Je suis naturellement trop jeune pour avoir connu les élections de 1848 en France. Étant historien, j'ai appris comment elles s'étaient déroulées. Je dois dire que ce jour, ce dimanche, lorsque j'ai vu, dès quatre heures du matin, les gens quitter leurs tribus, leurs cases, les campagnes, pour se rendre dans les bureaux de vote, quasiment en procession, bien habillés comme lorsqu'on va à la messe le dimanche avec les enfants sur le dos, les provisions, et rester toute la journée au soleil, ou de temps en temps à l'ombre, avant de pouvoir voter, je me suis dit qu'il y avait une joie de voter - d'ailleurs la participation était de l'ordre de 80 % - que nous n'avons plus aujourd'hui. J'ai vu combien l'on pouvait, autrefois, avoir le plaisir de voter. Je crois que tout cela est utile, notamment les contacts politiques que la délégation de parlementaires a avec les principaux responsables politiques du pays. Je dois dire, d'ailleurs, que la présence, dans ces missions d'observation, de parlementaires français est quelque chose qui frappe beaucoup les étrangers.

J'ai découvert que le prestige de la Révolution française et de l'Assemblée nationale était intact, en tous les cas pour les étrangers, autrement dit le prestige de ce que Guy Carcassonne appelle le « parlementarisme rationalisé ». Au fond, l'Assemblée nationale française reste en quelque sorte un mot magique pour nos interlocuteurs. Je crois que, de ce point de vue, l'Assemblée nationale d'aujourd'hui ne peut pas ignorer cet héritage qu'elle doit cultiver, entretenir et développer. Merci.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Dans quelques minutes nous recevrons le président Forni qui accueillera le ministre des affaires étrangères. En attendant, nous sommes en train de respecter l'horaire prévu : avez-vous envie d'intervenir ou de poser des questions ? Pendant que vous vous préparez et que l'on vous tend des micros, je demanderai au professeur comment il explique le développement de ce concept depuis une dizaine d'années.

M. Guy CARCASSONNE

D'abord, je constate avec plaisir que, finalement, il est sain de faire un peu de provocation !

Ensuite, je n'ai jamais parlé de tourisme parlementaire - j'aurais pu, d'ailleurs, parce que, pour moi, ce n'est pas du tout dévalorisant, d'autant plus qu'on apprend toujours quelque chose en voyageant, y compris sous forme touristique. Mais j'ai eu le sentiment qu'il y avait eu des réactions quasi paranoïaques, comme si l'agression avait consisté à expliquer que les parlementaires ne se déplaçaient que pour faire du tourisme. Ce n'est évidemment pas le cas. Je me réjouis d'avoir alimenté les discours de façon peu convenue ! L'explication du phénomène est, je crois, toute simple : la prise de conscience du village global, pour utiliser un cliché, n'a évidemment pas été extérieure au parlement. Elle a pénétré aussi l'institution parlementaire. De fait, les parlementaires français ont, aujourd'hui, une conscience totale et très claire du monde qui les entoure. Ils sont prêts aussi - parce que, de surcroît, ils sont des militants politiques - à essayer, dans le cadre de leurs fonctions et à l'aide de leurs compétences, de contribuer à une amélioration globale chaque fois que l'occasion s'en présente. En soi, il est formidablement sain que les parlementaires sortent des enceintes des parlements et pas seulement pour se rendre dans leur circonscription, ce qui est pourtant parfaitement légitime. Plus les missions en question se multiplieront, plus nous serons satisfaits.

Si, tout à l'heure, j'ai mis l'accent sur ce que j'appelais les handicaps, c'était moins pour faire de la provocation que pour souhaiter que ces missions remportent autant de succès qu'elles le méritent.

M. Farid SMAHI

Bonjour. Je suis professeur de gymnastique. Je suis ravi, Mme Rivasi et M. André, de ce que vous avez annoncé. Mme Rivasi, vous êtes un jour intervenue pour libérer deux sportifs : c'est fabuleux ! Votre charme y a certainement contribué. Quant à vous, M. le député, vous êtes tout aussi fabuleux : vous avez réussi à libérer un Président de prison ! Vous formez à vous deux un lobby extraordinaire.

Sur la question de l'Iraq et de la Palestine, la démocratie parlementaire européenne sera-t-elle à la remorque des États-Unis ? Je signale au passage que beaucoup d'équipes israéliennes, qui ne font pourtant pas partie de l'Europe, participent aux championnats européens. Quant à l'Iraq, le remord du génocide par les nazis de la population juive pendant la seconde guerre mondiale - que je condamne bien évidemment - ne devrait-il pas nous conduire à faire preuve d'un peu plus d'humanité à l'égard de toutes ces familles iraquiennes ? Avez-vous les moyens d'empêcher l'Europe de vendre des avions aux Israéliens qui bombardent des jeunes qui lancent des pierres ?

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Je pensais que vous alliez leur demander s'ils avaient la capacité de libérer l'Iraq de certains de leurs dirigeants...

M. Farid SMAHI

Si vous voulez, nous pouvons aussi parler des dirigeants... Il ne faut pas oublier que notre président de la République n'a pas hésité à danser avec l'épouse du dirigeant chinois ! Mais j'aimerais que vous répondiez à ma question concernant l'embargo.

Mme Michèle RIVASI

Je veux bien répondre à cette question qui m'est familière dans la mesure où je me suis occupée du syndrome de la guerre du Golfe et qu'à cette occasion, j'avais demandé à ce qu'une mission parlementaire se rende en Iraq. Je ne vous cacherai pas que ma demande a été rejetée par le ministère des affaires étrangères. Cela signifie que la démocratie parlementaire et l'exécutif peuvent parfois s'opposer. Je comprends bien votre question. Nous-mêmes, nous souhaitions, grâce à cette mission, évaluer la situation de la population civile. Plus tard, nous avons rencontré des membres de l'ONU, qui - je vous le rappelle - est financée par tous les pays, et j'ai été surprise de constater qu'ils étaient incapables de répondre à nos questions. Cependant, je crois que plus les parlementaires poseront des questions, plus ils s'insurgeront contre le fait qu'on leur refuse des autorisations, plus les choses évolueront... C'est le seul message d'espoir que je peux vous donner. Sachez toutefois que nous nous bagarrons !

M. René ANDRÉ

En parlant d'Israël, vous évoquez un sujet qui me touche personnellement, pour des raisons que vous pouvez peut-être deviner... Je ne puis que regretter la façon dont vous avez abordé cette question extrêmement grave. Je pourrais m'en sortir avec une pirouette, en posant cette question : que pensez-vous qu'un parlementaire français puisse faire quand les États-Unis ne réussissent pas ? Cela étant, je crois que la diplomatie parlementaire ouvre des voies nouvelles. J'aimerais témoigner par exemple du travail réalisé par le groupe d'études sur la Palestine. Je ne fais pas partie de ce groupe mais je sais qu'il travaille utilement pour faire connaître à l'Assemblée nationale les difficultés que le peuple palestinien traverse. Je vous prierai également de ne pas oublier les drames qu'a vécus Israël et les menaces qui ont trop longtemps pesé sur elle.

M. Yves TAVERNIER, député

A mon sens, la diplomatie parlementaire peut être très utile lorsque les relations entre les États sont bloquées, dans la mesure où les parlementaires représentent les peuples et non les États. Dans des contextes difficiles, les parlementaires peuvent jouer un rôle et décrisper une situation tendue. De multiples exemples pourraient être donnés. Je me souviens qu'à un moment où les relations avec l'Iran étaient particulièrement difficiles et les rapports entre les deux gouvernements impossibles, on a demandé aux parlementaires d'assurer les relations internationales.

Sur la question israélo-palestinienne, Jacques Pelletier a fait allusion à l'union interparlementaire. A ce sujet, je signale que la semaine prochaine, en tant que président de la commission du Moyen-Orient de l'Union interparlementaire (représentant tous les parlements du monde), je rencontrerai à Ramallah, à Gaza et à Jérusalem les parlementaires du conseil législatif palestinien et de la Knesset. Le seul cadre où se noue une relation politique et un dialogue direct entre les représentants des peuples israéliens et palestiniens est parlementaire. J'en veux pour preuve les rencontres à Paris le 15 janvier dernier et à La Havane il y a un mois.

Ces deux exemples montrent que le parlement peut jouer un rôle diplomatique. Il n'est pas qu'une courroie de secours et sa mission ne se limite pas à réparer les erreurs du Quai d'Orsay.

M. Jean-Pierre ELKABBACH

Merci pour votre témoignage.

S. Exc. M. Eumelio CABALLERO RODRIGUEZ, ambassadeur de Cuba

J'aimerais partager avec vous notre satisfaction vis-à-vis du niveau de coopération que nous avons avec l'Assemblée nationale et le Sénat français. Il y a un groupe d'amitié franco-cubain à l'Assemblée ; il a longtemps été présidé par le président Forni et l'est maintenant par le député Yves Montagne. Ce groupe est composé de députés venant de tous les partis politiques présents à l'Assemblée. Il y a également un groupe au Sénat. Je pense que le rôle que jouent ces deux groupes est vraiment positif. Les visites qui sont organisées permettent d'entretenir un dialogue permanent avec notre parlement, notre gouvernement et nos organisations sociales.

M. Raymond FORNI

Mesdames et Messieurs, j'aimerais remercier Hubert Védrine d'avoir bien voulu accepter de participer à notre colloque. Nos échanges lui ont bien évidemment été rapportés. Les thèmes abordés, le concept émergent de la diplomatie parlementaire, l'essor de la coopération interparlementaire, et la régulation internationale, au travers notamment de l'action de nos parlements, le Sénat et l'Assemblée nationale, lui ont sans doute permis de comprendre l'orientation de cette journée.

Je voulais simplement souligner la parfaite coïncidence entre les vues exprimées par le président du Sénat, Christian Poncelet, qui a été contraint de retourner dans ses Vosges natales, et celles de l'Assemblée nationale, que j'ai l'honneur de présider. La qualité des débats a été, tout au long de la journée, exceptionnelle. La présence de diplomates et de parlementaires nous ont permis de saisir cette réalité française dont nous souhaitons qu'elle devienne une réalité internationale car, comme je l'ai déjà dit à Hubert Védrine, il me semble que la diplomatie parlementaire n'est pas concurrente de la diplomatie d'État. Elle ajoute au contraire à cette diplomatie ; elle a sans doute une certaine liberté à condition que cela ne devienne pas pour elle une irresponsabilité. Dans un monde en pleine mutation où les exigences, notamment de la construction européenne et de la mondialisation, font que les échanges doivent se multiplier, exprimer la voix d'un peuple est utile pour le parlement, indispensable pour être entendu et, en tous les cas, conforme à la conception que nous avons des relations internationales.

Diplomatie d'État et diplomatie parlementaire

Intervention de

M. Hubert VÉDRINE
ministre des affaires étrangères

J'ai pris connaissance des différentes interventions qui ont rythmé ce colloque et j'apporterai ma contribution à votre réflexion sur ce sujet que je trouve très intéressant. Je suis d'accord avec presque tout ce que vous avez dit, mis à part avec le terme de « diplomatie parlementaire ». C'est peut-être une coquetterie sémantique de ma part, mais, pour moi, cette expression sonne un peu comme celles de « rôle législatif des gouvernements » ou de « rôle exécutif des parlements ». Mais je comprends dans quel sens cette expression est employée et je pense être d'accord avec son esprit.

1. - Le parlement, acteur légitime dans les relations internationales aux côtés de l'Exécutif

Il me semble que les parlements ont un rôle tout à fait particulier à jouer dans cette mutation des relations internationales qui fait qu'aux côtés des acteurs traditionnels et complètement légitimes des relations internationales que sont les États, apparaissent de nouveaux acteurs qui occupent un espace dont les gouvernements tiennent compte, dans les pays démocratiques mais également dans les autres. En effet, les plus légitimes - et de loin - de ces nouveaux acteurs, ce sont les parlements. Leur caractère démocratique est beaucoup plus fort que celui des autres intervenants qui sont, en général, auto-mandatés. Leur représentativité donne plus d'autorité à leur action et, parce qu'ils sont un exemple de ce que l'on veut encourager, ils sont les agents d'une évolution vers une démocratisation accrue de l'ensemble du monde. Vous le voyez, parmi ces nouveaux acteurs, où l'on trouve les grandes entreprises, la société civile, les médias, je distingue tout particulièrement le parlement. Pour dire les choses avec simplicité, je trouve que le développement de la présence du parlement est une bonne chose.

1. - Du malentendu à la coopération

Cela dit, depuis l'apparition de cette orientation, on a assisté à plusieurs reprises à des malentendus ou des antagonismes entre la politique étrangère classique et cette activité parlementaire. Cela se traduisait par une sorte d'incompréhension mutuelle entre les parlementaires et les diplomates, qui s'exprimaient dans des ordres, des approches et des références différentes. Aujourd'hui, cette première étape est dépassée. Les uns et les autres ont appris à se connaître et à travailler ensemble. Les parlementaires ont compris quels pouvaient être leurs rôles. Je pense en particulier à l'activité des présidents d'assemblée, qui a pris une véritable ampleur, aux groupes d'amitié, qui sont parfois très dynamiques, à l'union interparlementaire, aux missions d'information et d'observation, qui peuvent aider, de façon tout à fait déterminante, à gérer une situation, sortir d'une crise, consolider un accord. On se trouve alors au-delà de la fonction parlementaire, au meilleur sens du terme. Par ailleurs, les coopérations interparlementaires sont très importantes pour la mise en oeuvre de la démocratisation.

Je constate qu'en ce qui concerne le ministère dont j'ai la charge, cette évolution s'est traduite au fil des années par des relations de plus en plus étroites, naturelles et amicales. Elle se concrétise par la préparation de dossiers pour les parlementaires partant en mission ou par l'attention portée par le ministère aux questions et courriers des parlementaires - je crois d'ailleurs pouvoir dire que notre ministère est le plus performant à ce niveau. Les notes que je reçois sur les rapports avec différents pays ou sur tel ou tel enjeu international ou négociation laissent de plus en plus de place à l'action des parlementaires, en citant un rapport ou une initiative parlementaire qui ont fait évoluer les choses. C'est aujourd'hui un acquis. J'ai beaucoup encouragé cette évolution qui a commencé il y a longtemps et que je juge très importante. Je m'efforce d'être le plus présent possible devant les commissions des affaires étrangères de l'Assemblée nationale et du Sénat et, dès que cela est possible et intéressant, j'invite des parlementaires à m'accompagner lors de mes voyages.

2. - Sur la voie de l'équilibre

Ainsi, nous sommes sortis de cette phase initiale marquée par quelques antagonismes et malentendus et sommes entrés dans la phase de complémentarité. C'est à ce stade qu'un équilibre assez subtil doit être trouvé car ni les parlements ni les gouvernements qui conduisent la diplomatie ne veulent renoncer à leur rôle particulier et se retrouver dans une certaine confusion. Les parlementaires devront toujours conserver leur liberté d'appréciation (leurs rapports n'ont pas pour objet de relayer le point de vue ponctuel du ministre des affaires étrangères de leur pays), leur distance, leur capacité d'évaluation et de suggestion. Certes, un parlementaire qui fait un voyage de contact réalise un travail proche de celui d'un diplomate chargé d'une mission particulière. Mais ce sont son expression et ses suggestions qui seront différentes. Ainsi, à mon avis, les parlementaires n'ont pas intérêt à trop se fondre dans le moule diplomatique et à devenir des envoyés diplomatiques parmi d'autres. Ils ont une vraie spécificité qu'ils doivent conserver.

En sens inverse, les diplomates auraient eu grand tort de se sentir encore propriétaires des relations, des contacts, des échanges et des informations. C'est un temps révolu. Mais en même temps, à propos d'une grande négociation, les parlementaires ne peuvent pas - et ne veulent sans doute pas - se placer dans la position de ceux qui vont devoir arbitrer. Nous devons aller le plus loin possible dans cette combinaison utile pour arriver à une politique extérieure globale d'influence qui combine de la meilleure façon possible l'action normale des gouvernements, la diplomatie, et toutes les autres forces.

Il est possible que des désaccords interviennent, par exemple en matière de droits de l'homme, où des parlementaires peuvent estimer que leur devoir est de dénoncer une situation, tandis que le gouvernement ou le ministre des affaires étrangères, tout à fait conscient de la situation d'atteinte aux droits de l'homme, pense qu'il faut s'inscrire dans un processus de dialogue, de discussion et d'évolution constructive et que la dénonciation ne suffit pas... Mais, quelque part, si des voix plus libres ou qui n'ont pas les mêmes priorités s'expriment, cela est également utile. La complémentarité, dans le respect mutuel, est très importante. C'est un élément de synergie, de dynamisme, d'efficacité, d'influence moderne...

2. - Le parlement, acteur de l'influence française à l'étranger

1. - La confrontation avec les parlements historiquement forts

Je voulais signaler également l'importance que peuvent avoir toutes les activités parlementaires que j'ai déjà citées par rapport aux pays dans lesquels le parlement joue un rôle clé. Je dirais même qu'il faut sans doute s'orienter en priorité vers des pays où les parlements jouent des rôles décisifs. Je pense aux États-Unis, où nous n'allons pas assez souvent. Je le dis devant le président Forni qui partage mon avis et qui, je le sais, a des projets dans ce domaine.

Aux États-Unis, le pouvoir parlementaire est considérable. Il ne conduit pas la diplomatie mais, par ses initiatives, ses lois, ses interdits et ses veto, il crée une contrainte extrêmement forte, y compris pour le président des États-Unis. Pour nous qui voyons cela de l'extérieur, la politique étrangère des États-Unis est le résultat d'une négociation très complexe qui a lieu en permanence entre la Maison-Blanche, le département d'État, le Pentagone, le Conseil national de Sécurité, quelques autres entités et le Congrès. Il faut aller au Congrès. Depuis quelque temps, je ne me rends plus à Washington sans passer presque la moitié de mon temps au Congrès, pour rencontrer les présidents de commission et les sénateurs. Les discussions y sont en général assez vives et directes mais c'est ainsi que nous devons travailler. Le Congrès a joué un rôle accru au cours des dernières années. C'est intéressant même si je ne considère pas ce système comme un exemple à suivre, car je pense que la constitution américaine n'est pas transposable et que beaucoup d'abus (par exemple, les prétentions extraterritoriales du Sénat des États-Unis dans certains domaines) existent. En tout cas, nous devons nous montrer plus offensifs et, avec certains sénateurs, aller porter la contradiction. Il me semble très intéressant de discuter de l'évolution de la politique américaine vis-à-vis de l'Iraq avec M. Jessyiem comme je l'ai fait au mois de mars.

Mais cela vaut également pour tous les sujets économiques et commerciaux. S'il ne faut pas exagérer l'ampleur des contentieux euro-américains qui représentent au maximum 2 % des échanges économiques globaux, il est indispensable que les parlementaires américains entendent nos points de vue sur ces sujets. Dans bien des cas, ils n'ont jamais entendu un avis européen, et notamment français. Il en va de même sur le sujet de l'exception culturelle que l'on appelle aujourd'hui la diversité culturelle - c'est un terme plus ouvert et plus mobilisateur. Là également, il y a des fossés d'incompréhension.

De même, j'apprécie d'aller au Bundestag ; il y a quelques jours d'ailleurs, j'ai eu l'occasion d'intervenir devant sa commission des affaires européennes. J'observe aussi que les commissions de l'Assemblée nationale et du Sénat reçoivent des invités prestigieux - qui ne s'expriment pas devant l'Assemblée nationale tout entière mais c'est un autre débat. Pour en revenir au travail d'influence qui nous intéresse, je pense que si la France n'a de relations avec l'Allemagne qu'au niveau des chefs d'État et de gouvernement, il manque quelque chose. Certes, il y a la société civile et les médias, mais la dimension parlementaire est très importante. Face à la situation tragique du Proche-Orient, il faudrait établir des contacts avec la Knesset et le conseil législatif palestinien, qui est l'embryon de ce que sera un jour un vrai parlement, au sens complet du terme, dans un État palestinien indépendant un jour.

Évidemment, je prends des exemples où, à la fois, les parlements sont importants (ils ont beaucoup de pouvoir et de rayonnement) et les sujets primordiaux (l'influence vis-à-vis des États-Unis, l'avenir de l'Europe avec l'Allemagne, la crise au Proche-Orient).

Je tiens à vous dire que le ministère des affaires étrangères et moi-même en tant que ministre, nous n'avons aucune espèce de réticences par rapport au développement de l'action et des initiatives des parlementaires français vis-à-vis des parlements étrangers. Nous avons même à cet égard une grande ouverture d'esprit et une volonté de coopération. Je souhaite vraiment que ces relations se développent.

2. - L'assistance aux pays sur la voie de la démocratisation

Dans d'autres pays, nous n'aurons pas face à nous des parlements installés et historiquement prestigieux et influents. Ce sont des pays qui tentent de construire, pierre après pierre, leur démocratie, ce qui est un travail de longue haleine. Pour aider ces pays à organiser des élections, à s'acclimater à la démocratie parlementaire, rien ne vaut les contacts directs. Je rappelle que la France, qui donne des leçons à la terre entière, a mis cent cinquante ans pour passer des premières élections de 1795 au suffrage universel au vote des femmes en 1945. Notre pays - qui se veut phare de lumière ! - a lui aussi vécu beaucoup de révolutions violentes, de répressions féroces, d'avancées et de reculs... Tout ce que nous pouvons faire pour que cette évolution soit moins longue pour les autres est bienvenu.

A cet égard, je crois beaucoup plus à l'échange qui peut avoir lieu entre les parlementaires, via la mise en commun des savoir-faire et les relations directes, qu'aux condamnations, sanctions et remontrances. Sauf dans certains cas limites, l'exemplarité, la contagion, l'amitié et la fraternité sont des atouts importants que seul le parlement peut mettre en avant. Cela peut concerner des dizaines de pays. Il y a en effet cent quatre-vingts neuf pays dans le monde aujourd'hui, dont trente à quarante démocraties tout à fait sûres et installées et des dizaines de pays où la démocratie est en chemin.

Je suis heureux de pouvoir dire que nous sommes aujourd'hui à un bon moment du processus sur la voie de la diplomatie parlementaire. Comme je l'ai dit tout à l'heure, nous avons dépassé les problèmes liés à la mise en route. Les parlementaires européens vont devenir de plus en plus incisifs et vont voyager de plus en plus - nous ne sommes pas dans ces pays où les parlementaires se vantent de ne pas avoir de passeports ! Je m'attends à un développement des voyages et des échanges. Regardez aussi ce qui s'est passé dans les Balkans au cours des dernières années. Au total, on peut dire que l'action des parlementaires depuis une dizaine d'années est tout à fait considérable.

Nous accueillerons avec plaisir, encouragerons et faciliterons ce mouvement. J'insisterai au sein du Quai d'Orsay pour qu'il soit naturel à tous les directeurs, sous-directeurs, rédacteurs, ambassadeurs, conseillers de travailler avec les parlementaires et de leur apporter les informations qui leur sont nécessaires. Je pense que les rapports, les missions d'information se développeront, parfois dans un climat de tension entre le législatif et l'exécutif. Mais cette tension sera toujours créatrice, notre démocratie étant fondée sur cela. Ces rapports difficiles, je les accueille d'avance également. Il y en a eu beaucoup ces dernières années. Je pense aux rapports d'enquête, qui portent sur des sujets difficiles, mais qui sont indispensables et salubres. Je pense également aux rapports des parlementaires qui se saisissent de grands sujets, parfois difficiles à embrasser dans leur intégralité (comme l'OMC), et qui apportent sur ces thèmes des éléments fondamentaux. Dans ces cas, les ministres doivent considérer qu'il ne s'agit pas d'un rapport qui vient après d'autres, et l'utiliser, en tirer tout le suc, pour aller plus loin.

Cette synergie est donc installée. J'en accepte d'avance et positivement le développement et le perfectionnement. Il ne s'agit pas d'un phénomène français mais bel et bien européen. Le mouvement est d'ailleurs plus avancé dans certains pays européens que dans notre pays. Au total, je me réjouis de ce phénomène car il permet à l'influence démocratique française de se développer. C'est une influence de progrès pour le monde entier.

M. Raymond FORNI

Je remercie, en votre nom à tous, Hubert Védrine pour les propos qu'il vient de tenir, non pas parce qu'ils nous sont simplement agréables à nous parlementaires, mais parce qu'ils traduisent l'état d'esprit dans lequel se trouve aujourd'hui le gouvernement de la République. Il me semble important de souligner qu'effectivement, depuis quelques années, des améliorations considérables ont été apportées aux relations entre le gouvernement, la diplomatie d'État, et, pour éviter d'utiliser la même terminologie, les relations internationales organisées par les parlements. Je suis convaincu, comme Hubert Védrine, de la complémentarité de nos deux actions. Bien évidemment chacun a son domaine d'intervention et chacun préserve le champ qui est le sien. L'essentiel est de trouver entre nous les passerelles qui permettent de rendre efficaces l'une et l'autre de ces actions. Si nous y parvenions, je pense que nous aurions réussi la mission internationale qui est celle des parlementaires.

Dans notre monde, il est impossible de rester replié dans, pour ce qui est des Français, les limites de l'Hexagone. Je ressens, comme le soulignait Hubert Védrine dans sa conclusion, une aspiration des autres parlements à agir de la même manière. Ce n'est sans doute pas par hasard si nous sommes aujourd'hui sollicités très fortement par le Bundestag au moment où existent quelques troubles par rapport à la relation historique entre l'Allemagne et la France. On sait bien qu'une relation d'amitié entre les peuples doit s'appuyer sur l'ensemble des composantes de ce peuple, c'est-à-dire à la fois le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif.

Je souhaite, cher Hubert, que nous puissions continuer dans cette direction. Je sais quel est l'état d'esprit qui anime le ministère des affaires étrangères. Il est parfois difficile d'obtenir immédiatement des résultats concrets au niveau des administrations, mais j'observe que des évolutions extrêmement importantes se sont produites au cours de ces dernières années. J'ai en mémoire l'époque pas si lointaine où lorsque nous allions à l'étranger, les parlementaires étaient considérés plus comme des gêneurs que comme des acteurs de la vie internationale. Mais cette époque est désormais révolue grâce à la mobilisation sur des principes simples qu'il convient de simplifier encore - c'est en effet grâce à la simplicité que l'on évitera les ambiguïtés.

Je vous remercie, M. le Ministre, d'avoir accepté de participer au débat. Je le laisse partir car je sais qu'il a un emploi du temps très chargé. Je suis obligé de vous quitter également pour participer au débat, quelque peu animé, sur la modernisation sociale.

* * *

TABLE RONDE :
LA RÉGULATION INTERNATIONALE :
UNE NOUVELLE FRONTIÈRE
POUR LES PARLEMENTS ?

Cette table ronde a été co-présidée par :

MM. Yves TAVERNIER, député, et Philippe MARINI, sénateur.

Les débats ont été modérés par M. Yvan LEVAÏ, président de LCP-AN.

Y ont participé :

M. Jean-Claude LEFORT, député

Mme Béatrice MARRE,députée

M. Jacques LEGENDRE, sénateur

M. Guy PENNE, sénateur

Mme Danielle BIDART-REYDET, sénatrice

M. Yvan LEVAÏ, président de LCP-AN

En préambule à notre table ronde, je voudrais remercier les organisateurs du colloque qui ont eu la bonne idée de faire appel à des représentants de la société civile pour jouer le rôle de modérateurs. Depuis ce matin, nous avons entendu beaucoup de propos passionnants. J'ai relevé d'ailleurs, à propos de notre table ronde, une idée du président Poncelet. Il a dit qu'il fallait réfléchir à la légitimité de la régulation internationale, c'est-à-dire le rôle des parlements dans le nouvel ordre mondial. Il a ajouté avec malice que ce serait la dernière table ronde du colloque qui se chargerait de définir quelles utopies pourraient être promues.

J'aimerais pour ma part dire quelques mots de la presse. Il nous arrive d'accompagner le président de la République ou le président de l'Assemblée nationale lors de leurs voyages. Il y a quelques jours, je suis allé au Kosovo avec le président Forni. Il est indéniable que, sans lui, je n'aurais pas pu approcher les gens que j'ai rencontrés.

Il y a trente ans, j'ai également accompagné Jacques Chaban-Delmas, alors président de l'Assemblée nationale, en Russie post-brejnévienne. A l'époque, notre président de la République était Valéry Giscard d'Estaing et l'URSS comptait un dissident célèbre, Sakharov. Lorsque le président de l'Assemblée nationale est arrivé à Moscou, les Russes ont envoyé Sakharov en résidence forcée, à des kilomètres de son appartement moscovite. Ce geste visait à faire comprendre à la France qu'elle n'avait pas à s'occuper des droits de l'homme et des dissidents à Moscou. Jacques Chaban-Delmas a alors envoyé un message à l'Élysée pour informer le Président de la situation, mais sa décision était d'ores et déjà prise. Puisqu'on expulsait Sakharov au moment où il arrivait à Moscou, le président de l'Assemblée nationale, le représentant du peuple français, avait décidé de tourner les talons.

C'était une forme d'affirmation parlementaire, le choix d'un symbole (celui de partir) contre un autre (celui de placer un dissident en résidence forcée). Ainsi, il arrive à la démocratie parlementaire de dire non. J'ai entendu dire aujourd'hui que c'était bien de l'entendre dire oui et peut-être, mais je voulais introduire cette table ronde en évoquant cette diplomatie parlementaire rebelle. J'espère que, puisque nous sommes en fin de colloque, nos intervenants seront rebelles.

Je vais céder la parole à Yves Tavernier qui a rappelé, tout à l'heure,, qu'il était arrivé à certains parlementaires de réparer certaines des erreurs du Quai d'Orsay.

· Intervention de M. Yves TAVERNIER, député

Je ne voudrais pas que l'on réduise l'appréciation que je peux avoir de notre diplomatie à un mot qui d'ailleurs ne s'adressait pas au Quai d'Orsay. Je voulais dire qu'il serait dommage de limiter l'approche des parlementaires sur la scène internationale à la réparation d'un certain nombre d'erreurs que l'administration du Quai d'Orsay fait comme toute administration et le parlement lui-même. Il serait abusif de sortir le mot de son contexte et d'en faire une qualification qui n'était pas dans mon propos. Nous savons que les journalistes vont parfois à ce qu'ils croient être l'essentiel sans prendre en considération le plus important !

Vous me demandez, M. Levaï, de nous faire rêver. J'aurais beaucoup de difficultés à le faire encore que, en écoutant le ministre Hubert Védrine dire tout le bien qu'il pensait de l'action des parlementaires sur la scène internationale, il m'ait été donné l'envie de rêver. Je l'ai écouté avec beaucoup de plaisir, en m'interrogeant parfois sur le petit décalage qu'il peut y avoir entre les intentions et la réalité. En l'écoutant, je repensais aussi à l'article paru dans Le Monde cet après-midi et qui s'intitule : « Matignon recherche un conseiller en anti-mondialisation ». Si j'ai bien compris, les services du Premier ministre s'interrogent sur la sensibilité de l'opinion publique à la nature et aux effets de la mondialisation, ce qui les conduit à se tourner vers les ONG car ils voient en elles l'expression des peurs, des attentes et des préoccupations des Français.

1. - L'ouverture progressive, mais insuffisante, du champ des relations internationales au parlement

Ainsi, alors que pendant longtemps, il a été admis que les relations internationales relevaient du domaine réservé et que ce sujet était trop sérieux pour que d'autres que les chefs d'État et de gouvernement s'en occupent, aujourd'hui, sous l'effet de l'évolution de la société, on voit poindre la prise de conscience qu'il faut une ouverture vers d'autres que les gouvernants. Et l'on n'imagine cette ouverture qu'en direction de ce qu'on appelle la société civile - terme qui m'a toujours étonné -, en oubliant totalement que l'expression démocratique et légitime de la société civile, c'est d'abord le parlement. L'article du Monde ne faisant pas du tout référence au rôle du parlement, j'aimerais dire que les élus du suffrage universel ont autant de légitimité - sinon davantage - que les ONG dont je respecte pourtant l'action, la pensée, l'apport vis-à-vis des problèmes de notre société.

Je suis frappé par le nombre extrêmement important de rapports parlementaires de qualité réalisés au cours de ces dernières années sur la mondialisation, les grandes institutions internationales et la politique de développement. De plus, le travail de réflexion mené sur ce que doit être la coopération internationale au XXIe siècle pourrait constituer un corpus intellectuel extrêmement utile aux administrations et aux responsables exécutifs qui sont chargés de définir, de concevoir et de conduire la politique de la nation. Quelle conception le Quai d'Orsay, Matignon, les grandes administrations, Bercy ont-ils de ce que doivent être les relations avec ce que l'on appelle le tiers-monde, les pays ACP ? Y a-t-il une évolution dans leur perception, entre les années 60, lendemains de la décolonisation, et aujourd'hui, époque caractérisée par la mondialisation et la dislocation du bloc soviétique ?

Nous sommes à la recherche de ces grandes utopies qui sous-tendraient l'action et définiraient les objectifs. Nos interlocuteurs de la haute administration, comme les responsables politiques au niveau national, sont les premiers à avoir besoin de ces projets et de ces grandes perspectives. J'ose dire que le parlement, à son niveau, y contribue et qu'il y a une somme de travaux qui, malheureusement, ne sont pas utilisés. C'est un trait caractéristique de la France, que l'on retrouve aussi au niveau des travaux universitaires et de recherche. A la différence des pays anglo-saxons, en France, ces travaux n'alimentent pas suffisamment la réflexion politique et n'éclairent pas suffisamment l'action des gouvernants. J'ai été chercheur par le passé et j'ai pu constater que notre culture provoquait des cloisonnements forts entre ceux qui définissent la politique et ceux qui peuvent apporter (les intellectuels, les parlementaires, etc.) à la réflexion et, par suite, à la conduite des affaires de la France. Raymond Forni disait que des passerelles étaient nécessaires ; j'en vois effectivement quelques-unes d'une grande utilité.

2. - Le cas des institutions financières internationales

Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un seul exemple : les institutions financières internationales comme la Banque mondiale et le fonds monétaire international, dont la France est le quatrième bailleur de fonds (avec une quote-part de plus de 100 milliards de francs). Parallèlement, notre pays est le deuxième contributeur mondial à l'aide publique au développement. Or jusqu'à une date très récente, le parlement français était tenu et se tenait totalement à l'écart de sa mission de suivi et de contrôle de l'action de ces institutions et du rôle qu'y joue la France.

Il a fallu attendre le printemps 2000 pour que, pour la première fois, un débat soit organisé à l'Assemblée nationale sur notre coopération internationale et notre politique d'aide au développement. Ce n'est donc que depuis l'année dernière qu'il y a - de manière modeste et timide - un débat annuel sur un pan essentiel de notre politique internationale de développement, et notamment à l'égard du tiers-monde.

De même, il a fallu attendre un projet de loi de finances rectificatif pour qu'en 1998 nous nous intéressions aux institutions financières internationales. En janvier 1998, à la suite de la politique - que je ne qualifierai pas - du FMI en Extrême-Orient et en Russie, on a demandé aux Etats actionnaires d'augmenter leur quote-part. Pour la France, ce complément s'élevait à la bagatelle de 27 milliards de francs. Cette décision n'a pas été abordée lors de la discussion sur la loi de finances 1999. C'est seulement dans le cadre d'une loi de finances rectificative, proposée à la sauvette et nuitamment, que cette question a été soulevée ! Évidemment, les parlementaires n'ont pas eu d'autre choix que de voter cette loi, mais, suite à cela, ils ont imposé au gouvernement de faire chaque année, devant le parlement, un rapport sur le fonctionnement des institutions financières internationales. Cela se fait depuis l'année dernière. De plus, la commission des finances de l'Assemblée nationale établit un rapport sur le rapport du gouvernement. Pour l'année qui vient, j'ai commencé à travailler avec la direction du Trésor car je veux que soient rendues publiques et débattues toutes les directives données par le ministère des Finances au FMI et à la Banque mondiale. Nous devons savoir ce qu'est la politique de la France, ce que fait notre pays en Argentine, en Indonésie, en Corée ou en Turquie. Toutes ces actions doivent être connues et contrôlées par le parlement, qui a la responsabilité d'en rendre compte devant l'opinion publique.

Avant de conclure, je signale que le président Forni m'a donné son accord pour que soit créée une délégation permanente de l'Assemblée nationale aux institutions financières et économiques internationales, de façon à ce que nous puissions enfin remplir notre mandat qui est d'être informé, de suivre l'ensemble des décisions prises par l'exécutif ou ceux qu'il mandate dans ces institutions, et de pouvoir contrôler l'utilisation qui est faite de l'argent public. C'est tout simplement le fondement de la démocratie.

M. Ivan LEVAÏ

M. Marini, avez-vous vous aussi l'impression que les gouvernements ont tendance à ne pas vouloir que vous vous occupiez de l'affectation des fonds, de la Banque Mondiale par exemple ? Avez-vous trouvé une voie pour le faire quand même ?

· Intervention de M. Philippe MARINI, rapporteur général de la commission des Finances du Sénat

Il faut faire preuve, il est vrai, de beaucoup d'assiduité et de professionnalisme. J'ai apprécié les propos du ministre lorsqu'il évoquait nos relations avec les parlementaires des principales puissances du monde, et en premier lieu des États-Unis. J'abonde tout à fait dans son sens : si nous voulons comprendre les problématiques qui nous sont soumises dans notre vie parlementaire, il faut dans bien des cas remonter à la source et appréhender les questions qui agitent le Congrès à Washington ou les institutions européennes.

Lorsqu'un parlementaire est convié, au sein de sa commission, à traiter d'une question relative par exemple à la supervision bancaire, à la régulation des marchés financiers, au rôle et à la composition de la commission des opérations de bourse ou du conseil des marchés financiers, lorsqu'il est invité à donner son avis sur la taxe Tobin , à examiner des questions liées à la politique de la concurrence, à l'application de directives européennes dans le domaine du droit de la concurrence, il ne peut pas se former une opinion suffisante d'après des éléments d'information simplement hexagonaux. Lorsque nous sortons de nos frontières et que nous allons confronter nos avis et nos analyses avec ceux des parlementaires britanniques, allemands, belges, néerlandais, américains ou sud-américains, nous observons que, dans bien des cas, nos sujets de préoccupations sont identiques, même s'ils s'inscrivent dans des contextes différents.

Autre exemple : le financement des retraites. C'est un sujet auquel tous les pays développés sont confrontés en même temps et qui, pour être traité, nécessite de manier une problématique qui leur est très largement commune, et ce même si les législations, les histoires ou les comportements syndicaux sont différents. Si un parlementaire français d'une commission des finances rencontre un parlementaire autrichien ou italien, voire un parlementaire d'une nouvelle démocratie d'Europe centrale ou orientale, ils peuvent parler ensemble du financement des retraites sans être vraiment « dépaysés ». Ainsi, dans la vie économique et financière telle que nous la connaissons aujourd'hui, rien d'important n'est hexagonal. Si nous voulons maîtriser les sujets que nous traitons, nous devons nourrir notre réflexion non seulement des rapports de nos administrateurs mais également des expériences d'autres parlementaires étrangers.

M. Ivan LEVAÏ

Vous dites que vous considérez les expériences menées à l'étranger comme de bonnes sources d'informations. Mais, comme M. Tavernier, regrettez-vous que les gouvernements vous cachent certaines informations, par exemple la destination de l'argent versé par la France au FMI - je pense au complément de 27 milliards dont il parlait tout à l'heure ?

M. Philippe MARINI

Cette somme de 27 milliards ne correspond pas à un crédit budgétaire mais à une opération financière - en quelque sorte une opération de trésorerie -, très difficile à comprendre dans nos documents budgétaires. Soulever cette question revient à poser le problème de nos instruments de connaissance de notre réalité budgétaire. Si nous n'y comprenons pas grand-chose, nous pouvons nous demander si les autres, placés dans leurs cadres nationaux, y comprennent davantage et nous pouvons examiner leurs méthodes.

Nous allons traiter au Sénat, comme vous l'avez fait à l'Assemblée nationale, de la réforme de l'ordonnance organique. Celle-ci va nous permettre de créer une comptabilité patrimoniale et d'examiner des données de bilan en plus des données de comptes de résultats. Nous irons donc plus loin que l'approche de caisse et pourrons voir si, d'année en année, l'Etat s'enrichit ou s'appauvrit. Dans un certain nombre d'autres Etats, les parlementaires élus au suffrage démocratique disposent de ces outils depuis un certain temps déjà.

M. Ivan LEVAÏ

Cela signifie-t-il que vous êtes satisfait de voir que l'on prend des décisions pour revenir sur l'ordonnance de 1959 ?

M. Philippe MARINI

Bien entendu. Je ne faisais qu'illustrer mes propos. Mais fondamentalement je crois que si nous voulons comprendre comment sont calculées les contributions de la France aux institutions financières multilatérales et ce que l'on en fait, nous devons aussi nous demander si nous sommes capables de comprendre comment évoluent l'endettement de l'État et l'ensemble de ses opérations de trésorerie. Est-ce compréhensible dans un bon format ? Pourrait-on en parler à l'opinion et lui expliquer ce que nous sommes censés savoir ? En découvrant cette évidence, je suis simplement en train de dire qu'un tel sujet ne peut plus se traiter à l'échelon hexagonal.

Je voudrais vous donner quatre illustrations de ma réflexion sous forme d'un bref voyage. A Berlin, en septembre ou octobre derniers, je suis allé m'enquérir auprès de la présidente verte de la commission du budget du Bundestag de la réforme fiscale allemande. J'y ai passé une journée. L'ambassade à Berlin a joué un rôle extrêmement utile pour trouver des contacts et susciter des débats. En rentrant, j'en savais beaucoup plus sur la réforme fiscale allemande que les conseillers du ministre des Finances, ce qui, évidemment, alimente ma capacité d'analyse et de répartie s'agissant d'apprécier la réforme fiscale française.

A Washington, en 1999, avec d'autres sénateurs, j'ai eu pour mission d'établir un rapport sur les principes de la régulation financière internationale, sur l'évolution de l'architecture des institutions financières multilatérales et sur la manière d'y faire revenir le politique et d'y crédibiliser les Européens. Les diplomates en poste, les fonctionnaires internationaux de nationalité française au FMI et à la Banque Mondiale, nous ont demandé alors, à nous sénateurs de droite, d'aller convaincre les représentants et les sénateurs républicains que le FMI n'étaient pas un horrible outil interventionniste à la française comme ils le croyaient... Cela me semble un véritable appel à la diplomatie parlementaire, puisque les attitudes que l'on voit s'exprimer au sein de ces institutions multilatérales sont fortement influencées par la réalité politique et parlementaire interne des États-Unis et que tous les contacts que l'on peut avoir avec eux sont évidemment très utiles pour se comprendre et faire évoluer les concepts.

A Bâle, il existe une institution assez ignorée du grand public, créée lors des accords sur les réparations de l'entre-deux-guerres. Elle joue un peu le rôle de banque centrale des banques centrales ; il s'agit de la banque des règlements internationaux. C'est en son sein qu'un consensus des banques centrales du monde élabore les nouvelles réglementations prudentielles bancaires, basées sur l'évaluation des risques bancaires. Je me suis rendu à Bâle pour tenter de comprendre ce qu'on allait nous soumettre d'ici quelque temps. J'ai rencontré un président, des directeurs, des fonctionnaires internationaux français, des fonctionnaires de la Banque de France détachés qui m'ont dit n'avoir quasiment jamais vu un parlementaire dans l'exercice de ses fonctions. Je crois qu'assurer une présence, tenter de bâtir une crédibilité de nos positions, se prêter au dialogue, essayer de comprendre et d'anticiper, cela fait partie de la diplomatie parlementaire.

A Abidjan, dans le cadre du volet « aide au développement » de la même mission sur la régulation financière internationale, nous souhaitions examiner l'exercice des responsabilités de la banque régionale. Reçu avec un excellent collègue, notre rapporteur spécial du budget de la coopération, dont chacun connaît la truculence et l'efficacité, par l'ambassadeur, je me suis aperçu que celui-ci faisait de la politique intérieure tandis que nous faisions, vis-à-vis des interlocuteurs que nous rencontrions, de la diplomatie étatique. En conclusion, je dirai donc que ces expériences sont très formatrices.

M. Ivan LEVAÏ

Tout au long de la journée, Hubert Védrine, Raymond Forni et le président Poncelet ont insisté sur la répartition des rôles. Puisque Philippe Marini a conclu en parlant de cet ambassadeur qui s'occupait de politique intérieure, j'aimerais demander à Guy Penne s'il a souvent rencontré des ambassadeurs de ce genre.

· Intervention de M. Guy PENNE, sénateur

La société des ambassadeurs est très diversifiée : certains sont très bons, d'autres moins ; certains font de l'hôtellerie et d'autres de la politique. Cela étant, je crois que le métier des ambassadeurs a beaucoup évolué en vingt ans. La dimension économique compte beaucoup plus qu'avant tandis que la multilatéralité a imposé un certain nombre de coopérations entre les ambassadeurs. Cela s'est encore accentué depuis la chute du mur de Berlin.

M. Ivan LEVAÏ

Quel est votre sentiment sur la diplomatie parlementaire dans le nouvel ordre mondial ?

M. Guy PENNE

Pour bien définir mon idée, je reprendrai une citation de M. Boutros-Ghali qui disait, en 1998, « charnière entre les citoyens des États et la communauté des États et par définition voués au dialogue, au débat et à la recherche des ententes, les parlementaires sont les agents mêmes de la démocratisation au niveau international ». Cette définition qui vient d'un homme qui a été ministre et secrétaire général de l'ONU, qui s'occupe aujourd'hui de francophonie et qui a une longue expérience, me semble tout à fait juste.

J'aimerais vous donner des exemples de la capacité de la démocratie parlementaire à débloquer certaines situations difficiles. Avec certains parlementaires, dont le président de l'Assemblée nationale de la République Centrafricaine, nous avions mené, sous l'égide de l'Assemblée parlementaire de la francophonie, une mission au Burundi. A l'époque, le Burundi faisait l'objet d'un embargo décidé par les pays voisins, ce qui est assez atypique. Nous avons pu faire évoluer la situation. Nous avons également mené, toujours sous l'égide de la francophonie, une mission auprès du président de la Guinée, toujours persuadé du bien-fondé de ses idées. Il avait repoussé Madeleine Allbright, le président Chirac et, encore plus grossièrement, notre ministre Charles Josselin, lorsque ils lui avaient demandé de se montrer plus respectueux de la démocratie vis-à-vis du parlementaire emprisonné Alpha Condé. Nous avons remué ciel et terre au cours de cette mission et n'avons pas cessé de faire des conférences de presse et d'insister auprès du président de la Guinée pour la libération d'Alpha Condé. Nous avons appris il y a quelques jours que celui-ci était désormais libre. Dans cette affaire, les parlementaires étaient beaucoup plus libres que Charles Josselin pour émettre leur opinion.

M. Ivan LEVAÏ

Ainsi, la démocratie parlementaire réussit là où tout échoue. Je cède maintenant la parole à Béatrice Marre. Madame, avez-vous lu l'article du Monde indiquant que Matignon recherchait un conseiller en anti-mondialisation ? Est-ce une information exacte ?

· Intervention de Mme Béatrice MARRE, députée

Je n'ai pas les mêmes sources que le Monde et je ne peux donc pas confirmer cette information. Pour ma part, j'aimerais revenir sur l'intitulé de notre table ronde : « la régulation internationale : une nouvelle frontière pour les parlementaires ? » Si l'on parle de nouvelle frontière, c'est qu'il y a un territoire à explorer. Quel est ce territoire ? De même, s'il est défini, comment les parlementaires peuvent-ils y pénétrer et quelle peut y être leur efficacité ?

Pour ce qui est du territoire à conquérir, plusieurs intervenants ont souligné que la diplomatie traditionnelle était légitimement fondée sur des relations intergouvernementales et cantonnée à ce qu'on appelle les affaires internationales. De fait, la dimension économique n'y apparaissait pas. Mais, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, l'évolution a fait qu'à côté des États, se sont constitués des entités d'une autre nature, économique. Au fil du temps, ces entités se sont concentrées.

Comment, dans ces conditions, faire coexister la diplomatie traditionnelle qui reposait sur des États souverains et les organisations internationales qui se fondaient sur l'intergouvernementalité ? On a vu la situation se dégrader, avec les crises successives du FMI, de la Banque Mondiale, et plus récemment à Seattle, du GATT. Ces événements nous ont fait prendre conscience du déficit démocratique qui a fait que la mondialisation a pris une certaine pente. Par exemple, des experts, sans responsabilité devant les peuples, ont conduit à des évolutions selon des règles économiques que l'on nous disait intangibles. Les parlements savent aujourd'hui qu'ils doivent réinvestir cet espace, le territoire économique et financier, dont on sait qu'il est interdépendant avec les autres territoires mais qu'il peut transformer notre petite planète en un désert, sans tenir compte des populations, des aspirations démocratiques ou de l'environnement.

Comment pénétrer dans ce territoire ? La réponse est simple : avec nos trois missions traditionnelles de parlementaires. La première mission d'un parlementaire est d'être un médiateur entre le peuple et les gouvernants. Il doit transmettre les aspirations des peuples aux gouvernants.

M. Ivan LEVAÏ

Cette mission n'est pas envisageable si le parlementaire est soumis au gouvernant ou, tout au moins, s'il en donne l'impression au peuple. Voulez-vous investir le même territoire que ATTAC, José Bové ou les militants anti-mondialisation ?

Mme Béatrice MARRE

Il n'est pas nécessaire d'être membre d'ATTAC pour porter un regard critique et constructif sur les phénomènes de mondialisation. Comme il a été dit tout à l'heure, les ONG ont un rôle à jouer mais elles ne peuvent pas prétendre à la même légitimité que les parlementaires qui ont été élus démocratiquement. Par ailleurs, lorsque je parle de médiation, je ne veux pas dire que le parlementaire doit mettre tout le monde d'accord mais, plus simplement, faire en sorte que l'information circule dans les deux sens. La deuxième mission du parlementaire est celle de légiférer ; cette mission nous confère une vision globale et cohérente des choses, que n'ont pas les organisations nationales ou internationales, spécialisées dans leur domaine. La troisième mission du législateur est le contrôle de l'exécutif, qui est variable selon le degré d'avancement démocratique des États. Je ne reviendrai pas, sur ce point, sur certains des exemples qui ont été donnés, comme la révision de l'ordonnance de 1959 ou le souhait des parlementaires d'en savoir plus sur la destination des fonds qu'ils sont amenés à voter.

Si un territoire existe et si les parlementaires ont les missions pour investir ce territoire, comment y parvenir ? Au plan national et communautaire, les rapports, les attributions de la diplomatie parlementaire, nous permettent de mieux connaître les questions. Cela est particulièrement important sur le plan communautaire car il me semble important de construire une Union européenne qui soit capable de peser sur la mondialisation actuelle, qui est très largement économique et libérale et dominée par un grand Etat. Il nous faut aussi mieux nous organiser dans nos propres parlements. Nous avons été plusieurs à l'Assemblée nationale et au Sénat à faire des rapports sur des aspects différents de la mondialisation et à dire qu'il manquait, au sein de nos instances, une structure dans laquelle on puisse se retrouver pour étudier les questions économiques, financières et commerciales internationales. Le président Fabius, puis le président Forni, ont entendu cette demande. Une instance devrait bientôt être créée et nous aurons alors un autre rôle que celui d'entériner, en séance publique, un accord international, sous peine de faire tomber le gouvernement.

Pour ce qui est du niveau international, certains disent qu'il est totalement utopique de rêver d'un parlement mondial. Ils ont raison si on l'imagine pour demain matin. Mais qui aurait dit, en 1947, que, à peine trente ans plus tard, il y aurait un parlement européen élu au suffrage universel ? Il y a des bases pour ce parlement mondial. Je pense par exemple aux nombreuses instances parlementaires qui voient le jour. Notez cependant que ces instances n'existent pas dans les milieux économiques et financiers. Il n'y a par exemple pas d'assemblée parlementaire des pays membres du FMI ou de la Banque Mondiale. Il y a eu une première tentative à Seattle pour créer une assemblée parlementaire des pays membres de l'OMC. Aujourd'hui, à la réflexion, il ne me semble pas que cela soit une bonne idée. En effet, les pays moins développés pourraient considérer cette structure comme un club de pays riches. En revanche, l'union interparlementaire, qui a l'avantage d'être la plus ancienne, puisqu'elle a été créée en 1889, et d'être la plus globale, puisque tous les pays qui comptent un parlement s'y retrouvent, peut se saisir de la question de la régulation mondiale, ce qu'elle est justement en train de faire. D'ailleurs, les 8 et 9 juin prochains, le premier colloque entre l'union interparlementaire et l'OMC aura lieu. J'avais été mandatée par l'Assemblée nationale pour préparer cette réunion.

L'Union interparlementaire a beaucoup été critiquée et parfois cela était assez justifié. Mais, pour peu qu'elle crée des commissions chacune chargée de suivre une institution internationale, elle fera émerger la notion du pouvoir parlementaire, au sens démocratique du terme. Ainsi, de même qu'il existe un embryon - au sens de structure partielle - d'instances décisionnelles avec le Conseil de Sécurité des Nations Unies, d'instances juridictionnelles avec la Cour internationale de Justice, la Cour pénale internationale, ou même l'organe de règlement des différends de l'OMC, il existe des embryons d'un parlement mondial. Cette utopie-là me plaît et c'est la raison pour laquelle je m'y investis beaucoup.

· Intervention de M. Jean-Claude LEFORT, député, président du groupe d'amitié France-Mexique

La régulation internationale comme nouvelle frontière pour les parlements ne constitue pas pour moi une interrogation, mais plutôt une réponse, une exigence. Sur ce sujet, notre pays, notre parlement, souffre d'une crise de modernité, qui entraîne en cascade une crise de légitimité accentuant le discrédit qui frappe trop souvent la politique.

Observons, dans un premier temps, la manière dont est régi le système actuel d'insertion du parlement dans cette régulation internationale. L'article 53 de la Constitution accorde au parlement le pouvoir de ratifier en bloc les traités, y compris commerciaux, ou de les rejeter en bloc. En 1958, date de la Constitution, l'Europe n'en était qu'à ses débuts et la mondialisation n'avait pas connu cet essor irréversible. Notre Constitution s'est amendée, s'agissant des questions européennes, en ajoutant un article 88-4, qui permet que notre parlement examine ou donne son avis sur les actes en provenance de Bruxelles qui ont des conséquences législatives. Mais il s'agit d'un avis, qui plus est a posteriori. D'ailleurs, vous avez constaté comme moi que le sommet de Nice, qui a accouché du traité de Nice mais également de divers autres documents, indique que l'une des quatre grandes questions mises en débat pour le prochain traité concerne la place des parlements nationaux dans la construction européenne.

S'agissant de la mondialisation, alors que le nombre d'organes s'en occupant de manière directe et parfois contestée a proliféré à travers la planète, notamment depuis 1995 avec la création de l'OMC, on observe que le parlement n'a aucun pouvoir d'interférence, pour peser pendant les négociations. Je ne prendrai qu'un exemple célèbre pour illustrer mon propos : l'accord multilatéral pour l'investissement (l'AMI) discuté au château de la Muette - qui porte si bien son nom ! -. Depuis 1995, dans le dos des parlementaires, des gens se réunissaient et discutaient d'un accord extrêmement important, qui consistait en vérité à accorder aux multinationales tous les droits et aux États tous les devoirs. Il a fallu que la société civile nous alerte sur l'existence de telles négociations pour qu'en 1998 et donc trois ans plus tard, l'Assemblée s'en saisisse et, notamment en France, fasse échouer ce projet.

Cet exemple montre que l'on assiste à un triple phénomène. Premièrement, la diplomatie classique, qui est très importante et possède ses propres règles, trouve, dans les conditions d'aujourd'hui, rapidement ses limites en ce qu'elle est submergée par une multiplicité de sujets, qui concernent aussi bien le Quai d'Orsay que Bercy. Deuxièmement, la technocratie, qui a aussi sa légitimité, remplit l'espace dégagé par l'exécutif. Troisièmement, du fait de l'absence des parlementaires, on observe que d'autres acteurs, qui mènent bien des combats positifs, remplacent tout l'espace laissé vacant par le politique et se retournent contre lui. Au final, le politique, qui est censé représenter l'intérêt général, est rongé par l'économique, la technocratie et des mouvements qui ont toujours leur utilité mais qui ne représentent pas l'intérêt général. C'est pourquoi je milite pour modifier cette situation. Il nous faut créer des lieux, à l'Assemblée nationale et au Sénat, où les parlementaires peuvent suivre ces questions et peser en amont des décisions. Vous savez sans doute que le mandat du commissaire européen aux négociations de Seattle résultait d'une discussion au Conseil entre les pays membres. La France a fait figure d'exception à ce niveau puisque deux débats à l'Assemblée nationale et un au Sénat ont eu lieu pour définir le mandat du commissaire. Mais c'est un cas exceptionnel. Il faut absolument, pour pallier cette crise de modernité qui affecte la légitimité du politique et qui atteint dans son fondement la politique elle-même à travers la société, redonner toute sa place au parlement dans les négociations qui concernent la vie des gens et des peuples.

· Intervention de Mme Danielle BIDARD-REYDET, sénateur

Intervenant en fin de colloque, je me contenterai de faire quelques observations et de donner quelques exemples.

Je crois qu'il faut vraiment insister sur la position des parlementaires, qui se trouvent à la croisée des chemins entre les institutions et la société civile et au carrefour entre le choix de leur gouvernement et leur espace de liberté, de créativité et d'autonomie. En France, mais ailleurs également, on évoque une crise politique et la difficulté des citoyens de percevoir les enjeux.

Longtemps - et je ne suis pas sûre que cette époque soit terminée -, les relations internationales ont été dominées par ce que j'appellerai le droit des plus forts. Les plus forts, plus ou moins intelligemment, procèdent par faits accomplis et élaborent, qui plus est dans un certain secret et sans la participation des citoyens, des propositions qui correspondent à leurs intérêts économiques, voire à leurs intérêts stratégiques. Il est impératif de réinvestir le secteur des grandes puissances, ce secteur économique et financier. Notre discussion d'aujourd'hui montre qu'il existe un champ intéressant et dans lequel nous pouvons intervenir.

M. Ivan LEVAÏ

Vous tenez compte, Madame, des deux faits nouveaux : le monde n'est plus bipolaire et la construction européenne a considérablement avancé.

Mme Danielle BIDARD-REYDET

Bien sûr. Je suis persuadée que les parlementaires ont un rôle différent à jouer dans ce nouvel ordre mondial, à construire sur une base inédite faite de valeurs démocratiques. Nous devons vraiment nous atteler à développer cette sphère, sinon les relations internationales continueront d'être régies par les intérêts économiques et la voix des peuples ne sera jamais entendue.

Tout à l'heure, nous avons parlé du Proche-Orient. Pour ma part, j'ai créé une association qui s'appelle « Pour Jérusalem ». Au Sénat, nous avons organisé beaucoup de réunions sur ce sujet, qui ont été perçues de manière positive par les personnes qui y assistaient. J'ai également conduit des délégations au Proche-Orient en tant que parlementaire mais également en tant que membre de l'association, et organisé des rencontres-débats dans les villes françaises qui le souhaitaient, avec une réelle volonté d'informer, de débattre et de trouver des solutions qui s'inscrivent dans une optique de recherche de la justice et ne soient pas imposées par le dominant ou le plus fort.

En conclusion, je dirai qu'il y a un travail en continu à fournir par les parlementaires, pour contribuer à construire des réponses qui ne sont certes pas évidentes mais en tous les cas indispensables. Pour répondre à la question posée par l'intitulé de la table ronde, je dirai que les nouvelles frontières dans les relations internationales et les missions des parlementaires, ce sont celles que les parlementaires se donneront eux-mêmes, d'une part en tenant compte de leur liberté d'action et, d'autre part, de la responsabilité qu'ils pensent absolument indispensable.

M. Ivan LEVAÏ

A propos de l'article du Monde évoquant la recherche par Matignon d'un conseiller anti-mondialisation, je préciserai que ce serait M. Schrameck qui aurait annoncé cela à M. Aguitton, représentant d'ATTAC et auteur d'un livre intitulé Le monde nous appartient. M. Legendre, le monde appartient-il aussi aux parlements ?

· Intervention de M. Jacques LEGENDRE, sénateur, secrétaire général parlementaire de l'APF

Évidemment, et j'aimerais introduire mes propos par plusieurs de mes convictions profondes à propos du travail du parlementaire. Le parlementaire doit, d'une part, être celui qui vit la proximité de ses électeurs et qui la traduit au parlement et dans la loi. Il doit, d'autre part, dans son travail, porter un certain regard sur le monde qui est en train de se modifier, avec des effets rapides sur la proximité. Il doit le dire à ses électeurs de manière à ce qu'il n'existe aucune ambiguïté. Ainsi, quand nous nous intéressons à ce qui se passe au-delà du canton, de la circonscription et du pays, nous faisons aussi notre travail.

Par ailleurs, je crois que la nouvelle frontière dont nous parlons est à la fois pour les parlements et pour les parlementaires. En conséquence, les parlements doivent de plus en plus s'organiser, envoyer des délégations qui constituent elles-mêmes des assemblées chargées de suivre ces nouvelles structures qui vont peser sur nos vies et qui se mettent en place. Je suis moi-même représentant du Sénat au Conseil de l'Europe et à l'Union de l'Europe occidentale et je peux témoigner que des discussions et des décisions importantes ont lieu en ce moment en matière de défense. L'existence ou non d'une défense européenne, c'est un point important pour chacun d'entre nous. Il y avait jusqu'ici une assemblée parlementaire à l'Union de l'Europe occidentale ; elle est peut-être en train de disparaître. On risque de voir ces questions de défense être essentiellement traitées par des spécialistes, des techniciens et des diplomates, parce qu'elles ne sont pas encore de la compétence du parlement européen et parce qu'il n'y aura plus d'assemblée parlementaire spécialisée pour les suivre. Il faut absolument s'en informer et éventuellement dénoncer cet état de fait.

Je suis également secrétaire général de l'Assemblée parlementaire de la francophonie. Il faut savoir que la francophonie s'est d'abord construite autour de nos chefs d'État et de gouvernement. C'est tellement vrai que, tous les deux ans, il y a un sommet des chefs d'État et de gouvernement de la francophonie ; cette année, il aura lieu en octobre à Beyrouth. Certains s'interrogent parfois sur les objectifs de ces sommets, notamment sur le volet de la démocratie. On voit d'ailleurs des ONG interpeller de plus en plus vigoureusement nos sommets de la francophonie. Je n'en suis pas choqué mais je me souviens d'une discussion récente avec M. Boutros-Ghali, le secrétaire général de l'Organisation internationale de la Francophonie, qui se demandait quelles ONG allaient être légitimement reconnues comme interlocutrices de la francophonie. S'il me semble normal que les ONG aient un rôle à jouer, je considère également que les parlementaires qui constituent l'assemblée parlementaire de la francophonie et qui sont élus par le suffrage universel sont des interlocuteurs légitimes.

Encore faut-il que ces parlements soient de « vrais » parlements. Il y a en effet des parlements nommés par le chef d'Etat, élus selon des méthodes qui ne laissent guère de place au hasard, et des parlements soumis très clairement à la loi du suffrage universel. Si l'on veut organiser une régulation qui soit celle de la démocratie internationale, il faut que les parlementaires qui auront à y participer, soit dans une assemblée spécialisée, soit chacun d'entre eux et au sein de leur parlement, en utilisant éventuellement les moyens de contrôle de chaque parlement, soient des parlementaires incontestables. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie, nous excluons sans tapage tout parlement qui n'est pas né d'une procédure constitutionnelle, reconnue, validée, et acceptée. Nous avons par exemple été amenés à suspendre le parlement du Rwanda, malgré le drame qui a frappé ce pays, ainsi que, plus récemment, le parlement constitué par M. Sassou N'Guesso à Brazzaville, parce que ce parlement de transition résultait d'une nomination du chef de l'État. Évidemment, de telles décisions embarrassent parfois nos ambassadeurs. Nous avons également suspendu le parlement de Côte-d'Ivoire car toutes les parties prenantes dans ce pays n'avaient pas été autorisées à participer au scrutin. Ces décisions ne sont pas toujours faciles à prendre mais nous pensons que nous rendons ainsi un service supérieur au pays, en maintenant cette ligne ferme.

Cela étant dit et à condition que nous soyons nous-mêmes des interlocuteurs peu contestables, je crois qu'il est de notre devoir de mettre en place des assemblées parlementaires qui, soit dans un secteur géographique, soit sur un thème donné, suivent de près les choses dans nos parlements afin que nous puissions ainsi assurer le suivi des nouveaux centres de pouvoir ou de régulation du monde.

En conclusion, je reprendrai une formule de La Bruyère : « tout est dit et l'on vient trop tard ». Je viens trop tard et je m'excuse pour ma brièveté !

Mme Béatrice MARRE

Pour me faire bien comprendre, j'aimerais préciser que je ne m'interroge aucunement sur l'existence du territoire à conquérir par les parlementaires ! J'ai d'ailleurs eu la surprise d'enfoncer une des frontières de ce territoire puisque, avec ma collègue Nicole Bricq, en 1998, nous avons été les premières femmes à entrer à la commission des finances de l'Assemblée nationale. J'ai donc à la fois conscience de ce territoire et de la possibilité d'en ouvrir les frontières.

M. Ivan LEVAÏ

Je vous remercie d'avoir été aussi positifs, pratiques, concrets et un peu rebelles. Vous avez bien montré que les parlements, les représentations nationales, procèdent très directement du peuple et, d'une certaine façon, jouissent s'ils le veulent de la même liberté que lui. Merci M. Legendre d'avoir rappelé en conclusion que les parlementaires pouvaient prendre des décisions courageuses, par exemple exclure un certain nombre de parlements qui n'en étaient pas vraiment.

S. Exc. M. Nestor KOMBOT-NAGUEMON, ambassadeur de la République centrafricaine

Dans mon pays, j'ai été député, ministre d'État et ministre des affaires étrangères. J'ai été convié à cette discussion sur la diplomatie parlementaire à titre d'ambassadeur et j'en remercie les organisateurs. J'aimerais intervenir pour évoquer le point de vue des PMA : nous attendons beaucoup des parlementaires français car la France est la terre des droits de l'homme et de la démocratie. Le 14 mai dernier, il y avait un colloque à l'OCDE sur le thème de la nouvelle économie, de la démocratie et de la mondialisation. Il y a été dit que 144 défis mondiaux avaient été inventoriés, dont la maladie, le sida, la pauvreté. Que faire pour les relever ? Le parlement français a déjà donné de bons exemples, par exemple en condamnant l'esclavage et en le considérant comme un crime contre l'humanité. Vous devez reprendre ce flambeau et, en ce début de millénaire, trouver comment relever ces 144 défis et impliquer les Nations Unies. Vous seriez alors admirés dans le monde entier. Nous vous faisons confiance et espérons que vous saurez sensibiliser vos électeurs au thème de la coopération décentralisée, qui peut être un atout fondamental dans la lutte contre le sous-développement.

M. Ivan LEVAÏ

Merci, M. l'ambassadeur, d'avoir conclu ce colloque par ces mots et le rappel de ces 144 défis.

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