"La mondialisation, une chance pour la francophonie"
Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !
TABLE RONDE 6
LE RÔLE DES INDUSTRIES CULTURELLES
Le débat est présidé par Catherine TASCA, sénatrice des Yvelines, membre de l'APF, ancien ministre.
Il est animé par Luis RIVAS, directeur de la rédaction et de l'antenne d'Euronews.
Participent à cette table ronde :
Michel GUILLOU, directeur de l'Institut Iframond, Université Jean Moulin de Lyon, Luc PINHAS, professeur à l'Université Paris 13,
Georges POUSSIN, chef de section de l'Entreprise culturelle internationale et du droit d'auteur (UNESCO),
Youssou N'DOUR, musicien et producteur,
Laura GARCIA VITORIA, Directrice scientifique du Réseau européen des
Villes Numériques.
Luis RIVAS
J'ai pu remarquer une certaine gêne en France lorsqu'il s'agit de mêler dans le discours argent et culture. Même si elle ne saurait être considérée comme une marchandise traditionnelle, la culture n'en est pas moins une grande industrie aujourd'hui.
Catherine TASCA
Les industries culturelles assurent la production de masse de supports et d'oeuvres culturelles. Elles connaissent un développement rapide à l'échelle mondiale. Si leur action au service de la création peut être mise en doute, elles ouvrent assurément de nouvelles perspectives à la diffusion culturelle. Par conséquent, ces industries sont à l'origine de très grands espoirs pour le développement de l'accès à la culture pour tous, qui fait figure d'objectif consensuel, dans les sociétés démocratiques du moins.
A l'heure de la mondialisation, nous ne saurions oublier que les industries culturelles peuvent fort bien ignorer les enjeux de la diversité, à savoir le respect des langues et des identités. En effet, la spectaculaire concentration à l'oeuvre actuellement pourrait fort bien contrecarrer entièrement cette ouverture et assécher le vivier de la création. Assurément, ce mouvement impose des formats et des modèles, à l'origine d'une indéniable uniformisation. Ainsi que Patrick Zelnik le soulignait, nous devons progresser dans la régulation des concentrations. Les législations, aussi bien nationales qu'européennes, restent faibles sur ce plan.
Face à cet essor des industries culturelles, les différents pays du monde ne sont pas à égalité. Le rapport de l'OIF sur la francophonie dans le monde, pour les années 2004 et 2005, le démontre fort bien. Le Nord domine et profite de cet essor, tandis que le Sud reste démuni, spectateur et spolié. Bien que riches de capacités créatives, comme l'illustre la présence ici de Youssou N'Dour, les pays du Sud n'ont pas les moyens d'exploiter pleinement leurs opportunités à l'échelle internationale. Au niveau européen, il en va de même pour les pays d'Europe centrale et orientale. Le Sud-Est asiatique se retrouve lui aussi dans une situation défavorable sur ce plan. Cette fracture traverse donc tout l'espace francophone et pose un problème crucial d'unité et de solidarité, auquel l'OIF doit maintenant s'attaquer si elle veut fonder durablement sa légitimité.
Enfin, la problématique des industries culturelles illustre le problème de l'écart croissant entre les pays activement présents dans les échanges et ceux qui risquent d'en être exclus. Ces derniers risquent de devenir de purs récepteurs et d'être mis en situation de dépendance culturelle et économique. C'est cette analyse que l'OIF s'est efforcée avec succès de faire partager à tous ses membres dans les séminaires régionaux qu'elle a organisés en amont du débat à l'UNESCO sur la Convention sur la diversité culturelle.
Ce constat d'un écart croissant entre deux groupes de pays vaut tout autant pour la musique, l'édition, le cinéma et l'audiovisuel que pour Internet et l'accès à la toile. Une telle réflexion nous conduit à nous interroger sur le débat entre démocratie et communication. L'évolution de la notion de proximité, ainsi que Sylvain Lafrance l'a expliquée, modifie la donne en la matière. Autrefois attachée à un territoire, la proximité pouvait être reliée à la démocratie, en ce sens que cette dernière s'exerce sur un territoire donné. Il n'en va pas de même pour une proximité basée sur des affinités.
Quelles contributions la francophonie peut-elle apporter dans un tel contexte ? Ghassan Salamé nous appelait à effectuer des choix. Comme lui, j'estime que l'OIF devrait fortement cibler ses soutiens techniques et financiers autour de trois axes distincts.
Premièrement, la mise en place de structures professionnelles de production et de diffusion doit être envisagée à l'échelle régionale. Nous ne pouvons en effet que déplorer leur rareté à l'heure actuelle. La réussite de Youssou N'Dour fait figure à ce titre d'exemple rare, voire unique, sur le continent africain. Dans le même esprit, nous devons favoriser les coproductions. Riche de son expertise et de ses moyens financiers, la France est amenée à jouer un rôle particulier dans ce domaine.
Deuxièmement, nous devons oeuvrer au développement de la présence francophone sur la toile, au travers de la mise en réseau d'un maximum de bases de données en français. Cela semble d'autant plus nécessaire que l'enseignement traditionnel dans la plupart des pays pauvres de la francophonie se trouve dans une situation dégradée. Ces pays sont en réalité démunis face aux flux démographiques. Internet peut apporter un souffle nouveau dans le domaine de la circulation des connaissances.
Troisièmement, il nous appartient de renforcer la capacité originale de production d'images dans l'espace francophone, aussi bien au niveau de la création d'oeuvres qu'à celui de la diffusion par les réseaux. Dans cette optique, les festivals et les médias francophones, comme TV5 et RFI, doivent recevoir une aide pour leur développement respectif.
Face à l'expansion formidable des industries culturelles et face au rouleau compresseur qu'elles représentent dans le cycle de concentration actuel, nous ne devons pas nous résigner. Bien au contraire, la francophonie doit innover.
Luis RIVAS
Michel Guillou est directeur de l'Institut d'étude de la francophonie et de la mondialisation (Iframond) à l'université Jean Moulin de Lyon. Catherine Tasca vient de pointer une série de difficultés. En tant que spécialiste, avez-vous des solutions à proposer ?
Michel GUILLOU
Je voudrais présenter ici un cheminement d'espoir. L'aventure francophone a débuté voilà 50 ans. Elle est aujourd'hui confrontée à une pensée unique dont les tenants laissent croire que nous pourrons passer au « tout anglais » dans les industries culturelles comme dans les médias. Ils se trompent. Les jeunes optent pour le multilinguisme. Il n'en reste pas moins que nous sommes en danger.
Trois grands moments ont marqué l'histoire de la Francophonie. Le premier est porté par Léopold Sédar Senghor. Le second est rythmé par les Sommets qui ont apporté une grande respiration à la Francophonie. C'est à cette période qu'ont été créés des outils comme TV5 ou l'AUPELF-UREF devenue l'AUF. Le troisième s'est ouvert récemment, avec un nouveau Secrétaire général le Président Abdou Diouf et de nouvelles institutions. Il doit s'accompagner également de nouveaux outils, afin d'ouvrir en particulier les industries culturelles à la Francophonie.
Nous inscrivons aujourd'hui notre réflexion dans le cadre de la mondialisation car cette approche est porteuse d'espoir. Une dizaine de Chaires universitaires - les Chaires Senghor de la Francophonie et de la Mondialisation ont commencé à étudier la Francophonie et à la considérer comme un terrain d'étude et de recherche. Mais la Francophonie moderne reste malheureusement trop méconnue, surtout chez les jeunes. Un mouvement en direction des étudiants et des lycéens est nécessaire, plus particulièrement en France.
L'idée de francophonie est souvent engluée dans son passé. Un retour aux idées de Senghor s'avère utile et indispensable. Léopold Sédar Senghor considérait en effet que la marche du monde vers l'universel supposait la mise en oeuvre, en s'appuyant sur les grandes aires linguistiques, de dialogues interculturels transversaux. Il concevait ces dialogues au sein d'unions culturelles rassemblant des pays partageant une même grande langue internationale, telle l'arabe, l'espagnol, le portugais... Pour lui la Francophonie est l'union culturelle de langue française. Les événements récents, tels que la guerre en Irak et le 11 septembre, démontrent l'importance de ces ensembles géopolitiques dédiés au dialogue interculturel, que Senghor appelait aussi les communautés organiques. Il faut souligner cette première rencontre entre le besoin de dialogue interculturel de l'actuelle mondialisation et la finalité de dialogue des unions culturelles.
De plus, une seconde rencontre avec la mondialisation est plus spécifique à la Francophonie, celle des valeurs. Tissage de l'idéal républicain français et de la civilisation universelle de Senghor, la Francophonie met en avant la liberté, la solidarité, le dialogue et la diversité, valeurs qui répondent aux aspirations à une autre mondialisation, plus humaniste, qui s'exprime aujourd'hui très largement, compte-tenu des effets pervers de la mondialisation financière et libérale.
C'est pourquoi la Francophonie peut être considérée comme un laboratoire, porteur d'espoir et d'avenir. Elle n'est pas ringarde. Ceux qui le pensent regardent dans le rétroviseur et n'ont pas compris que c'est un monde nouveau qu'elle contribue à construire. Ceci explique d'ailleurs son attractivité actuelle.
Dans le domaine culturel, beaucoup a déjà été accompli. Le combat pour l'exception culturelle puis pour la diversité culturelle suffit à l'illustrer. La Francophonie se doit maintenant de faire savoir qu'elle est une union culturelle, une communauté organique et un grand pôle transversal utile à la paix.
Le développement humain c'est-à-dire tout particulièrement l'éducation reste un préalable à toute action. Une réflexion doit également être menée autour de la question de la mobilité. La Francophonie ne pourra, en effet, que se renforcer dans l'instauration de préférences de circulation des produits culturels et des personnes. Malgré les peurs suscitées par l'immigration, le besoin d'un passeport francophone est réel. Enseignants, chercheurs, étudiants, artistes et entrepreneurs doivent pouvoir jouir des facilités de circulation dans le monde francophone.
Senghor affirmait qu'à partir de la culture la Francophonie aboutirait à l'économie. Cette idée doit nous servir de guide. L'économie est aujourd'hui une donnée fondamentale. Sans une croissance solide, les droits de l'homme et la diversité culturelle ne seront que des fictions. La Francophonie doit donc disposer d'outils lui permettant d'oeuvrer pour le développement économique et tout particulièrement la coopération entre PME-PMI francophones. Dans le domaine des industries culturelles, ces outils doivent permettre aux pays du Sud d'entrer de plain-pied dans l'économie de la culture.
Le Québec a montré l'exemple. Il a réussi à marier développement économique et usage du français. Alors que les banques refusaient de financer les investissements dans le secteur culturel, le Québec s'est doté d'une banque publique dédiée à ce secteur, à savoir la SODEC, (Société pour le Développement des Entreprises Culturelles) Il est temps de suivre cet exemple au niveau de la Francophonie.
Le chemin sera rude car la Francophonie est conservatrice. Chaque fois qu'une idée nouvelle émerge, elle est repoussée au prétexte, notamment, que l'institution manque de moyens. Ce frein n'a pourtant pas empêché hier la création de l'AUF et de TV5. Il faut promouvoir maintenant une culture des jeunes pousses en Francophonie.
Dans le domaine de l'éducation et des industries culturelles, des outils nouveaux, combinant public et privé, doivent être créés. Les premières années risquent d'être quelque peu laborieuses, mais, dans dix ans, nous pouvons parier sur de belles réussites.
Le rêve francophone existe. C'est en effectuant des choix et en créant des outils dynamiques que nous le transformerons en réalité.
Luis RIVAS
Nous allons maintenant nous pencher sur une expérience de terrain, plutôt méconnue. Laura Garcia Vitoria est la Directrice scientifique du Réseau européen des Villes Numériques. Son message est lu par Eric Bellais, secrétaire général adjoint du même réseau.
Laura GARCIA VITORIA
Le message de Madame Laura GARCIA VITTORIA est lu par Monsieur Eric BELLAIS Secrétaire général adjoint du réseau européen des Villes numériques.
Le français était hier la langue de l'innovation. Il doit retrouver ce rôle. Le réseau européen des villes numériques est une organisation qui regroupe au niveau international tous les organismes professionnels acteurs du développement économique et culturel des territoires. Notre objectif est de travailler au plus près des utilisateurs pour favoriser le développement des territoires de la connaissance. Nous voulons faciliter l'accès des citoyens au savoir et développer une dimension participative dans ce secteur.
Le réseau est né voilà dix ans. En l'espace de 10 ans, il a participé à des projets dans tous les pays européens. Depuis l'an dernier, son action s'oriente vers les pays du Sud. Nous avons ainsi participé au sommet mondial de Tunis. Face à une demande croissante, nous avons décidé d'ouvrir une branche en Asie. Lors du Forum de la francophonie à Alexandrie, à la mi-mars, il nous a été donné la possibilité d'animer notre propre atelier. Nous avons par ailleurs participé à l'animation du Forum francophonie et nouvelles technologies les 22 et 23 mars à Timisoara.
Depuis dix ans, nous développons des analyses sur l'utilisation des nouvelles technologies. Nous aidons à la réalisation d'économies d'échelles en listant les bonnes pratiques. Une telle démarche permet en effet d'éviter qu'un territoire ne réinvente ce qu'un voisin a déjà inventé plus tôt. Nous participons donc à la mutualisation de moyens. Notre philosophie répond quelque peu au voeu de Bruno Bourg-Broc qui souhaitait que les réseaux puissent se fédérer pour obtenir de meilleurs résultats. Nous oeuvrons dans ce sens dans notre domaine.
Nos expériences dans divers pays nous ont permis de nous apercevoir à quel point la jeunesse était demandeuse d'un développement autour des nouvelles technologies. Si à l'étranger, la langue française bénéficie d'un a priori positif, la francophonie reste connotée de manière plutôt négative en France.
Dominique Wolton évoquait hier l'économie du savoir. Nous devons être conscients que nous entrons pleinement dans la société du savoir. La francophonie doit y prendre toute sa place. Les sociétés françaises développent des outils de veille dans le domaine de l'intelligence économique. Ces entreprises doivent bénéficier d'un soutien, de telle sorte que les Anglo-saxons ne raflent pas systématiquement la mise.
Lors du Forum francophonie et nouvelles technologies de Timisoara, plusieurs intervenants ont appelé à la création d'un club francophone de l'innovation. Ce club pourrait rassembler les acteurs économiques et technologiques et représentants des grandes entreprises. C'est ainsi que pourrait émerger un espace public francophone, qui ferait office de rituel commun. La francophonie ne peut en effet faire l'économie de ces lieux de rencontres des hommes.
Nous avons pour objectif de créer au sein de ce club une bourse de projets et d'idées. Experts, entreprises et organismes financiers pourraient y mettre en commun leurs compétences et leurs moyens. Ainsi, les associations qui manquent de moyens pourraient bénéficier d'un espace de travail et d'échange sur Internet. La création d'une banque francophone figure également au nombre de nos propositions. Il serait souhaitable qu'elle développe notamment le microcrédit, qui peut s'avérer très utile en Afrique par exemple.
Les moyens existent déjà. Les entreprises et les réseaux économiques des ambassades seront sollicités. Nous mesurerons la détermination des gouvernements des pays francophones à l'aune de leur engagement. Les espaces de travail collaboratifs ont déjà été mis au point. L'un d'entre eux sera en place la semaine prochaine. La francophonie y est la bienvenue.
Beaucoup pointent régulièrement du doigt le fait qu'Internet ne couvre que très imparfaitement les territoires et que son coût reste pour beaucoup prohibitif. Une société américaine, qui a travaillé avec l'ONU pour la mise au point de ce projet, a récemment présenté ses solutions de connexion satellite. Elle a divisé le monde en cinq tranches, en fonction du PIB par habitant. Elle réalise l'essentiel de son chiffre d'affaires sur les pays du G8. Sur les pays les plus pauvres, le tarif pratiqué ne dépasse pas un dollar par mois. Une fois que, de manière pragmatique, de nombreux pays se seront ralliés à cette idée, les Américains contrôleront largement les connexions à Internet de par le monde.
La francophonie ferait bien de s'inspirer d'un tel exemple. Ces deux journées de réflexion illustrent parfaitement la puissance de l'intelligence. Nous sommes à même de mettre au point des solutions de même ordre, à condition de travailler ensemble. C'est ainsi que nous réussirons à dégager des moyens pour de tels projets.
La création d'un consortium francophone des réseaux de compétences a également été évoquée à Timisoara. Elle aurait pour but de regrouper sur une même plateforme les entreprises, les universités et les porteurs de projets, dans l'optique de mutualiser les moyens et créer des synergies.
L'ERVN a développé récemment une plate-forme de web-TV locales à destination des territoires français ruraux et urbains. Nous avons pour ambition de reproduire une telle expérience dans tous les pays porteurs. Cette initiative serait de nature à faire progresser la francophonie sur la toile. Elle valoriserait les actions menées sur différents territoires ainsi que la diversité du monde francophone. Des nouveaux talents pourraient également se faire remarquer par ce biais.
Ce colloque doit aboutir à une liste de projets aisément réalisables et à même de fournir des résultats rapidement. Il serait souhaitable que certains d'entre eux soient mis en oeuvre d'ici la fin du festival francophone en France en octobre. Le cercle vertueux de l'exemple pourrait alors jouer à plein et permettre l'émergence d'une économie francophone dans sa complexité culturelle.
Espérons que l'arbre de la francophonie puisse donner des fruits rapidement. Je formule par ailleurs le voeu qu'au terme du festival, un autre pays décide de reprendre le flambeau pour un autre festival de la francophonie.
Luis RIVAS
Youssou N'Dour est à la fois musicien et producteur. Parallèlement à ses activités en tant que chef d'entreprise, il s'est engagé dans une démarche humanitaire. Il va maintenant exposer son regard sur la francophonie, à partir de son expérience dans le domaine de la musique.
Youssou N'DOUR
La francophonie peut être comparée à une grande famille, dont les membres ne se ressemblent pas vraiment. Si certains parlent exclusivement français, d'autres sont volontiers polyglottes. Nous devons être conscients du fait que, dans de nombreux pays, l'usage de la langue française n'est pas répandu dans toute la population. Au Sénégal, par exemple, chez la population analphabète, l'usage du français est rare.
La dimension économique de la francophonie ne saurait être négligée. Il suffit pour s'en convaincre de considérer les projets de coopération Nord-Sud. De fait, ceci engendre une certaine inégalité entre les membres. Dans le domaine culturel, les pays du Sud devraient jouer un rôle prépondérant. En effet, les artistes africains jouent plus et exposent plus que les artistes français. Aux Etats-Unis, la renommée de nos artistes est supérieure à celle des artistes du nord.
Le développement des industries culturelles dans les pays du Sud doit être considéré comme une priorité. Actuellement, les artistes africains sont souvent récupérés par des entreprises du Nord, qui tirent des bénéfices de leur succès.
Un important travail doit être mené en direction de la valorisation des produits culturels du Sud dans l'espace francophone. L'artiste africain doit pouvoir profiter des mêmes opportunités que l'artiste français et en tirer des revenus comparables. Les intermédiaires doivent être rémunérés de manière équitable. Je trouve par exemple insupportable le fait de payer plus cher un billet d'avion Paris-Dakar sur Air France qu'un Paris-New York. Faisons-nous réellement partie de la même famille ? Les compagnies de télécommunications ou de transports, qui gagnent beaucoup d'argent grâce au Sud, doivent s'impliquer davantage dans le développement des industries culturelles de cette partie du monde.
Pour que l'industrie culturelle puisse réellement se développer, de nombreux problèmes de formation et de protection doivent être résolus. En tant qu'artistes francophones, il nous appartient de nous mobiliser pour faire évoluer la situation. Pour cela, nous devons mettre la pression sur l'OIF. Prenons en l'occurrence exemple sur les anglophones. Lors du sommet du G8 de Gleneagles en Ecosse l'an dernier, les artistes du Live 8 ont su se mobiliser fortement autour d'une action retentissante pour obtenir l'effacement de la dette des pays du Sud.
Nous devons de même entreprendre des actions fortes, car nous ne pouvons passer notre temps à participer à des colloques. C'est ainsi que nous pouvons espérer obtenir des résultats. En tant que dirigeants de la francophonie, il est temps de vous engager à rééquilibrer la situation au profit des pays du Sud. A eux seuls, les colloques ne modifieront pas la donne.
Comment continuer à produire des albums, alors que l'on n'est pas sûr d'avoir de quoi manger le lendemain ? La situation est tout bonnement déplorable dans les pays du Sud et les difficultés difficilement surmontables. La France et d'autres pays francophones se sont dotés de moyens d'organisation efficaces. Ces moyens doivent être mis au service d'autres pays.
J'ai l'honneur de vous faire part de la création de l'AMPA, l'Association des musiciens professionnels d'Afrique. Pour diverses raisons, son siège sera installé à Bamako. Cette association aura pour mission de lutter pour l'organisation, la protection et la protection concrète des artistes. Au-delà de questions telles que les retraites ou la couverture sociale, elle sera en charge de questions relatives à l'entourage humain des artistes. Par exemple, lorsque j'ai l'occasion de donner un concert aux Etats-Unis, je suis accompagné de dix musiciens africains, mais la technique est assurée par quatorze Américains. En soi, cette réalité ne me gêne pas. Cependant, j'aimerais que des Africains puissent avoir l'opportunité d'être formés sur des métiers techniques.
L'AMPA peut devenir un interlocuteur de la francophonie sur de nombreux sujets. Nous pouvons aider à la valorisation de la francophonie, car nous portons plus que d'autres pays son message. Je peux d'ores et déjà assurer que notre association sera un interlocuteur valable de l'OIF.
Luis RIVAS
L'industrie de l'édition doit être classée à part dans le paysage des industries culturelles, en raison de ses spécificités. Professeur à l'université Paris 13, Luc Pinhas est spécialiste du sujet. Son dernier ouvrage a pour titre Editer dans l'espace francophone.
Luc PINHAS
Dominique Wolton explique en substance que la mondialisation peut devenir une chance pour la francophonie, à condition toutefois qu'elle soit en mesure de faire cohabiter des identités culturelles multiples et diverses. Pour ce faire, encore convient-il que ces identités parviennent à dialoguer et à communiquer dans une dimension normative. Or, s'agissant du livre et de l'édition, le tableau que je m'apprête à dresser à grands traits est pour le moins contrasté.
L'édition française, je devrais dire hexagonale, reste certes toujours forte, vivace et diverse. Elle le doit assurément en partie à des politiques publiques qui sont d'exception culturelle, si l'on entend ainsi que les biens culturels ne sont pas des produits à traiter comme les autres. La loi Lang du 10 août 1981 en est un exemple, mais l'action du CNL, qui met en place des mécanismes de correction et d'accompagnement du marché, en est un autre.
De même, le Québec a déployé, depuis l'époque de la Révolution tranquille, des politiques publiques du livre indéniablement protectionnistes, et notamment la loi 51, qui ont permis à l'édition locale de prendre son essor, alors qu'elle était encore insignifiante au début des années 1960, tandis que le réseau des librairies, limité alors aux grands centres urbains, s'est densifié et s'étend pour l'heure à l'ensemble de l'immense territoire québécois. Cela n'empêche pas, pour autant, la production québécoise d'être encore largement ignorée en France, hors événements extrêmement circonscrits, comme le reste de la production francophone non française, DOM et TOM compris.
En Belgique wallonne et en Suisse romande, en revanche et pour en rester un instant encore aux pays francophones du Nord, les politiques publiques du livre demeurent bien plus hésitantes. Ainsi, la question du prix unique pour les livres, bien que récurrente depuis des années, n'a toujours pas trouvé de résolution à ce jour.
Dans les pays francophones du Sud, au Maghreb, en Afrique Subsaharienne ou dans l'océan Indien, en partie certes pour des raisons évidentes qui tiennent à la situation économique et politique de nombre des États concernés, la situation apparaît bien plus défavorable. Si une politique de la lecture publique, au demeurant souvent encore balbutiante, a pu être initiée, grâce notamment au soutien de l'AIF et du ministère français des Affaires étrangères, les politiques du livre à proprement parler s'y révèlent de facto inexistantes, sauf peut-être en Tunisie, même lorsque des projets existent sur le papier et qu'une direction du Livre a été créée.
Le seul domaine, en réalité, où des avancées peuvent être constatées concerne la législation sur les droits d'auteur, de par l'obligation faite aux pays qui adhèrent à l'OMC de se conformer à l'Accord sur les aspects des droits de la propriété intellectuelle (ADPIC), négocié dans le cadre du cycle d'Uruguay. Le droit du folklore s'est vu ainsi codifié par un certain nombre de pays francophones du Sud, qui ont suivi ici la voie tracée par l'Afrique anglophone. Par contre, un certain nombre de ces pays n'ont toujours pas adhéré à l'Accord de Florence de l'UNESCO et aucun à son Protocole de Nairobi, tous deux destinés à faciliter la circulation des biens culturels et des intrants nécessaires à leur production. Quant à l'Acte de Paris de la Convention de Berne, qui autorise l'octroi de licences de reproduction locale d'oeuvres protégées, il se trouve purement et simplement ignoré, soit par méconnaissance, soit pour ne pas peiner les groupes d'édition du Nord. Ce constat permet d'expliquer la situation présente de l'édition francophone.
Ainsi, aujourd'hui encore, non seulement l'édition hexagonale publie à elle seule chaque année quatre à cinq fois plus de nouveaux titres que l'ensemble des autres pays francophones, c'est-à-dire essentiellement que le Québec, la Belgique wallonne et la Suisse romande mais, de plus, alors qu'elle exporte à tour de bras sa production dans l'ensemble de la Francophonie, elle n'a de cesse de se fermer à l'édition en langue française issue d'en dehors de ses frontières. Et celle-ci a en outre le plus grand mal à circuler transversalement.
Pour donner une idée plus précise de la situation présente, il faut avoir en tête que l'on ne compte guère plus de 300 titres publiés chaque année en Tunisie ou au Maroc et, peut-être, 800 en Algérie en 2002, encore que ce dernier chiffre semble recouvrir des rééditions et des titres piratés.
En Afrique subsaharienne, la situation est pire encore et l'édition privée locale, malgré quelques structures « historiques » comme CLÉ, le CEDA ou les NEI, reste désespérément embryonnaire. Selon les données recueillies par la jeune association Afrilivres, qui ont fait l'objet en 2004 d'un Catalogue des livres disponibles des éditeurs africains, seuls 1 300 titres étaient alors proposés au lecteur potentiel, toutes dates de publication confondues, à comparer aux quelque 600 000 titres proposés par Electre Biblio. 891 entrent dans les catégories pour adultes et 415 s'adressent de manière spécifique à la jeunesse. Ils sont le fait de 52 éditeurs répartis dans une vingtaine de pays, puisque les éditeurs malgaches et mauriciens sont compris dans le nombre. Même si ce recensement n'est pas exhaustif, il montre bien le fossé qui sépare toujours aujourd'hui le Nord et le Sud francophone. Certains pays, en particulier, n'apparaissent nullement sur la carte éditoriale régionale ainsi dessinée.
La librairie francophone est au diapason de ce paysage éditorial. Dans les pays francophones du Sud, les réseaux de distribution du livre sont dramatiquement peu développés et peu structurés. L'absence, bien souvent, de marché du livre scolaire, la rareté du livre produit localement et la cherté du livre importé, qui équivaut à un produit de luxe pour des populations au faible pouvoir d'achat et peu habituées à la lecture, en sont quelques-unes des raisons. Aussi ne compte-t-on au mieux que quelques dizaines de librairies de fonds dans les pays du Maghreb et bien moins dans les pays d'Afrique francophone subsaharienne et de l'océan Indien. Ces dernières sont d'ailleurs concentrées exclusivement dans les plus grandes villes, de sorte que des villes moyennes et des régions entières s'en trouvent dépourvues.
Je ne voudrais toutefois pas en rester à un bilan aussi sombre. Depuis une quinzaine d'années, se sont créées dans les pays du Sud de nombreuses structures éditoriales qui ont tout particulièrement commencé à défricher le terrain de l'édition pour la jeunesse et dont les promesses demandent à être soutenues. De même, de jeunes entrepreneurs volontaires et mieux formés, ou à tout le moins désireux de se professionnaliser, tentent depuis le même temps de dynamiser le marché du livre dans les pays du Sud en créant différentes librairies indépendantes.
Cette prise en main de leur devenir par les acteurs eux-mêmes s'est également concrétisée par la création d'une association d'éditeurs, Afrilivres, qui rassemble aujourd'hui quelque 54 éditeurs du Sud, travaille à la concertation entre professionnels et cherche à assurer une plus grande visibilité des titres publiés, sur place comme sur les marchés francophones du Nord
De même, la création de l'Association internationale des libraires francophones (AILF), grâce au soutien de l'OIF, est porteuse d'espoir. Elle permet de fédérer les libraires francophones, de développer des liens de solidarité, de faciliter l'accès aux outils professionnels, logiciels de gestion ou banques de données informatives, ou encore de jouer le rôle d'un groupe de pression de manière à faire prendre conscience aux différents pouvoirs publics des multiples obstacles qui viennent entraver la circulation du livre dans l'espace francophone et à trouver les moyens de les supprimer. En outre, la Caravane du livre vise depuis deux ans à faire venir le livre auprès des lecteurs potentiels, dans les zones rurales et les villes moyennes dépourvues de librairies.
On pourrait ajouter l'action de l'Alliance des éditeurs indépendants pour une autre mondialisation, association militante à but non-lucratif : elle fédère aujourd'hui un réseau dense d'éditeurs, organisés par aires linguistiques et indépendants des grands groupes de communication, qui se réunissent pour travailler à des projets éditoriaux dans une perspective de circulation des idées et de commerce équitable. Le réseau francophone réunit ainsi à l'heure présente une trentaine d'éditeurs issus de l'ensemble de l'espace concerné. Au delà des rencontres qui permettent de faciliter la capitalisation et la circulation de l'expérience et de la présence à des fins promotionnelles sur différents salons et foires du livre, l'action majeure de l'Alliance s'exerce dans le domaine des coéditions, sous le label du « livre équitable ». Ce dernier signifie que les ouvrages coédités sont vendus à des prix différents selon les zones géographiques, de façon à tenir compte des différents pouvoirs d'achat. Ils permettent assurément de publier des contenus qui n'auraient pu l'être que difficilement par un seul éditeur, en raison de l'exiguïté des marchés locaux. Ils présentent en outre l'intérêt d'accoutumer les éditeurs, notamment ceux du Sud, à travailler entre eux de concert et à mieux se former aux réalités économiques et techniques de l'édition.
Cette nouvelle donne amène à faire ici, comme il a été préconisé, quelques propositions. J'en aurais un certain nombre, mais je me contenterai d'en exposer trois ou quatre.
La première est indéniablement la création d'un Conseil supérieur du livre francophone. Il permettrait de réunir les acteurs de la filière, de les encourager et leur réflexion me semble à même d'orienter l'action de la Francophonie institutionnelle qui a semblé hésitante dans ce domaine au cours des vingt dernières années et, parfois, peu probante, faute peut-être d'avoir pris pleinement en compte les réalités socio-économiques de l'édition et de la commercialisation du livre. Sans doute la question de la mise en place d'un système de cautionnement bancaire, comme le fait la SODEC au Québec ou l'IFSIC en France, sera-t-elle soulevée.
La seconde est sans doute de susciter enfin la définition par les pays francophones de politiques nationales ou régionales du livre. Des rapports ont souvent été suscités en ce sens, mais sans peu d'effets concrets. Or, il ne suffit pas de signer la convention sur la diversité culturelle, grande déclaration d'intention, si rien n'est fait derrière pour la mettre en oeuvre. L'adhésion au Protocole de Nairobi, qui permettrait par exemple de ne plus taxer le papier comme un produit de luxe, est notamment une mesure plus qu'urgente.
La troisième concerne le livre scolaire. L'OIF semble à juste titre avoir pris conscience au cours des dernières années de la nécessité, pour l'essor de la filière, de favoriser la production de manuels dans les pays du Sud, par des entreprises locales, alors que jusqu'à présent celui-ci est très largement édité au Nord. Mais il semble tout aussi important de ne pas dédaigner les maillons de la mise à disposition de ce livre scolaire auprès des familles, car la structuration de la distribution et le développement de la librairie en dépendent. Des expériences menées en Afrique anglophone montrent qu'il s'agit là d'une voie à explorer, même dans le cas où la gratuité, totale ou partielle, de l'accès final au manuel scolaire reste souhaitée. Il s'agit alors, par différentes procédures, par exemple des agréments de librairies, de rééquilibrer le subventionnement du seul producteur par un subventionnement du consommateur, établissements scolaires ou familles.
Enfin, il faut s'atteler au chantier de la diffusion et de la promotion des ouvrages publiés ou à venir car, dans le cas d'un bien symbolique comme l'est le livre, le fairesavoir, tant en direction des professionnels que du public potentiel, apparaît primordial. Or, cette information ne circule guère à l'heure actuelle que dans un sens, de la France vers les autres pays francophones, mais non en sens inverse, ni de manière transversale. Faut-il en passer par des sites fédérateurs sur le web, par une revue littéraire francophone, par une présence plus grande dans les médias, notamment français? À titre de sondage, un dépouillement complet du Monde des Livres, effectué tout au long de l'année 2004, n'a permis de mettre en évidence que quatre courts articles et une vingtaine de notules sur des ouvrages publiés par des éditeurs francophones non-hexagonaux, la plupart d'ailleurs consacrés à des ouvrages pointus de sciences humaines et sociales, secteur relativement désaffecté par les éditeurs français, mais heureusement soutenu par les pouvoirs publics des pays francophones du Nord, de sorte que l'édition locale a réussi à trouver là une certaine marge de manoeuvre. Quant à TV5, il s'agit sans doute d'une belle aventure, mais le téléspectateur français ne peut la visionner qu'en ayant accès au câble ou au satellite...
Pour que les identités particulières ne restent pas figées, il faut leur permettre de dialoguer entre elles!
Luis RIVAS
Georges Poussin est le chef de la section de l'entreprise culturelle et du droit d'auteur de l'UNESCO. Il a, par ailleurs, pratiqué le journalisme radiophonique pendant un certain nombre d'années. Il saura donc gérer le temps qui nous reste...
Georges POUSSIN
Je commencerai par cet aveu : je n'ai pu que très peu dormir cette nuit, tant j'ai été captivé par le dernier ouvrage de Dominique Wolton. Il explique fort bien en quoi la mondialisation peut représenter une chance pour la francophonie. J'en recommande la lecture. J'y ferai référence au cours de ma présentation abrégée.
Voici mes deux observations préliminaires :
1° La mondialisation nous offre une série d'opportunités. Actuellement, tous les pays ne se trouvent cependant pas en situation d'en profiter, le fait préoccupant étant que le fossé Nord-Sud tend à s'accroître plutôt qu'à se réduire. C'est pourquoi un effort de solidarité s'impose afin que la mondialisation puisse finalement profiter à tous.
Dominique Wolton note la concomitance de la progression de la mondialisation et de la résurgence des phénomènes identitaires. La francophonie, pourrait n'être qu'une identité parmi d'autres, même si cela n'a rien de péjoratif. Cependant, elle se voit offrir aujourd'hui la possibilité d'être une identité plus ouverte que d'autres, conformément même à sa tradition. Pour elle le grand enjeu, me semble-t-il est de pratiquer une ouverture interne, facilitée par la diversité culturelle de ses composantes mais aussi, au-delà, une ouverture aux autres qui exprime une philosophie de « l'anti-repli » avec ce même avantage que chacune de ses composantes est aussi reliée historiquement, géographiquement, culturellement. à d'autres identités et qu'elle s'est toujours reconnue elle-même comme héritière d'une vision universaliste.
Dominique Wolton fait référence à un paradigme constructiviste. Il a raison mais, audelà, la francophonie doit demeurer un ensemble capable de vivre le dialogue non seulement en son sein mais aussi avec d'autres ensembles. Sa solidarité doit également être tournée vers les autres. Il ne faut pas qu'elle ait peur de se défaire en s'ouvrant. La Déclaration universelle sur la diversité culturelle, votée à l'UNESCO en 2001, affirme : « Chaque création puise aux racines des traditions culturelles, mais s'épanouit au contact des autres ». Le propre des racines n'est pas ou pas seulement de s'étendre mais de se croiser. Quant au dialogue, il est à même de régénérer l'ensemble.
2° Il n'est pas de domaine plus déséquilibré par la mondialisation que celui des industries culturelles. Ces industries représentent tout de même plus de 7 % du produit mondial brut. Ce chiffre est d'ailleurs voué à s'accroître, pour atteindre prochainement 10 %. Les pays en voie de développement ne profitent que très peu de cette manne, alors justement qu'ils bénéficient de ressources exceptionnelles dans ces domaines. Cette considération se vérifie tout particulièrement dans le secteur de la musique et celui de l'artisanat. Au-delà de problèmes structurels que pourraient pointer les économistes, nous ne saurions nous résigner à ce paradoxe douloureux. Il faut trouver des solutions.
En même temps, dans ce secteur comme dans les autres, la mondialisation comporte des phénomènes d'ambivalence. On a dénoncé le fait que la littérature francophone n'était pas suffisamment mise en avant. Pourtant, nous n'avons jamais eu autant accès aux littératures étrangères qu'actuellement. Le nombre de nationalités représentées dans les librairies françaises a ainsi été multiplié par dix au cours des dernières années. Devons-nous seulement déplorer que la littérature francophone ne bénéficie pas de ce mouvement d'ouverture ? Ou n'y aurait-il pas des mesures à prendre pour essayer de mieux profiter des avantages de la mondialisation en la matière ?
Voici maintenant mes trois propositions :
1° La Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles adoptée par la Conférence générale de l'UNESCO en 2005 et dont tout le monde a parlé pour s'en féliciter doit maintenant être ratifiée. Il serait bon d'accélérer le processus. Pour l'heure, encore peu de pays ont accompli tout le chemin. Cette convention s'inscrit dans un corpus de textes complémentaires. Parmi ceux-là, la Convention concernant la protection du patrimoine mondial, culturel et naturel de 1972 et la Convention pour la sauvegarde du patrimoine cultuel immatériel de 2003. La protection et la promotion de la diversité culturelle passe par ces trois instruments et aussi par d'autres textes qui entrent dans le même thésaurus de l'UNESCO comme la Convention universelle du droit d'auteur de 1952 ou l'Accord pour l'importation d'objets de caractère éducatif, scientifique ou culturel de 1950, dit « Accord de Florence, » et dont il a été question tout à l'heure pour dire qu'il garde son actualité.
2° Bien que très important, cet engagement normatif ne saurait être considéré comme suffisant. L'action de solidarité qui doit être développée en parallèle passe par la logique de nouveaux partenariats, Sud-Sud ou Sud-Nord voire la coopération Sud-Sud-Nord grâce à laquelle un pays du Nord aide deux pays du Sud à développer leurs industries culturelles. Il s'agit alors d'un triangle « vertueux » pour faire écho à l'image employée par D. Wolton. La relation public-privé-société civile peut elle aussi être regardée comme un autre triangle vertueux. Il serait dangereux d'opposer culture et entreprise, tant le secteur privé est nécessaire à l'établissement d'industries culturelles solides. L'UNESCO a créé une Alliance globale pour la diversité culturelle, programme dont le rôle réside dans la promotion de partenariats de ce type. Cette Alliance compte actuellement 500 membres qui participent pour la plupart à ces partenariats conçu comme « gagnant-gagnant », c'est-à-dire que chaque partenaire y trouve son avantage.
3° Enfin, l'UNESCO agit, au travers de nombreux projets, pour la conservation des langues en péril et le développement de la traduction comme moyen d'encourager la diversité linguistique qui est un autre grand défi et même un combat prioritaire reconnu par la Conférence générale. Dans le cas de la francophonie, je crois que c'est la relation entre le français et les langues nationales ou locales qui mérite surtout d'être évoquée. Dans les pays du Sud, l'alphabétisation s'effectue souvent avec plus d'efficacité dans les langues nationales. Pour que le français conserve une place non négligeable dans les pays francophones du Sud, les jeunes devraient être placés en contact assez rapidement avec le français, en partant des langues locales avec lesquelles il s'agit de faire cause commune. Les médias et l'édition ont tous deux un rôle à jouer en ce sens. On sait que dans différents pays, les médias associent ou alternent programmes en langues locales et en langue véhiculaire. C'est un bon exemple à suivre pour la francophonie qui a un bel avenir devant elle, je le crois et surtout une mission à remplir au service de la diversité culturelle et de la solidarité pour le développement.
DÉBAT AVEC LA SALLE
Une participante
Les entreprises ne peuvent être évacuées du débat sur la francophonie. Je croyais à l'origine que la mondialisation allait permettre à tous, quelle que soit leur origine, de travailler ensemble. Au contraire, elle aboutit à plus de chômage en France. La pression mise sur l'usage du français, dans certaines entreprises, est à cet égard remarquable. Quelle action la francophonie compte-t-elle entreprendre pour contrecarrer cette tendance ?
Jacques NYEMB,
président de l'Association des satellites d'espace francophone
Que fait la francophonie aujourd'hui pour que des industries culturelles puissent véritablement émerger dans les pays du Sud ? Ces industries pourraient y prospérer, à condition de s'appuyer sur tous les acteurs de terrain, parmi lesquels les associations.
Catherine TASCA
Ce colloque a notamment pour ambition de lister une série de propositions concrètes et de les soumettre ensuite à l'OIF.
Un participant
En France, la télévision est le média qui touche le plus les jeunes. Parmi les francophones, seuls les artistes français et canadiens y ont accès, c'est-à-dire des personnes issues des deux pays les plus riches de l'espace francophone. Ne faudrait-il pas promouvoir l'accès des chanteurs des autres pays de la francophonie à ces puissants médias ?
Youssou N'DOUR
Il serait bon de permettre à ces pays de créer leurs propres réseaux de télévisions, avec suffisamment de moyens pour qu'ils puissent mettre au point des programmes de qualité. Si elles étaient relayées via le satellite, ces nouvelles chaînes pourraient toucher en retour la France et le Canada.
Une participante
Je suis enseignante de français langue seconde à Saint-Etienne. Si Dominique Wolton parvenait à organiser les états généraux de la francophonie, il serait bon qu'il y invite ces professeurs qui exercent leur métier dans des conditions épouvantables. Par ailleurs, je me demandais si les valeurs de la francophonie correspondaient bien aux valeurs de la France.
Michel GUILLOU
Les quatre valeurs fondamentales de la francophonie, à savoir la liberté, la solidarité, le dialogue et la diversité, sont issues d'un métissage entre les valeurs françaises républicaines et celles promues par Léopold Sédar Senghor. En réalité, la francophonie mélange Nord et Sud.
Jean FOUCAULT,
Coordonnateur de réseau à l'Agence universitaire de la Francophonie
La Direction des langues et de l'écrit de l'OIF avait mis au point un programme d'aide aux éditeurs sur la production de livres jeunesse. Ce programme, que nous jugions très bénéfique, a été stoppé après quelques années d'existence. Je n'ai pourtant jamais eu entre les mains un rapport expliquant pourquoi il était nécessaire de l'abandonner. Notre réseau serait aujourd'hui prêt à collaborer avec l'OIF pour qu'une nouvelle initiative soit entreprise dans ce domaine.
En Europe, et en France tout particulièrement, le livre jeunesse s'est développé au XIXe siècle grâce au livre scolaire. En Afrique, les mécanismes d'aide de la Banque mondiale imposent la mise au point d'un numéro 0 du manuel, avant même de pouvoir entamer la démarche. Fort peu d'éditeurs africains peuvent se le permettre. L'OIF pourrait pallier les carences du système actuel.
Un participant
La production de films et de documentaires dans les pays du Tiers-Monde reste aujourd'hui très complexe. Souvent, les dossiers de demande d'aide sont refusés. Autrefois, le cinéma de Bollywood était projeté à Paris dans des salles confidentielles de Barbès. Aujourd'hui, c'est sur les Champs-Élysées que le cinéma indien est programmé. Ceci dit, cet exemple ne peut être considéré que comme une exception. Comment la francophonie peut-elle faire bouger les institutions françaises, telles le CNC ?
Christian VALANTIN,
directeur du Haut Conseil de la Francophonie
L'enjeu autour de la Convention signée à l'UNESCO réside dans son application dans les pays du Sud. En effet, les pays du Nord ont déjà mis en place des dispositifs qui permettent assez largement de faire vivre la diversité culturelle. Pour cela, nous devons mobiliser les gouvernements des pays du Sud, et plus particulièrement les Ministres de la culture et les Ministres des finances, afin qu'une vraie politique culturelle soit mise au point. Nous pouvons nous appuyer sur les unions régionales, telles l'UEMOA, qui compte en son sein huit pays francophones, et la CEMAC, qui en compte cinq.
En Afrique subsaharienne, le français se trouve au contact direct des langues africaines. Par exemple, Youssou N'Dour chante à la fois en français et en wolof. Les questions de diversité linguistique y sont peut-être plus grandes qu'ailleurs. C'est dans ces pays tout particulièrement qu'une SODEC francophone pourrait s'avérer utile. Au Québec, les industries culturelles représentent 7 % du PIB et 250 000 emplois. Si la francophonie veut se parer d'une dimension économique, c'est au travers des industries culturelles qu'elle pourra l'acquérir.
Le reformatage du cadre stratégique de la francophonie ne doit pas faire l'économie d'un plan pour les industries culturelles sur 10 ans.
Une participante
L'UNESCO se penche-t-elle sur la question de l'essor du jeu vidéo en ligne ? De par le monde, en ce moment même, plusieurs millions de personnes se retrouvent pour jouer ensemble à des jeux tels Warcraft. Tous les serveurs de tels jeux utilisent l'anglais pour langue unique.
Georges POUSSIN
La question n'a pas été posée par les Etats membres dans ces termes. Ceci dit, cette question s'inscrit dans le cadre plus large du développement de la société de l'information de communication, que nous aimerions transformer en société de la connaissance. Nous n'avons pas de pouvoir particulier en la matière. Nous poursuivons simplement notre combat pour la diversité.
Je veux croire que les Ministres de la Culture sont pleinement impliqués dans ce combat. Ils ont constitué un réseau très actif. C'est certainement leur activisme qui a permis l'adoption de la Convention. Le travail de sensibilisation mené auprès de la société civile et surtout auprès des Ministères de l'Economie et des Finances aura certainement permis de faire progresser leur point de vue.
Un participant
Je suis prêt à parier sur un déclin de la francophonie au cours des années à venir. Peut-être n'est-il pas très grave que le français recule dans les entreprises, où l'on adopte un jargon anglophone vidé de tout sens. Peut-être aussi le monde est-il fatigué de ces grandes cultures qui ont de grands et profonds messages à délivrer. C'est peut-être ce qui fait aujourd'hui la force de l'anglais et la faiblesse du français. Il est temps que l'OIF se départisse de cette officialité quelque peu pompeuse que nous avons pu voir à l'oeuvre aujourd'hui. En tout cas, cette institution m'a profondément déçu au cours des dernières années.
Un participant
L'industrie du cinéma n'a pas été évoquée au cours de cette table ronde. De nombreux films anglophones se sont penchés sur la question de l'esclavage. Le cinéma francophone ne s'est que rarement penché sur cette question. En France, ce sujet reste tabou et certains se sont vus répondre que cette question ne pouvait devenir le sujet d'un film. Il est temps de commencer le travail de mémoire sur cette question.
Catherine TASCA
Quatre thèmes ont dominé cette table ronde. Le premier a été soulevé par Michel Guillou. Il a établi un lien direct entre francophonie et paix. Selon lui, la paix a besoin de communautés. Je crois profondément en ce message.
L'idée de l'adaptation de la SODEC Québécoise à l'échelle de la francophonie a également été proposée sous des formes différentes. Beaucoup ont appelé à la création d'une banque ou au développement du microcrédit pour permettre l'essor progressif d'une industrie culturelle, plus particulièrement dans les pays du Sud.
Le thème de l'interventionnisme public est lui aussi apparu à plusieurs reprises en pointillé. Face au marché et à la globalisation, les pouvoirs publics doivent agir pour préserver la diversité culturelle.
Enfin, le quatrième thème abordé ici a trait au soutien apporté à l'organisation professionnelle des pays du Sud. Youssou N'Dour a évoqué cette question sous l'angle de la musique. D'autres ont tenu un raisonnement proche sur le thème de l'édition.