La décentralisation française vue d'Europe - La France et la charte européenne de l'autonomie locale
Palais du Luxembourg, 26 juin 2001
TABLE RONDE N° 1
LE RÔLE DE LA CHARTE EUROPÉENNE DE L'AUTONOMIE LOCALE EN TANT QU'INSTRUMENT JURIDIQUE EUROPÉEN DE RÉFÉRENCE POUR LA STABILITÉ DÉMOCRATIQUE ET LA CONSTRUCTION DE LA DÉMOCRATIE LOCALE DANS LES PAYS DE L'EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE
M. Alain CHENARD, ancien Président du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe
Nous venons d'entendre des orateurs nous présenter avec beaucoup de talent la Charte européenne de l'autonomie locale.
S'agit-il d'une contrainte, d'une ardente obligation, s'agit-il d'une espèce d'excuse ? L'adhésion au Conseil de l'Europe constitue un prétexte pour faire avancer une démocratie que l'on n'a pas forcément souhaitée. S'agit-il d'une sacro-sainte référence ? S'agit-il simplement d'un outil qui permet d'y voir clair après les observations que l'on peut faire dans les pays qui nous environnent ? Autant de questions auxquelles des réponses doivent être apportées, de la manière la plus pragmatique possible, au travers des études de cas et des expériences vécues qui vont maintenant nous être présentées.
La démocratie locale, vous l'avez compris, est quelque chose de délicat, derrière les différences de pratique et d'intention. En France, nous disons dans l'article 72 de la Constitution qu'il s'agit d'une libre administration des collectivités territoriales, mais nous refusons tout ce qui touche à l'autonomie locale, sans trop savoir pourquoi.
Il nous est nécessaire de disposer d'une bonne visibilité. Nous avons désormais, au Congrès des Pouvoirs locaux et régionaux, dans le cadre des activités du Conseil de l'Europe, une pratique permanente qui consiste à aller dans des pays nouvellement adhérents ou des démocraties installées pour, sur quatre, cinq, ou six pays, mener des enquêtes précises et effectuer des analyses qui nous permettent, à un moment donné, de dire : « Telles sont nos constatations, telles sont nos suggestions, telles sont les actions qui permettraient un meilleur fonctionnement de la démocratie locale dans tel et tel pays ».
Le Directeur général des collectivités locales en France affirmait récemment que, par cette action, le Congrès des pouvoirs locaux et régionaux menait un combat pour la démocratie locale. Notre ambition se rapproche plus de la définition qu'a donnée Monsieur le Premier ministre Pierre Mauroy qui, après avoir été l'acteur d'une première vague de décentralisation a été chargé d'une mission importante sur ce thème, et a parlé de « refondation permanente de l'action publique locale ».
L'exemple de la Pologne et de la Hongrie va nous permettre de voir ce qu'il en est. Ces pays ont non seulement installé cette démocratie locale au niveau des communes, mais sont allés jusqu'à la régionalisation. Nous évoquerons également l'exemple de la Roumanie qui, disons-le en toute franchise, a connu un démarrage assez difficile. Quelle bataille, quelle épreuve de force pour essayer de faire comprendre à cet État, à son Gouvernement, que le fait d'avoir adhéré à la Charte européenne de l'autonomie locale au moment de l'adhésion au Conseil de l'Europe avait créé un certain nombre d'obligations !
Finalement, cette résistance de la Roumanie, qui a fini cependant par intégrer dans sa constitution et dans sa législation une protection suffisante des maires, nous a permis d'installer ce système de rapport sur l'état de la démocratie locale dans chaque pays membre. Même la France a fait l'objet d'un rapport, et je remercie et salue deux de ses auteurs, qui ont fourni un travail intéressant.
M. Jozef MIGAS, Président du Conseil national de la République Slovaque
Comme vous le savez, notre pays a mené un processus de transformation et de réforme de son système fiscal, économique et éducatif. Ces changements touchent aussi naturellement l'administration publique. Le dernier pas a été fait en décembre 1990, alors que nous étions encore une composante de la République tchécoslovaque.
En 1990, la loi sur les collectivités locales et la loi sur les pouvoirs transmis aux communes ont été adoptées. L'administration de l'État a accompagné les transformations de l'administration publique. Naturellement, une décentralisation des pouvoirs publics est intervenue. En 1996, une autre loi a été adoptée, concernant la décentralisation de l'aménagement territorial de l'administration publique dans différents domaines. Le domaine de la culture, le domaine social, le domaine de l'éducation publique ont ainsi leurs propres pouvoirs. L'aménagement du territoire a ensuite été revu. Huit régions et soixante dix-neuf communes ont été constituées dans le cadre du processus du changement de l'administration publique. Mais la volonté politique n'était pas encore assez forte pour octroyer tous ces pouvoirs au niveau local. C'est pourquoi, après les élections en 1998, l'objectif principal du Gouvernement a été de poursuivre ce processus de décentralisation de l'administration publique.
Nous avons ratifié la Charte européenne, qui représente pour nous un complément, une base pour les nouvelles stratégies et pour la conception de la décentralisation de l'administration publique.
La ratification n'est qu'une partie simple du problème. L'autre concerne la préparation du pays pour mettre la Charte en pratique. L'objectif principal de notre Parlement et de notre Gouvernement porte donc sur le côté pratique de la Charte. L'objectif du Parlement est toujours la décentralisation de l'administration publique et le renforcement des autonomies locales ; mais son objectif principal porte sur la constitution d'une autonomie régionale, dont nous ne disposons pas à ce jour. Il est nécessaire, pour atteindre cet objectif, de procéder à un transfert des compétences du Gouvernement aux communautés locales ou aux communautés régionales, ce qui, comme vous le savez, est très difficile. Le Gouvernement et le Ministère sont en effet peu disposés à abandonner une partie de leurs compétences.
Nous devons, en outre, réformer notre système fiscal. Il est important, comme nous en avons aujourd'hui discuté, de transférer des moyens financiers et de garantir des ressources financières aux collectivités locales. Il est très intéressant pour nous de participer à cette conférence, qui nous permet d'avoir connaissance de la situation en Pologne, en République tchèque, en Hongrie et en France.
La République tchèque et la Pologne ont choisi le système de la gestion de l'autonomie intégrée où, en dehors de l'exercice de l'autonomie locale, les mêmes organes locaux exercent aussi les fonctions de l'État. Nous suivons le modèle roumain, système dualiste, où l'on a fait une division évidente entre l'administration publique et les collectivités locales. Dans ce domaine, les expériences que vous avez menées en France sont d'une très haute importance. Concernant l'aménagement du territoire, nous avons une division comparable à celle du système français. Nous avons en effet des communes, des autonomies locales, et nous avons quelquefois des problèmes avec les petites communes, qui doivent être réunies dans le domaine d'une collectivité locale plus vaste.
Les expériences que vous avez menées en 1982 et 1983 sur le plan de la division, de l'aménagement du territoire et des départements sont très intéressantes pour nous. Il pourrait nous être utile de suivre ce modèle. Plus de 100 Français ont, sous la direction de Paul Girod, représentant français des départements français, des communes, et des maires, participé à un récent colloque qui s'est tenu en Slovaquie. Nos amis français nous ont demandé si nous étions parvenus à gérer le côté professionnel, la face pratique du processus complexe de décentralisation des pouvoirs. Nous avons eu connaissance d'exemples de pays dans lesquels ce thème est en discussion depuis des décennies, mais qui font preuve d'une grande prudence dans leur prise de décision.
La Slovaquie est un pays candidat à l'adhésion à l'Union européenne. Nous sommes très ambitieux, et prévoyons d'intégrer l'Union en 2004. Nous avons conscience de la nécessité de procéder à tous ces changements législatifs.
Nous n'avons pas une histoire qui pourrait nous aider dans ces processus. Elle est peu riche sur le plan de la démocratie. C'est pourquoi il faut maintenant faire beaucoup d'efforts pour réussir à effectuer tous ces changements dans un délai aussi court. Nous devons pour cela apprendre beaucoup de vos expériences, être vos élèves pour pouvoir intégrer tous vos acquis dans notre législation, dans nos activités. Nous avons prévu pour la semaine prochaine une session du Parlement pour résoudre les autres sujets liés à la réforme de l'administration publique. Mais j'espère que nous obtiendrons des résultats positifs, grâce à votre expérience.
M. Alain CHENARD
Merci pour vos références et hommages à la France. Vous avez tous nos encouragements pour réussir dans votre oeuvre.
Je passe la parole à Monsieur Jerzy Regulski, ancien Ministre de l'autonomie locale en Pologne, Président de la Fondation pour le soutien de la démocratie locale, qui a été l'un des artisans de la réforme du Congrès des pouvoirs locaux et régionaux de l'Europe.
M. Jerzy REGULSKI, ancien Ministre de l'Autonomie locale en Pologne, Président de la Fondation pour le soutien de la démocratie locale
Voilà dix ans que nous menons, en Pologne, des réformes concernant la décentralisation et le développement des pouvoirs locaux. Le succès a été rendu possible grâce à l'assistance et à l'aide des pays de l'Ouest. La France a joué un rôle particulier en créant une fondation spéciale France-Pologne, pour soutenir les changements dans notre pays. Je vous en remercie encore une fois. C'est un grand plaisir d'avoir la possibilité de transmettre notre expérience.
La Charte, qui a pour moi une valeur particulière, puisque j'ai eu l'honneur de la signer au nom de la Pologne, a joué un rôle très spécial. Elle a ainsi été un point de référence dans tous ces processus de décentralisation. Quand on parle de la décentralisation, les gens pensent à une opération purement administrative. La décentralisation a, en Pologne, complètement transformé l'organisation de la société et de l'État. Grâce à l'établissement des pouvoirs autonomes, aux organisations non-gouvernementales, à la presse, la radio et la télévision locales, toutes les relations entre la société et l'administration ont été modifiées, tout comme les échanges pour la gestion des propriétés. Dans une grande partie des propriétés, l'État a été communalisé, municipalisé. La décentralisation a complètement transformé des secteurs entiers de l'économie. Les pouvoirs locaux sont devenus les principales forces qui favorisent les processus de transformation de la démocratie et de l'économie de marché.
La Charte a joué un rôle très important dans trois grands domaines.
Le premier est celui des travaux législatifs. Il y a onze ans, quand nous avons travaillé sur les changements constitutionnels et l'établissement des pouvoirs locaux, nous nous sommes fondés sur la Charte, nous avons travaillé avec les experts du Conseil de l'Europe, et nous avons précisément regardé si notre système répondait aux normes et standards fixés par la Charte. Mais le système évolue. Il y a quelques années, nous sommes parvenus à la deuxième étape de la réforme, avec l'établissement de plusieurs niveaux de pouvoirs locaux, les districts et les régions. Nous allons certainement, après les débats parlementaires de cet automne, commencer les discussions sur l'organisation interne des municipalités, et surtout sur les relations entre le maire et les conseillers. Nous entendons limiter les pouvoirs des conseillers et accroître les pouvoirs des maires qui seront élus directement par la population. Cette mesure constitue un grand problème, puisqu'elle va à l'encontre de la Charte, qui prévoit que la municipalité est gérée par un conseil élu par la population. Ce sera une discussion nationale dans laquelle la Charte constituera un point de repère.
Le deuxième domaine est celui des problèmes juridiques. Notre constitution garantit une protection juridique de l'autonomie locale. Cela veut dire que quand les municipalités se sentent offensées par les activités de l'administration centrale, elles peuvent présenter leur cas au juge ou au tribunal administratif contre l'État. Et dans ce cas, la Charte joue un rôle important. Naturellement, la Charte étant un traité international, ses principes sont transposés par l'intermédiaire de la loi nationale. On ne se base donc pas directement sur la Charte, mais toujours sur la loi, renforcée par les articles de la Charte. La majorité des litiges concernent des problèmes de finances.
Avec la décentralisation, le champ de responsabilité des municipalités s'accroît, mais les ressources n'augmentent pas toujours. L'année dernière par exemple, les ministres, sous la pression des syndicats des enseignants, ont imposé des seuils minimaux aux salaires des professeurs de l'école primaire et secondaire. Les écoles dépendent des municipalités. Il n'y a pas d'écoles d'État. Avec ce règlement, les dépenses des budgets municipaux ont augmenté. Les subventions également augmentées par le Gouvernement n'étaient pas suffisantes. Les municipalités et associations de municipalités ont présenté ce cas devant le juge. Par ailleurs, le Gouvernement et le Parlement ont fixé des plafonds aux salaires des maires et des conseillers. Les municipalités pensent que cela porte atteinte à l'autonomie locale, parce qu'il appartient au Conseil de fixer le salaire des maires. Le problème est examiné par le Tribunal constitutionnel, et nous verrons quelle sera sa décision.
Le troisième domaine est celui de l'éducation. Les programmes des écoles et des universités comportent des cours sur la démocratie locale. Pour présenter aux étudiants les standards de la démocratie, on utilise les articles de la Charte comme un élément des programmes universitaires.
La Charte n'est donc pas uniquement un point de repère abstrait. Elle joue un rôle dans le développement de la démocratie dans notre pays, dans ces trois champs : législatif, juridique et éducatif.
M. Imre VEREBELYI, ancien Ministre de l'Autonomie locale de la Hongrie, Vice-président de l'Institut international des Sciences administratives de Bruxelles
Je souhaite faire sept remarques sur le passé, sept autres sur le présent et encore sept pour le futur.
- Sur le présent
Vous savez que la Hongrie a signé et ratifié la Charte européenne de l'autonomie locale qui, à nos yeux, propose sept valeurs fondamentales :
1°) la garantie de l'autonomie locale bien sûr,
2°) le respect de la légalité assuré par un État de droit,
3°) le droit fondamental des collectivités locales à la décentralisation,
4°) l'élargissement des compétences et des responsabilités des collectivités locales (qui va bien plus loin que le modèle anglo-saxon),
5°) la garantie d'une véritable autonomie reposant sur des moyens humains et financiers suffisants (pour l'instant en Hongrie, cela nous fait défaut et les collectivités locales ne jouissent donc que d'une demi-autonomie),
6°) l'efficacité de l'administration locale,
7°) l'européanisation qui passe par le respect des principes de base de la Charte : la Hongrie veut se rattacher au modèle européen grâce à la Charte sans abandonner pour autant son modèle national.
A ce propos, souvenez-vous qu'en 1985 l'Italie a déclaré qu'il était nécessaire de sauvegarder la diversité des États membres. La philosophie de la Hongrie est bien celle des pères fondateurs de l'Union européenne et du Conseil de l'Europe sur ce point.
- Sur le passé
La Hongrie a signé la Charte en 1992 et elle l'a ratifiée en 1993. Pour la Hongrie, la Charte servait de préliminaire à la mise en place d'une démocratie proche du modèle occidental. Nous nous engagions sur des principes à mettre en oeuvre et c'est justement la pratique de ces principes qui allait poser des problèmes, car cette pratique est liée à un mode de vie démocratique qui n'était pas encore très ancré dans les mentalités. Il fallait manifester notre volonté de respecter ces principes. C'est pour cela que nous comprenons très bien que pour la France, la ratification ne soit pas apparue comme une nécessité puisqu'elle respectait les principes de la Charte et la mettait en pratique depuis longtemps déjà. La Charte est donc un excellent document et un excellent modèle et nous avons maintenant, pour la pratique, de nombreux défis à relever. Comme l'a dit un intervenant, il est bien d'avoir de bonnes lois, mais encore faut-il que ces bonnes lois soient suffisamment adaptées à la pratique que l'on est en mesure d'en faire.
Je rappellerai que dès 1971, la Hongrie avait introduit une nouvelle organisation territoriale et donc une certaine autonomie locale autant que cela pouvait se faire dans un pays de type soviétique. Mais déjà nous voulions un modèle venant de l'Occident et nous refusions de suivre le modèle yougoslave ou le modèle roumain. Pour nous, l'Allemagne et l'Angleterre avaient plus à nous apprendre en matière de gestion des services publics locaux, mais pour l'autonomie locale nous tournions tout naturellement nos yeux vers la France et nous avons suivi son modèle.
En effet, nous distinguions le « self-government », vraie autonomie locale, du « self-management », simple gestion administrative locale, et déjà nous exigions le « self-government ».
Ma deuxième remarque sur le passé concerne la fusion de communes. Certes, nous l'avons pratiquée mais pas tant que nos voisins d'Europe centrale ni autant que les pays du Nord de l'Europe. Pourquoi ? Parce que nous savions que pour protéger nos minorités et pour qu'elles soient majoritaires localement, il fallait de petites entités autonomes à l'échelon local. Nous avons tourné le dos au modèle roumain.
En 1985, nous nous sommes donc rapprochés de la Charte européenne. Nous nous sommes rendus au Conseil de l'Europe grâce à Madame Lalumière. Nous avons beaucoup apprécié sa remarquable bibliothèque.
En 1989, j'ai eu le privilège de passer un an au ministère de l'Intérieur que dirigeait alors Monsieur Joxe. Monsieur Philipovitch nous a beaucoup aidés alors à préparer notre réforme, ainsi que votre ambassadeur à Budapest, Monsieur Nicoullaud.
Je devrais maintenant aborder mes remarques sur le futur. Comment appliquer les principes de la Charte ? Comment s'inspirer des modèles existants et acquérir une bonne pratique ? Je dois cependant renoncer à ces remarques sur le futur, car je suis un homme respectueux des temps de parole.
M. Alain CHENARD
A vous entendre, il n'y a nul doute que l'avenir vous appartient. Merci d'avoir rendu hommage à Madame Catherine Lalumière, à qui l'on doit beaucoup, et qui a très bien compris le rôle que pourrait jouer la démocratie locale dans la stabilisation démocratique de ces pays, et à Thomas Philipovitch, que beaucoup d'entre nous ont connu, qui a été un pionnier et n'a cessé de croire en l'Europe. N'oublions jamais que les pouvoirs sont toujours sensibles aux contre-pouvoirs.
M. Adrian MORUZI, ancien maire de Brasov, Secrétaire général de la Fédération des municipalités de Roumanie
Je voudrais seulement faire quelques remarques générales. En 1989, nous avons assisté à la fin de la guerre froide. La confrontation idéologique internationale a commencé à se développer au niveau des nations, pour trouver une voie entre l'esprit réformiste et conservateur. D'une certaine manière, parce que la Roumanie était un pays mono-idéologique, soumis à un régime dictatorial, il nous manque des idées, des pratiques et des habitudes capables de soutenir la société. Assez vite la Constitution roumaine a permis le développement d'une vie démocratique. Nous avons connu en Roumanie une véritable « inflation politique ». En 1991, il existait presque 300 partis politiques. En février 1992, se sont tenues les élections locales et, en septembre 1992, les élections générales. Deux groupes politiques se sont formés sur la base démocratique dans le cadre de notre nation. Les élus locaux ont selon moi eu la chance de pouvoir bénéficier de documents tels que la Charte européenne de l'autonomie locale, qui a représenté pour nous un guide pratique des choses qu'il était nécessaire de mettre en place pour développer l'administration locale.
Au niveau national, les hommes politiques ont choisi la voie européenne, l'intégration politique, économique et militaire, avec l'OTAN, mais sans bénéficier d'un document pratique sur la mise en oeuvre de cette intégration. Au niveau local, nous avons bénéficié de la pratique de la Charte, et pas seulement de la brochure, des mots, mais aussi de la pratique du Conseil de l'Europe. En servant les principes de l'autonomie locale de la Charte, nous, les maires, ayant visité le Conseil de l'Europe, avons eu des idées, des images, et avons pu agir assez vite, plus vite même que les hommes politiques au niveau national.
D'une certaine manière, les élus locaux en Roumanie sont allés trop vite, et des conflits assez forts sont apparus. La Charte a en effet développé un esprit de militantisme chez certains maires poussant des projets idéalistes pour l'organisation de la société roumaine. Leur avance sur les politiciens du Gouvernement central a engendré un conflit assez fort. Nous avons assisté en Roumanie à la démission de plus de 102 maires, situation complètement folle. Nous avons appelé le Conseil de l'Europe, avec Monsieur Chénard, et avons agi pour essayer de rééquilibrer les choses.
Je pense que la situation qui s'est développée en Roumanie est assez symptomatique de celle de beaucoup de pays de l'Europe et du monde. Nous attendons la Charte universelle de l'autonomie locale.
Chez nous, la Charte a développé un sentiment de solidarité des maires et a donné naissance à quatre associations de communes, de villages, de villes, de régions. Ces quatre associations ont travaillé ensemble à de nombreuses reprises, pour presser le Gouvernement central de promouvoir les lois nécessaires. La Charte nous a donné la possibilité de comprendre ce que signifient les ressources de l'autonomie locale, dans trois lois fondamentales : la loi des finances publiques locales, la loi de propriété publique de la communauté, la loi de fonctionnaire publique.
Il n'a pas été facile de réaliser tout cela. Six années ont été nécessaires. Nous avons dû attendre 1999 pour bâtir le système de lois nécessaires pour l'autonomie locale. Nous sommes maintenant dans la pratique de l'autonomie locale. Nous découvrons que certains nouveaux droits sont nécessaires. Le système mis en place doit à présent être perfectionné.
Nous considérons aussi que nous avons assisté à une maturation de l'administration publique. En 2000, suite aux élections locales et générales, des ex-militants de la Charte européenne de l'autonomie locale ont pour la première fois accédé au Parlement. Nous avons à présent à l'intérieur du Parlement des partenaires fiables qui ont une expérience de l'autonomie locale. Beaucoup d'élus locaux vont devenir des parlementaires au niveau national. Il y a quelques jours, les quatre organisations des pouvoirs locaux ont décidé de réaliser une seule fédération des associations, pour se préparer ensemble à l'intégration européenne. Un grand nombre de charges qui vont être assumées par l'État, le Gouvernement central, sont en effet des charges de niveau local. Nous considérons dans ce cas que, en ayant une représentation commune des intérêts au niveau national, nous pouvons participer au processus.
D'un autre côte, le principe de la Charte nous a donné le sentiment d'appartenir déjà à une même communauté européenne. Nous partageons avec un certain nombre de pays, d'Europe de l'Est notamment mais pas uniquement, un langage, une idéologie, lorsque nous jugeons les situations de nos pays. Presque 60 % des personnes élues en 2000 sont de nouveaux élus. Il y a un éternel retour du principe de la Charte. Je pense qu'il est nécessaire d'accroître la qualité du travail du conseil local. Il dispose de l'instrument nécessaire pour décider. Nous découvrons que les conseillers locaux sont généralement des hommes politiques oubliés, et que l'on n'a pas fait beaucoup pour conférer au niveau local une capacité de décision efficace dans le contexte défini par la loi.
Il est nécessaire aussi, au niveau de l'administration locale et régionale, de trouver le concept de développement stratégique socio-économique. Il est difficile pour moi de juger la situation de la France. En quoi la ratification de la Charte va-t-elle promouvoir la démocratie dans votre pays ?
En 1994, j'étais invité à New-York à la première conférence mondiale des maires. Nous étions dix maires d'Europe. La plupart des participants venaient d'Asie du Sud-Est et d'Amérique latine. La Charte mondiale de l'autonomie locale a largement été évoquée. Presque tous les maires partageaient les mêmes problèmes et difficultés. Je suis content de voir que la Charte s'inscrira dans le mouvement général de mondialisation. Je pense qu'il est nécessaire de disposer de l'appui de la France. Ses Droits de l'Homme sont universellement reconnus. Ils assurent le droit individuel. Au niveau du village planétaire, des règles sont nécessaires pour améliorer la vie des individus, et la Charte peut permettre d'atteindre cet objectif. Je vous remercie.
M. Alain CHENARD
On peut saluer la ténacité et la force des convictions d'Adrian Moruzi. Je reçois avec plaisir son hommage à la pratique du Conseil de l'Europe, et à l'esprit de militantisme qui est né chez les maires. J'ai entendu que beaucoup d'élus allaient vers le Parlement ; j'espère que vous n'aurez pas de problème de cumul des mandats.