CLÔTURE
Jacques LEGENDRE,
Président de la Commission de la culture,
de l'éducation et de la communication, ancien ministre
Mesdames et Messieurs, à cette heure avancée, le mot de La Bruyère me vient à l'esprit : « Tout est dit et l'on vient trop tard. » Je ne prononcerai donc pas un discours mais vous proposerai seulement quelques-unes des réflexions que m'ont inspirées les tables rondes. Les débats de cet après-midi, consacrés en partie à la mémoire européenne, m'ont amené à un voyage intellectuel. Il se trouve qu'avant de présider la Commission de la culture et de l'éducation du Sénat, j'ai présidé pendant trois ans la Commission de la culture et de l'éducation de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe et auparavant présidé sa sous-commission du patrimoine. Les 46 pays du continent européen étaient là réunis et cela m'a donné l'occasion de réaliser concrètement la complexité de construction européenne. Il me semble que les historiens ont un rôle éminent à jouer dans ce domaine. Je me rappelle avoir organisé un colloque sur les littératures européennes qui posait la question de l'existence d'une littérature européenne et au cours duquel des points de vue adverses s'étaient manifestés. Ainsi pouvons-nous mesurer la difficulté de concrétiser ce grand rêve européen qui nous rassemble. Il reste encore un long chemin à parcourir pour qu'un esprit européen se réalise complètement.
Je souhaiterais en venir maintenant à ces dates fondamentales que vous avez choisies comme bornes chronologiques de ce colloque. A cet égard, je tiens à dire tout l'intérêt que le thème retenu par les organisateurs a suscité en moi en ma qualité de professeur d'histoire. Je suis né en 1941 à Paris sous l'occupation. Les frères de mon père et de ma mère étaient morts au cours de la Première Guerre mondiale et mon père l'avait faite en entier. Ces événements pèsent dans les engagements qui suivent : la période algérienne a marqué ma génération et personnellement, je me suis engagé dans le syndicalisme étudiant avant d'adhérer au mouvement gaulliste en 1962. L'histoire de ma famille n'était pas étrangère à mon engagement et je pense que les problématiques de la période de 1956 à 1962 ont pesé dans les parcours de mes pairs. Je me sens donc éminemment concerné par le thème des troubles de la mémoire française au cours de cette période que j'ai connue, peut-être même avec un peu de passion car ce fut une période véritablement passionnée. En ce qui concerne le débat sur les lois mémorielles, ma position est claire : j'y suis farouchement opposé. Je n'ai pas voulu voter la condamnation du génocide arménien, non pas qu'il me vienne à l'esprit de nier le massacre par les Turcs de très nombreux Arméniens, mais j'estime que le Parlement français n'a pas à légiférer sur les drames qui se sont produits sur l'ensemble de la planète. Cela n'est pas le rôle du Parlement et à mon avis, c'est aux historiens et non à une assemblée politique d'écrire l'histoire. Concernant la Maison de l'histoire de France, je pense que le Parlement est fondé à se saisir de la question et je vous informe que ma commission a décidé de le faire et qu'elle a mandaté une sénatrice pour faire un rapport à ce sujet. Il est légitime que les parlementaires garantissent les meilleures conditions à l'exercice du métier d'historien. En ce qui concerne les commémorations, j'émettrais l'avis que nous avons tendance à les multiplier et que cela présente le risque d'en affaiblir la charge. Il me semble nécessaire de bien distinguer les commémorations, l'histoire, la mémoire et les approches compassionnelles.
En conclusion, je souhaite dire le bonheur que j'ai éprouvé de pouvoir vivre une journée complète dans cet échange et je pense que c'est un honneur pour le Sénat d'avoir été à l'origine d'une telle manifestation. Je souhaite pour ma part que le débat reste ouvert et que nous puissions poursuivre cette réflexion. Notre pays a une histoire et ce n'est pas s'enfermer entre nous que de parler de l'histoire de France. Nous devons certes l'inscrire dans l'histoire de l'Europe et dans l'histoire du monde et tenir compte des différentes sensibilités et des différentes mémoires qui s'expriment. Nous avons vécu aujourd'hui des instants de bonheur et de réflexion partagés : que tous les organisateurs en soient remerciés.
Guy FISCHER
Merci Monsieur le Président. Au nom du Président Gérard Larcher, je tiens à remercier plus particulièrement Messieurs Jean-Noël Jeanneney et Jean-François Sirinelli pour leur engagement et leur participation au succès de ce colloque et je vous remercie toutes et tous d'avoir participé dans le bonheur à ce devoir de mémoire.