« Femmes et pouvoirs » (XIXe - XXe siècle)
V. DANIÈLE POURTAUD
Cela va être difficile d'être brève et surtout de ne pas redire ce qui a été dit... Je vais rebondir sur ce que disait tout à l'heure Élisabeth Guigou. J'ai été élue sénateur en 1995, et je suis devenue sénatrice en 1997 lorsque Lionel Jospin a imposé, par une circulaire, la féminisation des noms de fonctions et de titres. La première fois qu'une ministre m'a interpellée dans l'hémicycle en me disant « madame la sénatrice », il y a eu plus qu'un brouhaha, et la première fois qu'une ministre est venue dans ma commission, elle s'est faite interpeller par un certain nombre de mes collègues masculins sur le thème : « Madame la ministre, puisqu'il faut parler québécois » ! Heureusement, toutes ces plaisanteries (et je ne parle pas des plus scabreuses) se sont calmées. Quoi qu'il en soit, je dirai comme Élisabeth que malheureusement, les bonnes pratiques qui sont, je le répète, inscrites dans les lois de la République connaissent actuellement un recul puisque j'entends beaucoup de ministres qui disent, en parlant de leurs collègues, « madame le ministre », et qui s'adressent à nous en disant « madame le sénateur ». Généralement, ils ne recommencent pas deux fois avec moi, mais tout de même...
Qu'est-ce que je pourrais dire encore pour rendre hommage au Sénat ? Il faut bien constater que, dans le débat sur la loi constitutionnelle sur la parité dont parlait tout à l'heure Élisabeth Guigou, le Sénat a rendu service à la parité et, d'une manière générale, à la progression de l'égalité dans ce pays parce qu'en bloquant la révision constitutionnelle dans un premier temps, il a contribué à ce que le débat envahisse la sphère publique, à ce que les médias se saisissent du problème, ce qui a abouti à des manifestations devant le Sénat. Finalement, la majorité sénatoriale s'est rangée à la cause de la révision constitutionnelle lorsque les sondages ont montré qu'il y avait plus de 80 % des Français qui étaient pour. Donc, malgré lui, il a fait progresser la cause ! Je le dis avec un peu d'humour mais avant tout, je continue à penser que le débat public est essentiel, parce que la bataille est culturelle.
Revenons un peu au thème du bilan de la loi sur la parité. Évidemment, verre à moitié vide ou à moitié plein... Je ne vais pas vous redire ce qui vient de vous être excellemment dit par ma collègue sur les chiffres. Pour faire court, là où elle s'applique, la loi a atteint son but (47,5 % de femmes dans les conseils municipaux, une progression importante dans le renouvellement du Sénat sur les départements à la proportionnelle, ce qui a permis de doubler le nombre de femmes qui sont passées de 6 à 11 % au Sénat). Mais là où la loi ne s'applique pas, nous avions fait le pari, dans les débats que nous avions eus avec le gouvernement, nous les parlementaires socialistes qui avons beaucoup contribué à écrire la déclinaison électorale de la révision constitutionnelle, nous avions fait le pari, puisque le Premier ministre s'était engagé, comme l'a dit Élisabeth, à ne pas changer les modes de scrutin, qu'il y aurait une contamination sur les autres modes de scrutin principalement les modes de scrutin uninominaux, les cantonales, les municipales pour les communes en dessous de 3 500 habitants. Nous avions fait le pari de la contamination, et cela n'a pas marché... car, aujourd'hui, il y a toujours un peu moins de 10 % de femmes dans les conseils généraux...
Pour ce qui est des modes de scrutin, je pense qu'effectivement il faut encore réfléchir à des modifications législatives, parce que, clairement, on voit bien que la résistance est très forte, qu'on peut même avoir des retours en arrière. Je vais revenir un instant sur ce qu'a démontré Mme Calvès. Bien sûr, il y a eu deux modes de scrutin qui ont été récemment modifiés, avec une avancée cosmétique de la parité (ce sont les scrutins régionaux et européens), même si je crains, comme Mme Calvès, que le nouveau scrutin européen ne débouche pas sur une avancée pour les femmes, avec les 8 circonscriptions. Mais il y a aussi eu un recul majeur de la nouvelle loi modifiant le mode de scrutin aux élections sénatoriales. Le gouvernement nous a proposé de diminuer le nombre de départements où les sénateurs sont élus à la proportionnelle. On était arrivé à peu près à un équilibre, et aujourd'hui on revient à un scrutin uninominal pour les départements qui élisent jusqu'à 3 sénateurs. Donc, recul de la proportionnelle. Or, tout le monde sait que la parité s'appuie plus facilement sur la proportionnelle que sur le scrutin uninominal, surtout aux sénatoriales puisque, au scrutin uninominal, quel est le vivier pour les candidats ? Celui des conseils généraux, dans lesquels il y a moins de 10 % de femmes ! Le groupe socialiste a d'ailleurs déposé un recours devant le Conseil constitutionnel et je ne comprends toujours pas comment le Conseil constitutionnel a fait pour ne pas l'invalider. Après avoir écouté Mme Calvès, j'y vois un peu plus clair. Et j'ai du coup une autre réforme à proposer, c'est qu'on impose la parité au Conseil constitutionnel, cela fera sans doute avancer les choses.
Je pense que la principale résistance, qui a été évoquée par ma collègue à l'instant, c'est aussi le pouvoir. On a fait des modifications législatives pour faire entrer les femmes, mais on n'a pas encore touché réellement aux lieux de pouvoir. On a des conseils municipaux avec 47,5 % de femmes ; mais on n'a rien précisé dans la loi pour les exécutifs, or ceux-ci sont loin d'être paritaires. Rare exception pour Paris dont l'exécutif est paritaire, par la seule volonté du maire. Il a même d'ailleurs été plus loin puisqu'on est 18 adjointes pour 15 adjoints. Je pense qu'il est nécessaire d'inscrire dans la loi la parité pour les exécutifs municipaux.
Ensuite, chacun sait que, depuis qu'on a créé les intercommunalités, le lieu du pouvoir s'est beaucoup déplacé du conseil municipal vers les conseils de l'intercommunalité. Tant qu'on n'aura pas réformé le mode de scrutin pour les intercommunalités, et qu'on n'aura pas élu leurs membres au scrutin direct et donc à la proportionnelle, on ne pourra pas y appliquer des règles paritaires. Or aujourd'hui, il n'y a que 5,4 % d'intercommunalités qui sont présidées par une femme, et seulement une seule femme présidente d'une intercommunalité de plus de 200 000 habitants. Donc là encore, la loi sera nécessaire pour modifier le mode de scrutin pour que la parité puisse s'appliquer.
Les cantonales... On n'a pas pu y toucher étant donné le mode de scrutin. La contamination vertueuse n'existe pas. Que faire ? Moi, je pense qu'il faudrait changer le mode de scrutin. Une des propositions qui, dans mon parti politique, commence à circuler, c'est l'idée de faire des tickets. Moi, je ne suis pas tellement d'accord avec l'idée des suppléances, parce qu'on se demande qui va être le titulaire et qui sera la suppléante... Je suis plutôt pour une réforme qui consisterait à multiplier par deux le nombre de conseillers généraux en France. Après tout, dans le cadre des lois de décentralisation, on va confier beaucoup plus de pouvoir aux Conseils généraux. Et donc les tickets seraient obligatoirement paritaires.
Pour les législatives... cette proposition a également été faite. En tout cas, c'est clair, l'incitation financière n'a pas marché. On avait beaucoup travaillé au Parlement, parce que, là, le gouvernement nous a vraiment beaucoup associées, je le redis à Élisabeth, j'en garde un très bon souvenir. On a beaucoup réfléchi pour inventer la parité aux municipales, on a beaucoup cherché sur les législatives. On se demandait s'il fallait une prime pour les partis qui présenteraient suffisamment de femmes (je crois que c'était Yvette Roudy qui disait que cela ressemblait un peu à la « prime à la vache »). Finalement, on a choisi l'autre solution, la pénalité pour les partis qui ne présenteraient pas un nombre égal d'hommes et de femmes. Le résultat, vous le connaissez. 12 % de femmes à l'Assemblée. Donc ça ne marche pas. Je ne suis pas fière du tout de mon parti ! C'est nous qui avions porté la parité et on n'a pas su la faire respecter : 38 % de candidates, et après les accords divers et désistements, 36 %. Il y avait 20 % de candidates au RPR, ce qui n'était pas mieux. En fait, le RPR a préféré payer quatre millions d'euros d'amende et le PS deux millions d'euros !
Évidemment, on peut envisager des changements radicaux de mode de scrutin : la proportionnelle certains le défendent. Autre solution, la semaine dernière, j'étais dans un colloque en Italie, et on nous a dit qu'il y aurait une proposition de loi présentée par Massimo D'Alema et une sénatrice socialiste, qui viserait à proposer de ne pas rembourser les dépenses électorales des partis qui ne présenteraient pas un nombre égal d'hommes et de femmes. Moi je trouve cela assez radical... Cela supposerait évidemment de modifier la loi sur le financement des partis politiques en France, donc c'est compliqué, mais... je vous garantis que si on ne rembourse pas les frais de campagne, cela va commencer à faire réfléchir ! En attendant, je propose qu'on se mobilise de manière très intense, chacune dans nos partis. Le parti dans lequel je milite a quand même fait entrer la parité dans ses instances, donc cela nous permettra, j'espère, d'être plus fortes. Et je suggère une méthode que nous avions essayé d'imposer à Paris aux dernières législatives. Nous avons 21 circonscriptions à Paris, mais nous les avions divisées en 3, donc il y en avait 7 dans chaque catégorie : les très bonnes, celles où il y avait déjà un député socialiste ; les gagnables, celles où on voyait à travers les dernières élections une forte progression ; et les terres de mission. Évidemment, je vous donne le résultat : nous avons réussi à imposer dans les très bonnes 1 candidate, nous avons réussi à imposer dans les gagnables 1 candidate, et pour les terres de mission, nous en avons eu 6 sur 7... Le résultat, évidemment, vous l'avez deviné, comme c'était un bon cru pour la gauche à Paris, on a eu 2 élues, 1 dans les gagnables et 1 dans les très bonnes circonscriptions. Je pense qu'avec cette méthode qui consiste à ce que les femmes d'un parti se mobilisent et fassent un classement des circonscriptions (même si ce sont toujours les électeurs qui auront le dernier mot et même si c'est très aléatoire), on peut faire des grandes catégories. Si on arrive à imposer que les femmes ne soient pas que dans les terres de mission, on aura sans doute de meilleurs résultats à l'Assemblée la prochaine fois. Et, Edith, je ne peux pas m'empêcher de conclure en disant simplement que toutes, on doit se souvenir de ce que disait François Mitterrand : « L'égalité n'est jamais acquise, c'est toujours un combat ».