Actes du colloque : vers de nouvelles normes en droit de la responsabilité publique



Palais du Luxembourg, 11 et 12 mai 2001

L'aléa médical

par Monsieur Jean-Pierre DUPRAT,

professeur à l'Université Bordeaux 4 * ( * )

Du fait de l'évolution jurisprudentielle récente dans le domaine de la responsabilité médicale, trois séries de problèmes sont débattus de manière privilégiée : l'étendue de l'information devant être délivrée au patient par le médecin, l'unification des solutions dégagées par les deux ordres de juridiction, s'agissant de la réparation des différents dommages subis à la suite d'un acte médical et, en relation avec ce problème, la détermination du fondement de la responsabilité dans un souci d'équité, quand il s'agit d'un accident.

Sur le terrain de l'information, une succession d'arrêts a conduit à stabiliser les solutions admises, dans le sens d'une extension des exigences, puisque le Conseil d'État a retenu que la survenance exceptionnelle d'un risque ne dispense pas de l'obligation d'information 1 ( * ) , le Commissaire du Gouvernement renvoyant à la théorie de la Cour de cassation de la perte de chance quant à l'établissement du lien de causalité 2 ( * ) . Toutefois, cette dernière s'efforce de préserver le médecin d'une charge excessive, par exemple en affirmant qu'il "n'est pas tenu de réussir à convaincre son patient du danger de l'acte médical qu'il demande" 3 ( * ) .

Dans ses divers aspects, la responsabilité médicale est le théâtre d'un jeu de miroirs, les cours suprêmes se renvoyant l'une à l'autre les solutions dégagées sur la base des techniques qui leur sont propres 1 ( * ) . Afin d'accélérer l'unification des solutions, une proposition de loi a même été déposée, visant à conférer au juge judiciaire la compétence exclusive pour connaître des actions en justice mettant en cause des établissements publics de santé 2 ( * ) . Pour aider à résoudre le problème difficile du risque médical, l'Inspection générale des services judiciaires et l'Inspection générale des affaires sociales proposèrent la création d'un fonds des accidents médicaux graves non fautifs 3 ( * ) .

De manière récurrente, les juges furent confrontés à la détermination du fondement de la responsabilité et aux implications que comporte le choix d'une réparation sur la base du risque, spécialement dans le cas d'événements de caractère épidémique, comme la propagation transfusionnelle du virus du VIH ou de l'hépatite c. Or, les avancées jurisprudentielles, dans le cas des risques individuels et non pas sériels, se produisirent après des échecs répétés d'initiatives de caractère législatif. En effet, il n'existe que des modalités limitées de réparation sur la base d'un texte : vaccinations obligatoires, avec la loi modifié du 1 er juillet 1964 (art. L. 3111-1 et s. CSP), don du sang, lorsque le dommage est subi par le donneur (loi du 2 août 1961, art. L. 1222-9 CSP), expérimentation sans bénéfice individuel direct avec la loi du 23 janvier 1990 modifiant celle du 20 décembre 1988 (art. L. 1121-7). Reste donc en suspens l'adoption d'un texte général assurant la réparation du risque médical.

Le caractère mouvant de la terminologie exprime de manière significative des interrogations quant au contenu à donner à la notion d'aléa médical 4 ( * ) et donc aux conséquences financières qui en dépendent sur le terrain de la réparation, ce qui conduit souvent à une objectivation de la responsabilité en matière médicale 5 ( * ) . Furent retenues successivement les expressions d'accident sanitaire ou thérapeutique, d'aléa thérapeutique, de risque médical et d'accident médical. Pour sa part, Mme LAMBERT-FAIVRE consacre la notion de risque médical 6 ( * ) . Si nous rejoignons cet auteur pour substituer le qualificatif médical à celui de thérapeutique, car ce dernier écarterait les actes diagnostiques, de recherche ou de prévention, le terme d'aléa nous paraît à conserver en raison de son fort contenu évocateur, même si une partie des effets visés ne sont pas totalement imprévisibles, comme cela transparaît de la jurisprudence BIANCHI. En outre, la notion d'aléa médical souligne de manière heureuse la rupture avec toute faute de la part de la conduite du médecin. De sorte que l'aléa médical renvoie à l'idée de fatalité, ainsi que le souligne M. CHABAS, employant d'ailleurs la terminologie ancienne d'aléa thérapeutique 1 ( * ) , de même que continue de le faire la Cour de cassation dans l'arrêt commenté 2 ( * ) .

L'étymologie qui renvoie au jeu de dés exprime bien cette idée de hasard dans la survenance de l'accident, même si l'existence d'une probabilité peut se constater, car ce qui importe c'est le caractère aléatoire pour la victime, l'imprévisibilité qui fonde la réparation sur le risque.

Cet élément central rend compte de la condition essentielle mise à la réparation sur cette base que représente l'absence de toute faute de la part du praticien. Toutefois, les solutions jurisprudentielles comportent des limites importantes qui rendent l'application de la solution dégagée par le Conseil d'État par l'arrêt BIANCHI restreintes, conduisant à rappeler ainsi le rôle essentiel que doit tenir la législation dans ce domaine.

I- L'ALEA MÉDICAL : UN ÉVÈNEMENT DOMMAGEABLE EXCLUSIF DE TOUTE FAUTE.

S'agissant de l'hôpital public, le Conseil d'État se détermine par rapport à l'idée de rupture de l'égalité devant les charges publiques 3 ( * ) , ce qui n'implique nécessairement que des risques individuels et non sériels, dans la mesure où prévaut une exigence de spécialité dans la détermination du dommage subi 4 ( * ) , afin de distinguer la responsabilité de la solidarité, dimension que nous évoquerons à propos d'une intervention du législateur.

Le système de responsabilité retenu dans le cas de l'aléa médical conduit à jumeler, au rejet de la faute, l'anormalité du préjudice subi, deux éléments qui se fondent dans l'idée de risque.

A- L'EXCLUSION DES COMPORTEMENTS FAUTIFS PAR LA JURISPRUDENCE.

Pour l'exercice libéral de la médecine, la relation contractuelle débouche logiquement sur l'idée de faute quand l'obligation contractuelle reste inaccomplie, ce qui est parfaitement compatible avec l'idée d'une obligation de moyens, fut-elle assortie dans certains cas d'une obligation de sécurité de résultat, comme pour la fourniture de sang par les centres de transfusion sanguine. La jurisprudence administrative, en dépit des apparences, a consolidé, par l'abandon même de la condition de la faute lourde, le fondement de la faute dans le cas de l'acte médical. C'est donc par référence à cette assise commune que se particularise l'aléa médical. S'il ne s'agit pas de déresponsabiliser les médecins, évolution que redoute le Conseil d'État avec le passage à un système qui reposerait tout entier sur le risque 1 ( * ) , il convient pourtant de faire sienne cette observation de M. EWALD, selon qui "... la médecine moderne, celle que nous pratiquons, qui rend des service tels qu'elle reste de fait plébiscitée par ses destinataires, est aussi une médecine dangereuse" 2 ( * ) . C'est donc la prise en compte de cet aspect qui, à défaut d'une législation appropriée, conduit le juge à retenir des cas de responsabilité sans faute, qui relèvent d'une logique d'aléa médical.

1. La distinction entre obligation de sécurité de résultat et aléa médical en exercice libéral.

Pour la juridiction judiciaire, alors que se trouve en cause une relation de caractère contractuel entre le patient et son médecin, une extension de la réparation passait par le rattachement de l'aléa médical à l'obligation accessoire de sécurité de résultat. Or, dans une affaire DESTANDAU-TOURNEUR, la première Chambre civile vient d'exclure de manière explicite des obligations contractuelles du médecin l'aléa médical : "... la réparation de l'aléa thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient" 3 ( * ) . Ce faisant, elle retient une des options présentée par M. SARGOS, qui évoquait les lourdes conséquences financières, pour le corps médical, de la solution qui consisterait à imposer au praticien une réparation sur la base du risque. Sur un terrain plus théorique, admettre cette possibilité aurait considérablement affaibli le système traditionnel de la responsabilité médicale fondée sur la faute, et donc le cadre d'une obligation de moyens.

Contrairement à certaines critiques avancées 4 ( * ) , l'extension réalisée par la Cour de cassation de la responsabilité, en se fondant sur une obligation de sécurité de résultat, accessoirement à l'obligation découlant du contrat médical, ne perturbe donc pas vraiment globalement le système de responsabilité établi sur la faute contractuelle. Au contraire, le refus d'étendre à l'aléa médical une telle obligation consolide les mécanismes d'ensemble de la responsabilité pour faute. M. le Conseiller SARGOS a clairement indiqué les enjeux, par référence à la différence induite du fait des techniques auxquelles recourent les deux ordres juridictionnels. Dans son rapport, il souligne ainsi les particularités qui existent entre l'obligation de sécurité de résultat, retenue par la Cour de cassation et l'aléa médical. En effet, la perfection visée dans le premier cas ne s'applique qu'à des situations précisément déterminées : port d'une prothèse, infections nosocomiales, utilisation de dispositifs médicaux de l'article L. 5211-1 1 ( * ) . À l'origine du dommage se trouve donc une défaillance du matériel ou du système de désinfection, alors qu'avec l'aléa survient un véritable cas fortuit, de même que l'obligation de résultat ne pèse pas sur l'acte médical lui même, mais sur le matériel ou les produits utilisés 2 ( * ) .

La clarification introduite par l'arrêt de la Cour de cassation du 8 novembre 2000 met ainsi un terme aux différentes tentatives faites par plusieurs cours d'appel pour étendre l'obligation de résultat à l'aléa thérapeutique. Une tentative de cette nature fut ainsi réalisée par la Cour d'appel de Paris, dans un arrêt du 15 janvier 1999, sur la base de l'arrêt BIANCHI du Conseil d'État : "le chirurgien a ainsi une obligation de sécurité qui l'oblige à réparer le dommage causé à son patient par un acte chirurgical nécessaire au traitement, même en l'absence de faute, lorsque le dommage est sans rapport avec l'état antérieur du patient, ni avec l'évolution prévisible de cet état" 3 ( * ) . Par son champ d'application, l'obligation accessoire de sécurité de résultat, même si elle met en oeuvre un système de responsabilité sans faute, renforce paradoxalement le fondement même de la faute s'agissant de l'acte médical proprement dit. Comme le relève Mme Lambert-Faivre, l'aléa "thérapeutique" joue le rôle du cas fortuit exonératoire, selon la caractérisation retenue par la Cour de cassation, dans l'affaire DESTANDAU-TOURNEUR, qui mentionne la survenance "en dehors de toute faute du praticien, d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé..." 4 ( * ) . Mais au regard de la solution consacrée par le Conseil d'État, la Cour de cassation établit bien une séparation nette entre un système de responsabilité pour faute, applicable à l'acte médical, sauf fait exonératoire et la responsabilité sans faute liée à des dommages provoqués par des matériaux ou produits utilisés par le médecin 5 ( * ) . Dans le premier cas, l'exonération de responsabilité résulte du caractère imprévisible et non maîtrisable de l'événement dommageable, donc de son irrésistibilité. Dans le contexte de l'arrêt, l'aléa "thérapeutique" n'est alors envisagé que de manière restrictive, par opposition à l'idée d'accident médical, ce qui soulève une fois encore le problème de la définition, qu'élude d'ailleurs la Cour de cassation, ainsi que le relevait M. DUBOUIS.

2. Faute, erreur, et aléa médical.

Chaque ordre juridictionnel s'efforce de consacrer des solutions conformes à l'équité, ce qui provoque d'ailleurs un rapprochement entre les deux ordres de juridictions, qui se constate aussi sur le terrain de l'information délivrée au patient, en jouant d'ailleurs d'un mouvement de bascule entre la recherche de l'aléa et l'obligation d'information. Il est vrai que les techniques juridiques mobilisées s'avèrent difficilement adaptables à l'objet médical et nécessitent des montages parfois complexes, comme l'est celui qui met en rapport l'obligation accessoire de sécurité de résultat et l'obligation conventionnelle du médecin, dans le prolongement de la jurisprudence Mercier, s'agissant de l'exercice libéral. Semblablement, A. DEMICHEL a montré, pour les deux ordres juridictionnels, les difficultés théoriques engendrées par la notion de perte de chance 1 ( * ) . Cependant, le fait que l'engagement de responsabilité mettant en cause un acte médical repose principalement sur la faute contribue à donner son unité et sa légitimité à l'ensemble du système, évitant ainsi le risque de déresponsabilisation de la profession évoqué ci-dessus, et auquel faisait référence le Conseil d'État dans son rapport sur le Droit de la santé. Chaque système de responsabilité comporte donc une épine dorsale qui en fortifie la consistance générale.

Dans le cadre de la médecine libérale, l'évolution a placé avec constance au premier rang la faute contractuelle, assortie de l'obligation de moyens 2 ( * ) , tandis que dans la décennie écoulée le Conseil d'État a simplifié et renforcé le dispositif de la responsabilité hospitalière du fait d'une faute simple commise à l'occasion d'un acte médical. Le commissaire du Gouvernement rappelait d'ailleurs cet objectif quand il s'efforçait de justifier la solution proposée, en analysant la portée de la qualification : "Il s'agit.... de faire passer la limite de la responsabilité pécuniaire de l'établissement entre d'un côté l'erreur isolée, la maladresse légère minimale explicable par une situation d'urgence - disons l'erreur non fautive - et de l'autre côté la faute, c'est à dire l'option ou le geste clairement contraire aux règles de l'art" 3 ( * ) .

Ce propos pose clairement la question de la distinction entre la faute et l'erreur médicale excusable, qui nous ramène à la logique de l'arrêt Mercier et de l'obligation de moyens. Plusieurs dispositions du Code de déontologie médicale insistent sur le niveau de connaissances auquel est tenu le médecin, en particulier l'article 32 qui se réfère à des soins "fondés sur les données acquises de la science". De même, l'article 33, s'agissant du diagnostic, fait obligation de recourir aux "méthodes scientifiques les mieux adaptées".

Derrière ces devoirs formulés en termes généraux, comme les décisions jurisprudentielles ayant eu à trancher des litiges relatifs à des erreurs médicales, se trouvent en cause des standards, correspondant à l'exercice normal de la médecine, tel que défini, par exemple, par les conférences de consensus. Bien qu'un arrêt de la CAA de Paris du 26 février 1998 (CHG Léon Binet de Provins) ait dénié tout pouvoir normatif à de telles conférences et donc une nature correspondante aux conclusions retenues, sans que soit résolue par ailleurs la question de la nature d'autres standards, comme les références, les bonnes pratiques et recommandations, ces différents documents concrétisent le contenu des données acquises ou actuelles de la science. Toutefois, spécialement lorsqu'il s'agit de l'exercice libéral, le juge garde souvent présent à l'esprit les conséquences pécuniaires des décisions à rendre 1 ( * ) . Ainsi intervient une distinction entre l'erreur proprement dite et les circonstances de son intervention, qui vont jouer le rôle d'un fait exonératoire. La tendance actuelle est, cependant, à retenir de manière plus radicale l'erreur en la considérant comme fautive, tout particulièrement dans le cas de la jurisprudence émise par la Cour de cassation. Longtemps, la distinction entre faute lourde et faute simple, dans le régime de la responsabilité hospitalière, avait pu conduire à minimiser la portée de certaines erreurs commises par le médecin. N'étaient retenus que les manquements faisant apparaître une véritable carence, l'exemple caricatural consistant dans l'oubli de corps étrangers dans l'organisme du patient, à la suite d'une intervention chirurgicale, lorsque celle-ci était pratiquée dans des conditions normales 2 ( * ) . De même, l'erreur de diagnostic ne devenait véritablement fautive que lorsque l'examen pratiqué s'était révélé être insuffisant, par contre l'absence de qualification de faute lourde dans le cas d'une simple erreur exonérait le médecin de sa responsabilité.

S'agissant du juge judiciaire, la maladresse ou négligence a pu être sanctionnée, à la fois au civil et au pénal, particulièrement lorsqu'il s'agissait d'un examen pratiqué sans nécessité. La responsabilité pénale est engagée lorsque la négligence se trouve associée à l'imprudence. Mais, ainsi que le relève Mme Ferrari, "l'erreur due à une compétence médicale médiocre ne constitue pas une imprudence ou une négligence" 3 ( * ) , seul le diagnostic "aberrant" représente une faute sanctionnée. Le juge administratif a retenu pour sa part une distinction comparable 4 ( * ) .

Or, les développements récents de la jurisprudence de la Cour de cassation paraît traduire une exigence renforcée quant à la sûreté exigée de l'acte médical, que l'on a pu particulariser par un "accomplissement qui présente des difficultés sérieuses et requiert des connaissances spéciales au prix d'études prolongées" 5 ( * ) . Ainsi deux arrêts du 23 mai 2000 (Le Sou médical et Dame Romme) ont-ils retenu la faute médicale à l'occasion de maladresses commises par un stomatologiste, provoquant le traumatisme d'un nerf sub-lingual et d'un chirurgien ayant sectionné une artère, alors que le patient ne présentait aucune anomalie 6 ( * ) , il prolonge ainsi la solution consacrée par la Cour de cassation, à propos du décès par hémorragie d'un patient à la suite d'une perforation d'une artère sous-clavière : "... la blessure... avait été le fait du chirurgien, de sorte que sa responsabilité était engagée..." 7 ( * ) . Ces décisions contribuent à renforcer la ligne séparant la faute, mais également l'erreur ou la maladresse, de l'aléa véritable. Cet aspect se trouve d'ailleurs particulièrement affirmé avec un autre arrêt de la Cour de cassation, du 30 septembre 1997, affirmant que "toute maladresse d'un praticien engage sa responsabilité et est par là même exclusive de la notion de risque inhérent à un acte médical" 1 ( * ) . Selon cette solution, l'erreur ou la maladresse reçoit une connotation fautive, sous réserve de la tolérance retenue dans le domaine du diagnostic.

L'aléa peut alors sans inconvénient majeur être assimilé à un risque et son approximation terminologique ne comporte pas d'effets négatifs quant aux solutions jurisprudentielles, dès lors qu'il apparaît que ce risque est l'aspect infortuné de l'aléa 2 ( * ) . Mais le caractère d'imprévisibilité qui s'attache à la réalisation de l'aléa, dans un cas déterminé, nécessite que soit mise en relief l'anormalité du préjudice.

B - L'ANORMALITÉ EXTRÊMEMENT GRAVE DU PRÉJUDICE ET LES CONDITIONS RESTRICTIVES D'APPLICATION DE LA JURISPRUDENCE BIANCHI.

Une rapide étude de l'application de la solution dégagée par le Conseil d'État dans l'arrêt d'Assemblée du 9 avril 1993 3 ( * ) , assurant la réparation d'un aléa médical, montre la modicité de la postérité de cet arrêt, d'autant que la Cour de cassation l'a écarté avec sa décision du 8 novembre 2000. Cette situation apparaît comme l'effet du cumul des conditions initialement retenues dans l'arrêt Bianchi.

1. La sévérités des conditions imposées à la réparation de l'aléa

La succession de deux arrêts retenant une responsabilité pour risque, dans le cas d'une thérapeutique présentant un caractère expérimental (CAA de Lyon, 21 décembre 1990-Gomez), puis d'un accident exceptionnel survenu à l'occasion d'une artériographie (arrêt Bianchi) firent penser à un mouvement favorable à la reconnaissance d'une responsabilité sans faute en matière médicale, à la charge de l'hôpital public, consacrant ainsi une attitude favorable à la réparation de l'aléa. Or, le cumul des conditions posés par le Conseil d'État rendait cette ouverture de porté restreinte 4 ( * ) .

Se référant à l'évolution de la responsabilité hospitalière et du caractère trop disparate et inopérant en l'espèce de la technique de la présomption de faute, le commissaire du Gouvernement dessinait ainsi l'épure générale de la solution p. 190. La rédaction de l'arrêt soulève des critiques que la lecture du rapport permet d'écarter, en particulier il convient de relever le passage par lequel M. Sargos explique le souci d'écarter "une certaine dérive", à propos des maladresses chirurgicales, les juridictions les considérant trop facilement comme relevant d'un "aléa exclusif de toute responsabilité".

proposée, sur la base des études déjà réalisées, en définissant donc le risque "thérapeutique" comme le "risque dont la survenance est exceptionnelle au regard du risque habituel du traitement, sans lien avec l'état de santé de la victime, et ayant des conséquences d'une gravité hors du commun" 1 ( * ) . Dans l'explicitation des conditions à une réparation sur la base de la responsabilité sans faute, M. Daël, particularise une fois encore la nature du préjudice : il "doit d'abord être extrêmement grave, hors du commun". Au regard des effets secondaires produits par les médicaments ou les traitements, il précise que "le degré de gravité ne peut être que très élevé". Au détours d'une phrase, il rejette d'ailleurs le risque sériel, car le préjudice ne doit être "supporté que par un nombre infime de victimes". Il s'agit donc d'une condition de spécialité renforcée qui ne vise que des victimes individuelles.

Sur le point de l'applicabilité de la solution au secteur libéral, le principe de solidarité sous-jacent, qui fonde le raisonnement de M. Daël, implique que le mécanisme de responsabilité retenu ne puisse jouer que dans le cadre hospitalier.

Mais l'élément le moins favorable à un développement de la jurisprudence Bianchi apparaît avec une condition sur laquelle le commissaire de gouvernement, quoique plus rapide, est cependant ferme : "... les conséquences de l'acte doivent pouvoir se détacher aux yeux du juge de celle de l'état initial du malade. La disproportion doit éclater entre cet état et les conséquences du remède, l'accident doit avoir créé une situation entièrement nouvelle, dont la thérapeutique est la véritable cause" 2 ( * ) .

Sur cette base, le Conseil d'État a donc énoncé sept conditions cumulatives, si l'on détache chacun des éléments énoncés : il faut un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement, qu'il présente un risque connu, mais de réalisation exceptionnelle, auquel il paraît que le malade n'y est pas "particulièrement exposé", que l'exécution de cet acte soit la cause directe du dommage, que ce dernier soit sans rapport avec l'état initial du patient, ni avec son évolution prévisible et qu'il présente "un caractère d'extrême gravité". Ce rappel des termes de l'arrêt n'a pour objet que de souligner à nouveau des exigences dont la satisfaction ne pourra intervenir que de manière exceptionnelle.

2. Une postérité restreinte

Ainsi déterminée, la jurisprudence Bianchi fut confirmée ultérieurement. D'abord à propos d'un décès intervenant à la suite d'une anesthésie générale, nécessaire à la réalisation d'une circoncision 3 ( * ) , les juridictions concernées ont repris à la rédaction de l'arrêt Bianchi, bien que certains auteurs aient décelé une application bienveillante, l'appréciation portant sur le caractère nécessaire de l'anesthésie et non sur la réalisation d'un acte de nature religieuse, considéré alors comme revêtant un caractère médical, malgré l'absence évidente d'une dimension thérapeutique, ce qui amena le juge à remplacer le vocable de "malade", par celui "patient" 1 ( * ) .

Une affaire récente, Centre hospitalier de Seclin, mettant en cause l'administration d'un produit pour la réalisation d'une anesthésie ayant entraîné un décès, paraît plus complexe au regard de ce qui fut un barrage particulièrement efficace au développement de la jurisprudence Bianchi, l'exposition à un risque du fait d'une prédisposition organique du malade. Le conseil distingue l'état que révèle l'accomplissement d'examens pré-opératoires et l'utilisation antérieure d'un même produit pour en déduire l'absence d'une telle prédisposition, alors que les examens post-opératoires montrèrent l'existence de cette dernière à la survenance d'un risque thérapeutique. Selon Mme Deguergue, le "dynamisme de cette décision, ne cantonnera pas longtemps la responsabilité pour risque thérapeutique dans un rôle subsidiaire" 2 ( * ) . Cette appréciation nous semble excessive, car ce qui est en cause concerne la situation pré-opératoire et l'accomplissement des examens que requièrent les connaissances actuelles de la science. En l'espèce, le précédent d'une anesthésie réalisée sans problème constituait un antécédent normalement pris en compte. Il ne nous semble pas que la légère ouverture pratiquée par le Conseil d'État soit une source d'extension du nombre des réparations effectuées sur la base d'une responsabilité sans faute. Généralement, l'accident thérapeutique présentant un rapport avec l'état du patient est prévisible et l'obligation relève ici de l'information du patient par le médecin. Ces situations expliquent la rareté des décisions favorables retenues par les cours administratives d'appel et la jurisprudence Centre hospitalier de Seclin ne nous paraît pas de nature à élargir considérablement les cas de réparation. À cet égard, la réponse négative de la Cour de cassation, avec l'arrêt Destandau-Tourneur, légèrement antérieure à l'arrêt du Conseil d'État ne peut permettre une évolution divergente trop affirmée, même si la solidarité est appelée à opérer par le biais de l'hôpital, dans le cas d'une responsabilité administrative 3 ( * ) .

Au delà de l'incidence de l'arrêt Bianchi sur la réparation sans faute de l'aléa médical, il convient d'observer également les effets indirects que cette jurisprudence a pu produire sur des aspects latéraux. Par exemple, le renforcement de l'obligation d'information du patient nous semble découler directement de la sévérité des conditions posées à la réparation de l'aléa. Ainsi, le libellé retenu par le Conseil d'État dans l'arrêt Telle est explicite : "la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation" 4 ( * ) . La rédaction retenue par le Conseil d'État est d'ailleurs proche de celle de la Cour de cassation dans l'arrêt Mme C.

- Clinique du Parc du 7 novembre 1998 1 ( * ) . Également, se situent dans la même logique, les tentatives de cours d'appel destinées à intégrer des cas relevant d'un aléa médical au mécanisme de l'obligation accessoire de sécurité de résultat.

Les avancées prudentes de la jurisprudence ne résolvent pas vraiment les difficultés apparues, principalement lorsque sont en cause des risques sériels, la réparation des dommages ayant dû faire intervenir la technique de fonds d'indemnisation, donc une solution législative. Celle-ci devrait dans la perspective d'adoption d'un texte de loi particulier, s'attacher surtout aux risques individuels, un grand nombre de cas relevant des risques sériels pouvant être traités sur la base de la loi du 19 mai 1998. Bien que la cas de la contamination par l'hépatite C puisse également être traité par un texte particulier, il resterait à vérifier les solutions relatives à l'indemnisation de l'aléa au regard des divergences jurisprudentielles.

II - LES INCERTITUDES DE LA PRISE EN COMPTE LÉGISLATIVE DE L'ALÉA MÉDICAL.

La plus immédiate réside dans le nombre relativement élevé des projets ou propositions visant à indemniser l'aléa médical, alors qu'aucun n'a jamais abouti 2 ( * ) . Normalement, cette question est actuellement retenue par les autorités gouvernementales et un projet de loi devrait être déposé à l'automne 2001 3 ( * ) . Ce faisant, un prolongement serait assuré aux réflexions entreprises par l'IGAS et l'IGS en 1999 4 ( * ) , même si les solutions concrètes en diffèrent et la relance de la discussion peut désormais s'appuyer sur les débats qui se déroulent parallèlement à l'étranger, particulièrement en Belgique 5 ( * ) . Surtout face aux tergiversations en ce domaine, le vote récent d'une proposition de loi déposée par M. Huriet contribue utilement à dégager des perspectives précises, marquées par une approche plus stricte du problème, notamment par l'exclusion de tout risque sériel, comme celui découlant d'une contamination par l'hépatite C., ce qui est une garantie de limitation de l'incidence financière de la réparation ainsi assurée 6 ( * ) .

Afin de rendre plus apparente la diversité des positions adoptées sur cette question douloureuse de l'aléa médical, il convient d'abord de retenir les propositions relatives à la nature du préjudice qui serait indemnisé, puis de montrer la diversité des solutions financières envisagées, fonds d'indemnisation, recours à l'assurance, sécurité sociale... Cette dernière dimension déterminant largement la consécration législative de la réparation de l'aléa médical, telle qu'elle est envisagée par les textes les plus récents 1 ( * ) .

A- LE PRÉJUDICE INDEMNISABLE : UN ACCIDENT MÉDICAL GRAVE ET NON FAUTIF

Si le développement rapide des connaissances scientifiques peut rendre obsolètes des dispositifs législatifs trop précis, il convient que la fixation d'un cadre général soit, cependant, utile et qu'il comporte des options claires 2 ( * ) . Les divergences terminologiques déjà évoquées ne sont d'ailleurs pas sans conséquence sur la charge financière liée à la réparation, alors même que les connaissances statistiques en la matière se révèlent fragiles 3 ( * ) . Mais la détermination du préjudice indemnisable est appelée à tenir largement compte de la jurisprudence établie et à mettre un terme aux divergences de solutions retenues par chacune des juridictions suprêmes sur ce point particulier, notamment du fait du récent arrêt de la Cour de cassation.

1. La nécessité d'une séparation tranchée d'avec l'acte médical fautif

Nous avons observé que la pertinence de la notion d'aléa médical se trouve largement conditionnée par le caractère non fautif de l'acte mis en cause, ce sont souvent des nécessités de gestion pratique des risques de la part des organismes d'assurances qui expliquent la prise en compte à la fois de l'accident fautif et non fautif, comme le montre clairement le projet de la Fédération française des sociétés d'assurances 4 ( * ) . En même temps, se trouveraient ainsi résolues, au dire, des représentants de cet organisme, les difficultés concrètes d'une discrimination entre acte fautif et aléa médical stricto sensu, bien que le problème puisse réapparaître dans l'aménagement de l'action récursoire s'agissant du premier.

Dans les différents projets analysés par M. Ewald, se signalent des éléments majeurs qui ont été consacrés ensuite par la jurisprudence, surtout administrative, du fait de la décision Bianchi. Ces textes préconisaient en effet de ne retenir qu'un dommage anormal, caractérisé par son imprévisibilité, d'une survenance exceptionnelle et sa gravité, le problème se posant alors de la nature cumulative ou non de ces différentes caractéristiques 5 ( * ) . Au delà les modalités d'examen du recours, comme de la réparation, répondaient à une grande variété selon les propositions considérées.

Ultérieurement, d'autres propositions reposaient fréquemment sur la prise en compte exclusive d'un acte médical non fautif, en relation avec un mode de réparation faisant intervenir un fonds d'indemnisation sur la base du principe de solidarité. Un avant-projet présenté par M. Kouchner, à la suite du dépôt du rapport Ewald, de même que les orientations retenues par M. Douste-Blazy, en 1993, reposaient sur ces principes, même si pouvait se trouver évoqué également le cas des accidents fautifs 1 ( * ) . On observera d'ailleurs que la jurisprudence des cours administratives d'appel illustraient fréquemment ce caractère d'exception, par l'indication chiffrée de la proportion des incidents au regard des cas traités par les médecins 2 ( * ) .

Parmi les propositions les plus récentes, malgré des divergences sur l'approche procédurale et les modalités de la réparation, prévaut également un traitement propre aux préjudices anormaux. Ainsi, la proposition de M. Evin distingue entre ces derniers, qui relèvent d'une indemnisation par un fonds spécial, tandis que les accidents liés à des actes médicaux fautifs seraient du ressort de la juridiction 3 ( * ) . Sur la base de mécanismes proches, une proposition de M. Serrou avait adopté une logique semblable 4 ( * ) .

Le rapport conjoint présenté en 1999 par l'IGAS et l'IGSJ sépare le cas des risques sériels de celui des risques individuels, réservant au premier un traitement particulier par application de la loi sur les produits défectueux. Les accidents non fautifs graves y sont définis comme étant à l'origine d'une IPP égale ou supérieure à 50 % et le principe de la réparation intégrale par un fonds d'indemnisation était également retenu. Le rapport séparait ce type d'accidents de ceux qualifiés de "non graves" n'ayant pas leur source dans une faute, qui seraient réparés par une assurance personnelle de la victime 5 ( * ) .

Plusieurs pays étrangers ont déjà réussi à appliquer un traitement particulier aux accidents médicaux, en particulier en Europe du Nord. Il est d'ailleurs intéressant d'observer que la modalité retenue par certains pays Scandinaves vise à réduire au maximum le coût de la transaction 6 ( * ) , mais il convient de rappeler que dans un pays comme la Suède le corps médical est généralement salarié, ce qui induit des logiques différentes d'un système mixte comme c'est le cas en France. Pour la Belgique, la réflexion en cours trouve sa cause dans les difficultés éprouvées par certains spécialistes à obtenir une couverture des risques par une compagnie d'assurances. Ainsi, les modalités envisagées de la réparation conditionnent largement l'architecture du système d'indemnisation de l'aléa médical.

2. Les modalités procédurales et indemnitaires

Les réflexions conduites sur la réparation de l'aléa médical se placent souvent du côté du patient afin de mettre en avant les exigences du principe de solidarité. Mais parfois elle renvoie à des situations de fait, propre à la profession médicale, notamment à la l'assurabilité du risque comme nous venons de l'évoquer. La résiliation des contrats à l'initiative des assurances laisserait, en Belgique, 2000 praticiens sans couverture de leur responsabilité professionnelle. Des difficultés semblables se rencontrent en France pour certaines spécialités, comme la gynécologie-obstétrique, et l'anesthésie-réanimation. Dans un tel contexte, il semble peu réaliste de se tourner vers les assureurs pour mettre en oeuvre un système de réparation de l'aléa médical, sauf à augmenter fortement les primes d'assurance et donc les coûts des prestations médicales supportées ultimement par l'assurance maladie, en dépit des mécanismes régulateurs. S'impose donc une logique de réparation par l'intermédiaire d'un fonds d'indemnisation, certains auteurs ayant même envisagés de constituer un ensemble large, prenant appui sur les mécanismes du Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme 1 ( * ) .

Ainsi que l'explique M. Pontier, la réparation collective, au nom de la solidarité nationale, est à la fois subsidiaire et nécessaire 2 ( * ) . La nature des risques concernés fait d'ailleurs préférer cette technique à celle de la réparation sur crédits budgétaires. Mais outre le quantum de l'indemnité versée, importent surtout les conditions de mise en oeuvre de la réparation, afin de préserver les conditions que nous avons posées comme cardinales, celles de la réparation intégrale du préjudice subi du fait d'un véritable aléa médical, à la fois non fautif et d'une exceptionnelle gravité, les autres cas relevant d'une logique d'assurance, malgré les difficultés éprouvées par certaines spécialités.

Or se dégage l'idée, retenue dans plusieurs propositions, de faire intervenir, de manière préalable, une instance consultative chargée de retenir ou non la qualification d'aléa médical et d'attribuer ainsi le dossier soit au fonds d'indemnisation, soit à la juridiction compétente 3 ( * ) . Le rapport de l'IGAS et de l'IGSJ se rattache à cette logique, bien que la procédure soit plus complexe du fait de l'intervention préliminaire d'une commission régionale ou interrégionale d'expertise qui oriente éventuellement la réparation par le fonds, l'offre d'indemnité étant établie par une commission nationale d'indemnisation, la juridiction compétente pouvant être saisie afin de se prononcer sur la qualification de l'accident médical 1 ( * ) .

Ces quelques rappels visent à constituer un arrière plan destiné à mieux apprécier les initiatives nouvelles, principalement la proposition de loi présentée par M. Huriet, votée par le Sénat.

B - LA PROPOSITION DE M. HURIET ET LES LINEAMENTS D'UN PROJET ANNONCE

Devant les nombreux reports d'une éventuelle discussion de propositions ou projets de loi en la matière et sans doute aussi en raison du retard pris quant au dépôt du projet de loi destiné à modifier les lois bioéthiques, M. Huriet a déposé une proposition de loi, qui a été adopté par le Sénat dans sa séance du 26 avril 2001 2 ( * ) . Au cours de celle-ci, M. Kouchner a pu réaffirmer la volonté du Gouvernement de faire débattre par le Parlement un projet de loi qui devrait être entériné par la Conseil des ministres avant les vacances prochaines 3 ( * ) . Il est donc intéressant de confronter les lignes de la proposition et les critiques adressées à celle-ci par le ministre.

1. La volonté simplificatrice de la proposition de loi 4 ( * )

Il convient de saluer tout d'abord le progrès terminologique que représente la consécration de l'expression "aléa médical", car elle recouvre l'ensemble des actes de la pratique médicale, notamment de nature diagnostique ou thérapeutique. Il serait vain de vouloir donner dans un texte l'énumération de ces actes, car le progrès médical implique des évolutions de la pratique, de même qu'il paraît difficile de caractériser le degré de gravité et de normalité du dommage causé, au delà des règles fixées par la jurisprudence. À cet égard, l'article 1 er de la proposition ne fait que synthétiser les conditions découlant précisément de la jurisprudence Bianchi de même, les compétences établies de chacun des ordres juridictionnels ne sont pas modifiés 5 ( * ) et la proposition maintient le principe de l'intervention préalable du juge pour fixer le montant du préjudice, sans qu'un plafond soit établi à la réparation, comme pouvait le prévoir la Fédération des assureurs. À cet égard, le recours fréquent à des barèmes pour le juge permet, avec le concours d'experts, de discriminer entre les dommages afin de déterminer ceux qui correspondent aux effets d'un véritable aléa médical. Le régime des infections nosocomiales est aligné sur celui de la responsabilité sans faute, avec imputation de la réparation aux établissements concernés, mais, élément semble-t-il restrictif, les organismes sociaux ne peuvent se retourner contre un établissement que sur la base de la faute prouvée 1 ( * )

Toutefois, la véritable originalité de la proposition réside dans la réparation intégrale du dommage par l'assurance maladie et l'organisation d'un collège de l'expertise en responsabilité médicale. M. Huriet voit dans le premier élément une cause majeure de simplification du dispositif, par rapport aux divers projets reposant sur un fonds d'indemnisation, estimant qu'il éviterait les lenteurs d'une procédure reposant sur l'intervention d'un fonds ou d'une commission de réparation. Comme la caractérisation de l'aléa dépend des rapports d'expertise et que des critiques sont souvent formulées en ce domaine, la création d'un collège chargé de sélectionner les experts en responsabilité, par leur inscription sur une liste nationale, viserait à garantir l'objectivité de cette désignation. Dans cet organisme, une représentation différenciée notamment par la participation de magistrats et d'associations de malades, devrait permettre d'éviter une trop grande proximité avec les spécialistes concernés. En outre, un second mécanisme est introduit avec la création d'une commission régionale ou interrégionale de conciliation, afin de favoriser le règlement amiable des litiges et donc les transactions entre usagers, professionnels et établissements de soin, mais uniquement dans le cas d'actes fautifs. Dans le même esprit, une disposition rend obligatoire l'assurance professionnelle pour les médecins, les sages femmes et les établissements de santé.

Cette proposition a rencontré des critiques émanant du ministre chargé de la santé qui peuvent aider à dégager quelques uns des traits du projet gouvernemental.

2. Les critiques ministérielles et l'empreinte d'un projet à venir

Bien que M. Kouchner n'ait pas dévoilé, à l'occasion de ce débat, le contenu de l'avant-projet, tel qu'accepté par le Premier ministre, quelques précisions apportées permettent d'apercevoir quelques uns des traits saillants. Alors que M. Huriet ne traite pas, volontairement, des risques sériels, surtout dans le cas de contamination par l'hépatite C, le ministre le lui reproche et en fait un des apports du texte gouvernemental 2 ( * ) .

En outre, la dimension juridictionnelle de la proposition est vivement critiquée, pour en venir à une solution plus classique reposant sur un fonds d'indemnisation 3 ( * ) , lequel devrait prendre en charge à côté de l'indemnisation de l'aléa, les frais d'expertise et, apparemment, certains aspects de la responsabilité du fait des produits. Également, revient l'idée d'une alimentation diversifiée du fonds d'indemnisation, avec notamment une participation des assureurs, en complément de l'apport assuré par l'assurance maladie. Devraient également être précisés les seuils de déclenchement de la réparation par le fonds.

Toutefois, un propos reste d'une compréhension plus incertaine, s'agissant de l'évocation du rôle attribué à une commission. En effet, un dispositif semblable avait déjà été imaginé dans la proposition Evin de 1998, qui lui faisait déjà jouer un rôle d'assistance et d'aiguillage des demandes, soit vers un fonds, pour un acte non fautif, soit vers le juge dans l'autre cas. Or, M. Kouchner évoque "un dispositif national et régional", qui pourrait annoncer une organisation consultative à deux niveaux.

Contrairement à certains auteurs, nous ne pensons donc pas que l'effort déployé par les juridictions pour prendre en compte l'équité dans le traitement de problèmes humains difficiles soit une source d'incohérence juridique, au delà du problème structurel du dualisme juridictionnel et, élément non négligeable, de la divergence des solutions concernant la réparation de l'aléa médical. Néanmoins, la perception par l'environnement social rend nécessaire une simplification des mécanismes que seul un texte législatif est à même d'apporter, résolvant du même coup le problème de l'harmonisation des solutions quant à la réparation de cet aléa médical. C'est dire l'intérêt qui va s'attacher à la présentation du prochain projet de loi devant intervenir en ce domaine.

* * Retenu dans un autre colloque, Monsieur le professeur DUPRAT a bien voulu nous adresser sa communication

* 1 CE 17 mai 2000 - Canas, note E. Savatier, JCP, 24 janvier 2001, II, 10462, p. 199, confirmant CE - 5 janvier 2000 - Époux Telle, RFDA, mai-juin 2000, p. 652.

* 2 Conclusions D. Chauvaux, RFDA, précité, p. 648.

* 3 Cassation - 1 ère civile, 18 janvier 2000 - Mme D. c/. Mme S., JCP 14 février 2001, II, 10473, p. 371, note A. Domster-Dolivet.

* 1 Sur ce point, la thèse de C. Clément - La responsabilité du fait de la mission de soins des établissements publics et privés de santé - Les Études hospitalières, Bordeaux, 2000, faisant apparaître à la fois les convergences et la persistances de solutions propres.

* 2 Proposition de loi de MM. Debré et Douste-Blazy, Doc AN, 22 juin 2000.

* 3 Le Monde 17 février 2000.

* 4 J.C. Baste - L'aléa médical : évolution du concept en droit public, in D. Truchet (direction) - L'indemnisation de l'aléa thérapeutique, Sirey, 1995, p. 20 et s.

* 5 D. Dendonker - L'information médicale face au dualisme juridictionnel - Revue administrative, n°°319, p. 79.

* 6 Y. Lambert-Faivre - Droit du dommage corporel, Dalloz, 1996, p. 630.

* 1 F, Chabas - Note sous 1ère civile - 8 novembre 2000 - Destandau-Touneur, JCP 21 mars 2001, 11, 10493, p. 605.

* 2 Dans cette affaire Destandau-Tourneur, la première Chambre civile précise :..." la réparation des conséquences de l'acte thérapeutique n'entre pas dans le champ des obligations dont le médecin est contractuellement tenu à l'égard de son patient". L'expression est également utilisée par M. Sargos dans son rapport (précité p. 603) qui donne la définition suivante :..." la réalisation en dehors de toute faute du praticien d'un risque accidentel inhérent à l'acte médical et qui ne pouvait être maîtrisé", voir les observations de L. Dubouis - Revue de Droit sanitaire et social, 2001, p. 55.

* 3 Réflexions du Conseil d'État sur le droit de la santé - EDCE, n°° 49, Documentation française 1998, p. 253.

* 4 Idem p. 253, avec la citation des conclusions de M. Daël sur l'affaire Bianchi.

* 1 Rapport précité p. 255.

* 2 Rapport de F. Ewald - Le problème français des accidents thérapeutiques, enjeux et solutions -septembre-octobre 1992, documentation française 1993, p. 103.

* 3 JCP 21 mars 2001, p. 604.

* 4 V. notamment l'étude de C. Radé - Réflexions sur les fondements de la responsabilité civile, D. 1999, chronique, p. 317.

* 1 P. Sargos - L'aléa thérapeutique devant le juge judiciaire, JCP 2 février 2000, I, 202, p. 190.

* 2 Première civile, 9 novembre 1999 - Havet-Delsart, D. 2000, p. 117,. note Jourdain, à propos de la table d'examen radiographique. Dans le cas des produits, il doit être tenu compte des effets de la loi du 19 mai 1998 concernant les produits défectueux.

* 3 CA Paris - 15 janvier 1999, JCP 1999, II, 10068, note L. Bloy.

* 4 V. Y. Lambert-Faivre - La réparation de l'accident médical - D. 2001, p. 572.

* 5 A cet égard, l'arrêt du 7 novembre 2000 - Polyclinique Saint Roch, rendu également par la l ère chambre civile étend de manière significative l'obligation de sécurité aux produits désinfectant dont l'usage est courant notamment dans la pratique chirurgicale - D. 2000, IR, p. 293.

* 1 A. Demichel - Médecine et Droit : bilan provisoire d'une cohabitation problématique -Mélanges JM Auby, Dalloz 1992, p. 718 ; J. Penneau - La responsabilité du médecin, Dalloz, 1996, p. 33.

* 2 Idem, p. 8.

* 3 Conclusions Légal - CE - Assemblée 10 avril 1992, M. et Mme V.

* 1 V. les observations de p. Sargos concernant les effets que l'admission de l'aléa thérapeutique produiraient sur le médecin libéral : JCP 2000, I, 202, p. 193. Également, C. Esper - Le dernier état de la responsabilité des hôpitaux publics -G.P., 12-13 juillet 95 - p. 5.

* 2 J. Montador - La responsabilité des services publics hospitaliers, Berger-Levrault, 1973, p. 58.

* 3 J. Ferrari - Le médecin devant le juge pénal - Cour de cassation, rapport 1999, documentation française 2000, p. 146.

* 4 Par exemple : CE. - 17 janvier 1986, Rec. p. 706 ( Clemens).

* 5 Conclusions sur l'affaire Rouzet -( CE 26 juin 1959 - AJDA, 1959, II, 273).

* 6 Observations Chabas - Droit et Patrimoine, n° 86, octobre 2000, p. 99. Il s'agit d'arrêts rendus par la 1 ère Chambre civile.

* 7 Première Chambre civile 7 janvier 1997, Rapport p. Sargos, note D. Thouvenin, D. 1997, J.

* 1 P. Sargos - L'aléa thérapeutique devant le juge judiciaire, précité, p. 192. Cette jurisprudence s'applique aux différents cas de perforation de membranes, sans que l'état du patient en ait favorisé la réalisation.

* 2 Sur la distinction aléa - risque : J. Saison - Le risque médical, L'Harmattan, 1999, p. 31 et 35.

* 3 F. Thiriez - La jurisprudence Bianchi : symbole ou réalité ? Droit administratif, janvier 2001, p. 9.

* 4 Rec. 1993, p. 127 avec les conclusions de M. Daël.

* 1 Idem p. 131.

* 2 Idem p. 133.

* 3 CAA Lyon - Hôpital Joseph -Imbert d'Arles, RFDA, janvier- février 1994, p. 99 et CE -Section 13 novembre 1997, Rec. p. 412, conclusions V. Pécresse, RFDA, janvier-février 1998, p. 90 et s. Mme  Pécresse calque le régime juridique de l'anesthésie générale sur celui de l'artériographie.

* 1 Chronique p. Bon, D. Bechillon - Responsabilité de la puissance publique, D. 1999, sommaires commentés, p. 46.

* 2 C.E. - 21 octobre 2000, Centre hospitalier Seclin, note M. Deguergue, AJDA, 20 mars 2001, p. 309.

* 3 V- les explications de Mme Pécresse : RFDA précité, p. 94.

* 4 CE Section, 5 janvier 2000, avec les conclusions D. Chauvaux, RFDA, 2000, p. 651.

* 1 Première chambre civile, 7 octobre 1998, JCP 1998, II, 10179, conclusions J. Sainte-Rose.

* 2 V. la liste établie par F. Ewald jusqu'en 1992 : Le problème français des accidents thérapeutiques, précité, p. 149 et s.

* 3 Toute une série de déclarations officielles affirmant la volonté d'inclure des dispositions spécifiques dans un projet de loi relatif aux droits des malades et à la modernisation du système de santé : extraits dans le rapport C. Huriet sur la proposition de loi relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale - Doc Sénat, 2000-2001, 19 avril 2001, n°°277 p. 16 et s. Également les Échos 17 avril 2001.

* 4 IGAS et IGSJ - Rapport sur la responsabilité et l'indemnisation de l'aléa thérapeutique -septembre 1999, voir analyse dans le Dictionnaire de bioéthique.

* 5 Libre Belgique - 7 février 2000, le Soir, 22 juin 2000.

* 6 Doc Sénat, 200-200 1, n°°221. Voir également Dictionnaire permanent de bioéthique -Bulletin 99, 12 mars 2001, p. 7603.

* 1 Sur ce point, les déclarations du sénateur C. Huriet - Concours médical, 10 mars 2001, p. 603  : "le Gouvernement a peur de s'engager pour des raisons financières".

* 2 Observations de H. Pauliat - Le risque thérapeutique et la responsabilité médicale et hospitalière sans faute - Petites Affiches, 13 juin 1994, p. 20.

* 3 Des études réalisées par les compagnies d'assurances permettent d'estimer à un doublement l'augmentation des indemnisations si les accidents médicaux non fautifs donnent lieu à réparation et sans doute à un quadruplement pour tenir compte de l'effet d'entraînement : J. Saison - Le risque médical, précité, p. 112.

* 4 M. Germond - L'indemnisation de l'aléa thérapeutique par les compagnies d'assurances, in D. Truchet -L'indemnisation de l'aléa thérapeutique, précité, p. 60.

* 5 F. Ewald, rapport précité, p. 78.

* 1 V. par exemple l'entretien de M. Kouchner donné au Journal Le Monde, 17 décembre 1992. Dans ce projet, s'agissant de responsabilité pour faute, le ministre prévoyait l'intervention d'un comité d'experts, avant toute instance contentieuse, afin de favoriser des solutions à l'amiable. De la même manière les dommages liés à un aléa médical auraient été dédommagés par un fonds après intervention de ce comité d'experts. La question aurait été alors ouverte de l'alimentation de ce fonds.

* 2 Des extraits significatifs sont donnés par M. Thiriez - La jurisprudence Bianchi.... précité, p. 9.

* 3 Proposition de loi relative à l'indemnisation des accidents sanitaires - Doc AN, 11 ème législature, 7 janvier 1998, n°°616.

* 4 Proposition de loi relative à l'indemnisation de l'aléa thérapeutique - Doc AN, 10 ème législature, 28 avril 1994, n°°1181.

* 5 Dictionnaire permanent, Bulletin n°°99, précité.

* 6 B.W. Dufwa - La responsabilité disparue, in G. Viney (direction) L'indemnisation des accidents médicaux, LGDJ, 1997, p. 58.

* 1 C. Radé - Brefs propos spéculatifs sur la réforme de la responsabilité médicale - Risques n°°40, décembre 1999, p. 117

* 2 J.M. Pontier - La prise en charge collective de l'aléa thérapeutique, l'État et les fonds de garantie, in D. Truchet, l'indemnisation de l'aléa thérapeutique, précité, p. 86.

* 3 Proposition Serrou, Une solution comparable était retenue dans la proposition Evin avec la commission nationale des accidents sanitaires.

* 1 Dictionnaire permanent de bioéthique, précité. On remarquera que la solution des commissions d'experts a été retenue en Allemagne comme une des alternatives présentées dans le cas des instances de médiation établies par l'Ordre des médecins.

* 2 J.O. débats Sénat, séance du 26 avril 2001, p. 1576 et s.

* 3 Idem, p. 1580. Le dépôt du projet de loi sur le droit des malades et la modernisation du système de santé paraît avoir été retardé du fait du changement de ministre délégué et précisément du fait de la volonté du nouveau titulaire d'aborder personnellement la question de l'aléa médical.

* 4 Proposition de loi relative à l'indemnisation de l'aléa médical et à la responsabilité médicale - Doc Sénat, 2000-2001, n°°221, 8 février 2001.

* 5 Ce texte se démarque donc de la proposition de MM. Debré et Douste-Blazy.

* 1 Dictionnaire permanent de bioéthique - Bulletin n°°99, p. 7603.

* 2 JO débat, Sénat, 2001, p. 1588.

* 3 Idem, p. 1584.

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