Actes du colloque : vers de nouvelles normes en droit de la responsabilité publique
Palais du Luxembourg, 11 et 12 mai 2001
AVANT-PROPOS
Sans conteste, il est vain de vouloir introduire des journées qui parleront d'elles-mêmes, tant furent riches les différentes interventions de nos collègues, toutes tendues vers la norme en Droit de la Responsabilité Publique.
Qu'il me soit simplement permis de les remercier, avec d'infinis égards.
Mon témoignage de reconnaissance ira aussi naturellement au Sénat qui nous a accueillis, toujours avec chaleur, au Ministère de l'Éducation Nationale et à l'Université de Paris 13 sans lesquels la publication n'aurait pu se faire.
Mais mon émotion part pour un autre monde. Il est dérisoire pour un modeste enseignant d'oser dire quelques mots du Doyen Vedel.
Pour tous ceux qui furent imprégnés par ses cours de Droit Administratif à la Faculté de Droit de Paris, où la finesse et l'élégance rivalisèrent avec la profondeur de l'esprit et qui ne virent d'autres destins, illusoires, que de tenter, fort maladroitement, de le suivre pour mieux le respecter, il restera le Maître. Sa voix pénétrante, et la puissance de ses écrits, feront tout l'Art du discours comme la pérennité de ses propositions.
Aussi, permettez-moi d'évoquer, en hommage, comme une indicible pensée, la carte par laquelle il acceptait, aussitôt, avec un humour sceptique dont rien ne saurait le départir, de présider une séance de ce Colloque.
G.D.
-I- L'ENCADREMENT GÉNÉRAL DU DROIT DE LA RESPONSABILITÉ DE LA PUISSANCE PUBLIQUE
Allocution d'ouverture
Par Monsieur Christian Poncelet,
Président du Sénat
Président de séance : Monsieur Pierre FAUCHON, vice président de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale du Sénat.
Mesdames et Messieurs les professeurs, Monsieur le représentant du président du Sénat - son directeur de cabinet Monsieur MEAR, que nous sommes heureux d'accueillir - Mesdames et Messieurs, nous allons donc ouvrir ce colloque que j'ai l'honneur, impressionnant d'ailleurs pour moi, de présider pour sa première demi-journée.
L'on sent une pointe de confusion. Je ne sais pas à quoi je dois cet honneur, mais en tout cas, je puis à tout le moins dire que je suis de ceux pour qui le mot même de responsabilité est peut être l'un des mots les plus éclairants que l'on puisse trouver dans notre droit. Soit qu'on le considère techniquement comme une source d'obligation, soit qu'on le considère, je dirais plutôt, politiquement comme le principe actif agissant dans les sociétés modernes, qu'il s'agisse de la vie privée ou a fortiori de la vie publique, qui va être le thème central de nos réflexions et des différentes communications qui vont se succéder.
Et qui vont s'ouvrir maintenant par l'intervention du président PONCELET, qui est retenu par des obligations en province, qui n'étaient pas prévues lorsqu'on a organisé ce colloque et imprimé le programme. Ce qui fait qu'on vous prie de l'excuser. Il a demandé à son directeur de cabinet, Monsieur Alain MEAR, de vous lire sa communication. À titre d'introduction, je lui donne la parole.
Monsieur Alain MEAR, représentant Monsieur le président du Sénat, Christian PONCELET
Merci Monsieur le président.
Monsieur le président de l'université de Paris 13, Monsieur le président Pierre FAUCHON, Mesdames et Messieurs les professeurs, Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs.
Monsieur Christian PONCELET, président du Sénat de la République, m'a chargé de vous présenter ses excuses de ne pas avoir pu honorer son engagement d'être parmi vous ce matin. Ses fonctions de président du Conseil général l'ont en effet impérieusement rappelé dans son beau département des Vosges, célèbre par sa ligne bleue. Il a souhaité que je vous donne lecture du message suivant afin de vous témoigner une nouvelle fois l'intérêt qu'il porte à vos travaux. C'est donc à partir de maintenant le président PONCELET qui parle par ma voix :
Chers amis, c'est avec un véritable plaisir qu'à la demande de Monsieur le professeur DARCY, j'ai accepté d'accueillir votre colloque au sein de cette belle maison. C'est en effet la vocation du Sénat, assemblée parlementaire à part entière et représentant constitutionnel des collectivités locales, mais aussi chambre de réflexions et de propositions, par nature ouverte sur l'avenir, d'accueillir des travaux de prospectives aussi riches et denses que promettent de l'être les vôtres. Permettre la tenue de débats de grande qualité constitue à mes yeux une part très importante de la mission qui incombe au Sénat et qui consiste à approfondir les questions, à ouvrir de nouveaux champs de réflexions, en un mot à nourrir le débat démocratique.
Je me réjouis qu'à l'occasion de ces deux journées, nos liens avec le monde de l'université puissent être renforcés. Je m'en félicite d'autant plus que l'université Paris 13 n'était pas jusqu'à présent, si j'ose dire, une habituée de notre assemblée. Je forme les voeux que cette rencontre soit le début, le prélude, d'échanges fructueux et réguliers entre nos deux institutions.
Vous avez choisi de traiter pendant ces deux journées de l'évolution du droit de la responsabilité publique. C'est un très vaste sujet, comme en témoigne d'ailleurs la durée de votre colloque, mais c'est également un sujet éminemment complexe puisque cette évolution est en train de se dessiner sous nos yeux. Sans vouloir traiter moi-même le sujet, ce dont je serais tout à fait incapable, je voudrais simplement vous livrer en quelques mots, les réflexions que le programme de vos travaux m'ont inspirées.
L'évolution du droit de la responsabilité de la puissance publique, depuis le début du XIX e siècle, se caractérise d'une part par un élargissement constant des cas de responsabilité et d'autre part par un assouplissement continu dans un sens favorable aux victimes des régimes de responsabilité mise en oeuvre. Pour reprendre le vocabulaire de votre collègue, Monsieur le professeur Michel PAILLET, qui doit intervenir cet après-midi, on peut dire que l'on est passé progressivement d'un système d'irresponsabilité atténuée - ce sont ses termes -à un mécanisme de responsabilité limitée pour parvenir à un régime de responsabilité épanouie.
En ce qui concerne les régimes de responsabilité, leur histoire est celle d'une objectivation progressive à travers, en premier lieu, le recul constant des fautes qualifiées pour les régimes fondés sur la faute simple et en second lieu de la multiplication, par la jurisprudence et le législateur, de présomptions de faute et de régimes de responsabilité sans faute, surtout ceux fondés sur un risque spécial de dommage. Cette évolution, qui fait une place croissante aux intérêts des victimes, a été, jusqu'à un certain temps, assez linéaire. Elle a en outre été voulue et maîtrisée par les deux acteurs traditionnels de la responsabilité administrative, à savoir la jurisprudence et le législateur national.
Il semble en revanche que, depuis 5 ou 10 ans, la responsabilité de la puissance publique subisse davantage qu'elle ne maîtrise d'autres influences. Il s'agit, à mon sens, en droit interne, d'une nette accélération de ce mouvement d'effacement des intérêts des administrations au profit de ceux des victimes. Il s'agit, sur le plan international, de l'apparition de sources nouvelles qui peuvent modifier ou perturber les règles classiques du droit interne.
En droit interne, tout d'abord, la libéralisation des conditions de mise en oeuvre de la responsabilité administrative qui - on l'a vu - s'est traduite notamment par l'abandon de la faute lourde au profit de la faute simple, touche désormais des domaines que l'on aurait pu croire à l'abri de cette évolution en raison de leur nature quasi régalienne. Je pense aux activités de contrôle exercées par l'administration : contrôle de la transfusion sanguine en 1993, contrôle de la légalité des actes administratifs des collectivités locales mis en oeuvre par le préfet, soumis par une Cour administrative d'appel à la faute simple en 1999. Je pense également à la toute récente décision de la Cour de cassation qui a - elle aussi - soumis la responsabilité de l'État à une faute simple du fait des dysfonctionnements de l'activité des tribunaux judiciaires. Cette accélération correspond à la demande des justiciables dont la pression légitime est chaque jour plus forte. En caricaturant, je dirais que tout se passe comme si nos concitoyens supportaient aujourd'hui de plus en plus difficilement que la réparation d'un préjudice et à fortiori, d'un préjudice corporel, soit soumise à la moindre discussion. Dans ce contexte, il est clair que les mécanismes de la responsabilité qui demeurent fondés sur la recherche d'un point d'équilibre entre deux types d'intérêts et avec, en matière administrative, le souci de l'économie des deniers publics, ne peuvent plus toujours, en dépit de leur évolution, suffire à satisfaire la demande du corps social.
C'est pourquoi le législateur évince désormais de plus en plus fréquemment ces mécanismes au bénéfice, au profit, de systèmes fondés sur la garantie sociale, chaque fois qu'une catégorie de victime jugée particulièrement digne d'intérêt apparaît ne pas pouvoir obtenir de réparation selon les principes classiques de la responsabilité. C'est ainsi que ce sont multipliés depuis les années 70, les fonds d'indemnisations. De celui destiné à indemniser les victimes de certaines infractions pénales au fond consacré aux victimes de contamination transfusionnelle par le biais du sida, jusqu'à celui qui sera prochainement créé en matière d'aléas thérapeutiques, il en existe aujourd'hui une dizaine. L'exception n'aurait-elle pas tendance à devenir, sinon la règle, du moins un quasi réflexe ?
Il existe également une autre manifestation du contournement des règles de la responsabilité administrative et des juridictions qui l'appliquent, c'est le recours à la voie pénale chaque fois que le fait dommageable peut être qualifié d'infraction. Ce recours pénal permet en effet d'obtenir une résolution plus rapide et moins coûteuse que devant le juge administratif. S'il y a condamnation, la réponse obtenue est d'autant plus satisfaisante pour la victime qu'un certain nombre de juridictions pénales statuent alors également sur les intérêts civils sans renvoyer au tribunal administratif. Il faut bien reconnaître que s'il le faisait, ce serait assez incompréhensible pour le justiciable. La tendance devenue quasi systématique du recours au juge pénal a -je l'espère - trouvé une limite raisonnable dans la loi récente du 10 juillet 2000 votée sur la proposition de mon collègue et ami Pierre FAUCHON, ici présent, et que je salue.
Ces phénomènes jusqu'ici qualifiés de marginaux ou de complémentaires par rapport à la responsabilité de la puissance ne sont-ils pas devenus - dans une certaine mesure - de véritables concurrents qui contraignent la responsabilité administrative à des évolutions plus rapides qu'elle ne l'aurait initialement souhaité ? C'est une question que je me pose. L'irruption dans les débats juridiques relatifs à la responsabilité médicale et à la sécurité sanitaire de la notion d'éthique et surtout du principe de précaution est certainement la traduction la plus récente de cette demande de garantie sociale aujourd'hui omniprésente.
En droit international, la responsabilité de la puissance publique connaît également un certain bouleversement. L'action politique des gouvernants, traditionnellement insusceptible de poursuites devant un tribunal, l'est désormais devant les juridictions pénales, y compris les juridictions étrangères en cas de dommage causé à des ressortissants étrangers. C'est ainsi, par exemple, que des juges d'instructions français enquêtent sur des crimes commis au Rwanda sur des rwandais par des fonctionnaires ou des hommes politiques rwandais. C'est ainsi également qu'un juge espagnol a engagé des poursuites contre PINOCHET, sans parler de la création prochaine du Tribunal pénal international.
Si cet aspect du droit international n'a pas d'incidence directe sur notre droit interne de la responsabilité de la puissance publique, il n'en va pas de même pour le droit communautaire et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. L'existence du droit communautaire a conduit le Conseil d'État à admettre la responsabilité de l'État pour faute, pour ne pas avoir transposé une directive communautaire alors qu'il fondait jusqu'ici ses décisions sur une responsabilité sans faute en matière de convention internationale. Cet effet, assez limité pour l'instant, pourrait s'amplifier en raison de directives récentes ou à venir dans des domaines administratifs comme les marchés publics ou l'environnement.
Enfin, la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme pourrait, lorsque les droits civils sont en cause, avoir également certaines incidences. Je pense notamment à notre système juridictionnel reposant depuis 1790 sur une dualité de juridictions. L'article 6 de la Convention ne conduira-t-il pas un jour à s'interroger sur l'impartialité, entre guillemets, du juge administratif, c'est une autre question qui se pose ? L'action conjuguée de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg et du désir de nos concitoyens de voir disparaître tout privilège de juridiction, au sens non juridique du terme, ou tout régime dérogatoire au droit commun, n'est-elle pas de nature à remettre en cause l'autonomie du droit de la responsabilité administrative, voire la compétence des juridictions administratives ?
J'espère que ces propos, volontairement provocateurs, nourriront vos débats. Je souhaite que ces débats, que vos débats, soient très fructueux et je vous remercie très vivement de votre attention que j'ai trop longuement sollicitée.
Monsieur Pierre FAUCHON
Merci à Monsieur le président du Sénat et à son excellent interprète pour cette introduction qui, comme vous l'avez observé, n'est pas seulement un propos de politesse et un propos formel, mais il a brossé à grand trait, à trait juste et prospectif quelques fois, le panorama des travaux et des réflexions de ces deux journées.
Nous entrons maintenant dans le vif de notre sujet et c'est Monsieur le président de l'université Paris 13, Monsieur POUCHAIN qui va bien vouloir intervenir pour nous présenter les travaux. Monsieur le président, nous sommes heureux de vous accueillir et de vous donner la parole.