La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale



Palais du Luxembourg, 26 juin 2001

DEUXIÈME SÉANCE

LE PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION EN FRANCE

Dr Herwig VAN STAA, Président de la Chambre des pouvoirs locaux du CPLRE, Maire d'Innsbruck

La France a une grande tradition en matière de démocratie locale. Au sein des communes et des régions, les citoyens français ont un rôle important à jouer. Monsieur Chénard a fait preuve d'un grand mérite en tant que Président du CPLRE au cours de la deuxième année. Monsieur Frécon est un expert depuis des années en matière de démocratie locale et régionale. Il est vice-président de la commission institutionnelle de la Chambre des pouvoirs locaux. Il est dommage que la France n'ait pas encore ratifié la Charte. Nous pensions qu'elle serait plus rapide que la Grande-Bretagne. Nous sommes heureux de savoir que nous sommes sur la bonne voie.

La France joue un rôle important au sein du Conseil de l'Europe. Nous voulons oeuvrer pour le développement des Droits de l'Homme et celui de la démocratie locale et régionale dans la Grande Europe.

M. Daniel VAILLANT, Ministre de l'Intérieur

Monsieur le Président du Sénat,

Monsieur le Président du Congrès,

Monsieur le Premier ministre,

Mesdames et Messieurs les membres du Congrès,

Mesdames et Messieurs les parlementaires

Je souhaite tout d'abord vous remercier, M. le Président Poncelet, de votre invitation à ce colloque organisé conjointement par le Sénat et le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux du Conseil de l'Europe. C'est avec un grand plaisir que je rencontre M. Cuatrecasas, comme les membres du Congrès, au moment même où vous débattez de la décentralisation française et je sais toute l'attention que vous avez portée à la situation de la démocratie locale en France, notamment au travers du rapport de vos collègues MM. Bucci et Van Cauwenberghe que vous avez examiné l'an dernier.

Je veux saluer également M. Pierre Mauroy, qui a impulsé et conduit comme Premier ministre, comme vous le savez, la plus grande réforme de la décentralisation que la France ait connue depuis la III e République. C'est sous son inspiration et celle de la commission qu'il présidait à la demande du Premier ministre, qu'une nouvelle étape de la décentralisation a été conçue au début de cette année 2001.

Le thème de votre colloque : « La décentralisation française vue d'Europe » rejoint les réflexions et l'action actuelles du Gouvernement de Lionel Jospin. Ainsi, la semaine dernière, hier encore, je présentais aux députés le projet de loi sur la démocratie de proximité, dont l'examen constitue un moment fort pour l'approfondissement de notre démocratie locale. J'y reviendrai.

Mon propos portera, comme vous l'avez souhaité, sur le nouveau processus de la décentralisation en France. Mais, au préalable, je souhaite vous indiquer comment je perçois l'action de mon ministère dans le domaine de l'administration locale au sein de l'ensemble européen.

1. Mon premier message sera de vous assurer que la France partage et appuie les efforts déployés par le Conseil de l'Europe et son Congrès des pouvoirs locaux et régionaux pour promouvoir l'autonomie locale.

a) Mon département ministériel est déterminé à soutenir vos efforts pour promouvoir la démocratie locale.

En sa qualité de pays cofondateur et hôte de l'institution, la France est attachée aux activités du Conseil de l'Europe, pionnier des institutions européennes et champion de l'État de droit. Elle entend participer pleinement à ses travaux dans le cadre des orientations définies lors du deuxième sommet de Strasbourg d'octobre 1997. Pour ma part, ministre en charge de l'administration territoriale, je suis attentif aux initiatives prises par le Conseil pour la promotion de la démocratie locale. Je sais la place prise par le Congrès dans ce processus. Une telle contribution a été rendue possible grâce au mouvement mobilisateur qu'il a suscité autour de ses travaux et du caractère incisif de ses expertises sur la situation de la démocratie locale dans chaque pays membre. Je tiens à saluer, à cet égard, l'énergie et le dévouement d'Alain Chénard, pour développer le rôle de votre assemblée.

Le Congrès est, également, à l'avant-garde du soutien aux pays de l'Europe centrale et orientale. Nombre de vos délégués sont allés sur le terrain dans ces pays pour se porter à l'écoute de leurs responsables.

J'ai donc décidé que mon ministère s'investirait davantage encore dans vos travaux. Et cette disposition s'applique également aux travaux menés par le Comité directeur de la démocratie locale et régionale. Je confirme en cela les propos que le directeur général des collectivités locales vous a tenus il y a quinze jours à Strasbourg. Je le fais avec d'autant plus de conviction que la France dispose d'un modèle de démocratie locale à la fois ancré dans sa tradition républicaine et revigoré par les progrès majeurs accomplis, depuis 1982, en matière de décentralisation.

C'est dire qu'on chercherait en vain les raisons pour lesquelles la France apparaîtrait en retrait dans le mouvement d'affirmation de l'autonomie locale en Europe.

b) Le moment me paraît venu de voir la France confirmer solennellement son attachement
à la démocratie locale.

La notion d'autonomie locale peut être rapprochée du principe de libre administration des collectivités territoriales, tel qu'il est fixé par notre Constitution. Pour l'essentiel, notre système local est en harmonie avec les principes de la charte de l'autonomie locale.

Les collectivités locales française reçoivent leurs compétences de l'État, dans le cadre de la loi. Elles peuvent ainsi, sans être soumises à des contraintes excessives et sans interférer avec les pouvoirs exécutif et législatif, comme avec l'autorité judiciaire, exercer leurs missions au profit de leurs populations.

Dans cet esprit, je vous confirme que je suis favorable à la réouverture de la procédure de ratification de cette charte, ainsi que je l'ai proposé au Premier ministre.

c) C'est pourquoi je suis désireux de favoriser la bonne insertion des collectivités dans le processus européen.

Cette insertion relève d'abord de l'efficacité des actions de coopération transfrontalière qui, depuis plus de vingt ans, bénéficient d'une place privilégiée dans notre action politique Elle se situe au confluent d'une législation nationale spécifique et de la convention cadre européenne sur la coopération transfrontalière élaborée à l'initiative du Conseil de l'Europe. Ces deux sources n'ont cessé d'emprunter un cours favorable à la coopération transfrontalière. En dix ans, de 1982 à 1992, on est ainsi passé de la seule faculté pour le conseil régional d'organiser avec l'autorisation du Gouvernement des contacts réguliers avec des collectivités territoriales étrangères ayant une frontière commune à la possibilité pour une commune, un département ou une région de conventionner avec une collectivité locale étrangère, quel que soit le pays à travers le monde, dans les seules limites de leurs compétences et du respect des engagements internationaux de la France. En quelques lignes, le fondement de la coopération décentralisée et transfrontalière est ainsi posé.

D'autres dispositions, dont certaines remontent à 1995, facilitent encore l'exercice de la coopération transfrontalière en offrant la possibilité pour des collectivités territoriales étrangères de participer à des groupements d'intérêt public et à des sociétés d'économies mixtes locales et, réciproquement en permettant aux collectivités locales françaises d'adhérer à des organismes publics de droit étranger.

L'évolution de la coopération transfrontalière témoigne qu'une législation concise, sans doute unique en Europe, respectueuse du principe de libre administration des collectivités locales et bénéficiant d'un engagement constant de l'État et des collectivités territoriales, permet d'aller vite et loin.

Plusieurs institutions européennes, à commencer par le Conseil de l'Europe, ont engagé des réflexions sur le perfectionnement des modes de Gouvernement. La Commission européenne prépare ainsi, un Livre blanc sur la bonne « gouvernance européenne ».

Nous ferons connaître, le moment venu, la position du Gouvernement français sur les préconisations qui s'en dégageront. Mais comme ces réflexions concernent, d'une manière ou d'une autre, l'organisation locale, je tiens à vous faire part, d'ores et déjà, des quelques principes qui nous guideront dans l'élaboration de la position des autorités françaises.

- Premier principe : si des valeurs démocratiques communes doivent inspirer l'organisation locale des pays européens, si les coopérations doivent se renforcer, il ne m'apparaît pas souhaitable de privilégier un cadre unique d'administration locale. Il n'est pas d'organisation territoriale idéale. Le principe de la liberté de choix des modèles d'administration locale, adaptés à la culture, à la tradition et aux spécificités de chaque pays, doit prévaloir. J'observe, aux demeurant, que sous des appellations diverses, il existe, dans la plupart des pays européens comme en France, trois niveaux de collectivités locales : un niveau local, un niveau régional et un niveau intermédiaire.

La France est attachée à la commune qui reste son modèle de référence. Nos 500 000 élus locaux constituent une richesse démocratique irremplaçable et unique, même si un effort puissant de rationalisation de l'action de ces collectivités a été engagé du fait du développement de l'intercommunalité. La commune reste et restera le symbole concret de la vie démocratique car c'est à son niveau que peut s'établir une réelle participation des citoyens et que se règlent les questions de notre vie quotidienne.

Deuxième principe : la prévalence de la responsabilité démocratique.

Devant le besoin croissant et légitime de participation à la décision publique de la population et donc des associations, des ONG ainsi que des partenaires sociaux, le Gouvernement a montré l'exemple dans ce domaine, en généralisant, au titre du projet de loi « démocratie de proximité », la formule des conseils de quartier qui associent, au niveau le plus fin d'un territoire, les représentants de la « société civile »aux élus municipaux. Il n'en demeure pas moins que le principe de la responsabilité démocratique, qui implique que la décision incombe à celui qui a été élu, ne doit pas être remis en cause.

- Dernier principe, la nouvelle architecture institutionnelle de l'Europe ne saurait se résumer à une marqueterie de pouvoirs régionaux. Le Gouvernement vient d'effectuer une avancée significative en proposant dans le projet de loi relatif à la démocratie de proximité de nouveaux transferts de compétences aux régions. Mais l'État doit maintenir sa capacité d'agir et de décider localement. Le même raisonnement s'applique d'ailleurs aux instances communautaires qui, garantes de la cohésion économique, sociale et territoriale de l'Union, doivent maintenir, à l'heure de l'élargissement, leur capacité de mener une politique régionale cohérente et équitable. Il n'est pas dans l'intérêt des autorités européennes d'aboutir à un processus d'émiettement territorial, conduisant à l'affaiblissement des politiques communautaires.

J'en viens maintenant au nouveau processus de décentralisation engagé en France.

2. Une nouvelle étape de la décentralisation est lancée

Ce sont les réformes de 1982/1983 qui ont fait franchir un pas décisif à la décentralisation. La philosophie des réformateurs de cette période avait consisté à redistribuer les pouvoirs, en conférant aux élus locaux des responsabilités directes très importantes. Aujourd'hui, la décentralisation est approuvée par l'ensemble des élus et parallèlement bien perçue par les Français.

Depuis 1997, ce Gouvernement a amplifié ce mouvement. Je citerai, notamment, la loi sur le renforcement de l'intercommunalité du 12 juillet 1999 et celle sur l'aménagement et le développement durable du territoire adoptée la même année qui permettront de bâtir une nouvelle coopération, fondée sur des projets de territoire. La loi sur la solidarité et le renouvellement urbains du 13 décembre 2000 confère elle-aussi, grâce aux schémas de cohérence territoriale, des outils nouveaux aux élus locaux.

Le rapport de la commission Mauroy avait conclu à une nécessaire « refondation de l'action publique locale ». Le Premier ministre s'est exprimé le 27 octobre dernier à Lille et le 17 janvier devant l'Assemblée nationale sur l'orientation du Gouvernement en matière de décentralisation. Elle repose sur les 6 priorités suivantes :

- la démocratisation des institutions locales,

- l'approfondissement de la démocratie locale,

- un meilleur partage des compétences.

- une réforme des finances locales,

- l'amélioration du recrutement et de la formation des agents territoriaux,

- la relance de la déconcentration.

Le premier mouvement de décentralisation, mis au point dans les années 1980, visait les collectivités locales, leurs structures, leurs compétences et leurs moyens. Celui que nous engageons aujourd'hui porte sur les acteurs de la vie locale : les élus, les agents et les citoyens, qui doivent être au coeur de notre action.

Aujourd'hui, et sans être exhaustif, je souhaite vous résumer la philosophie qui nous anime dans trois secteurs-clés de ce nouveau processus : la démocratie participative, les nouveaux transferts de compétences aux Régions et les finances locales.

a) La démocratie participative

Le texte qui vient d'être présenté aux députés prend en compte le besoin croissant de participation des citoyens à la décision publique.

Ce projet renforce la participation des habitants au débat public par la création de conseils de quartiers, obligatoires dans les grandes villes. Ces instances consultatives associeront aux élus locaux des représentants des habitants et des associations.

Le projet de loi, par toute une série de dispositions, confère des droits et des moyens nouveaux aux groupes minoritaires dans les conseils de façon à permettre là aussi une meilleure expression démocratique au sein des assemblées élues.

Enfin, le projet comporte un volet relatif à la participation du public à l'élaboration des grands projets d'aménagement ou d'équipement ayant une incidence importante sur l'environnement ou l'aménagement du territoire. En réformant les modalités d'appréciation de l'utilité publique de ces projets, il s'agira de rendre plus transparent le processus de décision, en permettant au public de s'exprimer en amont des projets, d'accroître les responsabilités des collectivités locales dans l'appréciation de l'utilité publique de leurs projets et d'améliorer le déroulement des enquêtes publiques. Le rôle et les moyens de la Commission nationale du débat public, érigée en autorité administrative indépendante, seront significativement renforcés.

b) Deuxième point : le renforcement des compétences régionales

A la demande des députés de toutes les formations politiques, le Gouvernement a souhaité saisir l'occasion du projet de loi sur la démocratie de proximité pour proposer un renforcement immédiat des compétences régionales sur les thèmes qui lui paraissaient les plus simples et les plus consensuels, à savoir :

- les interventions économiques : Le projet de loi se propose d'accroître et de compléter les compétences des Régions en matière économique, en leur permettant d'une part, de définir elles-mêmes les régimes d'aides aux entreprises et d'autre part, de doter des fonds de capital investissement.

- La formation professionnelle : Dans le souci d'une maîtrise régionale renforcée de la formation professionnelle des jeunes comme des adultes, le projet de loi leur confie la responsabilité du versement des indemnités compensatrices aux entreprises qui accueillent des apprentis et leur confie la réalisation d'un plan de développement de l'ensemble des formations professionnelles.

- Les infrastructures : Dans le but de confier à terme aux régions une compétence de gestion des infrastructures portuaires et aéroportuaires, d'intérêt local, le projet de loi organise une phase d'expérimentation qui permettra pendant cinq ans à certaines Régions volontaires d'exercer ces compétences.

- L'environnement : Le projet propose de confier aux Régions des compétences tant pour la planification en matière d'environnement (protection de l'air, déchets) que pour la protection des espaces protégés (inventaire des espèces, réserves naturelles).

Ce renforcement des compétences régionales que propose le Gouvernement devrait contribuer à ce que les Régions, collectivités jeunes et dynamiques, puissent pleinement tenir leur place dans notre système institutionnel, à l'image du rôle essentiel qu'elles ont dans la plupart des pays européens.

Mais ces transferts, pour significatifs qu'ils soient, n'épuisent pas l'ambition du Gouvernement en la matière.

Tout d'abord et comme je l'ai indiqué à l'ouverture des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi relatif à la démocratie de proximité, je suis prêt à examiner toute proposition, de députés ou de Sénateurs, de transfert de compétences à d'autres niveaux de collectivités territoriales, pour peu qu'ils s'inscrivent dans le cadre fixé pour les régions et qu'ils ne réclament des expertises ou des concertations que nous ne serions pas en mesure de mener à leur terme d'ici la fin de la législature.

Au début de la nouvelle législature, d'autres transferts de compétences encore, pourront, à l'issue des expertises et concertations nécessaires, être proposés et je l'espère adoptés par la représentation nationale.

Troisième pôle de réforme : les finances locales

Compte tenu de ses responsabilités essentielles en matière de régulation macroéconomique, l'État a été amené, pour maîtriser les prélèvements obligatoires ou pour favoriser l'emploi, à prendre des décisions qui concernent tout autant la fiscalité nationale que la fiscalité locale.

Dans ce dernier domaine, l'État doit prendre en compte les imperfections du système fiscal français qui concilie très imparfaitement les exigences de justice fiscale et de financement équitable de l'ensemble des collectivités locales.

Il convient de remédier à ces inconvénients, tout en évitant de bousculer de fragiles équilibres.

Le Premier ministre a souhaité que soit préparée une prochaine réforme des ressources locales, à partir d'un rapport qui sera présenté au Parlement avant la fin de l'année en cours.

Le premier axe de cette réforme devrait concerner la fiscalité locale trop injuste et reposant parfois sur des données trop anciennes, voire obsolètes.

L'autre axe de réforme des finances locales visera une répartition plus simple et plus juste des dotations de l'État.

Il s'agit d'assurer une évolution équilibrée de ces dotations. Les collectivités locales doivent bénéficier de ressources prévisibles et évolutives dans la durée.

Ce faisant, il conviendra de ne pas oublier l'objectif de péréquation des ressources. Il faut en effet tendre vers un renforcement de la péréquation fondée sur une meilleure prise en compte de la situation réelle des collectivités locales et donc susceptible d'assurer un meilleur soutien aux collectivités, donc aux populations, les plus fragiles.

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Pour conclure, j'indiquerai que la décentralisation doit être regardée comme un mouvement et non comme un acte de réforme appelé à rester immuable. Elle appelle des évolutions, conçues avec pragmatisme et résolution. Elle doit tenir compte du nécessaire équilibre entre la démocratie participative et la démocratie représentative. C'est d'ailleurs bien dans ce souci que le projet de loi relatif à la démocratie de proximité comprend également une série de mesures destinées à améliorer la situation et les conditions d'exercice des fonctions électives locales, en gardant à l'esprit le souci de démocratiser l'accès aux mandats locaux et d'accompagner l'instauration récente de la parité entre les femmes et les hommes au sein des assemblées locales.

Le Gouvernement auquel j'appartiens n'a pas ménagé ses efforts au service d'une décentralisation plus légitime, plus efficace et plus solidaire, en un mot plus citoyenne. Il a la volonté politique de maintenir et d'amplifier encore son action en ce sens. Il sera très attentif aux suggestions que vous pourriez nous faire.

Je vous remercie chaleureusement.

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