La ruralité,un atout pour demain à défendre ensemble
Palais du Luxembourg, 28 mai 2003
Discours d'Introduction
Hervé GAYMARD Ministre de l'Agriculture, de l'Alimentation, de la Pêche et des Affaires Rurales
C'est évidemment avec beaucoup de plaisir que je viens m'exprimer devant vous aujourd'hui au Sénat, cette Assemblée des terroirs et des territoires. Ceci a lieu grâce à Ladislas Poniatowski, qui a eu l'heureuse initiative d'organiser ce colloque qui vient à point nommé. Il s'inscrit en effet dans le cadre de la concertation pour l'élaboration d'une loi de développement et d'orientation pour les territoires ruraux et plus généralement, du Comité interministériel d'aménagement et du développement du territoire rural que le Premier ministre présidera dans les derniers jours d'août et les tous premiers jours de septembre.
Je voudrais remercier Ladislas pour cette initiative. Je voudrais aussi le remercier pour le plateau prestigieux qu'il a réuni. Tout au long de cette journée, nous allons débattre avec des responsables professionnels, des responsables syndicaux, des élus, un historien prestigieux, Pierre Miquel, Laurence Parisot, qui connaît bien les questions de l'opinion publique et aussi la ruralité. L'exigence que nous avons, c'est d'avoir une approche globale.
Ce n'est d'ailleurs, cher Ladislas, pas un hasard si la haute Assemblée s'intéresse aux territoires ruraux. De par son mode d'élection et la qualité de ses membres, cette Chambre « du seigle et de la châtaigne » comme disait le Doyen Vedel à propos du Sénat, a toujours porté une attention particulière aux territoires ruraux, dont ses membres savent mieux que quiconque, le rôle essentiel dans l'équilibre de notre pays. Quelques-uns de ses membres les plus éminents, je pense en particulier à Messieurs Jean-Paul Amoudry, Jacques Blanc, Gérard César, Marcel Deneux, Gérard Bailly, et Jean-Paul Amoudry ont consacré, à différentes facettes de cette question, la politique en faveur de la montagne, la politique agricole commune, la situation de l'élevage, le vin, des rapports d'une très grande qualité, qui ont inspiré et enrichi notre réflexion. Je voudrais les remercier ainsi que les membres de la commission des Affaires économiques et du plan et de la délégation à l'aménagement du territoire et au développement durable du territoire dont je salue le président. Je voudrais également remercier le président Jean François-Poncet, lui-même auteur d'un remarquable rapport sur l'exception territoriale et lui dire tout le profit que nous avons d'ores et déjà retiré de sa lecture.
Et c'est vrai que tout ce travail qui est fait ici au Sénat de longue date, qui s'est beaucoup accéléré, amplifié et enrichi depuis une année répond parfaitement aux préoccupations du Président de la République. Il les a clairement exprimées le 13 avril 2002 à l'occasion d'un discours prononcé à Ussel sur l'avenir des territoires ruraux.
C'est dans cet esprit qu'il faut comprendre la décision prise dès la constitution du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin de confier au Ministère de l'Agriculture, la responsabilité des affaires rurales. C'est aussi dans ce contexte qu'en novembre dernier, moins de six mois après mon arrivée rue de Varennes, j'ai eu l'occasion de préciser, lors d'une communication au Conseil des ministres, les orientations que nous entendons poursuivre dans ce domaine.
Avant toute chose, j'ai voulu entendre « la voix souvent trop méconnue du réel », pour reprendre la belle expression de René Girard, pour mieux apprécier la nature des difficultés vécues sur le terrain, des initiatives qui s'y développent. J'ai en effet reçu les représentants des grandes associations d'élus locaux : l'Association des maires de France, l'Association des départements de France et l'Association des régions de France. Outre l'ensemble des organisations professionnelles agricoles, j'ai aussi consulté la plupart des organisations professionnelles qui participent à la vie économique du monde rural et en connaissent parfaitement les réalités. Ce sont notamment l'assemblée permanente des chambres d'agriculture, l'assemblée française des chambres de commerce et d'industrie, l'assemblée permanente des chambres de métiers, l'union professionnelle artisanale ou l'observatoire des métiers.
J'ai enfin souhaité recueillir les propositions des acteurs de la ruralité : le conseil national pour l'aménagement et le développement du territoire, l'association familles rurales, la fédération nationale des foyers ruraux, la fédération nationale pour l'habitat et le développement rural, l'association nationale pour l'amélioration de l'habitat, l'association nationale pour le développement de l'aménagement foncier, la fédération nationale de la propriété agricole et rurale, le groupe monde rural ou le conseil national de la montagne. Beaucoup de ces associations m'ont par ailleurs adressé des contributions d'une très grande qualité ainsi que chacun des conseils économiques et sociaux régionaux qui font un énorme travail dans nos régions de métropole et d'outre-mer.
Des groupes de travail largement ouverts, ont parallèlement travaillé sur des thèmes spécifiques : la pluriactivité, les groupements d'employeurs, les sociétés d'économie mixtes, l'agriculture de groupe, l'action sociale, la politique en faveur de la montagne et du pastoralisme, les services au public, la rénovation du patrimoine bâti ou la protection des espaces agricoles périurbains. Afin de compléter cette information, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, a bien voulu, sur ma proposition, confier une mission sur le volet économique et social du projet de loi à Yves Censi, député de l'Aveyron et que je salue chaleureusement ici. À côté des travaux du Commissariat général du plan, de la délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, de l'Institut national pour la recherche agronomique, ces différents rapports et auditions ont permis de dresser un portrait précis du monde rural et des politiques conduites en sa faveur.
S'agissant des domaines où l'État n'est pas seul compétent, comme l'a dit fort justement Ladislas Poniatowski, ce travail était par ailleurs nécessaire, pour distinguer les actions qui relèvent avant tout de la responsabilité de l'État de celles qui doivent être laissées à l'initiative d'autres secteurs. Il ressort de ces observations et aussi de ce que nous vivons tous dans nos territoires ruraux au quotidien que le monde rural a beaucoup évolué, et qu'il offre des visages multiples.
Depuis l'après-guerre en effet, nos campagnes ont connu d'importants bouleversements : exode rural, vieillissement de la population, désertification des campagnes, progression de la friche, enclavement des territoires. Beaucoup s'étaient résignés à l'idée que le monde rural devait ainsi se vider progressivement de sa population au profit des villes, comme si rien ne pouvait empêcher ce mouvement inexorable. Tout au plus, espérions-nous pouvoir le retarder. On persistait ainsi à opposer, dans la grande tradition du tableau de la France de Michelet, ou de Vidal de la Blache, une France urbaine dynamique à une France rurale, condamnée au déclin. Et nous ne manquons pas de lignes nord-sud, nord-est ou est-sud de radiales, de dorsales de diagonales, d'arcs en tout genre, cher Monsieur le Délégué à l'aménagement du territoire, ni même, si l'on y tient vraiment, de banane bleue pour nous expliquer que ces deux France sont condamnées à s'opposer, à se jalouser, ou pire encore, à s'ignorer.
Or que constatons-nous depuis quelques années ? Entre 1975 et 2000, l'espace rural a gagné près d'un demi-million d'habitants. Et nos compatriotes sont chaque année plus nombreux à rechercher dans la campagne une qualité de vie que les métropoles urbaines leur refusent. Ils n'y vont pas si souvent seulement pour la résidence secondaire, mais aussi pour l'activité principale, la vie, le travail et l'emploi dans la campagne. Dans le même temps, les territoires ruraux ont vu le nombre d'agriculteurs diminuer. Je sais que ce sera le thème de l'une de vos tables rondes. En revanche, l'agriculture et la forêt continuent d'occuper 80 % du territoire et conservent une importance que ne résument pas ces seuls chiffres : diversité des territoires, richesse de notre espace rural, rôle du monde rural dans l'équilibre de nos territoires. « La France se nomme diversité », comme l'écrivait Fernand Braudel dans L'identité de la France. Tous les vingt ou trente kilomètres, et c'est le génie français, un paysage cède la place à un autre. La réalité économique et sociale des territoires n'est pas davantage homogène.
Certes, les communes les plus isolées, souvent à dominante agricole et forestière ou situées en zone de montagne continuent à perdre des habitants. Beaucoup d'entre elles voient leurs espaces agricoles progressivement abandonnés et souffrent, comme ce fut jadis le cas au temps de l'électrification ou de l'adduction d'eau, d'une mauvaise connexion aux réseaux modernes de communication. Avec le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, cette coupure prend d'ailleurs une nouvelle forme, ce que l'on appelle « la fracture numérique », pour reprendre l'expression de mon ami Jean-Paul Delevoye.
Souvent, sous l'influence des centres bourgs, d'autres espaces, où l'activité entrepreneuriale est importante et où la population progresse, se développent et s'y créent des richesses. L'action des élus en faveur de leur développement économique est à cet égard souvent essentielle. Enfin, à la limite des villes, une part croissante des terres se trouve soumise à la pression de l'urbanisme, notamment commerciale et de la spéculation foncière. Il en résulte très souvent des conflits d'usage, et je vous remercie, Monsieur le Sénateur, de consacrer une autre de vos tables rondes à cette question majeure du partage de l'espace rural.
Comme vous l'avez dit également, depuis trop longtemps, le monde rural ne se trouve plus au centre des préoccupations et des politiques publiques. Et cette évolution est telle que beaucoup de Français qui y vivent ressentent parfois, à des degrés divers, un sentiment d'abandon. Dans les années 1960 et 1970, les premières politiques conduites de manière résolue par Michel Debré, Olivier Guichard ou Jérôme Monod, lorsqu'il était Délégué à l'aménagement du territoire, sont venues rééquilibrer notre territoire et conjurer le scénario de l'inacceptable, celui d'un déclin inexorable de nos campagnes. C'était d'ailleurs déjà sous la Quatrième République, le constat posé par Eugène Claudius-Petit.
À partir de 1975, la Communauté européenne s'est imposée comme un intervenant majeur d'une politique des régions financée par les fonds structurels. Dans les années 1980, les politiques de développement rural se sont poursuivies plutôt dans un cadre régional et décentralisé, l'échelon local apparaissant souvent comme plus pertinent pour la définition des besoins, la mobilisation des ressources et la programmation des politiques. Les premières lois de décentralisation accentuèrent cette prise en compte de la dimension locale dans les domaines de l'équipement, de l'investissement, de l'enseignement secondaire et de certaines politiques sociales.
Plus récemment, enfin, les politiques de développement et d'aménagement du territoire ont intégré la problématique du développement durable de façon à prendre en compte ceux qui vivent, mais aussi ceux qui vivront demain. Cette politique, engagée il y a maintenant quarante ans, a rencontré un certain succès. Mais au fil du temps, les approches et les intervenants se sont multipliés, les collectivités locales, les intercommunalités, les massifs, les pays ont mis en oeuvre des politiques, sans toujours trouver les dispositifs nationaux d'accompagnement souhaitables.
Il est donc temps aujourd'hui d'aller plus loin, de redéfinir une véritable ambition pour nos campagnes, et d'apporter une plus grande cohérence et une meilleure lisibilité à l'action de l'État dans ce domaine. Il est temps aussi qu'à cette diversité des ruralités, des acteurs et des situations, réponde une diversité des moyens d'intervention et, je serais à ce sujet attentif aux débats que vous consacrerez à la fracture rurale. Cette politique rurale n'a par ailleurs de sens que si elle est sous-tendue, Monsieur le président de la FNSEA, par une activité agricole vigoureuse. En effet, les agriculteurs demeurent, aux côtés d'autres activités créatrices de richesses, et je salue le président Guyau, comme d'ailleurs ils le souhaitent ardemment, le coeur battant de nos campagnes.
Mais le temps après le constat, doit être celui de l'action. J'ai cité le discours d'Ussel, et nous avons ce colloque aujourd'hui. Ce qui fait que, beaucoup de travail a été effectué. J'ai la conviction que cette politique doit être durable, et qu'elle exige continuité et détermination. Ce n'est pas un sujet de court terme. C'est un sujet de long terme de nos politiques publiques et le projet de loi d'orientation que nous préparons va dans ce sens. Au jour d'aujourd'hui, bien évidemment, ce projet de loi n'est pas rédigé. Ce colloque fait partie des jalons de cette préparation.
Mais je voudrais dire aujourd'hui, quels me semblent être les objectifs majeurs qui doivent guider dans la rédaction de ce projet de loi. Le premier axe, c'est le développement de l'activité économique, en favorisant les initiatives, en garantissant la solidarité nationale au profit des territoires les plus fragiles. L'État doit garantir la cohésion nationale et l'équité territoriale. Il doit assurer la solidarité nationale. L'on sait bien que dans des rapports récents, on nous dit que les dispositifs en faveur du monde rural obéissent très souvent à des logiques sectorielles, cloisonnées avec des mécanismes trop nombreux qui ne sont pas lisibles.
Avec mon collègue Jean-Paul Delevoye, nous avons constitué une mission afin de dresser le bilan des zones de revitalisation rurale, des territoires ruraux de développements prioritaires introduits naguère par la loi Pasqua. Il faudra que nous tirions les conséquences de l'existant pour améliorer encore les dispositifs en faveur de l'attractivité économique. L'État doit par ailleurs accompagner les initiatives locales pour améliorer la dynamique des projets et libérer les énergies. Nous devons simplifier les procédures, encourager les partenariats, apporter notre concours au développement local en soutenant les projets et en mutualisant les expériences innovantes.
Enfin, les partenariats entre professions, l'exercice de la pluriactivité qui est un sujet qui me tient à coeur seront encouragés. Ils sont particulièrement pertinents dans les espaces les moins peuplés, où l'offre d'emploi est faible et où la polyvalence est nécessaire. Nous devons toutefois prendre garde que le développement des territoires, comme l'a dit Ladislas, ne se décrète pas. Quand la société ne sait pas que faire d'un espace, elle est tentée de le traiter, comme écrivait, il y a longtemps, Edgar Pisani « par la norme, parce que celle-ci se substitue alors au projet. » Or l'État doit en ce domaine veiller à toujours faire prévaloir le projet sur la norme, car la maîtrise ne saurait se réduire à une technique. Cela doit être une politique ambitieuse.
Le deuxième axe, c'est bien évidemment, renforcer l'attractivité de nos territoires ruraux. On sait que nos villes, nos bourgs, nos cantons sont déjà attractifs et le sont de plus en plus. Et nous savons bien actuellement que du point de vue notamment des services, le maillage du monde rural est insuffisant. Il ne s'agit pas seulement des services publics, mais aussi des services au public dont a parlé Ladislas Poniatowski. Nous avons tous ensemble un défi très important à relever à ce niveau. Et sachez que sur ce sujet, tous les ministres sont sur le pont, et notamment sur les sujets sociaux. Mes amis et collègues Jean-François Mattei et Christian Jacob travaillent sur les sujets qui les concernent. On sait en effet qu'en matière sociale, nous avons encore beaucoup de travail à faire, y compris Hubert Falco pour les sujets qui touchent les personnes âgées.
Le troisième axe enfin, c'est aménager et préserver des espaces spécifiques ou sensibles. Le tiers des exploitations agricoles se trouve désormais localisé en zone périurbaine. Il n'est pas sûr que nous disposions de l'instrument foncier efficace pour protéger ces espaces, comme il en existe pour aménager les espaces urbains. Il est pourtant essentiel de protéger l'agriculture dans ces zones non seulement en raison de son importance économique, mais aussi pour sa contribution à l'entretien des paysages et des cadres de vie.
C'est pourquoi, des dispositions seront prises dont les détails seront arrêtés après une large consultation de manière à y maintenir une activité agricole, tout en maîtrisant l'étalement urbain et en favorisant une exploitation et une gestion plus rationnelle de la forêt. Diverses mesures seront également proposées de manière à favoriser le maintien de l'activité pastorale et celle exercée en montagne. À cette occasion, la loi pastorale de 1972 et la loi montagne de 1985 seront actualisées.
Voilà, mesdames et messieurs, les quelques éléments de réflexion que je voulais vous livrer au début de ce colloque. Avant de me dépêcher de rejoindre le Conseil des ministres, vous savez que je n'ai pas le droit d'être en retard, je voudrais faire, pour terminer, deux ou trois remarques. La première est une remarque de méthode. Nous sommes sur un sujet important et compliqué, parce qu'il y a en gros un constat unanime sur la situation telle qu'elle est et telle qu'elle a évolué depuis vingt ans. Mais moi, j'ai l'habitude de dire les choses franchement. Quand on rentre dans les détails des propositions précises, les choses, souvent, deviennent plus évanescentes. On est souvent dans le « y a qu'à » et le « faut qu'on ». C'est ma première réflexion.
Ma deuxième réflexion est que dans les différentes mesures que nous préparons, tout ne sera pas de niveau législatif, parce qu'il y a beaucoup de mesures qui sont de niveau réglementaire ou qui relèvent de simples instructions interministérielles. Il y a des mesures qui ne relèvent pas de l'État, mais de l'action des collectivités locales, des associations, des acteurs économiques et professionnels. C'est la raison pour laquelle avec Jean-Pierre Raffarin, et sous son autorité, nous avons retenu la forme du Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire. Il se tiendra dans l'un des derniers jours du mois d'août. Au cours de cette rencontre le projet de loi sera évidemment adopté, mais il n'y aura pas que le projet de loi.
Il y aura évidemment beaucoup d'autres mesures qui ne seront pas de niveau législatif. Je prends un exemple qui est un sujet majeur : l'habitat en milieu rural. Il faut faire des choses, et on fera des choses. Mais il n'y aura sûrement pas le mot habitat dans la loi, parce que ce que nous devons faire ne relève pas du niveau législatif. Ce qui ne veut pour autant pas dire qu'on s'en désintéressera.
La troisième réflexion de méthode est relative au mode de travail interministériel. Nous sommes dans un véritable travail interministériel. On sait que dans notre pays cloisonné, l'interministérialité est souvent difficile. Je sais que l'interconsularité a progressé entre les agriculteurs, les artisans et les commerçants. De notre côté, il faut aussi, il faut que l'interministérialité progresse. C'est la raison pour laquelle on aura une loi, qui sera la première de ce type, je crois, puisque c'est le ministère chargé des affaires rurales qui la pilote. Mais elle aura un certain nombre de parties différentes. Chaque ministre en charge de ces sujets interviendra pour défendre les différentes parties du projet de loi qui le concernent. C'est donc un travail nouveau. Cette loi sera relativement inédite, parce que nous n'aurons jamais eu de loi interministérielle de cette sorte.
Voilà les quelques remarques de méthode que je voulais faire sur ce projet de loi. Sur le fond des choses, je voudrais terminer, pour faire écho à certaines actualités qu'a évoquées Ladislas Poniatowski pour dire deux choses. Nous avons effectivement dans le cadre de la discussion permanente à Bruxelles sur la politique agricole commune depuis un an des débats extrêmement importants.
Je crois que là-dessus, il faut être très clair. Il y a une étape importante que nous avons traversée l'année dernière. Elle est passée relativement inaperçue parce que chacun sait que les trains qui arrivent à l'heure ne se remarquent pas. Cette étape, c'était le défi de l'élargissement. Quand nous sommes arrivés aux responsabilités l'année dernière, on nous expliquait savamment qu'il fallait choisir entre l'agriculture et l'élargissement, et que ça ne pouvait pas être les deux à la fois. Je crois que nous avons su prouver par une diplomatie agricole active, grâce au Président de la République, qui a négocié au plus haut niveau avec le Chancelier Schröder, que les choses étaient possibles. Nous avons aujourd'hui une visibilité sur dix ans du budget agricole européen que nous n'avons jamais eue auparavant. Et ce n'est pas du tout réduire la PAC à la portion congrue, puisque j'entends dire parfois « oui, bien sûr ; on va faire avec vingt-cinq, ce qu'on avait pour quinze. » Ce n'est pas le cas du tout.
Ce qui a été décidé à Bruxelles le 15 octobre de l'année dernière, ce sont trois enveloppes qui viendront s'additionner pour les quinze, pour les dix et une autre qui viendra, si le besoin est, pour la Roumanie et la Bulgarie. Nous avons donc une lisibilité budgétaire totale, et je dois dire inespérée de la PAC dans les années qui viennent. Alors, les sujets du jour, ce sont les discussions sur les revues à mi-parcours de la politique agricole commune. Aujourd'hui, personne n'est capable de dire quel sera le calendrier. Moi, je dis toujours je n'ai pas le calendrier. Et pour moi, le bon calendrier, c'est celui qui sera bon pour les paysans français et européens.
Depuis maintenant dix mois, la Commission s'entête. Les deux tiers de pays ont refusé la plupart des dispositions, notamment la principale d'entre elles, le découplage total des aides. Il provoquerait en effet encore davantage de désertification avec des territoires laissés à la friche et une concentration d'exploitations agricoles, avec des agrandissements qui ne sont pas, vous le savez bien, notre manière de voir le rôle de l'agriculture dans la société. Nous avons là un sujet très important, dont personne ne sait aujourd'hui quelle sera l'issue. Comme je le dis très souvent, encore hier à l'Assemblée nationale, la balle est très clairement du côté de la Commission européenne.
Enfin ma dernière réflexion porte sur les négociations de l'OMC. Nous avons aussi rendez-vous à Cancun, au mois de septembre, dans le cadre des négociations devant l'Organisation mondiale du commerce. J'ai été invité par les Britanniques à la fin du mois de janvier, à prononcer un discours d'une cinquantaine de minutes à Oxford, dans le cadre de l'Oxford Farming Conférence. J'ai réfléchi à ce que je devais dire. On a beaucoup travaillé sur l'importance de la ruralité, notamment par rapport à l'histoire britannique. Je leur ai dit : « vous n'avez aucune raison d'être contre la politique agricole commune, aucune raison d'être contre la ruralité, parce que votre pays est aussi un pays rural. »
D'ailleurs, ça tombait bien, parce que quelques semaines auparavant, il y avait eu plus de 300 000 manifestants dans les rues de Londres pour défendre la ruralité. C'est exactement le même sujet que nous avons au plan mondial avec l'Organisation mondiale du commerce. Il y a en effet une vision mondialiste des choses, massificatrice, dans laquelle les agriculteurs et les territoires ruraux constitueraient la variable d'ajustement d'une mondialisation aveugle.
Nous, nous pensons exactement le contraire. C'est-à-dire que les territoires ruraux, pour reprendre l'expression de Ladislas, sont modernes. Ils ont un avenir chez nous en France et dans les pays du Nord, mais également dans les pays du Sud. Et c'est là le sens de toutes les propositions qu'a faites le Président de la République il y a quelques mois devant le Sommet franco-africain en matière agricole. Pour assurer le développement agricole des pays du Sud, il faut bien évidemment maintenir la ruralité dans ces pays-là. On sait bien que dans ces pays-là, l'exode rural est une catastrophe absolue, puisqu'il n'y a pas le secteur industriel que nous avions dans les années 1950 et 1960 pour l'absorber. Cet exode produit donc des bidonvilles qui naissent autour des grandes mégalopoles africaines et qui ont toujours plus de misère et de pauvreté.
Nous devons donc être fiers de ce qui est notre vision de la ruralité. C'est n'est pas un débat passéiste, ringard et centré sur le passé. Nous ne regardons pas dans le rétroviseur. Nous ne sommes pas accrochés à des retours budgétaires de Bruxelles. Ce n'est pas le sujet. Je crois vraiment que nous devons incarner, et que nous incarnons une certaine idée d'une civilisation rurale qui fait honneur à notre pays et que nous devons partager au reste du monde.