L'évolution du rôle du Parlement dans le processus budgétaire
Palais du Luxembourg, 24 et 25 janvier 2001
2. LES PARLEMENTS NATIONAUX PEUVENT-ILS RETROUVER UN RÔLE EFFECTIF DANS LA POLITIQUE BUDGÉTAIRE ?par M, Allen Schick, Université du Maryland (États-Unis)
Deux phénomènes contemporains influent sur les travaux du Parlement dans le domaine du budget. Il s'agit d'une part des efforts déployés pour discipliner les finances publiques en limitant les montants budgétaires globaux et d'autre part, des efforts pour élargir le rôle du Parlement dans la politique en matière de recettes et de dépenses. Selon que ces évolutions se révèlent être complémentaires ou contradictoires, cela déterminera le rôle budgétaire des Parlements nationaux au cours des années à venir. Selon un scénario, le Parlement pourrait renforcer la discipline budgétaire en assumant la responsabilité des montants budgétaires globaux ; selon un autre scénario, il compromettrait la discipline en bombardant le budget présenté par le gouvernement d'amendements parlementaires qui auraient pour effet de réduire les recettes ou d'accroître les dépenses.
Les premiers éléments indiquent que l'on s'oriente vers la première voie mais l'histoire budgétaire et certaines recherches contemporaines donnent à penser que c'est l'autre scénario qui prévaudra. Dans plusieurs pays, le Parlement national vote à présent l'enveloppe budgétaire globale, en sus de son action traditionnelle concernant les recettes et les dépenses. Si cela est encore exceptionnel, il y a de bonnes raisons de penser que cette façon de procéder s'étendra à de nombreux pays au cours de la prochaine décennie. Les règles du type Maastricht et d'autres efforts déployés pour stabiliser les finances publiques pourraient pousser les gouvernements nationaux et les Parlements à encadrer les décisions budgétaires en fixant au préalable les montants globaux. Lorsque cela se produira, les travaux du Parlement en matière budgétaire se dérouleront parallèlement à ceux du gouvernement et cela pourrait se traduire soit par une plus grande coopération, soit par une plus grande rivalité entre les deux branches. Dans certains pays, la nouvelle responsabilité du budget global dont est investi le Parlement lui conférera une plus grande indépendance dans le domaine de la politique budgétaire ; dans d'autres, le Parlement se comportera davantage comme un partenaire que comme un adversaire. Il est probable que les relations conflictuelles prédomineront dans les régimes présidentiels et les relations de coopération dans les régimes parlementaires. Cependant, d'autres variables comme le système de partis pourraient intervenir pour inciter à la coopération au sein des gouvernements où le pouvoir est formellement divisé et susciter des frictions dans les pays où le pouvoir est formellement partagé.
L'activisme du Parlement peut conduire à une orientation entièrement différente, cependant - non pas à une plus grande discipline budgétaire mais à des budgets dans lesquels la pression en faveur d'un accroissement des dépenses et d'une diminution des impôts entraîne des déficits chroniques et une augmentation progressive de la part du revenu national dépensée par le gouvernement. Aussi improbable que cela puisse paraître aux défenseurs contemporains de l'activisme du Parlement, il en est allé autrement pendant des siècles et ce, dans de nombreux pays : le Parlement a volontairement cédé le pouvoir budgétaire à l'exécutif parce qu'il acceptait le point de vue selon lequel les parlementaires ne peuvent réprimer leur inclinaison politique à diminuer les impôts et à accroître les dépenses. Les Parlements ont confié le pouvoir budgétaire au gouvernement parce qu'ils n'avaient pas confiance en leur capacité de prendre des décisions financières responsables. Cette attitude est corroborée par d'éminents spécialistes qui établissent une corrélation entre la capacité du Parlement d'amender le budget et les résultats de l'exécution du budget. Par exemple, dans un rapport qui a une grande influence, publié par la Commission européenne, Jorgen Von Hagen a constaté qu'il existe des données empiriques solides à l'appui de l'hypothèse selon laquelle la limitation du pouvoir d'amendement du Parlement et d'autres règles renforcent la discipline budgétaire et se traduisent par des déficits et un endettement public relativement faibles. Il y a de bonnes raisons de contester cette conclusion, mais sa validité importe moins que son acceptation.
Bien qu'il existe des exceptions notables, les Parlements nationaux sont d'une manière générale plus actifs aujourd'hui en matière budgétaire qu'ils ne l'étaient au cours la période qui a suivi la seconde guerre mondiale. Une étude de l'OCDE de 1998 a fait apparaître que, dans plus de la moitié des pays sur lesquels a porté l'enquête, les Parlements jouent un rôle budgétaire plus important qu'il y a une décennie. De nombreux éléments témoignent de cet activisme parlementaire : création de nouvelles commissions investies d'attributions législatives ou de fonctions de contrôle ; augmentation du nombre des agents s'occupant des questions budgétaires ; fort accroissement du flux de documents relatifs au budget du gouvernement aux parlementaires ; et vigilance accrue des auditeurs indépendants ou parlementaires s'agissant de l'opportunité et de l'efficacité des dépenses. Toutefois, renforcer les capacités institutionnelles ne garantit pas en soi que les parlementaires adopteront une position indépendante à l'égard du budget. Pour ce faire, il faut aussi qu'ils aient la capacité politique de rejeter les éléments essentiels du budget présenté par le gouvernement.
Lorsqu'ils s'occupent de budgets et d'autres questions, les Parlements connaissent une tension entre l'intérêt personnel des membres qui est de promouvoir leurs carrières ou d'apporter des avantages à leurs électeurs et l'intérêt collectif de l'institution qui est de produire des textes législatifs solides et cohérents. En tant qu'individus, les membres tendent à favoriser la hausse des dépenses consacrées à des objets déterminés ; en tant que représentants de l'institution, ils ont pour impératif d'adopter des montants globaux prudents en ce qui concerne les recettes et les dépenses. De nombreuses variables influencent la manière dont les parlementaires résolvent ces pressions contradictoires, notamment la discipline des partis, le système électoral, les règles budgétaires et les relations entre le gouvernement et le Parlement. Du fait que ces variables diffèrent selon les pays, la façon dont le Parlement traite les questions budgétaires diffèrent également. Les Parlements du type Westminster résolvent généralement les tensions entre les différentes parties du budget et l'enveloppe globale en limitant sévèrement le pouvoir des parlementaires de modifier le budget du gouvernement ; les Parlements du type Congrès laissent en général à leurs membres une grande latitude pour réviser le budget et prendre leurs propres décisions concernant les recettes et les dépenses. Les Parlements européens se situent généralement entre ces deux extrêmes ; ils permettent aux parlementaires de modifier le budget mais limitent les changements qu'il est possible d'apporter à l'enveloppe globale.
Si le rôle des Parlements dans le processus budgétaire diffère, on peut discerner trois étapes dans leur évolution :
- conquête par le Parlement du pouvoir de lever l'impôt et d'autoriser les dépenses ; développement des moyens et processus gouvernementaux pour élaborer et exécuter le budget ; et
- mise en place d'une procédure budgétaire parlementaire.
Les deux premières étapes coïncident dans les pays qui n'ont adhéré à la démocratie que récemment ; elles sont séparées par des générations ou des siècles dans les pays qui possèdent une longue tradition démocratique. Dans ces pays, la première étape s'est déroulée dans le cadre des efforts entrepris pour bâtir un Parlement national indépendant ; la seconde s'est produite lors de la mise en place des institutions administratives. La troisième phase est en cours dans certains pays mais n'a pas encore commencé dans beaucoup d'autres. Elle pourrait ne jamais se produire dans les pays qui assignent un rôle passif au Parlement en matière budgétaire.
Ces différentes phases sont décrites dans la section ci-après. Mon objectif n'est pas de faire un historique du processus budgétaire mais d'éclairer les rôles actuels des Parlements démocratiques et d'expliquer les raisons pour lesquelles certains d'entre eux ne sont peut-être pas en mesure d'adopter une attitude plus active et plus indépendante. Les Parlements sont des institutions ancrées dans la tradition ; pour les amener à changer, il ne suffit pas de greffer des pratiques nouvelles sur les anciennes, mais il faut repenser leur place. Il en est assurément ainsi pour ce qui est des procédures parlementaires, car les nouvelles responsabilités doivent être adaptées pour tenir compte des procédures d'autorisation des crédits budgétaires existant de longue date et des relations politiques avec le gouvernement.
La Section 1 contient une étude des deux premières phases et explique les raisons pour lesquelles les Parlements nationaux - qui ont conquis le pouvoir en s'appuyant sur le principe qu'il était de leur ressort de contrôler les finances publiques - ont cédé l'initiative budgétaire au gouvernement, conférant ainsi aux ministres et aux fonctionnaires l'essentiel des prérogatives financières qu'ils avaient précédemment arrachées à la Couronne. À la Section 2, on analyse les facteurs qui ont affaibli de nombreux Parlements contemporains concernant la législation fiscale du processus d'autorisation des crédits budgétaires. La Section 3 examine les efforts récents d'un certain nombre de pays pour instituer des procédures budgétaires parlementaires. Cette évolution n'est pas encore achevée et son extension à des pays qui limitent actuellement l'initiative budgétaire du Parlement est problématique. La section finale présente les différents scénarios envisageables concernant le rôle futur des Parlements nationaux en matière budgétaire.
a) Autorisation des crédits budgétaires par le Parlement et budgets établis par l'exécutif
Certains Parlements nationaux, dont l'existence remonte à des centaines d'années, disposaient de pouvoirs financiers plus importants il y a des siècles que ce n'est le cas aujourd'hui. Cette anomalie est au coeur du débat sur le rôle budgétaire des Parlements contemporains. Pour faciliter l'explication, il convient de faire une distinction entre les autorisations de crédits et les budgets. Avant que les gouvernements ne préparent les budgets, les Parlements démocratiques ouvraient des crédits. Ce rappel historique est important pour deux raisons : premièrement, il indique que les Parlements ont exercé un pouvoir financier avant les gouvernements ; deuxièmement, il tend à montrer que les pratiques budgétaires se sont développées parce que l'action des Parlements est apparue comme un moyen inadapté de contrôler les ressources et les dépenses. Il existe des différences d'un pays à l'autre, mais le schéma est quasi universel : les Parlements autorisent des crédits, les gouvernements établissent des budgets. La présente section décrit l'histoire des autorisations de crédits et des budgets telle qu'elle s'est déroulée en Angleterre et en France, deux des premiers pays à imposer un contrôle par le Parlement des deniers publics. Ces pays ont dû lutter de la même manière pour limiter l'appétit de la Couronne en matière d'impôts et de dépenses, mais ils ont résolu le problème différemment. L'Angleterre a proscrit l'initiative parlementaire, ce que n'a pas fait la France. Chaque pays a servi de modèle à de nombreux autres pays, y compris à ceux qui n'ont jamais été dirigés par des monarques.
En Angleterre, la lutte pour la prééminence du Parlement remonte à la Grande Charte de 1215 lorsque le Roi Jean a conclu un pacte avec les barons aux termes duquel il s'engageait à ne lever aucun impôt sans leur consentement. Mais loin de régler la question, ce grand événement a marqué le début d'un conflit qui a duré presque cinq siècles entre la Couronne et les représentants du peuple. Le Roi possédait plusieurs avantages dans cette lutte : le fait que ses propres revenus étaient confondus avec les recettes fiscales, le pouvoir de réunir le Parlement et le droit affirmé de dépenser comme il le souhaitait. Toutefois, lorsque ses ressources étaient épuisées ou insuffisantes, comme en période de guerre, le Roi devait faire appel au Parlement pour reconstituer sa trésorerie. Au fil du temps, le Parlement a obtenu des concessions en échange de l'apport des ressources financières nécessaires. L'une de ces concessions a consisté à séparer les ressources de la Couronnes des deniers publics, une autre a été d'insister pour que l'argent ne soit dépensé qu'à des fins autorisées. Pour faire respecter leur volonté, les Communes ont mis au point la tactique consistant à voter les crédits vers la fin de la session, une fois que la Couronne avait déjà dépensé une partie de ses propres ressources. Dans la mesure où il ne pouvait pas être certain que des fonds lui seraient attribués, le Roi était incité à faire preuve de prudence dans la gestion des dépenses et à se plier aux volontés des Communes. Au fil du temps, cependant, ce moyen de contrôler les dépenses publiques a contribué au déclin du pouvoir du Parlement. En votant les crédits, alors que l'exercice financier était déjà en cours, le Parlement en est venu à approuver simplement des dépenses déjà engagées. Lorsque le gouvernement a remplacé la Couronne comme ordonnateur des dépenses, l'ouverture ex post de crédits est devenue un exercice mécanique plutôt qu'un moyen de contrôler les finances publiques.
Les Communes ont limité leur pouvoir d'une autre manière encore en adoptant en 1706 un Règlement intérieur qui, sous réserve de quelques modifications de forme, est toujours en vigueur aujourd'hui :
La Chambre des Communes n'acceptera de demandes de sommes d'argent pour un service public ni n'adoptera de motion qui la conduirait à se prononcer par un vote sur une subvention ou sur une charge imposée aux recettes publiques... que sur recommandation de la Couronne.
Selon Erskine May, l'éminent spécialiste du Parlement, cette disposition a codifié « la pratique constitutionnelle qui avait été instaurée bien avant l'adoption de ce règlement intérieur... c'était le résultat naturel des relations constitutionnelles entre la Couronne et le Parlement au moment où la pratique a été établie ». Dans la mesure où l'objectif de la législation fiscale était de restreindre les pouvoirs de la Couronne, cela n'aurait pas eu de sens pour les Communes de voter des crédits qui n'avaient pas été demandés. Avec le transfert du pouvoir financier de la Couronne au gouvernement, les Communes se sont retrouvées privées, de par leur règlement intérieur, du droit d'initiative en matière de dépenses et pour des raisons de Realpolitik, de la possibilité de refuser les fonds requis. Sa célèbre souveraineté financière a été réduite à un rituel vide.
En France, l'acquisition par le Parlement du pouvoir financier s'est déroulée à peu près selon le même schéma qu'en Angleterre, avec cependant quelques différences notables. Les monarques français ont insisté pour disposer du pouvoir de lever des impôts et d'engager des dépenses sans limite, tandis que les organes législatifs, composés initialement des classes privilégiées, mais élargis au cours des siècles de manière à représenter le peuple, ont affirmé leur pouvoir de contrôle des deniers publics. Pendant de longues périodes entre le 15ème et le 18ème siècle, le Roi a eu l'avantage parce qu'il convoquait rarement les États Généraux, qui constituaient l'Assemblée législative. De fait, cet organe ne s'est pas réuni une seule fois au cours des 175 années qui se sont écoulées de 1674 à 1789. Un autre facteur qui compliquait la situation tenait à la pratique du Roi consistant à confondre les deniers publics avec sa propre cassette. Le Roi n'avait aucun scrupule à cet égard car il revendiquait un droit absolu à utiliser tout l'argent comme il le souhaitait.
À la différence de l'Angleterre, où le pouvoir du Parlement s'est affirmé progressivement de manière essentiellement pacifique, en France il a fallu une révolution pour établir le principe selon lequel aucun impôt ne pouvait être levé sans le consentement de l'Assemblée nationale. À la différence de la Chambre des Communes qui a limité son pouvoir en matière financière, l'Assemblée nationale n'a pas limité son pouvoir de lever des impôts ou d'ouvrir des crédits. De plus, elle a affirmé un rôle plus direct concernant l'examen de la manière dont les crédits ouverts sont dépensés. Un décret de 1791 a proclamé que « L'Assemblée examine et vérifie définitivement les comptes de la nation ». Un bureau des comptes, sous la direction de l'Assemblée, était chargé d'examiner les dépenses.
Au cours des deux siècles qui se sont écoulés depuis la Révolution, la France a connu plusieurs bouleversements politiques qui ont eu des incidences sur les relations financières entre le gouvernement et le Parlement. Un problème récurrent est celui de la compétence de l'Assemblée nationale pour adopter une position indépendante à l'égard des crédits budgétaires. Le pays est passé par plusieurs phases dans les relations entre le Parlement et le gouvernement, avec des périodes de domination du Parlement suivies par des changements qui ont limité son indépendance. Ainsi, en réaction à l'exercice indépendant » certains diraient irresponsable - du pouvoir financier par l'Assemblée nationale sous la Troisième République avant la guerre, la Constitution de la Cinquième République limite l'indépendance du Parlement.
Le budget : faciliter et limiter l'action du Parlement. Jusqu'à présent, nous avons évité d'employer le mot budget parce que pendant la période au cours de laquelle le contrôle par le Parlement des finances publiques s'est mis en place, il n'existait pas de budgets officiels. Il est généralement admis que ce terme a été utilisé pour la première fois pour décrire les pratiques financières du gouvernement en Angleterre au 18ème siècle, plus d'un siècle après que le Parlement eut définitivement assuré son pouvoir en matière de fiscalité et de dépenses. Le terme budget a été utilisé pour la première fois dans les documents officiels français au début du 19ème siècle ; son usage s'est ensuite étendu rapidement à d'autres pays développés. L'une des premières définitions formelles est apparue dans une loi française de 1862 qui décrivait le budget comme « un document qui prévoit et autorise les recettes et les dépenses annuelles de l'État... » Cette définition contient en germe les deux conceptions rivales de la pratique budgétaire. Selon la première, le budget constitue un plan pour une période future, normalement l'exercice financier à venir, alors que selon l'autre conception, il s'agit d'une décision portant autorisation des recettes et des dépenses futures. En tant que plan, le budget est un ensemble de propositions qui n'a pas d'autre poids collectif que l'influence que le gouvernement possède pour orienter les actions du Parlement ; en tant que décision d'autorisation, le gouvernement peut lever des impôts et engager des dépenses, sous réserve de l'approbation du Parlement, sur la base des recettes et des dépenses prévues dans le budget. En tant que proposition, le budget n'empiète pas expressément sur la primauté du Parlement en matière financière ; en tant que décision d'autorisation, il s'impose au Parlement ou supplante les préférences de celui-ci.
Les gouvernements ont budgétisé leurs recettes et leurs dépenses avant de se doter d'un système budgétaire en bonne et due forme. Plus exactement, ils regroupaient les recettes et les dépenses dans un document unique qui était transmis au Parlement à intervalles périodiques. Cependant, à mesure que les gouvernements se sont développés au cours du 19ème siècle, il est devenu de plus en plus souhaitable de coordonner les prélèvements sur leurs ressources financières en préparant des budgets globaux. Plutôt que de prévoir ou d'autoriser les recettes ou les dépenses de façon parcellaire, le budget permettait au gouvernement de présenter au Parlement un tableau exhaustif des finances publiques. La formalisation des procédures budgétaires a coïncidé avec d'autres grandes réformes de l'administration publique, comme la professionnalisation de la fonction publique, la normalisation des comptes et la bureaucratisation des opérations gouvernementales.
La formalisation du processus budgétaire n'a pas seulement rationalisé l'administration publique, elle a aussi modifié l'équilibre en matière de pouvoir financier entre les gouvernements et les Parlements. Le fait que les décisions gouvernementales relatives au budget précèdent l'intervention du Parlement a eu pour effet de soumettre à des restrictions ou à une forte influence du gouvernement la législation fiscale et les autorisations de crédits budgétaires. Même les Parlements qui ont conservé le pouvoir juridique de s'écarter du budget du gouvernement se sont retrouvés politiquement subordonnés à ses injonctions. Il est devenu courant dans les pays développés d'évaluer les décisions du Parlement concernant les recettes et les dépenses à la lumière des recommandations budgétaires de l'exécutif. Le budget est devenu l'étalon universel pour mesurer l'action du Parlement. Le budget a provoqué une révolution copernicienne dans le domaine des finances publiques. La suprématie du Parlement, qui avait été difficilement acquise au terme de siècles de lutte, a été abandonnée sur le champ de bataille des budgets exécutifs.
Il était admis dans tous les pays que l'élaboration du budget est une fonction exécutive effectuée par l'exécutif, et non par le Parlement. Seul l'exécutif avait l'organisation et la capacité pour coordonner les demandes de dépenses de ses divers départements et organismes ; il était le seul qui pouvait assurer la mise en oeuvre effective des dépenses par ces entités. De fait, les efforts de certains Parlements pour renforcer leur capacité d'examiner les plans de dépenses du gouvernement se sont heurtés à une forte opposition dans certains pays car on estimait que cela revenait à empiéter sur les responsabilités de l'exécutif. Stourm indique que l'éminent économiste français Léon Say s'est montré hostile aux efforts de l'Assemblée nationale pour créer une Commission permanente chargée d'examiner le budget du gouvernement :
La Commission du budget souhaite se substituer à l'administration et préparer le budget elle-même au lieu de se contenter de le recevoir aux fins de contrôle. Le Président de la Commission du budget est devenu dans une certaine mesure le Premier Lord du Trésor... Les adversaires du pouvoir ministériel voient immédiatement les bénéfices qu'ils pourraient retirer de cette nouvelle institution.
Le point de vue de Say, qui exprimait les sentiments de l'époque, était que le Parlement avait pour fonction de contrôler les finances publiques, c'est-à-dire de voter les crédits qui constituent la limite des dépenses autorisées. Il n'avait pas pour tâche de planifier et de coordonner les finances publiques.
Dans la plupart des pays développés, les parlementaires ont accueilli favorablement les nouvelles pratiques budgétaires car elles apporteraient ordre et cohérence à la législation fiscale et aux autorisations de crédits budgétaires. Les parlementaires disposaient à présent d'une vue d'ensemble de la manière dont s'articulaient les différentes parties du budget et du montant total des recettes et des dépenses. De plus, les normes de bonnes pratiques budgétaires ont été codifiées sous la forme d'un ensemble de principes qui ont été acceptés dans la plupart des pays. Ces principes comprenaient l'annualité des décisions budgétaires, le caractère exhaustif des comptes budgétaires et la spécificité des objets de dépense. Seuls quelques Parlements nationaux ont résisté à l'extension rapide de la notion de budget. Les objections les plus fortes sont venues du Congrès des États-Unis, qui a senti que le fait de confier à l'exécutif le pouvoir budgétaire affaiblirait son pouvoir en matière d'impôts et d'ouverture de crédits. C'est en 1921 que le Congrès a accepté que le budget soit préparé par l'exécutif, plus tard que tous les grands pays européens et seulement après que les coûts de la première guerre mondiale eurent montré la nécessité de maîtriser les finances publiques. Lorsque le Congrès a pris cette décision, certains experts politiques ont prédit que le nouveau pouvoir budgétaire du Président annonçait la fin de la primauté du Parlement.
Pour quelles raisons le processus budgétaire, qui était considéré comme renforçant le contrôle des finances publiques exercé par le Parlement, s'est-il transformé en un moyen de soumettre le Parlement ? La réponse tient moins à une question de pouvoir juridique qu'à des raisons politiques. Le budget présenté au Parlement est le résultat d'un long processus d'organisation, de suivi et de contrôle des finances publiques. Préparer le budget et surveiller son exécution exigent l'intervention d'un grand nombre de spécialistes qui se trouvent au ministère des Finances ou dans un organisme analogue au sommet de l'administration. Les compétences de ce ministère s'étendent à tous les départements ministériels et organismes publics et consistent à traiter de grandes quantités de données financières et opérationnelles. Pour bien faire son travail, le ministère des Finances doit aussi évaluer les demandes et les intérêts politiques, ainsi que l'efficacité des dépenses. Lorsque le budget est présenté, le ministère des Finances a une connaissance très approfondie des finances publiques et le Parlement une connaissance très limitée en dehors de ce que le gouvernement souhaite qu'il sache. Cette asymétrie d'informations met le Parlement dans une position de grande faiblesse. Même avec des commissions permanentes et son propre personnel spécialisé, le Parlement n'est pas de taille à rivaliser avec le gouvernement. S'ils peuvent quelque peu compenser ce handicap en procédant à un examen minutieux des prévisions de dépenses, les parlementaires acquièrent rarement une connaissance approfondie de la manière dont les deniers publics sont dépensés et des conséquences d'une augmentation ou d'une réduction des crédits qui ont été budgétisés par le gouvernement.
Le développement considérable de l'État, qui a commencé au cours des dernières décennies du 19ème siècle et s'est accéléré pendant la plus grande partie du 20ème siècle, a encore diminué l'influence du Parlement. Avec ce développement du rôle de l'État, les postes budgétaires ont été regroupés dans des catégories plus larges. Par exemple, au lieu d'indiquer les crédits correspondant à chaque poste de la fonction publique, le budget présente une estimation des dépenses pour chaque catégorie d'emplois ou groupe d'emplois. Dans certains pays, la consolidation a été encore plus loin de sorte qu'une somme unique figure pour toutes les dépenses du personnel. Cette consolidation rend le budget plus facile à manier mais a aussi pour effet de réduire le contrôle du Parlement sur les différents articles. Un autre sous-produit de l'expansion de l'État a été que le budget est apparu davantage comme un énoncé de programmes et d'objectifs publics que comme un instrument de contrôle financier. Le budget est également devenu un moyen de guider et de stabiliser l'économie et les montants globaux ont acquis une signification budgétaire qui transcende les différents objets de dépense. Dans certains pays, le budget est aussi devenu le moyen pour lequel le gouvernement gère ses entités et activités administratives et les pousse à améliorer l'efficacité. Aussi louables qu'aient pu être ces transformations, elles ont subordonné le contrôle des finances publiques à des objectifs budgétaires plus larges. Du point de vue juridique, peu de choses ont changé, politiquement presque plus rien n'était pareil.
b) Le déclin des Parlements nationaux
Les spécialistes d'aujourd'hui évoquent régulièrement le déclin des Parlements nationaux, non seulement dans le domaine budgétaire mais aussi en ce qui concerne l'ensemble de leurs attributions législatives. Ils s'accordent à reconnaître que ce déclin s'est produit malgré le fait que les Parlements modernes sont mieux organisés et disposent de davantage de ressources que précédemment A leur avis, ce déclin n'est guère imputable au fonctionnement interne du Parlement mais à trois phénomènes extérieurs qui ont privé les Parlements de leur indépendance et du contrôle :
- la montée de partis politiques disciplinés qui fixent le programme législatif et imposent aux parlementaires de voter selon la ligne du parti ;
- l'énorme escalade des dépenses publiques qui s'est accompagnée d'un recul des dépenses consacrées à l'administration et à la sécurité au profit des dépenses liées aux prestations sociales et aux garanties de ressources ;
- le renforcement des groupes d'intérêts et des dispositifs politiques corporatistes. Conjointement, ces évolutions réduisent de nombreux Parlements au statut de clubs de débat qui jouissent d'une grande liberté pour délibérer mais pas pour décider. Bien qu'il s'agisse d'une large généralisation qui néglige des différences importantes dans les cultures et les structures politiques, l'hypothèse du « déclin des Parlements » semble s'appliquer à la plupart des pays de l'OCDE.
Au cours des 100-150 dernières années, les positions des partis se sont stabilisées dans de nombreux pays et les partis solidaristes, organisés pour faire respecter la discipline politique, sont devenus la norme. Dans un grand nombre de Parlements, la seule marge dont disposent les membres pour exprimer leur indépendance réside dans les propositions de lois d'initiative parlementaire auxquelles le gouvernement ne prête que peu d'intérêt. Les accords en matière budgétaire sont conclus en dehors du Parlement, au sein du gouvernement ou par les fonctionnaires du parti, puis ratifiés au sein de celui-ci. Les arrangements budgétaires extra-parlementaires prévalent dans les régimes majoritaires où le budget est imposé au Parlement par diktat du gouvernement, et dans les régimes de coalition où les partis représentés au sein de la coalition gouvernementale négocient un accord qui encadre les travaux parlementaires pour la durée du gouvernement. Dans certains pays, le budget est négocié par le biais de canaux mis en place spécialement par les partis, parallèlement au processus budgétaire gouvernemental. Au Japon, le Parti libéral démocrate qui domine la vie politique possède des comités permanents qui examinent le budget du ministère des Finances et prennent des décisions définitives qui sont ensuite transmises à la Diète. Le rôle des partis est particulièrement prééminent lorsque le gouvernement prend des initiatives importantes ou prépare un budget qui est adopté lors d'un scrutin unique. Un observateur perspicace des Parlements nordiques a constaté que :
« ... la pénétration des rouages internes des assemblées par les partis politiques solidaristes limite sensiblement l'efficacité de l'activité parlementaire. En bref, le contrôle par les partis aboutit généralement à ce que la fonction législative des assemblées c'est-à-dire l'élaboration de propositions qui sont ultérieurement adoptées- soit aujourd'hui placée en position de subordination... »
Un second facteur de déclin du Parlement tient à la vaste expansion de la taille de l'État. Dans les pays de l'OCDE, la croissance annuelle des dépenses publiques au cours de la période 1960-1980 a été en moyenne supérieure d'un point de pourcentage à celle du PIB. L'essentiel de la hausse des dépenses est due aux prestations sociales qui doivent être versées indépendamment de la situation financière du gouvernement ou des autres pressions qui s'exercent sur le budget. À mesure que l'État s'est développé passant d'un rôle de gardien chargé de préserver l'ordre intérieur et de protéger les citoyens contre les menaces extérieures à un rôle où sa principale responsabilité dans le domaine financier consiste à assurer le bien-être économique de la population, le rôle traditionnel des Parlements consistant à limiter l'exercice du pouvoir n'était plus bien adapté. L'État en expansion appelait une autonomisation et non des restrictions, et cette autonomisation nécessite un apport stable de ressources financières au gouvernement. Un État développé a besoin de ressources financières sûres, qui ne dépendent pas du bon vouloir du Parlement ou ne sont pas mises en péril par une impasse budgétaire imputable au Parlement. Si le développement des prestations sociales affaiblit l'exécutif- lui aussi tenu par les engagements pris par ses prédécesseurs - cela est encore plus préjudiciable à la capacité des Parlements, car les ceux-ci financent généralement les programmes de transfert de ressources dans le cadre de législations permanentes lesquelles, à la différence des dépenses budgétaires classiques, ne demandent pas une autorisation périodique du Parlement.
L'expansion de l'État compromet la capacité du Parlement de contrôler l'exécutif, non seulement parce qu'il y a beaucoup plus à examiner, mais aussi parce que les transferts effectifs de pouvoir de ministres élus au profit de fonctionnaires non élus qui travaillent dans de grandes administrations à l'abri des regards, sont difficiles à pénétrer. Malgré des innovations comme l'ombudsman et l'augmentation des effectifs du personnel qui travaille pour les parlementaires, il n'est pas possible à ceux-ci de contrôler un État qui est devenu si grand et si actif. Plus important, le développement de l'État a éveillé l'intérêt pour les performances et les résultats plutôt que pour le respect de la légalité et le contrôle de l'opportunité des dépenses publiques. Les citoyens veulent que le gouvernement fasse davantage pour eux, et non qu'il soit entravé par des législateurs pingres.
La croissance de l'État a eu des incidences sur le pouvoir du Parlement d'une autre manière encore. Bien que l'on considère généralement que ce sont les parlementaires qui ajoutent au budget, ce sont les hauts fonctionnaires qui sont essentiellement à l'origine de l'extension des limites des programmes. Pendant des décennies, le budget présenté par le gouvernement a proposé régulièrement des créations de programmes et des augmentations des dépenses supérieures au rythme de hausse des prix ou de progression de l'activité économique. Les gouvernements ont aussi proposé régulièrement, et les Parlements ont adopté, des augmentations des impôts pour financer l'expansion incessante des programmes. Comme il a été noté précédemment, la contribution du Parlement à l'augmentation des dépenses a été en général marginale. Cette augmentation des dépenses traduisait donc également une modification de l'équilibre des pouvoirs entre le Parlement et le gouvernement.
Le troisième coup porté à la capacité des Parlements est dû à la multiplication et l'activisme des groupes d'intérêts. Tous les pays démocratiques comptent un nombre beaucoup plus grand de groupes actifs politiquement qu'il y a une génération, mais ils font valoir une distinction essentielle entre les modes pluralistes et corporatistes s'agissant des relations entre ces groupes et le gouvernement. Le modèle pluraliste, qui est le plus évident aux États-Unis, restreint les intérêts défendus par les groupes ; le modèle corporatiste élargit ces intérêts. Dans les sociétés pluralistes, le nombre même de groupes leur impose d'adopter une vision étroite de leurs intérêts ; en conséquence, les pressions qu'ils exercent sur les parlementaires (et d'autres acteurs politiques) concernent généralement des questions marginales qui peuvent être réglées en augmentant ou en diminuant légèrement les impôts ou les dépenses. Le pluralisme a pour impact budgétaire de dissuader les parlementaires de s'intéresser au tableau d'ensemble. Le Parlement marginalisé est occupé à examiner un grand nombre d'amendements qui peuvent susciter beaucoup d'attentions sur le plan politique mais n'entament pratiquement pas les programmes budgétaires du gouvernement. Dans les sociétés corporatistes, les principales politiques gouvernementales sont élaborées en consultation avec des conglomérats de groupes qui représentent un large éventail d'intérêts. Il peut y avoir un conglomérat de groupes représentant l'industrie, un autre représentant les travailleurs, un autre les municipalités, etc. Dans certains cas, le gouvernement maintient des relations permanentes officielles avec ces « partenaires sociaux » et n'agit qu'après avoir débattu des initiatives gouvernementales avec eux. Mais une fois que le gouvernement et les intérêts corporatistes sont parvenus à un accord, le Parlement n'a aucun rôle à jouer ou doit suivre.
Déclin du rôle budgétaire du Parlement .
Les paragraphes précédents traitent de la place générale des Parlements et institutions publiques modernes, sans insister particulièrement sur leur pouvoir budgétaire. Cependant, un Parlement ne peut influencer la politique financière s'il a été marginalisé en tant qu'institution concourant à l'élaboration des politiques. L'enquête de l'OCDE de 1998 à laquelle il a été fait référence précédemment confirme que les Parlements contemporains sont perçus comme jouant un faible rôle en matière budgétaire. Le tableau I récapitule les réponses des pays à la série de questions suivantes :
Le Parlement adopte-t-il généralement le budget présenté par le gouvernement ? Combien d'amendements au budget (nombre et montant) sont-ils généralement proposés par le gouvernement et les membres de l'opposition au sein du Parlement ?
La plupart des pays ont répondu que le Parlement n'apporte pas de modifications, ou seulement des modifications mineures au budget présenté par le gouvernement. Parmi les pays dans lesquels de nombreux amendements sont adoptés par le Parlement, la plupart d'entre eux ont indiqué qu'ils ne modifiaient cependant pas sensiblement le budget présenté par le gouvernement.
Dans certains pays, l'essentiel des amendements adoptés émane du gouvernement lui-même ou de parlementaires qui lui sont affiliés. Cela indique que collaborer avec le gouvernement plutôt que s'opposer à lui constitue pour un Parlement la méthode la plus productive d'exercer une influence. Après avoir présenté le budget, le gouvernement peut accepter ou proposer des amendements, pour contrecarrer l'opposition ou récompenser des membres loyaux en faisant sien leurs propositions. Dans certains pays, des négociations approfondies qui sont menées discrètement entre le gouvernement et les principaux responsables du Parlement donnent au Parlement l'occasion d'influencer marginalement le budget.
L'enquête de l'OCDE indique que les limitations de l'influence du Parlement tiennent davantage à des considérations politiques qu'à des restrictions formelles de son pouvoir d'amender le budget. Le tableau 2 établi à partir de l'enquête regroupe les auto-évaluations effectuées par les pays en ce qui concerne les restrictions auxquelles sont confrontés leurs Parlements. En mettant en évidence des facteurs politiques plutôt que juridiques, les données tendent à montrer que même si les règles budgétaires étaient modifiées pour ménager un rôle plus important au Parlement, les conditions politiques sous-jacentes risquent d'exclure tout changement important de comportement de la part du Parlement. Un corollaire à cette conclusion est que l'impact des efforts déployés pour conférer des pouvoirs au Parlement sera différent suivant les pays. En fonction de facteurs politiques, les modifications qui incitent le Parlement à jouer un rôle plus actif en matière budgétaire dans certains pays pourraient l'inciter dans d'autres pays à continuer à faire preuve de passivité.
L'enquête de l'OCDE invitait chaque pays à communiquer de brèves réponses sans les accompagner d'analyses ou d'explications. Il est possible d'ajouter certains des détails en se référant à une étude publiée il y a un quart de siècle sur le rôle budgétaire de six Parlements européens. Dans The Power of the Purse ; A Symposium on the Role of European Parliaments in Budget Decisions , David Coombes et ses collègues sont d'une manière générale parvenus à la conclusion que le Parlement est aujourd'hui marginalisé en matière budgétaire. Les paragraphes ci-après, tirés directement de cette étude, évaluent le rôle budgétaire du Parlement dans quatre pays.
En Allemagne, note K.H. Friauf, le gouvernement et sa majorité parlementaire ne sont pas considérés comme identiques sur le plan politique. Il existe une séparation des pouvoirs entre les deux qui permet au Bundestag d'exprimer sa propre volonté. Le Bundestag peut modifier le budget présenté par le gouvernement sans poser la question de confiance. Toutefois, Friauf constate que si le gouvernement accepte souvent les adjonctions au budget proposées par le Bundestag, « le montant total des dépenses supplémentaires votées par le Parlement est généralement insignifiant quand on le rapporte au volume total du budget ». Dans la mesure où les conclusions de Friauf concernaient essentiellement les années Adenauer, il y aurait peut-être lieu de les réexaminer à la lumière des événements plus récents, en particulier depuis l'unification de l'Allemagne, période au cours de laquelle le Bundestag a été appelé à se prononcer sur des augmentations des impôts et des réductions de certains programmes sociaux. Le mécontentement suscité par ces mesures et l'affaiblissement de la coalition gouvernementale ont peut-être accru l'influence du Parlement en matière budgétaire.
A. Dupes commence son article sur le contrôle parlementaire du budget en France en notant que « en France, comme dans de nombreuses autres démocraties représentatives, le déclin du Parlement est devenu l'un des thèmes favoris des spécialistes des sciences politiques... L'idée que l'examen du budget par le Parlement doit aujourd'hui être considéré comme un rituel sans importance est partagée par de nombreux spécialistes et des responsables politiques de toutes tendances... Aujourd'hui, tout le pouvoir réel est passé à l'exécutif; le débat sur le budget n'est rien de plus qu'une conversation et le rôle du Parlement est limité à l'enregistrement des décisions gouvernementales. » Dans la suite de son analyse, Dupes atténue cette conclusion sévère en faisant valoir que l'Assemblée nationale peut modifier le budget. Il décrit la distinction établie par l'Assemblée entre les crédits votés, qui sont les dépenses autorisées pour l'exercice en cours, les services votés, qui correspondent aux crédits nécessaires pour mener à bien les activités approuvées au cours de l'exercice suivant et les mesures nouvelles qui représentent les initiatives proposées pour l'exercice suivant. Ce dispositif institutionnalise la méthode du budget par reconduction, car il invite le Parlement à se concentrer sur les ajustements apportés à la base des dépenses autorisées. L'établissement du budget par reconduction est une donnée de la vie budgétaire, qu'il soit ou non formalisé dans les règles de procédure. La question qui se pose est celle de savoir si en établissant le budget par reconduction, le Parlement se borne à enregistrer le budget présenté ou s'il le modifie. Une caractéristique du système français laisse penser que le Parlement exerce une influence limitée : les services votés du budget général sont approuvés en bloc et non par poste ou par chapitre. Malgré cette pratique, Dupes conclut ainsi : « Il serait contraire à la vérité de prétendre que le Parlement français n'est rien de plus qu'une chambre d'enregistrement des décisions budgétaires. De manière constructive ou non, le vote du budget donne au Parlement l'occasion d'imprimer sa marque ».
Cette conclusion surprenante est ouvertement contestée par P. Lalumière, un autre participant au colloque, qui note que la Constitution de 1958 de la Cinquième République « réaffirme le pouvoir de décision du Parlement en matière budgétaire, tout en multipliant les restrictions juridiques à l'exercice de ce pouvoir... En fait, le fonctionnement effectif des institutions budgétaires trahit un déclin important de l'influence du Parlement ». Selon Lalumière, « les débats budgétaires ne fournissent plus aux assemblées parlementaires l'occasion d'exercer une influence réelle sur les choix proposés et donc sur l'activité gouvernementale. La majorité des observateurs admettent aujourd'hui que l'institution parlementaire a vu son rôle s'effacer de cette manière... ».
Nulle part le déclin du Parlement en matière budgétaire n'est plus visible qu'en Grande-Bretagne. J. Molinier récapitule le processus par lequel la Chambre des Communes, berceau de la démocratie budgétaire, a perdu toute influence formelle sur les recettes et dépenses :
L'émergence de deux grands partis de masse, cohérents et disciplinés, jouissant d'un soutien national et se succédant au pouvoir a entraîné en pratique un transfert au profit du Cabinet de ce qu'il y avait d'essentiel dans le pouvoir financier et les autres pouvoirs exercés précédemment par la Chambre des communes. Après avoir dépouillé la monarchie de ses prérogatives financières, le Parlement à son tour a été dépouillé de ses compétences financières par le Cabinet... Aujourd'hui, la Chambre des communes n'est guère en mesure de participer efficacement à l'élaboration du budget.
Le Parlement britannique se distingue d'autres Parlements nationaux en ce que sa réussite et son déclin en matière budgétaire se sont produits beaucoup plus tôt que dans d'autres pays, et l'amenuisement de son rôle budgétaire a été plus important. C'est un modèle que peu de Parlements ont imité et que la plupart ont rejeté. Néanmoins, on retrouve des éléments de l'expérience britannique dans les nombreux pays qui ont cherché à éviter le sort qu'a connu la Chambre des Communes.
En Italie, l'instabilité gouvernementale et les négociations et conflits permanents entre les partenaires de la coalition donnent au Parlement de multiples occasions d'agir en matière budgétaire. Le problème n'y est toutefois pas la faiblesse du Parlement vis-à-vis du gouvernement, mais que l'un et l'autre voient leur situation compromise par l'instabilité politique et la rigidité financière. V. Onida décrit la réalité du processus budgétaire italien en ces termes :
Le système budgétaire est dominé par le principe d'un strict contrôle parlementaire. Ce principe est conçu pour imposer des restrictions rigoureuses aux dépenses gouvernementales et veiller à ce que celles-ci soient respectées. En réalité cependant, le contrôle parlementaire est vidé de toute signification. Cette contradiction apparente s'explique très vraisemblablement par le fait que le type de contrôle parlementaire pour lequel ce système a été conçu... est très différent du contrôle que les assemblées souhaitent réellement exercer.
Onida relève une évolution importante dans la pratique parlementaire en cours dans de nombreux pays de l'OCDE : « la tendance croissante à ce que les décisions concernant le montant global et l'utilisation particulière des dépenses ne soient plus prises dans le cadre du budget annuel mais à l'occasion des procédures d'adoption des lois ordinaires qui nécessitent et prévoient des dépenses dans des secteurs particuliers pendant un nombre déterminé d'années, souvent pendant de nombreuses années. » Cette observation est confirmée par un autre participant au colloque qui constate : « une partie importante du budget national correspondant à des dépenses prédéterminées ou découlant de lois adoptées il y a de nombreuses années échappe en pratique à tout contrôle ». Bien que cela ne soit pas dit, la plupart de ces lois concernent des droits à prestations sociales qui affaiblissent non seulement le contrôle par le Parlement des deniers publics mais aussi la capacité du gouvernement de réguler les résultats budgétaires à court terme. On peut soutenir que les Parlements ne peuvent reprendre le contrôle des finances publiques si le budget lui-même échappe à tout contrôle.
c) Restaurer la compétence du Parlement en matière budgétaire
Dans le passé lointain, les Parlements ont exercé leur pouvoir de contrôle des deniers publics pour acquérir leur indépendance en tant qu'institutions souveraines. La compétence des Parlements de se prononcer sur les impôts et dépenses et de faire respecter leurs décisions par les monarques et les fonctionnaires leur a conféré un rôle actif dans l'élaboration des programmes et des politiques gouvernementales. Le budget peut-il être à nouveau le levier qui permet à des Parlements renaissants de reconquérir les pouvoirs budgétaires abandonnés au cours du siècle écoulé ? Le Symposium international des 24 et 25 janvier 2001 a été organisé en partant du postulat que les organes parlementaires se préparent à nouveau à jouer un rôle central dans le processus budgétaire. Toutefois, ce n'est pas en revenant à la fonction de contrôle qui était si bénéfique aux Parlements dans le passé que ceux-ci retrouveront leur hégémonie dans le domaine des finances publiques. Si les citoyens souhaitent peut-être un contrôle accru du gouvernement, ils veulent aussi davantage de programmes et de prestations de la part de celui-ci. Ils veulent que les écoles soient bien dotées en enseignants et que les paiements de sécurité sociale et d'autres versements arrivent en temps voulu. Si le contrôle budgétaire fait obstacle à ces objectifs largement partagés, il sera écarté par des parlementaires et des hauts fonctionnaires résolus les uns et les autres à donner satisfaction aux citoyens.
Le problème pour les Parlements contemporains est que, dans le passé, ils ont lutté pour prendre le contrôle du processus budgétaire afin de représenter le peuple. Aujourd'hui, la population ne veut pas qu'ils jouent le rôle de contrôleurs, car cela aurait pour effet de limiter le flux d'argent et de programmes. En conséquence, les parlementaires doivent définir un nouveau rôle, celui qui consiste à promouvoir la discipline budgétaire, à améliorer l'affectation des deniers publics et à stimuler les entités administratives afin qu'elles gèrent leurs activités plus efficacement. Ces nouveaux rôles nécessitent :
1) - un renforcement des moyens et des ressources des Parlements pour leur permettre de traiter les questions budgétaires ;
2) - des modifications des procédures budgétaires gouvernementales et parlementaires pour promouvoir la discipline budgétaire, l'efficience allocative et l'efficacité opérationnelle ;
3) - l'élaboration de nouveaux instruments pour concilier les engagements à long terme tels que les prestations sociales et d'autres dépenses « incompressibles » avec les objectifs budgétaires à court et moyen terme, et,
4) - une redéfinition des relations avec le gouvernement qui tienne compte de la forte influence qu'exercent les partis politiques et les groupes d'intérêts sur le comportement du Parlement.
Réformer le Parlement pour que celui-ci joue un rôle budgétaire renouvelé est le plus facile des changements requis, bien qu'il puisse susciter des conflits au sein du Parlement et entre celui-ci et le gouvernement. Une mesure consiste à élargir le rôle des commissions permanentes qui s'occupent du budget. Ces commissions sont autorisées à examiner les prévisions de dépenses, à recueillir des éléments d'appréciation, à demander des informations sur le budget, et à recommander au Parlement une action. Dans les pays où le Parlement peut modifier le budget, ces commissions recommandent également des modifications des plans budgétaires présentés par le gouvernement. Toutefois, il existe des différences importantes quant à la manière dont ces commissions sont structurées pour examiner le budget. Dans un premier schéma, cette responsabilité est confiée en totalité à la Commission des finances ou à la commission du budget ; un autre schéma consiste à répartir les compétences entre plusieurs commissions sectorielles. La première formule facilite la tâche de coordination et favorise la cohérence de l'action budgétaire du Parlement ; la seconde offre plus de possibilités aux intérêts sectoriels d'influencer le budget. La première favorise l'examen du budget sous l'angle des finances publiques, la seconde favorise une orientation vers les programmes. Le modèle centralisé facilite la discipline budgétaire, le second peut rendre plus difficile le maintien de la discipline.
Un Parlement bien équilibré doit avoir une double perspective, l'une axée sur les programmes et l'autre sur les finances publiques ; les deux considérations doivent être combinées pour arrêter la position du Parlement au sujet du budget. En conséquence, une troisième formule a acquis une certaine faveur ces dernières années : il s'agit de permettre aux commissions sectorielles d'examiner les parties du budget relevant de leur compétence et de recommander au Parlement une action dans le cadre d'une enveloppe budgétaire globale déterminée par la Commission des finances. Comme on le verra ci-après, certains pays ont formalisé ce dispositif en mettant en place un processus en deux étapes dans lequel le Parlement vote d'abord l'enveloppe budgétaire globale, les commissions sectorielles formulant ensuite des recommandations compatibles avec le montant total convenu.
Une action parlementaire responsable et efficace en matière budgétaire implique que le Parlement dispose d'informations adéquates sur les activités financières au moyen de fonds publics et les résultats des programmes publics. Il a également besoin d'informations sur les incidences que les changements apportés au budget présenté par le gouvernement sont susceptibles d'avoir sur les activités et les résultats des programmes. Il n'a pas toujours été facile d'obtenir ces types d'informations, parce que le processus budgétaire dans de nombreux pays est toujours axé sur les moyens à mettre en oeuvre avec des estimations détaillées des montants affectés au personnel, au matériel, aux fournitures, aux missions et à d'autres postes. Dans le passé, les efforts déployés pour imprimer au budget une orientation plus programmatique n'ont pas été couronnés de succès. Parmi les échecs bien connus, on mentionnera les systèmes de planification, programmation et préparation du budget (États-Unis), la gestion des dépenses publiques (Canada), les budgets de programmes (Suède), la rationalisation des choix budgétaires (France) et l'analyse et l'examen des programmes (Royaume-Uni). Il est très peu probable que le Parlement adopte une orientation programmatique si le gouvernement ne le fait pas.
Les réformes qui ont échoué prévoyaient toutes des mesures pour rationaliser les pratiques budgétaires au sein du gouvernement. Le Parlement n'était pas directement concerné, bien que les tenants des réformes aient généralement soutenu que celui-ci tirerait également avantage d'informations budgétaires plus abondantes. Les réformes actuelles s'attachent explicitement aux informations communiquées au Parlement, et encore plus important, à la forme et au contenu des prévisions de dépenses et des autorisations de crédits. Sous l'impulsion de la Nouvelle-Zélande, qui considère désormais les prévisions de dépenses et les autorisations de crédits non plus sous l'angle de ressources mises en oeuvre mais sous l'angle des résultats, plusieurs pays sont parvenus à la conclusion que la mise en oeuvre réussie de la réforme budgétaire au sein du gouvernement est conditionnée par une modification de la manière dont le Parlement prend les décisions en matière budgétaire. Si cette thèse paraît judicieuse, elle soulève une question essentielle : le Parlement sera-t-il mieux à même d'influencer le budget et de maintenir la responsabilité pour les dépenses et les résultats s'il dispose d'informations sur les programmes et les résultats, parallèlement aux rapports d'analyse et d'évaluation ? A priori, la réponse paraît évidente : il est toujours plus intéressant pour le Parlement de disposer de ce type d'informations que de données sur les différents postes de dépenses. Toutefois, le verdict se fait encore attendre car les parlementaires aguerris depuis des générations par la pratique consistant à examiner le détail des ressources mises en oeuvre risquent d'être désavantagés par les complexités d'un budget orienté vers les programmes et écrasés par le volume d'informations qui leur sera communiqué. À cet égard, il convient de mentionner que la plupart des pays développés n'ont pas suivi la tendance à la budgétisation axée sur les performances. La plupart se sont contentés d'introduire davantage de données sur les performances dans leurs budgets, mais se sont bien gardés de supprimer les données sur les ressources et de restructurer fondamentalement les prévisions de dépenses et les autorisations de crédits.
L'un des changements intervenus en ce qui concerne les données budgétaires et la structure du budget comporte le passage de la comptabilité et de la budgétisation sur la base du système de la gestion à un système sur la base des droits constatés. Plus d'une demi-douzaine de pays sont à la pointe de ce mouvement, notamment l'Australie, le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, l'Islande et la Suède. L'impulsion pour le passage à un budget établi sur la base des droits constatés a été donnée par les accords de Maastricht dont la mise en oeuvre repose sur l'application de normes comptables internationalement acceptées et par la conversion du FMI - pour ses statistiques financières publiques - à la méthode des droits constatés. En ce qui concerne l'impact potentiel sur le comportement du Parlement, il faut faire une distinction entre la comptabilité sur la base des droits constatés et la budgétisation sur la base des droits constatés. Si seule la base comptable était modifiée, l'effet sur l'action du Parlement serait limité. Le Parlement disposerait de données sur les coûts qui compléteraient les prévisions de dépenses classiques. Toutefois, si le gouvernement établissait le budget sur la base des droits constatés, l'impact pourrait être réellement sensible, car la forme et le contenu des prévisions de dépenses et des autorisations de crédits seraient également modifiés.
Les informations communiquées sont également enrichies dans certains pays par le renforcement des capacités des institutions de contrôle à fournir une assistance au Parlement. Si les relations entre l'institution de contrôle et le Parlement diffèrent suivant les pays, dans certains l'institution de contrôle rend compte directement au Parlement, dans d'autres c'est une entité entièrement indépendante, et dans quelques pays elle relève du gouvernement - ces organismes se montrent plus actifs depuis une décennie dans l'examen des performances financières et des résultats des programmes des ministères et organismes publics. La liste des pays qui exigent des états financiers vérifiés augmente d'année en année, de même qu'augmente (bien qu'ils soient moins nombreux) la liste des pays qui sont en train d'étendre la fonction d'audit aux résultats des programmes de fond.
Pour utiliser efficacement l'avalanche d'informations, les Parlements modernes ont recruté du personnel, investi dans les technologies de l'information et professionnalisé leurs activités. On observe une tendance marquée à accroître les effectifs des agents qui travaillent pour les commissions permanentes, afin qu'ils puissent analyser le grand volume d'informations communiquées et aider les parlementaires à examiner les propositions de l'exécutif, à élaborer d'autres solutions et des amendements et à examiner les résultats. L'accroissement des effectifs employés par les Parlements n'est pas limité aux activités budgétaires, mais c'est dans ce domaine que certains des changements les plus spectaculaires devraient vraisemblablement se produire. Un nombre croissant de Parlements, bien qu'encore peu nombreux, en viennent à considérer qu'ils ne peuvent donner un avis indépendant sur le budget s'ils ne disposent pas de personnel spécialisé pour les aider dans cette tâche. La question pour ces Parlements n'est pas de savoir s'il faut créer un poste ici ou là, mais de mettre en place un organisme budgétaire parlementaire distinct. Bien qu'il ne constitue que rarement un modèle pour d'autres Parlements, le Congrès des États-Unis l'est peut-être dans ce domaine. Le Congressional Budget Office, créé il y a 25 ans, est aujourd'hui très apprécié pour ses analyses objectives et ses projections budgétaires rigoureuses. Comptant plus de 200 spécialistes choisis sur une bas non partisane, ce service exerce une influence considérable sur la politique budgétaire des États-Unis. D'autres Parlements nationaux pourraient suivre cet exemple, mais leurs organismes budgétaires seront probablement de taille plus modeste.
Réformer le mode de fonctionnement du Parlement ne garantit pas en soi que celui-ci assumera un rôle plus important ou plus efficace. Le Parlement doit aussi définir sa place dans le schéma général des institutions publiques. Les trois tendances mentionnées dans la précédente section qui expliquent le déclin des Parlements ne vont pas s'inverser. Les dépenses publiques ne devraient pas baisser en proportion du PIB pas plus que la part du budget affecté aux prestations sociales se réduire. Les partis politiques ne vont pas disparaître même si leur capacité de faire respecter la discipline est peut-être affaiblie, et le nombre de groupes d'intérêts devrait augmenter au cours des prochaines années même si les arrangements corporatistes céderont peut-être la place à des modes de fonctionnement plus pluralistes. Dès lors, comment un Parlement peut-il adopter une position véritablement indépendante alors qu'il est lié par les prestations sociales, obligé de respecter la ligne par les dirigeants des partis et soumis aux pressions de groupes résolus à protéger leurs intérêts ? La réponse est que cela n'est pas facile. Cependant, la meilleure façon peut-être d'aborder cette question consiste à examiner les tâches budgétaires spécifiques auxquelles les Parlements peuvent participer. Trois de ces tâches : discipline budgétaire, amélioration de l'affectation des ressources, et efficience opérationnelle - ont été brièvement mentionnées précédemment. L'examen successif de chacune de ces tâches permettra d'apporter des précisions sur le « créneau » sur lequel les Parlements contemporains pourraient se concentrer.
Avant d'y procéder, il conviendrait d'examiner le rôle classique du Parlement de frein à l'exercice de son pouvoir par le gouvernement. À l'évidence, ce rôle subsiste dans la plupart des pays mais moins solidement qu'auparavant. Sur le plan juridique, la doctrine du contrôle n'a pas été remise en cause. Ramenée à ses éléments essentiels, elle signifie que le gouvernement ne peut pas dépenser plus que ce à quoi il est autorisé par la loi ou pour d'autres objets que ceux qui ont été approuvés. De facto, cependant, le contrôle n'a plus le même sens aujourd'hui qu'autrefois. De plus, les programmes de prestations sociales sont généralement institués par des législations permanentes qui ne précisent pas ou ne limitent pas les montants à dépenser.
Actuellement, l'activité budgétaire du Parlement concerne autant l'élaboration des politiques que le contrôle de l'action de l'exécutif. Cela implique un examen plus intégré du budget que ce que la plupart des Parlements sont prêts à entreprendre, ainsi que la capacité de préciser dans la loi ou par d'autres moyens les résultats requis de ceux qui dépensent les deniers publics. Certains Parlements ont cherché à conserver une fonction de contrôle en abandonnant le contrôle ex ante des dépenses au profit d'une responsabilité ex post pour les dépenses et les résultats. Cependant, compte tenu du fait que les informations sur les performances et l'audit des performances sont encore peu développés dans la plupart des pays, on ne peut pas être certain que les Parlements soient prêts à assurer cette nouvelle tâche.
S'il participe à l'élaboration des politiques, le Parlement devra contribuer au maintien de la discipline budgétaire en donnant la priorité dans ses décisions à l'enveloppe budgétaire globale avant d'examiner les différentes parties. La Suède, la République tchèque et quelques autres pays ont instauré un processus budgétaire en deux étapes impliquant des décisions du gouvernement et du Parlement. Dans la première étape, des décisions sont prises sur les montants globaux ainsi que sur les montants alloués aux principaux secteurs. Les montants globaux sont préparés par le gouvernement et transmis au Parlement pour examen et dans quelques pays, pour approbation. Quelques mois après l'achèvement de la première étape, le gouvernement présente les prévisions des dépenses et celles-ci sont votées en respectant la règle selon laquelle la somme de tous les montants autorisés ne peut dépasser les montants globaux adoptés au cours de la première étape. Respecter l'enveloppe globale suppose des informations adéquates concernant le coût des programmes et l'impact potentiel des modifications apportées aux politiques. Cela nécessite également des contrôleurs au sein de l'exécutif et du Parlement pour maintenir la discipline face aux pressions en faveur de dépenses. Dans les Parlements qui répartissent le budget entre plusieurs commissions sectorielles, ce rôle de garantie incombe à la commission du budget qui surveille ce que fait chacune des autres commissions. Le prix du respect de la discipline dans cette matière est que cela suscite des tensions entre les commissions parlementaires qui luttent pour obtenir une part du budget.
Pour contribuer à améliorer l'affectation des deniers publics, il faut que le Parlement adopte une perspective axée sur les programmes et qu'il soit prêt à transférer des fonds des activités de faible priorité et les moins efficaces aux activités de priorité plus élevée et les plus productives. Toutefois, il faut reconnaître que cela est une tâche très difficile, en particulier pour des parlementaires habitués à une politique de distribution. Il n'est jamais facile pour les Parlements de redistribuer les crédits ; cependant, compte tenu de la détermination de nombreux pays à réduire ou stabiliser les dépenses publiques, la seule façon de dégager des ressources pour les priorités nouvelles sera de les soustraire à des activités plus anciennes. La redistribution risque d'être extrêmement difficile dans le cas des prestations sociales, pour lesquelles les citoyens sont programmés pour attendre du gouvernement des prestations comme un droit institué par la loi. Néanmoins, un certain nombre de pays de l'OCDE ont été obligés pour des raisons de force majeure budgétaire de réduire ces versements même si cela ne s'est fait généralement qu'à la marge. À mesure que le vieillissement de la population accroîtra encore les pressions qui s'exercent sur le budget, l'avenir laisse à présager que de vigoureux efforts seront menés pour réduire les prestations.
Les efforts en vue de réduire les charges budgétaires imposées par la législation permanente peuvent se révéler ardus pour une autre raison encore. Un grand nombre de pays établissent une distinction entre la législation et le budget ou les autorisations de crédits. La première établit le droit et les politiques, le second fournit les ressources financières. Modifier les montants consacrés aux prestations sociales implique - outre de budgétiser moins de ressources pour ces programmes - que soient modifiées les lois sous-jacentes. Il faut qu'il y ait un lien entre l'action du Parlement sur le budget et les actions concernant ces lois. Certains gouvernements en sont venus à établir des budgets globaux qui combinent recettes, dépenses et modifications des lois en vigueur. Les États-Unis ont mis en place depuis 1980 un processus de conciliation qui permet au Congrès d'utiliser son budget pour modifier la législation concernant les recettes et les prestations. Ce processus de conciliation n'est pas utilisé chaque année, mais seulement lorsque des changements importants sont apportés à la politique budgétaire.
Enfin, les Parlements peuvent participer au mouvement actuel d'amélioration de la qualité et de l'efficience des services publics en ouvrant des crédits en fonction des attentes et des résultats. Un Parlement qui récompense ou ignore les mauvais résultats obtiendra de mauvais résultats. Les Parlements devraient être à l'avant-garde pour exiger de meilleures informations sur les performances, recourir aux indicateurs de performance lorsqu'ils autorisent des crédits et préciser à l'avance les résultats attendus des organismes publics.
d) Rôle futur des Parlements : les différents scénarios envisageables
À l'avenir, les Parlements disposeront de davantage de ressources pour s'acquitter de leurs responsabilités budgétaires. Ils disposeront de personnels, de commissions et d'informations. Mais en auront-ils la volonté ? La réponse sera différente dans chaque pays en fonction des instruments utilisés en matière budgétaire. Cependant, pour les besoins de l'analyse, on peut esquisser deux scénarios totalement différents : un scénario dans lequel le Parlement dispose de ressources mais ne joue aucun rôle ; dans l'autre scénario, il a un rôle à jouer mais pas de moyens financiers. On pourrait appeler le premier scénario, sur le mode plaisant « le cauchemar de l'athée ». C'est l'histoire de l'athée qui a fait inscrire sur sa pierre tombale : « Tout habillé, mais nulle part où aller ». Par conséquent, une voie pour les Parlements serait de disposer de toutes les ressources possibles mais sans savoir quoi en faire. Bien entendu, ils pourraient persévérer dans les attitudes du passé et apporter ici ou là des ajustements mineurs, tout en s'attribuant le mérite d'aider leurs électeurs et de promouvoir leur carrière politique. Ce rôle est analogue à celui qu'ont joué de nombreux Parlements dans le passé récent. Peut-être le fait de disposer de personnels et d'avoir des attributions en matière budgétaire élargira-t-il le point de vue et l'ambition du Parlement et l'amènera-t-il à apporter des changements plus importants au budget ?
Dans le second scénario, le Parlement se transforme en institution budgétaire, qui prépare des budgets dans le cadre du budget établi par le gouvernement. Plutôt que d'ajuster le budget à la marge, le Parlement utiliserait ces ressources supplémentaires et son rôle élargi pour contester les politiques et les priorités que le gouvernement lui a présentées. Mais un Parlement résolu à assumer ce rôle bénéficiera-t-il des appuis politiques indispensables pour soutenir ses ambitions ? Le système politique pourra-t-il supporter les multiples conflits et tensions qui surviendront certainement lorsque le Parlement suivra sa propre voie en matière budgétaire ? Qui disparaîtra en premier : la discipline des partis ou la volonté du Parlement d'avancer de manière indépendante ?
Aucun des deux scénarios n'est particulièrement attrayant ; ils sont aux antipodes l'un de l'autre et les Parlements devront trouver une voie médiane. Tel est le défi auquel sont confrontés les bâtisseurs du Parlement contemporain : pas davantage qu'il n'est possible d'abandonner le passé n'est-il possible de refuser l'avenir.
Tableau 1
POUVOIR DU PARLEMENT DE MODIFIER LE BUDGET
PRÉSENTÉ PAR LE GOUVERNEMENT
PAYS |
RÉPONSE |
Allemagne |
|
Australie |
|
Autriche |
|
Belgique |
|
Brésil |
|
Canada |
|
Chili |
|
Corée |
|
Danemark |
|
Espagne |
|
États-Unis |
|
Finlande |
|
France |
|
Hongrie |
|
Irlande |
|
Islande |
Le Gouvernement dispose presque toujours d'une majorité au Parlement, et cette majorité consulte généralement le Gouvernement avant de modifier le budget. |
Italie |
|
Japon |
|
Norvège |
|
Nouvelle-Zélande |
|
Portugal |
|
République tchèque |
|
Royaume-Uni |
|
Suède |
|
Suisse |
|
Turquie |
|
Source : OCDE, « Le rôle des parlements » (1998). Adapté des réponses des pays à la question 2.1 : « Existe-t-il des restrictions à la capacité du Parlement de modifier le projet de budget proposé par le Gouvernement ? Dans l'affirmative, quelle forme ces restrictions prennent-elles ? » |
Tableau 2
MODIFICATION PAR LE PARLEMENT DES PROJETS DE BUDGET
PRÉSENTÉS PAR LE GOUVERNEMENT
PAYS |
RÉPONSE |
Allemagne |
|
Australie |
|
Autriche |
|
Belgique |
|
Brésil |
|
Canada |
|
Chili |
|
Corée |
|
Danemark |
|
Espagne |
|
États-Unis |
|
Finlande |
|
France |
|
Hongrie |
|
Irlande |
|
Islande |
|
Italie |
|
Japon |
|
Norvège |
|
Nouvelle-Zélande |
|
Portugal |
|
République tchèque |
|
Royaume-Uni |
|
Suède |
|
Suisse |
|
Turquie |
|
Source : OCDE, « Le rôle du Parlement » (1998). Adapté des réponses des pays à la question 2.2 : « En règle générale, le Parlement adopte-t-il le projet de budget présenté par le Gouvernement ? Combien d'amendements au budget... sont-ils finalement proposés par le Gouvernement et par les membres de l'opposition au Parlement ? Combien de ces amendements sont-ils généralement approuvés ? » |
Tableau 3
MODIFICATIONS DU RÔLE DU PARLEMENT DANS LE PROCESSUS BUDGÉTAIRE PENDANT LA PÉRIODE 1988-98
PAYS |
RÉPONSE |
Allemagne |
|
Australie |
|
Autriche |
|
Brésil |
|
Canada |
|
Chili |
|
Corée |
|
Espagne |
|
Finlande |
|
Hongrie |
|
Irlande |
|
Italie |
|
Japon |
|
Norvège |
|
Nouvelle-Zélande |
|
Portugal |
|
Royaume-Uni |
|
Suède |
|
Suisse |
|
Source : OCDE, « Le rôle du Parlement » (1998). Adapté des réponses des pays à la question 2.2. « Le Parlement joue-t-il un rôle plus actif dans le processus budgétaire qu'il y a dix ans ? Dans l'affirmative, pour quelles raisons ? » |