La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble
Palais du Luxembourg, 28 mai 2003
Robert BUGUET Président de l'Union Professionnelle Artisanale
Je suis né dans le milieu rural, d'une vieille famille de charpentiers. En 1960, après des études secondaires plutôt brillantes, j'ai décidé de reprendre l'entreprise familiale avec mon père. On disait alors dans l'entourage : « le fils Buguet est fou. L'artisanat et la ruralité n'ont pas d'avenir. Donc, il est condamné à disparaître à brève échéance. »
Nous voici quarante-deux ans plus tard, et je suis prêt à faire valoir mes droits à la retraite, puisque j'ai bien quarante-deux ans d'activité. L'entreprise qui n'occupait que trois employés, en compte trente aujourd'hui. Je serai ainsi conduit vendredi à faire trente fiches de paye. C'est ça notre vanité. Notre ruralité se développe ; elle n'est pas vouée à la disparition.
Cette première entreprise de France représente 46 % du taux d'activité de la ruralité si on excepte l'Île de France. Or le taux de progression depuis ces dernières années est plus fort dans la ruralité que dans l'urbain. Sur la période 1998-2001, il y a des régions où la progression était de près de 2 %. Cette progression est même supérieure à 4 % dans les régions comme PACA, Languedoc-Roussillon ou l'Alsace. Elle est supérieure à 3 % en Corse, en Lorraine et en Normandie. La ruralité est donc un tissu qui se développe. C'est n'est plus un épiphénomène.
L'artisanat occupe une place importante dans cet espace. Il occupe aujourd'hui dans le monde rural pratiquement un tiers d'actifs de plus que le monde agricole. On a entendu tout à l'heure des chiffres selon lesquels dans les cinq ans, le monde agricole va perdre un certain nombre d'emplois. Dans le même temps, l'artisanat va devoir renouveler plusieurs milliers d'emplois. Il y aura probablement plus de 100 000 chefs d'entreprises en milieu rural et plus de 300 000 salariés. Ce sont des activités de service. À ce titre, le phénomène papy boom, va conduire naturellement à renouveler la main d'oeuvre. Tout comme nous avons créé un million d'emplois supplémentaires depuis quinze ans, nous aurons encore le devoir de créer un million d'emplois supplémentaires dans les dix ans qui viennent.
À la différence de l'arrière-grand-mère de notre ami Miquel qui y allait une fois par an, Mamy va plus régulièrement chez le coiffeur. Maintenant, c'est toutes les trois semaines et tous les quinze jours. Nos amis coiffeurs créent en solde positif de plus de 5 000 emplois par an depuis plusieurs années et ça ne s'arrête pas. C'est une réalité qu'on ne voit pas, puisque les médias et les grandes sociétés en ont perdu la vue. Il y a plus d'emplois salariés dans les entreprises de moins de vingt employés que dans les entreprises de plus de deux cents employés.
Dans les cinq à dix ans qui viennent, l'artisanat va devoir créer quatre fois plus d'emplois que le monde agricole qui est susceptible d'en perdre. D'où la nécessité de reformuler la problématique de l'avenir de la ruralité qui doit passer par autre chose que la pluriactivité. Nous proposons autre chose. Ceux des jeunes qui ne vont plus trouver la place dans le monde agricole peuvent en trouver dans l'artisanat. Ils ne vont de ce fait pas quitter le pays.
Les entreprises d'espaces verts se sont considérablement développées depuis dix ans. Les agriculteurs sont qualifiés pour devenir des responsables d'entreprises d'espaces verts, voire de petites entreprises de travaux publics. L'année dernière, le premier prix de Fondation AS Formation du bâtiment a été remis à un agriculteur de trente-cinq ans qui se reconvertissait dans l'électricité. C'est une reconversion réussie. Il n'y a pas de fatalité. Nous savons que nous aurons des problèmes, avec le phénomène papy boom, pour trouver la main d'oeuvre dont nous aurons besoin. Mais nous savons aussi que l'agriculture est un réceptacle. Les agriculteurs sont des gens qui ont l'habitude de se lever tôt et de travailler très dur.
Il faut cesser de faire du monde rural un ghetto social et économique susceptible d'avoir des soins palliatifs pour l'aider à disparaître. Le virage commence heureusement d'être pris et les paroles du ministre n'ont fait que le confirmer. Il faut arrêter les subventions et autres saupoudrages. Ce secteur doit être considéré comme une entité économique à part entière, à qui on applique les règles de la République comme à tout un chacun.
On a besoin des infrastructures indispensables de désenclavement. Ce n'est plus un problème de faire dix, vingt ou trente kilomètres de route. Elles sont inutiles sans voies de communication au bout. Chaque fois que ce type d'investissement est fait dans une région, les conséquences en termes de développement sont immédiates, par exemple les activités économiques qui se développent aux sorties des autoroutes.
Ma petite commune avait un feu rouge. En plus, il y avait deux passages à niveau. Nous payions donc à la fois pour le passage et le feu rouge. Depuis qu'on a fait la rocade, tous les jours, on gagne au minimum trois quarts d'heure de travail effectif. Ce chiffre multiplié par trente salariés et deux cents jours de travail constitue un gain substantiel. Ce même chiffre multiplié par le nombre d'activités peut donner une certaine idée de l'importance des infrastructures en milieu rural.
Une autre piste de réflexion, c'est l'habitat, qu'il faut entretenir. Et on peut perdre espoir quand on voit nos pouvoirs publics réduire les crédits de l'AHNA. Est-ce qu'il est sain et raisonnable de boucher certains trous du budget au détriment de notre habitat ? Si on veut avoir demain des gens dans la ruralité, il faudra qu'il y ait un habitat de qualité.
Le dernier point de réflexion, c'est la forêt. Je suis dans un milieu forestier coincé entre les Vosges, entre les Résineux et la Haute-Marne. J'ai une entreprise de charpente. Est-il normal que je sois contraint d'importer plus du tiers du bois que j'utilise de la forêt noire allemande parce qu'on a su valoriser à travers les lamelles, les collés et les contre collés etc., des bois de qualité et moins chers qu'en France ? Ce problème se pose au détriment des propriétaires et des communes forestières.
Pourtant, nous avons à développer toute une filière. En France, en matière de bois, nous avons la matière première, mais nous manquons de matière grise et singulièrement d'investissement. En 1999, la tempête a mis en chape une bonne partie de la forêt, on l'a laissée sur place et on a continué à importer de l'acier pour continuer à construire des bâtiments métalliques. Tout ça au détriment de l'activité économique et de la richesse. Si tous ceux qui sont propriétaires de forêts ne la valorisent pas comme ils le devraient, c'est toute une filière, toute une richesse, des emplois et toute une activité qui est laissée en friche.