"La mondialisation, une chance pour la francophonie"
Colloque au Sénat les 27 et 28 avril 2006, organisé par francofffonies !
SÉANCE D'OUVERTURE
Dominique WOLTON
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
Ce colloque sur le thème de « la mondialisation, une chance pour la francophonie » s'inscrit dans le cadre du festival « francofffonies ! », qui a débuté en mars pour prendre fin en octobre. Son objectif est de penser la francophonie à l'heure de la mondialisation, qui constitue une nouvelle étape sur le chemin de cette institution récente. Au-delà de son simple devenir institutionnel, nous avons pour ambition d'imaginer l'avenir de ce mouvement culturel et politique qui traverse le monde. Dans le prolongement de la Convention votée à l'UNESCO au mois d'octobre 2005, la francophonie peut aujourd'hui s'afficher comme l'un des principaux laboratoires de la diversité culturelle, même si d'autres mouvements peuvent bien entendu se prévaloir d'un tel titre.
Le festival « francofffonies » revêt tout à la fois des dimensions culturelles, artistiques et politiques. Dans cette optique, nous souhaitons tout naturellement contribuer à l'ouverture d'une réflexion sur les chances, les atouts mais aussi les défis de la francophonie à l'heure de la mondialisation. J'espère que ce colloque, tout comme le festival de manière plus générale, oeuvrera à la valorisation de la francophonie et marquera le début d'une nouvelle étape de réflexion et d'action de cette institution jeune, qui, comme toute institution, est menacée par les mécanismes de bureaucratisation.
Ce colloque se veut libre et contradictoire et le moins formel possible. Avant de laisser la parole à Monsieur Jacques Legendre, je tiens à remercier le Sénat et son Président, Monsieur Christian Poncelet, pour son hospitalité.
Christian PONCELET, Président du Sénat
Le message de Monsieur Christian PONCELET est lu par Monsieur Jacques LEGENDRE, sénateur du Nord, secrétaire général parlementaire de l'Assemblée Parlementaire de la Francophonie.
Je suis heureux, au nom de tous mes collègues, que le Sénat accueille ce colloque, moment essentiel du festival des cultures francophones, puisque c'est l'occasion de donner tout son sens à cette manifestation et de replacer chacun des événements dans une perspective qui le dépasse.
Comme le dit toujours si brillamment notre grand linguiste Claude Hagège, « Les langues ne sont pas que des véhicules de communication. Elles portent une vision du monde, une pensée. Et la disparition d'une langue, la diminution de son usage sont à chaque fois une tragédie pour l'humanité entière. » Il nous enseigne aussi que l'histoire des langues n'est pas celle de l'offre et de la demande et que, langues communes, langues de la cité, elles sont des sujets de politique et qu'il n'y a donc rien de dépassé, ni d'arrière-garde, ni de contraire à l'ordre naturel des choses à vouloir conduire des politiques linguistiques et défendre la diversité culturelle.
Je forme le voeu que ce colloque permette à chacun de mieux comprendre que la francophonie, comme les autres ensembles linguistiques, est indispensable à une mondialisation heureuse. Je forme le voeu aussi, répondant à l'appel du président Abdou Diouf, que la France elle-même et les Français eux-mêmes prennent conscience de leur responsabilité à l'égard de la langue qu'ils partagent avec tant de peuples amis et ne se laissent pas aller, comprenant mal la mondialisation et cédant parfois aux arguments d'économie à courte vue et à la tendance à l'uniformisation.
Philippe DOUSTE-BLAZY, Ministre des Affaires étrangères
C'est bien sûr un grand plaisir pour moi de me trouver parmi vous. Cette assemblée rassemble de nombreux ambassadeurs, diplomates ainsi que des personnes qui jouent un rôle important aujourd'hui pour que la francophonie puisse participer à cette nouvelle mondialisation.
Le colloque intitulé « La mondialisation, une chance pour la francophonie », organisé dans le cadre du festival francophone en France, est un moment important pour nous. Initié par le président de la République, ce festival est un moment exceptionnel d'accueil et de débat autour d'une francophonie que nous voulons vivante et dynamique, une francophonie que nous voulons en mouvement, porteuse d'une certaine idée de l'homme et de la culture, d'une certaine vision du monde et de l'avenir.
Permettez-moi tout d'abord d'associer à la tenue de ce festival le président Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie. Nous avons pu compter sur son soutien indéfectible tout au long de cette entreprise, à un moment important, puisque l'Organisation internationale de la Francophonie se transforme elle aussi pour mieux se projeter dans la francophonie de demain.
Je veux aussi remercier le Sénat pour son accueil et la qualité d'organisation de cette journée. Je connais bien l'investissement des sénateurs dans la promotion d'une langue française vivante et l'attention constante qu'ils portent à nos compatriotes expatriés. Il y a un mois à peine, le Sénat a accueilli ici même la manifestation « Français de l'étranger, une chance pour la France ». Son succès public a dépassé toutes les espérances. Il témoigne, si besoin était, du rôle joué par le Sénat au service de la francophonie, mais au-delà, en faveur du rayonnement et de la stratégie d'influence de notre pays.
Enfin, je tiens à remercier chacun des organisateurs et tous les participants qui vont contribuer par leurs propositions à animer les débats de ces deux journées. Permettez-moi à cette occasion de saluer tout particulièrement Dominique Wolton, qui assure la direction scientifique de ce colloque. Les orientations qu'il va tracer seront, j'en suis convaincu, des pistes de réflexion essentielles à la réussite de ce colloque et je veux par avance l'en remercier très chaleureusement.
Vous tous réunis ici savez mieux que quiconque que la francophonie est une chance pour notre langue, mais c'est aussi et surtout une force pour notre pays et l'ensemble des Etats francophones. Convenons-en, il existe dans le monde peu d'aires linguistiques et culturelles qui ont une surface comparable à celle de la francophonie. Dans ce sens, la mondialisation s'affirme comme un atout. Je l'ai d'ailleurs constaté à de maintes reprises lors de mes déplacements à l'étranger. Il existe, concernant notre langue, des attentes et des demandes très fortes de la part de nos partenaires et nous devons naturellement y répondre.
Cependant, si la mondialisation est un atout, elle est aussi de plus en plus un défi. Dans un monde ouvert, où les identités se recomposent sans cesse, les enjeux évoluent et nécessitent des réponses sans cesse adaptées. Comment faire vivre et dynamiser dans ce contexte la francophonie de demain ? C'est cette complexité que nous devons maîtriser et qu'il nous appartient d'aborder ensemble au cours de ces deux journées. A vous d'en cerner toutes les richesses et tous les atouts, notamment pour la France. A vous aussi de trouver, j'en forme le voeu, de nouvelles pistes de réflexion et d'action, qui nous seront utiles pour approfondir les enjeux de la francophonie et continuer à la renouveler.
« La francophonie bouillonne ! » a déclaré le président de la République en ouvrant en mars dernier le festival francophone au Salon du livre de Paris. Il a également souligné qu'une francophonie ouverte et moderne peut constituer une réponse positive et créative aux questions posées par la mondialisation. L'humanisme s'inscrit en effet au coeur du projet et des priorités de la francophonie. C'est pourquoi cette dernière doit prendre toute sa place dans les grands débats de notre temps. Je vois là une raison supplémentaire pour l'aider et pour la soutenir. A l'heure où s'affirment ici et là des tensions, des crispations et des menaces de repli identitaire, nous avons plus que jamais besoin d'un dialogue équilibré entre les cultures.
Parce qu'elle est portée depuis plus de deux siècles par un idéal d'universalité, parce qu'elle est une invitation au pluralisme, j'ai la conviction que la francophonie peut être ce laboratoire d'une modernité respectueuse de l'autre, qu'elle peut servir un véritable dialogue entre les cultures, non dans une logique défensive mais dans une logique de proposition.
Dans ce sens, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée par l'UNESCO le 20 octobre dernier, est aussi une belle victoire de la francophonie. Toutefois, cette victoire appelle aussi une exigence, celle de soutenir l'avènement d'un véritable espace public francophone, un espace attentif au respect de toutes ses composantes et surtout un espace capable de s'organiser et d'organiser une véritable diversité culturelle en son sein.
Or comment s'organise aujourd'hui cette maison commune de la francophonie ? Elle se fonde d'abord sur une géopolitique originale qui rassemble 63 Etats et près de 180 millions d'hommes et de femmes sur les cinq continents. De plus en plus en Chine, en Amérique latine et dans de nombreux pays émergents, nous faisons le constat d'une demande linguistique croissante, à laquelle nous devons bien sûr répondre.
Cette ambition est d'ailleurs affichée en toutes lettres dans la nouvelle Charte de la Francophonie, adoptée lors de la conférence ministérielle de Tananarive en novembre 2005. C'est cette francophonie ambitieuse, une francophonie de dialogue mais également de mobilisation qu'il importe aujourd'hui de promouvoir. Nous aspirons à une francophonie qui tienne compte des mutations historiques et des grandes évolutions économiques, géopolitiques et technologiques du XXIe siècle, une francophonie capable de tout mettre en oeuvre pour affirmer sa présence, ses valeurs, l'utilité de sa contribution au dialogue des cultures, une francophonie enfin qui jouerait pleinement son rôle au sein de la communauté internationale et d'une mondialisation plus humaine et plus solidaire.
Je suis fier et heureux que notre pays, qui est l'un des premiers contributeurs de la francophonie multilatérale, ait apporté tout son soutien à l'adoption de cette réforme fondamentale de l'Organisation internationale de la Francophonie et de son avenir. C'est d'ailleurs dans ce cadre institutionnel rénové que se tiendra le onzième sommet des chefs d'Etat et de gouvernement ayant le français en partage en septembre prochain à Bucarest. La Roumanie est le premier des treize pays francophones d'Europe centrale et orientale à avoir rejoint l'OIF.
La conférence qu'elle accueillera aura pour thème l'éducation et les technologies de l'information et de la communication. Il y sera donc beaucoup question de la jeunesse, dont dépend pour l'essentiel l'avenir du français dans la mondialisation. Je considère pour ma part que c'est à cette jeunesse qu'il importe de s'adresser en premier lieu en ce moment exceptionnel de mobilisation et d'élargissement de la Francophonie. De nombreux services du ministère des Affaires étrangères seront mobilisés à l'occasion de ce sommet, aux côtés des opérateurs traditionnels de la francophonie, à savoir la ministre déléguée à la Coopération, au Développement et à la Francophonie, le service des affaires francophones, mais aussi la direction générale de la coopération internationale et du développement.
Pour l'occasion, je voudrais vous dire que nous avons mobilisé toutes les énergies de notre réseau d'instituts culturels, d'Alliances françaises mais également tous les lycées français à l'étranger, car c'est avant tout dans ces lieux d'apprentissage que la langue française s'enracine et que nous bâtissons durablement pour l'avenir la francophonie.
La francophonie, je l'ai dit tout à l'heure, doit se montrer ambitieuse, au moment où se joue dans le monde une lutte décisive pour l'influence. C'est conscient de tous ces enjeux que le Haut Conseil de la Francophonie a contribué à définir les orientations stratégiques et c'est son rapport annuel que je voudrais maintenant évoquer.
J'observe d'abord que les données de ce rapport invitent à l'optimisme, mais dans la mesure où nous restons déterminés à agir, en passant d'une vision parfois trop repliée dans l'espace public français à une vision beaucoup plus ouverte, une vision globale et pleinement francophone. Cela concerne en particulier l'apprentissage de la langue française qu'il nous faut davantage promouvoir et encourager.
Sur les 175 millions de francophones, 115 millions parlent un français courant.
Naturellement, l'environnement culturel et linguistique est un facteur déterminant dans l'apprentissage. On compte ainsi plus de 18 millions d'apprenants en Afrique du Nord et au Moyen Orient, plus de 33 millions en Afrique subsaharienne et dans l'Océan indien, près de 9 millions dans les Amériques et les Caraïbes, plus de 2 millions en Asie et en Océanie, plus de 27 millions en Europe. Pour l'année 2005, cela représente au total près de 90 millions d'apprenants dans le monde, soir une progression de 10 millions en l'espace de 7 ans. Près du tiers d'entre eux réside en Afrique subsaharienne et dans l'Océan indien.
Tels sont les premiers enseignements que nous pouvons tirer. Le nombre d'élèves et d'étudiants intéressés par le français progresse sur le continent africain et au MoyenOrient, mais se stabilise dans les autres régions du monde, à l'exception notable de la Chine et de l'Inde, où l'on constate une augmentation spectaculaire de l'apprentissage de la langue française. Tout cela doit nous encourager à aller de l'avant et à renforcer notamment les programmes de coopération en matière de plurilinguisme dans tous les pays où l'on constate que l'image du français reste attrayante.
On l'oublie trop souvent, mais, en France même, nos départements et nos territoires d'Outre-mer sont des véritables laboratoires de la diversité culturelle. Les contacts qu'ils offrent avec les autres continents sont créateurs de nouvelles richesses linguistiques, mais ils fonctionnent aussi entre les hommes comme le lieu de nouvelles passerelles identitaires et de nouvelles connivences.
Les limites de l'espace public francophone ont donc vocation à être repoussées. De nouveaux territoires restent à conquérir. Pour cela, il importe tout d'abord de faire oeuvre de vision, mais aussi de pédagogie. La francophonie, parce qu'elle est corrélée à l'influence de notre langue, de nos valeurs et de notre culture, nous concerne tous. Aussi, je suis très heureux que le Sénat, en partenariat avec l'OIF et nos autres partenaires, ait réussi à associer et à sensibiliser si fortement nos entreprises au festival francophone en France. Nous attendons beaucoup de ce festival et je compte sur chacun d'entre vous et en particulier sur les journalistes présents ce matin pour donner à cet événement tout l'écho qu'il mérite auprès des Français. Plus de 400 manifestations sont programmées sur l'ensemble de notre territoire dans plus de 120 villes de toutes les régions de France.
Étendre l'espace public francophone, repousser les limites de cet espace, qui est tout autant une frontière géographique qu'un état d'esprit, c'est aussi agir pour que les hommes et les sociétés se connaissent mieux. Pour reprendre le mot de Dominique Wolton, la francophonie a tout intérêt à devenir une « communauté de contacts » et pas seulement d'identités, une communauté qui serait une passerelle entre les pays et les continents. C'est là une ambition fondamentale du ministère des Affaires étrangères qui mène de nombreuses actions dans l'ensemble de son réseau en partenariat avec les ambassades des pays francophones.
Je pense cette année en particulier à l'Amérique latine, où nous avons rassemblé un très large public, aussi bien au Mexique qu'en Argentine, au Chili ou au Costa Rica. Je pense aussi à la Turquie, où la France et la Suisse ont organisé avec les autorités locales des spectacles et des débats francophones très appréciés. Je n'oublie pas naturellement l'Asie, où nous sommes encouragés par la popularité de notre langue. En Inde, les vingt Alliances françaises se sont mobilisées cette année pour mettre la francophonie à la portée des plus jeunes, tandis qu'en Chine, un festival de musique francophone a réuni un très nombreux public à Pékin, Chengdu et Shanghai.
Bien évidemment, dans les pays membres ou observateurs de la Francophonie, de nombreuses autres initiatives sont menées. Vous me pardonnerez de ne pas toutes les évoquer aujourd'hui. Je voudrais simplement signaler à votre intention trois dates importantes à retenir pour les mois à venir. Elles témoignent à mon sens de l'importance accordée par notre pays aux enjeux culturels et de solidarité propres à la francophonie.
Tout d'abord, lors du festival de Cannes, le 18 mai prochain, une journée sera spécialement consacrée à la diversité culturelle et à la francophonie, avec une attention toute particulière portée aux actions de coopération menées avec des cinémas du Sud.
Ensuite, la fête de la musique, qui aura lieu comme tous les ans le 21 juin. Le thème retenu étant celui des musiques francophones, c'est l'ensemble de notre réseau culturel et diplomatique dans le monde qui sera convié cette année à s'associer à cette célébration.
Enfin, je vous invite tous à venir nombreux le 9 octobre prochain, à la Bibliothèque nationale de France pour la soirée de clôture du festival « francofffonies ! » qui sera consacrée au 100e anniversaire de la naissance de Léopold Sédar Senghor, l'un des membres fondateurs de la Francophonie. C'est tout particulièrement son message pour un humanisme intégral que nous avons voulu célébrer cette année.
Pour la France, la francophonie est à la fois un héritage et une obligation liée à l'Histoire, mais elle est aussi bien davantage que cela. C'est une chance historique pour notre pays. A l'heure où la mondialisation, en ouvrant les frontières, nous donne l'occasion d'étendre vers de nouveaux espaces le message de l'universalité de nos valeurs, la francophonie est aussi un formidable facteur d'harmonisation pour nous tous qui partageons les mêmes valeurs. Nous ne pouvons pas accepter un monde de moins en moins solidaire. Nous sommes obligés aujourd'hui de défendre une certaine diplomatie.
La francophonie est un enjeu stratégique, un enjeu culturel, évidemment, mais aussi un enjeu économique et technologique. A nous de nous donner les moyens de le faire vivre, afin que la bataille pour la diversité culturelle, si elle a été remportée sur le terrain politique, ne soit pas perdue dans l'avenir sur le terrain de la communication.
C'est à cet avenir, dans ce monde nouveau, que la francophonie nous invite. De nombreux défis sont à relever. Envisageons-les avec un optimisme raisonné et surtout avec beaucoup de détermination. Je suis convaincu que de nouvelles pistes peuvent être tracées pour servir cette francophonie en action. Aussi, je souhaite à chacune et à chacun d'entre vous de fructueux travaux. Je ne doute pas que vos propositions seront très utiles pour nourrir la réflexion collective au service de la francophonie, mais aussi plus largement d'une politique d'influence qui est vitale pour notre pays.
Abdou DIOUF, Secrétaire général de la Francophonie
Le message de Monsieur Abdou DIOUF est lu par Monsieur Clément DUHAIME, administrateur de l'Organisation internationale de la Francophonie.
Vous m'avez fait le grand honneur de m'inviter aujourd'hui à l'ouverture de ce grand colloque sur le thème « Mondialisation et Francophonie ». Ce colloque est un événement important, un des grands rendez-vous intellectuel et politique qui donne du sens et de la profondeur au Festival francophone en France qui, depuis le succès remarquable du Salon du Livre, a pris un remarquable envol et vient brillamment répondre à nos attentes.
Je voudrais remercier Monsieur le Président du Sénat et toutes ses équipes pour avoir accepté d'accueillir, dans ce prestigieux Palais du Luxembourg, cette manifestation et pour s'être mobilisé avec autant de conviction pour qu'elle soit une grande rencontre internationale.
Toute l'équipe du Festival francophone, coordonnée, je dirais, entraînée par le dynamisme de la Commissaire générale Monique Veaute et l'effervescence de Dominique Wolton, mérite nos félicitations. Nos amis du Festival ont su rassembler, pour les six tables rondes qui vont se dérouler au cours de ces journées, les plus éminentes personnalités et les meilleurs spécialistes sur des thèmes particulièrement bien choisis, qui sont tous au coeur des préoccupations de la francophonie et des efforts que nous déployons actuellement pour la moderniser, lui donner plus de pertinence face aux défis de notre siècle. En un mot lui donner ce nouveau souffle, ce nouvel élan et j'irais même jusqu'à dire cette nouvelle légitimité qui refonde son ambition et son dynamisme.
C'est dire combien vos débats, vos réflexions, vos nouvelles idées et même vos impertinences et vos remises en question sont attendues. J'espère bien qu'elles viendront nous stimuler. J'espère aussi que, dans tous les milieux que les uns et les autres vous représentez, elles sauront déclencher une dynamique rénovée en faveur de la francophonie, une avancée, un désir d'engagement plus fort, plus visible en faveur de nos combats.
Il n'y a rien d'artificiel, bien au contraire, à confronter la francophonie à la mondialisation. J'ai eu souvent, au cours de ces dernières années, l'occasion de développer cette problématique et vous-même, Dominique Wolton, vous avez fort bien démontré sa pertinence dans vos derniers ouvrages. Notre Organisation, forte de ses 63 membres appartenant tant au Nord qu'au Sud, présente sur les cinq continents et qui revendique son universalité, fait en quelque sorte figure de résumé de la planète.
Cette configuration fonde la personnalité de la Francophonie et suffit à rendre pertinent le thème de cette rencontre.
Mais il y a plus encore : l'évolution de l'OIF ces dernières années, sa transformation, la redéfinition de ses orientations et de ses actions, parce qu'elle se soucie de la réalité de notre monde, est directement liée au phénomène de la mondialisation. Elle est déterminée par la nécessité d'en évaluer les répercussions sur nos sociétés, et en particulier sur celles des pays du Sud, pour aider nos Etats et gouvernements et nos populations à en affronter les aspects les plus difficiles.
Chacun s'accorde à estimer que la mondialisation est une vague de fond qui bouleverse notre monde, qui bouleverse tous nos modes de vie. La tendance dominante est aussi de considérer cette évolution comme inéluctable et même, à bien des égards, positive. Il n'en demeure pas moins, et c'est cette réalité qui nous interpelle le plus fortement, que les plus démunis n'en voient aujourd'hui que la face la plus sombre.
La phase historique actuelle de la mondialisation se développe en effet sur le terreau d'un libéralisme dont le credo est un trop grand « laisser-faire ». Les tenants de ce libéralisme, aujourd'hui en position dominante, affirment leur conviction que le marché est capable à lui seul de s'autoréguler et nient la nécessité de toute autre forme d'organisation des relations entre les hommes. Cette vision du monde tend à s'imposer dans la plupart des instances de décision qui régissent les rapports entre les Etats. Depuis près d'un quart de siècle se développe un mouvement de dérégulation qui a pour but de favoriser une concurrence généralisée des économies mondiales. La sphère marchande vient progressivement régir une part croissante des activités humaines, y compris des secteurs destinés à satisfaire des besoins sociaux et culturels essentiels. Le principe de compétitivité devient le moteur principal de toute activité économique. Il devient une fin en soi.
Je ne nierais pas que cette dynamique libérale produit ici et là ses effets positifs et nourrit certaines formes de croissance économique. Mais il faut, avec lucidité et réalisme, dire que la mondialisation ne peut être réduite à une libéralisation à marche forcée des économies et des systèmes sociaux et culturels. Parce qu'on ne peut faire l'impasse sur le constat d'un accroissement des inégalités, d'une répartition inégale de la croissance et du progrès, d'une trop longue liste de questions essentielles qui restent sans réponses satisfaisantes : celle du respect des identités, celle de la paix, celle du respect des Droits de l'Homme, celle de la démocratisation des systèmes politiques et du système international.
C'est d'abord l'aggravation des inégalités, la multiplication des « fractures », pour employer cette expression qui exprime si bien la brutalité du phénomène, qui apparaît comme un des effets majeurs de cette mondialisation.
Inégalités au sein même des pays riches, dont la croissance ne parvient pas à éliminer une pauvreté installée au coeur de leurs métropoles avec tous les ravages sociaux et culturels que l'on connaît.
Inégalités entre le Nord et le Sud, qui malgré quelques bonnes volontés, appréciables mais insuffisantes, prennent des proportions dangereuses. Selon le PNUD, la consommation mondiale a été multipliée par six au cours des cinquante dernières années, mais elle reste le fait de 20% de la population mondiale vivant dans les pays du Nord. Pire, la population du Nord dispose aujourd'hui d'un revenu moyen soixante fois supérieur à celui des populations du Sud, alors qu'en 1960 le rapport n'était que de 1 à 30 !
La mondialisation, dans sa version actuelle, c'est ensuite la dérive du droit. Les droits élémentaires garantis par la Charte des Nations-Unies et auquel tout être humain peut prétendre, sont bien loin d'être appliqués et respectés. Aujourd'hui les seules normes internationales qui se renforcent sont celles qui consacrent la liberté des opérateurs économiques, celles qui poussent à une dérégulation.
Or, pour paraphraser le journaliste et homme politique français Henri Lacordaire, on sait depuis longtemps que c'est le droit qui protège le plus faible et la liberté qui l'opprime.
C'est une mondialisation qui ne refuse pas d'ouvrir les yeux sur la dimension humaine du progrès et de la croissance, une mondialisation qui sait maîtriser la marchandisation pour mieux protéger les identités et la diversité, une mondialisation qui accepte de payer le prix de la paix et de la démocratie, bref une mondialisation dotée d'un véritable projet politique humaniste que la Francophonie veut contribuer à construire.
Ce projet, nous l'avons traduit concrètement dans notre programme d'action. Chacune des quatre priorités de notre Cadre stratégique décennal qui oriente nos projets pour les dix prochaines années l'exprime fidèlement. Ces priorités s'appuient sur nos valeurs : celle de la solidarité, celle du respect de la diversité, celle de la citoyenneté. Ces valeurs, pour être prises en compte dans la dynamique de la mondialisation, exigent d'y introduire davantage de droit, d'y renforcer une logique plus systématique de régulation.
C'est, nous en sommes convaincus, à la satisfaction des besoins et des aspirations de toutes les femmes et de tous les hommes qui forment notre humanité que les fruits du progrès et de l'enrichissement devraient être destinés. Dans cette optique, la Francophonie s'est donné pour but de défendre tous les droits, et pour tous.
Vous savez déjà que depuis une période récente elle a renforcé son action politique dans ce sens, et qu'elle s'attache avec ses moyens et ses méthodes spécifiques à promouvoir la paix, la démocratie, les droits et les libertés dans l'espace francophone. Il nous faut à présent, besoin de solidarité oblige, développer davantage notre action en faveur des droits économiques et sociaux, d'ailleurs garantis par le Pacte international de 1966 que la plupart de nos Etats ont ratifié. De ce point de vue, nous savons bien que si tous nos membres sont égaux en droit, ils ne le sont pas tous en devoir. C'est le fondement même de la solidarité : les plus riches doivent faire davantage pour les plus démunis. L'assistance des pays les plus riches demeure indispensable dans bien des domaines, mais elle ne saurait suffire à satisfaire ce besoin de solidarité.
C'est aussi en commençant par restaurer entre nous la primauté des droits que nous pourrons contribuer à réduire les fractures les plus graves. Contrairement à ce qui se dit souvent, les Etats ont encore du pouvoir, et ce sont les Etats du Nord qui jouent un rôle primordial dans l'élaboration des régulations nationales et internationales, et surtout, ce sont eux qui disposent des moyens de les faire appliquer. Ils doivent donc donner l'exemple en inversant la tendance excessive à la dérégulation et en s'attachant à élaborer de nouvelles régulations destinées à restaurer les équilibres menacés par une mondialisation sans limites.
Et j'en viens là à ce problème crucial du respect des identités et de la diversité culturelle que notre ami Dominique Wolton qualifie, à juste titre dans son dernier ouvrage, d'enjeu politique majeur de cette mondialisation et de défi prioritaire pour la Francophonie. L'OIF a clairement son rôle à jouer dans cette entreprise de maîtrise de la mondialisation. Elle en a donné la preuve en contribuant activement à l'adoption à l'UNESCO de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. Je vois, dans ce succès, une preuve de ce besoin de droit et de la capacité des Etats d'y répondre. J'y vois aussi la preuve que, face à cette mondialisation non maîtrisée, le refus de la résignation a du sens et doit nous motiver chaque jour pour poursuivre dans cette voie.
D'autres combats de ce type restent exemplaires et doivent inciter à une solidarité plus forte entre les Etats francophones du Nord et ceux du Sud. Je citerais l'exemple de ceux qui utilisent abusivement à leur bénéfice l'arme du protectionnisme commercial alors qu'ils font eux-mêmes pression sur les plus pauvres pour qu'ils ouvrent leurs frontières à leurs marchandises et à leurs services. L'effet dévastateur des subventions soutenant les exportations agricoles de pays du Nord sur des filières vitales pour les pays du Sud, comme le coton dans les pays du Sahel, peut-il être indéfiniment accepté ?
Ces droits économiques, sociaux et culturels restent les grands oubliés de la mondialisation. Il faut refuser l'idée qu'ils mettraient en péril l'économie mondiale. Ils en consolideraient au contraire les fondements en renforçant le sens du partage, témoignage de solidarité et premier pas vers l'égalité, et en faisant admettre une véritable reconnaissance de l'autre.
Héritiers de Léopold Sédar Senghor, l'un des pères fondateurs de notre Francophonie, nous ne pouvons nous résigner à ce que la mondialisation s'oppose irréductiblement à la construction de cette civilisation de l'universel qui est notre but commun. C'est comme cela que nous saurons montrer que nous sommes capables de construire l'avenir.
Simone VEIL, Ancien ministre, membre du Conseil constitutionnel
Je voudrais tout d'abord féliciter les organisateurs d'avoir pris l'initiative de ce colloque et remercier Monsieur le président du Sénat Christian Poncelet de m'avoir fait l'honneur de m'inviter à témoigner sur l'appui apporté par la francophonie au renforcement de l'Etat de droit ainsi que sur l'engagement du Conseil constitutionnel auprès des cours membres de l'Association des cours constitutionnelles ayant en partage l'usage du français (ACCPUF).
Il m'est particulièrement agréable de pouvoir vous parler du rôle de la francophonie pour les cours constitutionnelles concernées, rôle souvent méconnu et même totalement ignoré par la plupart. Et pourtant, la francophonie constitue une enceinte privilégiée pour ces cours, grâce au partage d'une même langue, privilège qui permet de rassembler autour de valeurs communes, figurant dans sa Charte, l'aspiration à la paix, à la démocratie et au progrès des sociétés qui la composent.
Ayant été amenée, depuis que je siège au Conseil constitutionnel, à suivre plus particulièrement les travaux de l'ACCPUF, il m'a été donné d'apprécier le rôle que pouvaient jouer les cours constitutionnelles qui avaient adhéré à la francophonie. Vous pourrez constater qu'il est devenu tout à fait irremplaçable pour nos cours constitutionnelles.
Se fondant sur le constat que francophonie et démocratie sont indissociables, les chefs d'Etats et de gouvernements francophones qui étaient réunis le 3 novembre à Bamako, se sont engagés pour le renforcement « des institutions de l'Etat de droit, classiques ou nouvelles, en vue de les faire bénéficier de toute l'indépendance nécessaire à l'exercice impartial de leur mission ». Tandis que se structurait peu à peu l'espace francophone, notamment avec la création d'un poste de secrétaire général de la francophonie, l'idée d'une concertation entre les institutions chargées du contrôle de constitutionnalité a pu émerger, précédant même la conférence de Bamako.
Dès 1995, lors de la conférence des Ministres de la justice qui s'est tenue au Caire, l'engagement a été pris de renforcer les garanties juridictionnelles et d'assurer un meilleur respect des droits fondamentaux. C'est à ce moment que plusieurs cours ou conseils constitutionnels se sont réunis en vue de la création d'une association. C'est en avril 1997 que naît l'ACCPUF.
On ne peut donc manquer de souligner le rôle précurseur des cours constitutionnelles dans la mise en oeuvre des principes qui seront par la suite proclamés solennellement à Bamako. L'ACCPUF regroupe actuellement 41 cours, conseils constitutionnels ou institutions équivalentes. Aujourd'hui, sa présidence est assurée par la Cour suprême du Canada, qui a succédé à la Cour constitutionnelle du Gabon, qui s'est fortement impliquée pour mettre en oeuvre les engagements de Bamako.
Je tiens aussi à souligner que la Présidente de la Cour suprême du Canada, qui ne parlait que quelques mots de français à l'origine, a fait d'extraordinaires progrès depuis qu'elle assure la présidence de l'ACCPUF. Une telle attitude est d'autant plus remarquable et courageuse que la durée du mandat à la présidence de l'ACCPUF est assez courte.
Le secrétariat de l'ACCPUF est assuré depuis l'origine par le Conseil constitutionnel français qui a fourni un appui très important en matière de documentation, d'organisation de conférences et de séminaires, de diffusion de la jurisprudence et de publication. Ce secrétariat est non seulement la mémoire de l'association mais aussi une importante source d'informations sur les différentes cours qui la composent. A ce titre, il sert de relais entre les cours pour la diffusion de renseignements sur telle ou telle autre cour ou sur tel point de droit.
Le secrétariat s'attache aussi à publier les travaux sous forme d'études de droit comparé. A cet égard, et avant d'expliciter davantage le travail accompli par l'ensemble de ces cours et notamment par le secrétariat, je me dois d'insister sur le fait que c'est la Cour constitutionnelle française, qui siège au Palais royal, qui assume entièrement ce secrétariat. Il est assuré pour sa majeure partie par deux personnes. Ceci traduit bien le fait que la francophonie a parfois de grandes ambitions mais de bien petits moyens pour les réaliser.
Le secrétariat joue un rôle considérable dans la vie de cette institution sur le travail juridique, le suivi au quotidien et la mise en ligne des travaux de ces 41 cours. Il assure aussi l'organisation des très nombreux colloques et réunions qui se déroulent à Paris ou ailleurs ainsi que celle des réunions plénières de l'association ou encore des réunions de bureau, qui peuvent avoir lieu au Niger, au Gabon ou en Roumanie.
Ces tâches représentent un travail considérable pour ce petit groupe de personnes qui occupent des postes de fonctionnaires au sein du Conseil, détachés pour une période variable. Ils ont en charge l'organisation des relations internationales du Conseil, l'organisation intellectuelle, c'est-à-dire la préparation des travaux avec les différentes cours, et l'organisation matérielle. Cette dernière n'est pas simple, dans la mesure où, lors des réunions, les conjoints des participants sont présents. Il appartient en effet à ces fonctionnaires de s'occuper de ces personnes. Face à ces personnes très courageuses et dévouées, j'ai parfois un peu honte.
Depuis 9 ans désormais, grâce à ces rencontres régulières, s'est développé au sein de l'ACCPUF un véritable dialogue entre les membres des cours qui y participent. Ces personnes viennent régulièrement à Paris pour se ressourcer, nous fournir des indications sur l'actualité de leurs institutions. De ces rencontres, sont nés des échanges remarquablement libres, parfois très courageux sur des thèmes précis comme l'indépendance des juges et des juridictions. En effet, même si ce sujet reste très difficile à aborder dans certains pays, les membres de l'ACCPUF n'hésitent pas à s'emparer de telles questions. D'autres rencontres nous ont permis d'aborder le thème des partis politiques, sur la base de questionnaires très complets.
Un réseau d'expériences privilégiées s'est ainsi construit, en même temps qu'une culture démocratique. Désormais, les barrières entre cours ne constituent plus des obstacles. A ce propos, j'ai souvenir d'un débat récent autour de la lutte contre la corruption. Les échanges ont pris une tournure vive et contradictoire entre des participants qui ne partageaient pas tous la même définition de la corruption.
Certaines expériences en matière de communication par exemple, mises en place par de très jeunes cours, soucieuses de se faire connaître, se révèlent fort utiles, même pour des cours ancrées de longue date dans le système juridique.
L'ACCPUF développe également des instruments de droit comparé, au travers de la publication systématique des travaux réalisés au cours de nos rencontres, sous toutes leurs formes. Ces documents vont bien au-delà du simple compte-rendu des travaux de conférences, séminaires ou congrès. Leur objet est de répondre de manière concrète aux questions des cours, tout en s'enrichissant de l'expérience des autres. Un document de référence, régulièrement actualisé, présente chacune des cours membres. Il reprend les textes officiels mais aussi des renseignements pratiques et des photographies et sert de base à ces publications, diffusées sur papier, sur CDROM ou sur Internet de manière large.
En outre, un observatoire de l'activité et de la qualité des cours constitutionnelles a été mis en place. Chaque cour est sollicitée pour relayer les principaux événements qui jalonnent sa vie, comme les élections, l'organisation de manifestations de communication, les mises en cause dans les médias ou encore les crises qu'elle peut traverser. Nous avons d'ailleurs dénombré plusieurs crises de nature diverse au cours des dernières années. Par ailleurs, les cours membres nous signalent par ailleurs les modifications et mouvements des personnels et nous transmettent la jurisprudence qui les concerne.
Un effort particulier a été entrepris pour la diffusion de la jurisprudence constitutionnelle. Un accord avec la Sous-commission de justice constitutionnelle de la Commission de Venise, mise en place par le Conseil de l'Europe, permet aux cours membres de l'ACCPUF d'intégrer leurs principales décisions selon un code prédéterminé dans la base de données CODICES des pays membres du Conseil de l'Europe. En intégrant les membres de l'ACCPUF, ce sont désormais 70 cours qui composent ce réseau. Elles profitent ainsi de l'expérience de leurs homologues et peuvent se concerter entre elles. Elles sont également informées en temps réel de l'activité de chacun des membres. Près de 100 décisions de cours membres de l'ACCPUF ont ainsi été mises en ligne.
Au-delà de l'échange d'idées et d'expériences au travers du dialogue des juges, l'ACCPUF mène des opérations de coopération et d'assistance technique. Elle est ainsi intervenue pour renforcer les capacités des cours du Gabon, du Bénin, du Burundi, du Burkina Faso, de Moldavie et du Niger.
Le site Internet de l'association, créé en septembre 1998, s'est depuis régulièrement étoffé. Il propose un ensemble d'informations sur le fonctionnement de l'association, parmi lesquelles les statuts, la liste des membres, les partenaires ainsi que des liens vers les sites Internet de chacune des cours qui la composent. Il propose également le texte intégral des bulletins et actes de congrès publiés par l'association. En outre, il offre, pour chaque cour membre, une présentation générale des compétences et du fonctionnement de l'institution, des données statistiques relatives au nombre de décisions rendues ainsi que les textes d'ordre constitutionnel, législatif et réglementaire régissant leur organisation et leur fonctionnement. Les visiteurs y trouvent également des publications consacrées à la jurisprudence des cours constitutionnelles, au principe d'égalité ou encore à l'accès au juge constitutionnel.
Les cours membres de l'ACCPUF sont pour la plupart assez jeunes. La majorité d'entre elles a vu le jour dans les années 90. Certaines sont issues des processus de réconciliation nationale, comme en Afrique. D'autres sont nées avec le retour à la démocratie, après la chute du mur de Berlin, pour l'Europe centrale et orientale. Elles sont aussi très diverses quant à leur composition, leur mission et leurs moyens. Composées de juristes ou de membres provenant d'horizons divers, souvent de la classe politique, elles sont enracinées dans de vieilles démocraties pour certaines ou actrices essentielles de la construction de nouvelles démocraties. Elles sont parfois les premières victimes des vicissitudes politiques. Certaines d'entre elles sont dotées de moyens matériels qui assurent leur indépendance. D'autres, au contraire, sont très mal financées ou totalement isolées. Il n'est d'ailleurs pas rare qu'un tel isolement soit le fait de prises de position courageuses.
Bien que très diverses, elles ont toutes en commun leur insertion dans un système de droit romano-germanique. La plupart d'entre elles sont d'ailleurs fortement marquées par le droit français. Cette empreinte se traduit tant dans les règles d'organisation générale des pouvoirs publics que dans les règles de droit et de procédure, en matière civile ou pénale. Il est important de souligner cette appartenance commune à un système de droit bien distinct du common law. Contrairement à ce que certains prétendent, la comparaison n'est pas à notre désavantage.
Le Conseil constitutionnel français accueillera en novembre prochain le quatrième congrès de cette association. Initialement, ce congrès devait avoir lieu au Liban, mais, pour des raisons diverses, il se tiendra à Paris. Nous espérons que les membres y seront présents en nombre pour débattre du sujet retenu, à savoir la compétence des cours constitutionnelles ou institutions équivalentes. Les débats devraient s'articuler pour l'essentiel autour de la question du contrôle de constitutionnalité et du déroulement des opérations électorales. Un tel sujet revêt une valeur particulière pour toutes les cours, qu'elles soient anciennes ou non.
Les cours et conseils constitutionnels sont devenus des acteurs essentiels de la réalisation des engagements souscrits à Bamako par les différents Etats. Ils font figure de véritables régulateurs de l'Etat de droit, assurent la protection des droits fondamentaux et sont fortement impliqués dans le processus électoral, soit dans l'ensemble de son déroulement soit, plus modestement, dans les opérations de contrôle.
La francophonie s'est également employée à renforcer les institutions de contrôle, de régulation, de médiation et de promotion des droits de l'homme au sein des systèmes nationaux. Elle s'est fixé pour ambition d'asseoir leur stabilité et de consolider les réseaux entre ces institutions. Parmi ces réseaux, nous pouvons citer l'Association des cours de cassation, l'Association des institutions supérieures de contrôle, telles que la Cour des comptes, l'Association africaine des hautes juridictions francophones, ou encore l'Association des ombudsmans et médiateurs de la francophonie.
Toutes ces actions s'inscrivent dans un cadre de relations humaines faites de tolérance, de grande écoute et de respect mutuel. La fréquence des rencontres et l'investissement de certains membres des délégations ont permis de tisser de véritables liens d'amitié. Pour autant, l'association ne peut entièrement se prémunir contre les difficultés qui guettent n'importe quelle autre organisation du même type. Elle doit ainsi faire face à plusieurs défis.
Le premier réside dans l'indépendance des juges et des juridictions. Elle revêt en effet un rôle fondamental dans un Etat de droit. Elle dépend à la fois de la nomination des juges, de leur formation, de leur statut, mais aussi et peut-être surtout de leur caractère, comme cela a été maintes fois souligné. Lors de la dernière réunion, qui s'est tenue à Bucarest, les participants ont adopté et transmis au secrétaire général de l'OIF une recommandation incitant les Etats membres au respect de ce principe constitutionnel. Pour l'heure, il est hélas très loin d'être appliqué partout. Cela s'explique sans doute par la jeunesse de certaines démocraties. Dans certains pays, l'indépendance nationale ou politique n'a longtemps été qu'un rêve. Le chemin vers une démocratie stable et mature est encore long pour ces pays-là. Sur le plan national les membres des cours et des conseils constitutionnels doivent pouvoir faire accepter aux dirigeants l'importance de leur indépendance.
Les difficultés de communication constituent un deuxième obstacle. Il reste très difficile à surmonter, tant que les cours ne seront pas toutes correctement équipées en matériel informatique et n'auront pas toutes accès à Internet. Nous essayons de les aider autant que possible. Il serait d'ailleurs fondamental de donner la priorité au lancement d'un programme ambitieux dans ce domaine. Le site Internet de l'ACCPUF est actuellement en cours de refonte. L'objectif est de le rendre plus accessible et d'enrichir son contenu en l'actualisant aussi souvent que possible. Par ailleurs, nous avons pour habitude d'envoyer aux cours particulièrement démunies des ouvrages que nous jugeons périmés.
Enfin, nous ne pouvons négliger la survenue des crises. Depuis sa création, et bien souvent à la suite de crises politiques et constitutionnelles, l'ACCPUF a vu disparaître plusieurs de ses membres. Généralement, à l'issue de la crise, ces cours sont recréées sous une autre forme. Ce processus peut toutefois prendre du temps dans certains cas.
C'est donc avec espoir et réalisme et conscients des obstacles récurrents que les cours constitutionnelles membres de la francophonie s'attachent à la mise en oeuvre des engagements de Bamako en faveur de la consolidation de l'Etat de droit. C'est une dimension essentielle pour le bon fonctionnement de la francophonie. Non seulement elle rejoint le débat sur l'universalité des valeurs qui aura lieu demain ici même, mais elle touche aussi l'ensemble des thématiques qui seront évoquées au cours de ce colloque.
Les membres du Conseil constitutionnel français sont amenés à s'occuper de nombreuses tâches. C'est un peu par hasard que j'ai découvert l'univers de la francophonie. J'assiste maintenant à de nombreuses réunions de l'ACCPUF, lorsque le président du Conseil constitutionnel ne s'y rend pas en personne.
Le travail sur la francophonie m'a particulièrement enrichie. J'ai pu par ce biais nouer de grandes amitiés. Si je connaissais bien le continent africain, cette charge m'a permis de le découvrir sous un nouveau jour, peut-être le plus passionnant.
Jacques LEGENDRE, Ancien ministre, Sénateur du Nord,
secrétaire général parlementaire de l'Assemblée parlementaire de la francophonie
C'est bien naturel : les parlementaires parlent. Ils ont pour mission d'échanger, de manière orale ou par écrit. Pour ce faire, ils se doivent de s'exprimer dans la langue comprise par leurs électeurs, faute de quoi ils ne peuvent demeurer longtemps à leur poste. Ils se doivent aussi de pouvoir faire comprendre les problèmes et aspirations de leur pays à l'extérieur. Certains d'entre eux sont issus de pays dont la langue officielle n'a pas un rayonnement international large. Il leur faut alors faire le choix d'une autre langue. Le monde parlementaire ne peut donc être que particulièrement sensible à la problématique de la francophonie.
Au cours de l'été 1967, à titre personnel, plusieurs parlementaires se sont retrouvés à Luxembourg. Ils n'y étaient apparemment pas pour effectuer un dépôt d'argent dans une banque du pays. Ils allaient en réalité s'entretenir d'un trésor inestimable, celui de la langue, c'est-à-dire le trésor de notre culture. Ces parlementaires, qui peuvent être considérés comme des pionniers de la francophonie, y ont créé l'Association internationale des parlementaires de langue française.
Cette étape constitue un premier pas sur le chemin de la construction de la francophonie. C'est sur une base volontaire et militante que les parlementaires ont décidé de s'unir. Son premier secrétaire général était un député français, Xavier Deniau, qui a récemment quitté les bancs de l'Assemblée nationale. Il est issu d'une famille qui aime la langue française.
Ces parlementaires se regroupaient à l'instigation de personnes qui sont devenus par la suite les pères fondateurs de la francophonie, au premier rang desquels Léopold Sédar Senghor. Léopold Sédar Senghor était parlementaire français avant de devenir le chef d'Etat de son pays, le Sénégal. Il était particulièrement concerné par la problématique de la pratique des langues maternelles et du choix d'une langue internationale. Il était l'homme de la double culture, des « deux battants de la porte », ainsi qu'il l'affirmait dans ses poèmes. Il voulait concilier son attachement d'agrégé de grammaire à la langue du colonisateur et celui qu'il portait à sa langue maternelle et aux autres langues de son peuple.
Les parlementaires ont été immédiatement sensibles à son appel pour rassembler dans une même association les parlements qui avaient en commun l'usage de la langue française. Le temps a passé, mais certaines conditions qui ont présidé à la création de cette association subsistent. Nous n'en avons pas entièrement perdu l'esprit initial. Les parlementaires qui aujourd'hui la composent n'y siègent pas par obligation, mais parce qu'ils ont choisi de le faire. Ils sont eux aussi des militants.
L'association est aujourd'hui devenue une assemblée, l'Assemblée consultative de la francophonie. Cette mutation résulte des modifications profondes qui sont intervenues dans l'organisation du mouvement depuis son sommet de Hanoï.
Je crois que les hommes et les femmes membres qui siègent au sein de cette assemblée consultative auprès des chefs d'Etat et de gouvernement ont fait le choix de la défense des valeurs du véritable parlementarisme. Ils vivent ces valeurs en rappelant qu'un parlement n'est digne de ce nom que lorsqu'il a été librement choisi et composé par les citoyens du pays.
Les parlementaires jouissent d'une certaine liberté. En effet, ils ne sont pas tenus par les pesanteurs diplomatiques qui s'imposent aux Etats et aux gouvernants. C'est pourquoi notre assemblée parlementaire n'admet en son sein que les membres provenant de parlements qui procèdent d'élections loyales. De fait, la géographie du parlementarisme francophone ne correspond pas exactement à celle des sommets des chefs d'Etats francophones. Nous espérons toutefois faire converger autant que possible ces deux géographies.
L'assemblée a joué un rôle important dans l'adoption de la Charte de Bamako. Cette dernière témoigne de la volonté de la francophonie d'être un rassemblement de pays libres où des citoyens libres décident de leur avenir.
Nous sommes par ailleurs conscients du fait que le choix d'une langue induit aussi le choix de certaines valeurs et correspond à une certaine vision du monde. Nos valeurs ne sont pas supérieures parce qu'elles sont exprimées en français. Elles n'en sont pas moins différentes. Nous-mêmes, en tant que membres d'une assemblée issue des cinq continents, ne pouvons que constater nos différences.
Cela s'est vérifié dès l'origine. Parmi ceux que l'on pourrait appeler les « conjurés de Luxembourg », on comptait quelques parlementaires français, belges et luxembourgeois mais aussi et surtout de nombreux Africains ainsi que des parlementaires du Laos et du Cambodge. Norodom Sihanouk était lui-même très attaché à cette construction. Chacun de ces pays a développé sa propre vision de l'action parlementaire et nous devons tenir compte de ces sensibilités différentes.
Nous n'avons pas pour but de créer un espace unifié de la francophonie. Au contraire, nous avons pour ambition de faire vivre un espace de dialogue des cultures, notion chère à Léopold Sédar Senghor. Elle reste aujourd'hui encore chère aux parlementaires de la francophonie. Le plus beau compliment qui ait été fait à cette assemblée est à mettre au crédit d'Abdou Diouf, lorsqu'il a qualifié l'APF de « vigie de la démocratie au sein du monde francophone ».
Cependant, la francophonie ne se réduirait-elle pas à un groupe de notables et d'officiels accaparés par des débats bien éloignés des considérations de la vie quotidienne ? Cette question résume rapidement l'écueil qui se dresse sur le chemin de la francophonie. Elle s'applique d'ailleurs tout particulièrement aux parlementaires.
Qu'ils soient députés ou sénateurs, ils ont en effet pour réputation de sommeiller la plupart du temps. Au-delà de la plaisanterie, la menace est bien réelle. C'est pourquoi nous nous battons pour la contrer.
C'est dans cette optique que nous avons créé un Parlement des jeunes de la francophonie. Au moins une fois sur deux, lors de nos sessions annuelles internationales, chaque pays membre de la francophonie invite deux jeunes entre 18 et 20 ans. Ils sont choisis par leur section d'origine pour tenir un discours décapant. En effet, nous n'avons pas envie entendre combien sont grands et intelligents ceux qui les ont invités. Nous voulons entendre ces jeunes sur leurs attentes vis-à-vis des parlementaires dans ce nouveau siècle en construction.
Pour un secrétaire général, ces moments sont certainement à ranger parmi les plus intéressants de sa fonction. Un dialogue sans concession s'instaure bien souvent avec ces jeunes. Ils nous bousculent et, avouons-le, nous devons parfois les remettre à leur place. Les parlementaires ont eux aussi des choses à dire de façon parfois vigoureuse. Lors de l'assemblée générale de la session des jeunes du Parlement de la francophonie, à Niamey, nous avons assisté à un débat passionnant entre jeunes Africains, Européens, du Vanuatu ou des provinces septentrionales du Canada. Même s'ils n'avaient pas l'impression de provenir tous de la même planète, ils partageaient tous une même volonté de construire un futur commun. Le simple fait de les écouter nous a beaucoup enrichis.
Nous sommes également en train de créer un réseau des femmes parlementaires de la francophonie. Cela va dans le sens de l'émergence d'une préoccupation globale. Nous aspirons tous à voir les femmes prendre toute leur place dans la gestion politique de nos Etats. Là aussi, c'est pour nous très enrichissant d'entendre ces femmes discourir, dialoguer et nous faire part de leur vision particulière de l'avenir.
Parce que nous ne pouvons nous permettre d'être hypocrites, nous avons choisi d'apporter un soutien total à certains combats. La francophonie se compose d'Etats du Nord riches et d'Etats du Sud plus pauvres. En aucun cas, nous n'accepterons que cette organisation ne se transforme en outil pour les Etats du Nord permettant de trouver un appui politique auprès des Etats du Sud, tout en les laissant dans leur misère. Si tel était le cas, nous ne serions pas dignes des valeurs que nous prétendons incarner. Notre soif de débat sur les questions de développement ne peut être étanchée. Des questions telles que la pandémie de SIDA ne sauraient nous être indifférentes. Nous avons développé sur ce thème un réseau de parlementaires afin de pousser les gouvernements à s'accorder sur une véritable politique mondiale de lutte contre le SIDA.
Nous nous battons pour ne pas être coupés des questions d'actualité. Dans cette optique, la création d'un festival de la francophonie, sous la houlette de Monique Veaute nous réjouit tout particulièrement. Au-delà des parlementaires, des notables et des officiels, la francophonie est en effet l'affaire de tous ceux qui ont pour langue maternelle le français ou qui ont choisi cette langue de manière délibérée mais aussi de tous ceux qui pensent en français ou qui, plus simplement, s'intéressent au sens des mots dans cette langue.
A l'instar de Monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans le savoir, nous faisons tous de la francophonie sans le savoir. Voici l'occasion de le dire pour une fois haut et fort. Utilisons toutes les formes de l'art, du spectacle et du dialogue pour faire vivre la francophonie. Je ne peux que me réjouir de ce formidable brassage d'idées et d'expériences autour de ces événements si divers. Il est tout naturel que le Sénat prenne sa part dans ce festival.
Que, pendant la durée de ce festival, vivent la francophonie et les mots de notre langue. Lorsque je parle de notre langue, je ne parle pas de la langue des français, mais bien de celle qui est partagée dans le monde entier par ceux qui veulent échanger des idées, des envies et des espoirs en langue française. Tous ensemble, nous apporterons notre pierre à la construction de ce nouveau siècle.
Maria FERNÁNDEZ-SANTAMARÍA, Secrétaire générale adjointe de l'Organisation
des Etats ibéro-américains
Avant toute chose, je me dois de féliciter les organisateurs de ce grand festival de la francophonie et plus particulièrement de ce colloque, auquel a été si aimablement invitée l'organisation que je représente. Cette invitation est d'autant plus appréciée qu'elle me donne l'occasion de vous parler de la problématique de la culture et de la mondialisation dans le contexte ibéro-américain.
Une phrase de Dominique Wolton, reprise dans la présentation du colloque, a particulièrement attiré mon attention, car elle illustre parfaitement le rôle de la culture dans la recherche de la paix. Dominique Wolton affirme en effet qu'« organiser la cohabitation culturelle est une des conditions de la paix. » Encourager cette cohabitation pacifique entre les cultures des pays qui composent la communauté ibéro-américaine des nations et renforcer le dialogue de cette dernière avec d'autres espaces culturels est l'un des objectifs prioritaires de l'Organisation des états ibéro-américains pour l'éducation, la science et la culture (OEI).
L'Ibéro-Amérique, de même que la francophonie, est le fruit de l'histoire. Elle a commencé à se tisser voilà plus de 5 siècles, au fil des rencontres entre les peuples et de leurs rivalités. Elle s'est soldée par l'établissement d'une base culturelle, linguistique, sociale et religieuse commune. En somme, une identité culturelle commune s'est peu à peu formée. C'est elle qui a permis d'assurer la coexistence pacifique au sein de cette aire, malgré les différences ethniques que nombre de pays renferment.
Parallèlement, elle a préservé et développé ses racines précolombiennes. De nos jours, cette tendance accompagne un nouvel essor, dans lequel la diversité culturelle est considérée comme une richesse à même de contrecarrer une excessive homogénéisation, qui est souvent perçue comme la conséquence de la mondialisation.
Si l'Ibéro-Amérique est le fruit d'une longue histoire, celle du concept de communauté ibéro-américaine des nations est nettement plus courte. Ce concept est né sur les bases de l'OEI, créé en tant qu'organisme de coopération technique en 1949, soit un an seulement après la naissance de l'UNESCO. Depuis lors, il a joué un rôle indéniable dans le domaine relevant de sa compétence, par le biais d'échanges d'expériences, de débats et d'un dialogue entre ses membres. Il n'est pas étranger à l'universalisation de l'éducation fondamentale dans cet espace. Il reste cependant encore beaucoup à accomplir.
La dénomination de communauté ibéro-américaine des nations a été utilisée pour la première fois en 1985. Son véritable développement ne date cependant que de 1991, date à laquelle s'est tenu le premier sommet ibéro-américain des chefs d'Etat et de gouvernement, à Guadalajara au Mexique. C'est à ce moment que débute véritablement la construction de cette communauté. Cela dit, malgré les déclarations ambitieuses des chefs d'Etat, elle n'a été dotée d'un support institutionnel fort que l'an dernier, avec la création du secrétariat général ibéro-américain (SEGIB). Ce dernier a donné un nouveau souffle et une continuité politique dont semblaient manquer ces sommets. En effet, jusqu'alors, les sommets ne traitaient que des domaines de coopération technique et n'instauraient pas de véritable concertation politique.
Nos langues officielles sont l'espagnol et le portugais. 22 pays composent cette communauté à cheval sur deux continents (19 en Amérique et 3 en Europe, à savoir l'Espagne, le Portugal et Andorre, qui vient de rejoindre l'Organisation). L'une des caractéristiques de cette communauté est sa continuité dans l'espace géographique. En Amérique, tout voyageur peut aller du Rio Bravo, au sud des Etats-Unis jusqu'à la Patagonie en ne parlant qu'une seule langue ou deux, en passant par le Brésil. En Europe, les trois pays membres sont des voisins de la péninsule ibérique.
Cette communauté culturellement authentique partage avec d'autres espaces culturels des valeurs et des aspirations. C'est plus particulièrement le cas avec la francophonie et la Lusophonie, avec lesquels elle a entrepris depuis quelques années une coopération dénommée « trois espaces linguistiques » (3EL). Outre la SEGIB, elle rassemble la Communauté des pays de langue portugaise, l'Union latine et l'Organisation internationale de la Francophonie. Ses membres partagent plus que des affinités linguistiques. Ils se sont engagés en faveur de la reconnaissance des droits culturels universels, notamment lors du débat sur la Convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, adoptée récemment par l'UNESCO.
La Convention, tout comme notre coopération, illustre une tradition transfrontalière, devenue incontournable en ces temps de mondialisation. Nous nous devons d'établir des règles du jeu permettant de renforcer l'existence des cultures et leur développement créatif.
Nous avons basculé dans le XXIe siècle confrontés à un changement qui nous perturbe profondément. Ce constat n'est en rien un cliché. Les nouvelles technologies accélèrent de manière vertigineuse le progrès, modifiant par là même notre conception de l'espace et du temps. Les innovations techniques, comme la découverte du génome humain, des cellules mères ou du clonage, l'internationalisation de l'économie, la dématérialisation des échanges financiers et l'immigration des travailleurs sont autant d'éléments qui contribuent et participent à ce phénomène de mondialisation. Les cultures ne sont pas épargnées par ce mouvement. Elles en constituent en réalité un enjeu déterminant.
La mondialisation s'est traduite par l'effacement de l'Etat-nation dans sa conceptiontraditionnelle, avec des frontières délimitées en fonction d'un territoire et d'une culture nationale facteurs d'identité. Aujourd'hui, ce concept se voit dépassé par la nécessité de se regrouper en blocs régionaux. Dans le même temps, les mouvements locaux réaffirment leur idiosyncrasie, de façon compétitive ou complémentaire, à la recherche d'une reconnaissance de leur identité. Se référant à l'Ibéro-Amérique, l'auteur barcelonais Eduard Delgado affirme à ce propos : « Si l'on parle aujourd'hui de société de la connaissance, en réalité, il s'agit d'une société qui manque justement de reconnaissance ».
L'articulation de la pluralité requiert donc une reconnaissance mutuelle et une base d'égalité, afin d'établir des liens entre les projets culturels. En vérité, tandis que nous prêchons l'égalité entre les individus, nous n'en faisons pas de même avec les cultures. De fait, la lutte pour la défense et la reconnaissance de la diversité est assez récente. Le boom de la différence et le combat pour la diversité implique que bon nombre de domaines d'affirmation culturelle ou identitaire qui relevaient auparavant de la négociation privée sont aujourd'hui du ressort de la société civile.
La Convention de l'UNESCO constitue la reconnaissance universelle de cette lutte pour la défense de la diversité. Elle doit s'adapter aux différents espaces régionaux. C'est pourquoi nous travaillons en ce moment à partir des conclusions du dernier sommet ibéro-américain à l'élaboration d'une Charte culturelle qui répond aux besoins de la communauté ibéro-américaine. Elle s'appuiera sur un engagement pour la reconnaissance et la protection des droits culturels, par le biais d'un cadre de solidarité et de coopération.
La diversité constitue certainement la principale richesse de l'Ibéro-Amérique. Son originalité réside dans le fait qu'elle ne juxtapose pas simplement des cultures différentes. En fait, elle est le fruit d'un système intégré, peut-être même le plus intégré de la planète. Ce système instaure un équilibre entre unité et différence et constitue un facteur de dynamisme et de créativité. Il est le fruit d'un processus de syncrétisme et de métissage culturel. Nous n'avons pas pour volonté de faire croire que cet ensemble est homogène. Nous voulons mettre en évidence la diversité de ses traditions. Son unité géographique transnationale ne vaut que si elle souligne sa pluralité interne.
A leur tour, ces expressions culturelles ne peuvent plus se limiter au simple terrain local, car elles ont été redéfinies par le processus de mondialisation. Nous avons par conséquent mis l'accent sur son pluralisme et sa diversité en tant que richesse pour cet espace. Nous avons aussi parallèlement utilisé le terme d'égalité. Même si à l'origine l'usage de ce terme se limitait à l'égalité culturelle, nous avons pour ambition de l'étendre à son acception sociale.
L'Amérique latine souffre en effet d'un cruel déficit d'égalité sociale. Il constitue certainement sa plus grande faiblesse face à la mondialisation. Cette vérité ne s'applique certes pas à toute l'Ibéro-Amérique, mais elle se révèle particulièrement pertinente pour qualifier l'Amérique latine. Cette dernière regroupe des pays inégaux aux performances économiques inégales. L'inégalité s'applique d'ailleurs aussi bien à une comparaison entre pays qu'à l'intérieur d'un même pays. C'est ce qui lui vaut aujourd'hui d'être considérée par la CEPALC (Commission économique pour l'Amérique latine et les Caraïbes) comme la région où règnent les plus grandes inégalités.
Pour contrer cette tendance, une série de lignes directrices a pu être définie. Le fait d'assumer le multiculturalisme comme une réalité et une valeur, l'action proactive non discriminatoire dans le domaine culturel et l'instauration de politiques en faveur de ceux qui subissent des discriminations sur des bases ethniques, sexuelles ou autres figurent au nombre de celles-ci. Pour être pleinement efficaces, elles doivent s'accompagner de politiques sociales justes et d'une politique fiscale proportionnelle et redistributive pour les pays qui le nécessitent.
En réalité, cette politique vise à promouvoir l'égalité tout en affirmant la différence. Elle veut en outre assurer la satisfaction des besoins essentiels permettre aux individus de jouir de droits sociaux. Ceci suppose une politique proactive dépassant le cadre culturel. Elle touche ainsi par exemple à l'éducation, en instaurant un bilinguisme dès l'école là où ni l'espagnol ni le portugais ne sont la langue maternelle.
L'accès aux nouvelles technologies des peuples indiens ou afro-latins doit leur permettre d'accéder à la société de connaissance et de développer les communications à l'intérieur même du territoire concerné. Il suffit pour s'en convaincre de considérer le rôle joué par Internet dans l'organisation du mouvement du Chiapas.
Dans le domaine de l'emploi, les Indiens et Afro-Latins souffrent d'une discrimination flagrante. De même, les services sanitaires doivent se rapprocher de ces populations et s'adapter à leurs besoins particuliers, en acceptant et en reconnaissant la pharmacologie traditionnelle.
Outre le fait d'accompagner ce processus, la communauté ibéro-américaine assume un rôle volontariste dans le développement des régions par le biais de dix programmes prioritaires. Parmi ceux-ci et dans le domaine culturel, nous devons citer Ibermédia, qui a permis l'essor rapide de l'industrie cinématographique ibéro-américaine.
D'autres grands programmes sont en cours d'élaboration dans le domaine de l'éducation. Le plan ibéro-américain d'alphabétisation vise à éradiquer totalement l'analphabétisme d'ici 2015 et met en outre l'accent sur le retour de ces personnes sur le marché de l'emploi. D'autres encore contribuent au renforcement de l'enseignement supérieur et de l'innovation scientifique et technologique. Ils encouragent la coopération sur la base de la complémentarité et du principe du bénéfice mutuel.
Avec tous ces éléments à notre disposition, nous espérons que la voix de la communauté ibéro-américaine sera pleinement entendue. Nous n'oublierons pas les paroles de Gabriel Garcia Marquez, lorsqu'il reçut le prix Nobel de littérature : « Que les lignées condamnées à cent ans de solitude aient maintenant et pour toujours une seconde chance sur la terre ».
Cassam UTEEM, Ancien président de la République de Maurice,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
C'est pour moi un très grand plaisir de me trouver parmi vous pour l'ouverture de ce colloque qui a pour thème « la mondialisation, une chance pour la francophonie ». Je voudrais en tout premier lieu remercier le président du Sénat Christian Poncelet et le sénateur Jacques Legendre, secrétaire général parlementaire de la Francophonie pour l'accueil très chaleureux qu'ils ont réservé à tous les participants. C'est l'amicale invitation de Dominique Wolton qui est à l'origine de ma présence à ce colloque aujourd'hui. Il est en quelque sorte devenu mon complice aux réunions du Haut Conseil de la Francophonie. Il m'a donné pour seule consigne d'éviter la langue de bois.
Le festival francophone en France, voulu par le président de la République française Jacques Chirac marque de fort belle manière le centenaire du chantre de la négritude, le président poète sénégalais Léopold Sédar Senghor. Nous lui devons, ainsi qu'à Hamani Diori du Niger et Habib Bourguiba de la Tunisie, la Francophonie institutionnelle et le rêve d'une aire de partage, de partenariat et de solidarité francophone, bien avant l'émergence du mouvement de mondialisation.
La Francophonie est faite d'une soixantaine d'Etats et de quelque 180 millions d'hommes et de femmes éparpillés à travers le monde et présents sur les cinq continents. Dominique Wolton avance pour sa part le chiffre de 700 millions de personnes pour ce que l'on appelle désormais la francosphère. La francophonie revêt donc un caractère universel et a pour trait particulier la diversité. Cette diversité est tout autant ethnique que linguistique, culturelle ou religieuse. Elle est en réalité sa richesse, à nulle autre pareille. Peu connue en France, pour laquelle elle serait, selon le mot du Professeur Michel Guillou « une préoccupation accessoire », souvent très mal perçue en dehors de l'Hexagone, car aux yeux de certains, elle s'apparenterait au néocolonialisme français, la francophonie souffre de l'histoire coloniale de la France, qu'elle traîne comme un boulet au pied.
Elle souffre également d'un déficit de communication qu'il est temps de combler. Sous la houlette du secrétaire général, le très avenant président Abdou Diouf, l'Organisation internationale de la Francophonie s'est dotée d'une nouvelle Charte et d'une nouvelle structure. Il est primordial de communiquer afin de lever les ambiguïtés qui persistent à son sujet et qui masquent la noblesse de la mission de l'OIF et l'efficacité de son action notamment en faveur de la paix, de la démocratie et des droits de l'homme.
Il est d'autant plus important de le faire que les pays qui la constituent ont aujourd'hui de grands défis à relever. Celui de la mondialisation de l'économie est le premier d'entre eux. C'est avant tout à la France qu'il revient de plaider devant les instances internationales la cause des pays membres en panne de développement. Cette mondialisation irréversible est pour certains pays le moteur de leur développement et de leur richesse. Pour d'autres, plus nombreux et plus pauvres, elle représente un facteur aggravant les inégalités et la marginalisation.
Les effets pervers de la mondialisation sur les pays les plus pauvres, dont ceux membres de l'OIF en Afrique, ne sont que trop visibles et palpables. Trop peu de progrès ont été réalisés de par le monde depuis l'adoption en l'an 2000 par 182 pays des objectifs du millénaire. Ils visent notamment à réduire d'ici 2015 de moitié la grande pauvreté. En Afrique subsaharienne, 44 % de la population vivent toujours dans l'extrême pauvreté, c'est-à-dire avec moins d'un dollar par jour. C'est exactement le même chiffre qu'en 1990. L'amélioration de l'espérance de vie dans ces pays n'aura été qu'éphémère. 10 millions d'enfants continuent de mourir chaque année de maladies pour lesquelles il existe pourtant un traitement. La pandémie du SIDA n'est pas la seule à faire plusieurs dizaines de millions de victimes chaque année. En Afrique, la pauvreté aussi tue.
Le plus grand défi à relever au cours de ce millénaire est donc le combat contre la pauvreté. Il n'est pas interdit de rêver de réussir aujourd'hui là où nous avons jusqu'à présent échoué. Certes, ce combat constitue un enjeu politique majeur, mais pour le réussir au-delà des paramètres économiques, nous avons besoin d'une autre mondialisation. Cette autre mondialisation est celle que décrit Dominique Wolton, de même que les altermondialistes. Elle doit permettre la cohabitation des diverses traditions dans le respect des droits de l'homme, de la démocratie et du développement durable et faire primer la solidarité. Il s'agit en quelque sorte d'une mondialisation à visage humain.
Telle qu'elle est aujourd'hui constituée, la Francophonie a la chance de compter en son sein des pays riches. Quelques-uns d'entre eux sont d'ailleurs membres du G8. C'est à eux de défendre les intérêts de ceux qui souffrent de la faim et de la maladie devant les organismes mondiaux tels que la Banque mondiale ou encore le Fonds Monétaire International, chargé du développement durable des pays. Il devrait en aller de même devant l'OMC, afin que la libéralisation du commerce international ne soit pas à sens unique, mais, au contraire, favorise le libre accès aux marchés occidentaux des produits provenant des pays pauvres de la francophonie. Ils ont aussi pour charge de respecter et de faire respecter l'engagement pris par les pays de l'OCDE de consacrer 0,7 % de leur budget à l'aide publique au développement.
La mondialisation se limite aujourd'hui quasi exclusivement à l'économie. Cependant, dans un monde plus ouvert, et, par conséquent, plus incertain, la francophonie peut en apportant un peu d'humanisme devenir une chance pour la mondialisation. Si certains analystes parlent de seconde ou de troisième mondialisation, il faut reconnaître que celle en cours est d'une envergure jamais connue jusqu'alors.
Elle s'appuie en effet sur la mondialisation médiatique, qui reflète la mise en réseau des infrastructures de communication pour la diffusion des informations. Cette mondialisation médiatique est le produit de mutations technologiques, telles que la numérisation, l'Internet, les autoroutes de l'information, les fibres optiques ou encore les satellites.
Rappelons-nous qu'il y a peu de temps encore, c'est une autre mondialisation, celle qui a pour nom colonisation qui a contribué à implanter la langue française dans les régions où elle est parlée aujourd'hui. Fort heureusement pour elle, car elle compte 5 à 6 fois plus de locuteurs hors de France qu'en France. Malgré cette expansion hors des frontières de la France, le français ne compte pas parmi les dix langues les plus parlées dans le monde. Il pointe en réalité à la onzième place. Dans la liste des dix premières, on trouve bien évidemment le chinois, l'hindi, l'espagnol et l'anglais ainsi que des langues plus inattendues, comme le portugais, grâce au Brésil, et le bengali, langue officielle du Bengladesh.
Si le nombre de locuteurs d'une langue est déterminé par la superficie ou par la démographie, son rayonnement dans le monde est loin de l'être. C'est la raison pour laquelle le français est aujourd'hui bien plus présent dans le monde que le portugais et le bengali. De là découlent la naissance de la francophonie et la création de nombreuses institutions privées et publiques pour la promouvoir.
L'histoire de la francophonie indique qu'elle fut pendant quelque temps traversée par un courant de pensée et d'action passéistes. Elle se concevait alors comme un mouvement de repli sur soi et ressemblait à un club privé où les arrière-pensées géopolitiques et les tentations hégémoniques n'étaient guère absentes. Cette conception a prévalu dans le monde francophone pendant de nombreuses années et a suscité le doute et la suspicion.
L'actuel courant de pensée moderne s'avère diamétralement opposé au premier. La francophonie devient ici une ouverture vers les autres. Elle favorise les échanges et les rencontres avec les autres peuples, les autres cultures du monde et les autres aires linguistiques. C'est autant la promotion de langue française que le développement d'un véritable espace de coopération et de solidarité qui sont ici visés. Cette conception a longtemps été minoritaire au sein de la francophonie. C'est pourtant la voie de l'avenir.
La mondialisation a déjà par le passé contribué au rayonnement et à l'expansion de la langue française et par conséquent de la francophonie. Qu'en sera-t-il de la mondialisation en cours ? Elle ne sera une chance pour la francophonie qu'à plusieurs conditions. Je me bornerai ici à en examiner trois.
La première réside dans la reconnaissance et la promotion de la diversité culturelle et le refus de l'uniformisation. Depuis le sommet francophone de Maurice en 1993, alors que l'on érigeait en principe l'exception culturelle, le concept de diversité culturelle a fait son chemin. L'UNESCO s'y est attelée, et, lorsque, le 21 octobre de l'année dernière, à l'occasion de son Assemblée générale, eut lieu la signature de la Convention reconnaissant le principe de respect de la diversité culturelle, la francophonie pouvait légitimement la présenter comme une de ses belles réalisations.
Cependant, cette reconnaissance de la diversité culturelle est loin d'être acquise en France même ou dans la relation qu'entretient la France avec ses anciennes colonies. La France, berceau de la langue française et de la francophonie, doit aussi revoir ses rapports avec les autres langues telles que le créole, la langue la plus parlée et la plus vivante de ses langues régionales. Le français et le créole entretiennent des liens que l'on pourrait qualifier d'organiques. Le français est en quelque sorte la mère et le créole le fils. « Les fils ne renient pas leur mère », nous dit l'écrivain mauricien Philippe Forget. La réciproque est-elle vraie ?
Les francophones doivent aussi revoir leur rapport avec les cultures, quelles qu'elles soient. Il ne faut toutefois pas s'arrêter au multiculturalisme qui montre déjà ses limites dans les pays où il a été institutionnalisé, comme le Liban, la Grande-Bretagne et même l'Ile Maurice, dont on dit pourtant qu'elle a trouvé la formule de l'alchimie culturelle. Un autre auteur mauricien Issa Asgarally affirme dans son essai L'interculturel ou la guerre : « Le multiculturalisme est une simple juxtaposition ou mosaïque de cultures, de modes de vie. »
S'il est de loin préférable à l'affrontement interethnique et à la guerre civile, le multiculturalisme ne saurait suffire en ce début de siècle, car il peut devenir l'antichambre de l'ethnicisme. Dans une perspective multiculturelle, l'unité nationale devient au final la somme de toutes les gratifications ethniques. Le risque du multiculturalisme réside dans le fait de ranger des gens dans des boîtes et d'ethniciser notre vision de la société. On réduit ainsi la personne à une catégorie et l'individu à un collectif et on assigne des représentants à ces collectifs. Ces derniers sont alors les seuls à être habilités à parler au nom de leur culture respective. Le champ est alors libre pour que les fanatiques de tout poil imposent ce qu'Amin Maalouf décrit comme des « identités meurtrières ».
Par ailleurs, lorsque les gens vivent dans des compartiments mentaux, et parfois physiques, car les ghettos sont bien une réalité, lorsqu'ils voient la société en termes de tribus ou de communautés, les sentiments d'injustice et de frustration deviennent très vite catalyseurs d'une explosion sociale.
La deuxième condition consiste en la libre circulation des personnes et des biens. Jusqu'ici, la mondialisation se limite à la circulation des biens, et particulièrement depuis les pays riches vers les pays pauvres. La francophonie, dans le cadre de la mondialisation, pourrait faciliter la circulation, à la fois des personnes et des biens.
La libre circulation des personnes implique avant tout l'obtention de visas d'entrée pour les étudiants, les chercheurs et les artistes dans le monde francophone. Ne pouvons-nous pas à l'instar du visa Schengen, en vigueur en Europe, instituer un visa francophone, tel qu'il a été récemment proposé par le président burkinabé Blaise Compaoré ? Ce visa francophone ferait office de traduction politique de la volonté de ses membres de créer une vraie communauté et une véritable union francophone.
La libre circulation des biens doit se traduire par la suppression des barrières protectionnistes dans les pays riches en tout premier lieu. Comme l'affirme Blaise Compaoré : « Dans le secteur de l'agriculture, où l'Afrique est forte, les subventions données à leurs agriculteurs par les tenants du libéralisme le plus orthodoxe ruinent les efforts des paysans africains. »
La troisième condition a trait à la solidarité dans un monde où le gouffre entre les pays riches et les pays pauvres ne cesse de s'élargir. Grâce à la mondialisation médiatique, nous en avons la preuve chaque jour sur tous les écrans du monde. Cette situation interpelle la francophonie.
La mondialisation économique et médiatique pourrait être une chance pour la francophonie, si celle-ci est fondée sur la vision que les langues et les cultures doivent rapprocher les peuples et les individus. L'économie n'est rien d'autre qu'« une science humaine », comme le rappelle le prix Nobel d'économie Amartya Sen. L'économie doit se mettre au service de l'homme.
En retour, la francophonie, cet humanisme intégral et cette « symbiose des énergies dormantes », comme nous le rappelle le président Abdou Diouf, pourrait être une chance, un espoir pour une mondialisation dominée par les lois inexorables du marché, irrespectueuse des langues et des cultures, aveugle, inhumaine et sans âme. Elle pourrait ainsi servir de rempart contre de nouvelles formes de servitude et d'abus.
Dominique WOLTON,
Directeur de recherche au Centre national de la recherche scientifique,
membre du Haut Conseil de la Francophonie
En conclusion à cette séance, je voudrais citer cinq raisons qui font de la mondialisation une chance pour la francophonie. Premièrement, la mondialisation est souvent perçue comme un facteur positif sur le plan économique et négatif sur le plan social et culturel. Elle offre cependant à la francophonie la chance de retrouver ses racines mondiales. En réalité, l'histoire de la francophonie ne peut se réduire au siècle de la colonisation (1830-1960). Comme pour la lusophonie, l'hispanophonie et l'arabophonie, l'histoire de la francophonie remonte au XVe et au XVIe siècle.
Ses trois premiers siècles d'existence connaissent aujourd'hui une résurgence au travers de la mondialisation. C'est ainsi que la francophonie est amenée à revisiter l'histoire. Ce mouvement impose de mener à bien, puis de clore, le débat autour de la colonisation. Il impose par ailleurs de dépasser l'axe historique Nord-Sud, issu de la colonisation, pour faire émerger un axe Est-Ouest, marqué par les liens avec le Canada, d'une part, et les pays de l'Europe centrale et orientale, d'autre part, au moment où l'Europe s'élargit. D'ailleurs, le prochain sommet de la francophonie se tiendra à Bucarest. Ce choix doit être considéré comme un signe fort.
Deuxièmement, la francophonie se trouve aujourd'hui au coeur d'une troisième mondialisation, plutôt inattendue.
La première a vu le jour au sortir de la guerre, au travers de l'organisation de la communauté internationale. Ce terme en lui-même est tout simplement superbe. Il relie deux mots magnifiques. Le mot « communauté » implique en effet la cohabitation des hommes et des valeurs. Cette communauté internationale, dépréciée pendant la guerre froide, ressort aujourd'hui comme le seul cadre juridique, philosophique et normatif possible à l'heure de la mondialisation.
La deuxième mondialisation, à savoir l'ouverture économique, souhaitée par tous dans les années 80, a été perçue ensuite comme une idéologie. C'est l'avènement de l'altermondialisme qui a permis de sortir de cette dimension idéologique.
La troisième mondialisation était à l'origine passée assez inaperçue. Elle se traduit par la multiplication des conflits de ce que j'appelle le triangle infernal, identité, culture et communication. La francophonie, aussi bien dans sa dimension institutionnelle que dans son aspect communautaire, s'inscrit bien au coeur de ce triangle.
Naïvement, nous croyions autrefois que l'ouverture des marchés serait bénéfique. Si elle a permis un certain développement, elle s'accompagne aussi d'inégalités croissantes. Quoi qu'il en soit, les hommes semblent prêts à accepter une mondialisation économique à condition qu'elle ne détruise pas leurs racines. Les conflits, aux racines religieuses ou historiques aujourd'hui et linguistiques demain, risquent de s'étendre. La francophonie se trouve au coeur de cette « bataille à penser ». La francophonie, comme la lusophonie ou l'arabophonie, fait figure d'outil à même de contrer la résurgence d'une haine catalysée par la mondialisation de l'information.
Troisièmement, les aires linguistiques et culturelles pourraient devenir des facteurs de paix. Cette hypothèse demande toutefois à être confirmée par les événements. Autrefois, les aires linguistiques étaient des facteurs de puissance politique et militaire. Aujourd'hui, elles sont devenues des aires de coopération et de solidarité. Ceci dit, partager la même langue ne suffit pas à assurer la paix ou même la communication entre deux peuples. Il n'en reste pas moins que cela permet de se comprendre un peu mieux. A cet égard, le français et l'anglais sont aujourd'hui les deux seules langues véritablement mondiales, même si l'espagnol et le portugais jouent eux aussi un rôle de tout premier plan.
Cet objectif de pacification ne pourra être atteint qu'à condition d'adopter une vision moins étroite de la langue française. Nous restreignons trop souvent la définition du français à sa seule acception française. Pourtant, en réalité, la francophonie possède un atout majeur en sa capacité de démontrer chaque jour l'inventivité, la créativité et l'intelligence de tous ceux qui parlent français à travers le monde. C'est ainsi que s'enrichit l'identité linguistique et que s'élargit l'identité culturelle française. Les Espagnols, les Portugais et les Anglais on su accepter un tel élargissement. De toute évidence, ce dernier ne met nullement en cause leur identité linguistique. Le français éprouve quelques réticences à se laisser entraîner sur le même chemin.
Quatrièmement, dans le domaine de l'économie, la francophonie s'est illustrée par ses prises de position en faveur du développement durable. La francophonie rassemble quelques pays riches et de nombreux pays pauvres. Son intervention dans le domaine de l'économie n'en est que plus remarquable.
Sur ce terrain économique, elle doit maintenant pousser les grandes entreprises multinationales à se comporter en agents de la francophonie. J'ai la conviction en effet qu'une multinationale francophone n'adopte pas les mêmes comportements qu'une multinationale américaine, anglo-saxonne ou néerlandaise. Elle peut démontrer une certaine tolérance dans le domaine des rapports entre économie, social et culture. De par l'impérialisme occidental qu'il convoie, le capitalisme devra demain faire face à une critique de plus en plus acerbe. Dans un tel contexte, notre capacité à démontrer que le modèle anglo-saxon n'est pas une fatalité constitue un atout indéniable.
De même, la francophonie semble à même de relever les défis de la mondialisation sur le terrain de la communication. Objectivement, elle a pris un certain retard. Alors que la politique, la langue et l'économie sont entrées dans le champ de compétences de la francophonie, il n'en va pas de même pour la communication. Pourtant, nous disposons d'atouts majeurs, tels que la radio. Sur terre, on compte 6,5 milliards de personnes et 4,5 milliards de postes de radio, 3,5 milliards de postes de télévision, 2 milliards de téléphones portables et moins de 1 milliard d'ordinateurs.
Sur ce plan, la francophonie semble être aussi mal à l'aise qu'une Europe, qui a aussi pour vocation de pacifier les relations entre États. Le seul instrument médiatique européen, Euronews apparaît aujourd'hui comme une belle réussite trop peu valorisée. Pour sa part, la francophonie peut se prévaloir de TV5, qui reste cependant sous dotée, de RFI et d'une chaîne internationale à venir.
Si la France et la francophonie ont pris toute leur part dans le combat mené à l'UNESCO pour l'adoption de la Convention sur la diversité culturelle, les grandes batailles restent à venir. Elles porteront sur la régulation des grandes industries culturelles et de leur concentration.
Au-delà de la défense de la langue, de la politique et de la culture, patrimoines classiques de la francophonie, l'économie et la communication devraient être maintenant particulièrement privilégiées.
En conclusion, la France possède des atouts qu'elle ne connaît pas. D'une part, la France est une société multiculturelle qui s'ignore. J'ai eu l'occasion de me pencher sur la valorisation de la place des « outre-mer » face à la métropole. Tout le monde s'en moque. La France est également multiculturelle grâce aux enfants de l'immigration, qui hélas n'ont pas été correctement intégrés. L'ascenseur social n'a de toute évidence pas fonctionné. Ce pays n'a pas accepté ou compris la richesse sociale et humaine qu'apportaient ces personnes. Les événements de l'automne 2005 auront cependant démontré qu'être français ne signifiait pas être blanc.
Les racines de la francophonie constituent pour elle un ultime atout. Il est étrange de constater que la France, qui forme le coeur de la francophonie et non le centre, ne réalise pas suffisamment l'intérêt de ces apports divers. Trop souvent, les francophones qui viennent en France n'ont pas l'impression d'être à leur place. Nous devons nous montrer plus généreux, car la France ne conservera demain son rang que grâce à la francophonie.
D'autre part, la France est tout de même à la tête du plus grand réseau culturel mondial, lorsque l'on additionne les centres culturels et les Alliances françaises. Là encore, nous n'avons pas suffisamment conscience de la force de ce réseau. Pour contrer cette tendance, encore faudrait-il que nous comprenions que la diversité culturelle joue dans les deux sens. En matière de visas, nous devrions effectivement être à l'avant-garde d'une politique d'ouverture des frontières. Les capitaux et les marchandises circulent, mais pas les hommes. Un jour, cette contradiction de la mondialisation sera dénoncée avec force et sera à l'origine de conflits politiques toujours plus violents.
En ce qui concerne la francophonie, personne n'a véritablement pris la mesure du succès de cette organisation très récente. Les premières actions de coopération ont en effet été entreprises en 1970 et ce n'est qu'en 1986 qu'a eu lieu le premier sommet des Chefs d'Etats et de gouvernements. De ce point de vue, les événements ont été plus rapides que les représentations et les stéréotypes. La francophonie est encore souvent considérée comme tournée vers le passé colonialiste. Il n'en est rien. Avec toutes les contradictions qui la traversent, la francophonie tente de dépasser le passé et surtout de penser les enjeux politiques du futur.
La francophonie ne s'imposera qu'à la seule condition de ne pas oublier ses racines historiques. C'est parce que des militants se sont battus pour son existence pendant plusieurs décennies qu'elle a pu voir le jour. Elle ne peut se permettre aujourd'hui d'ignorer la société civile et les militants. La francophonie appartient aux « institutions de troisième type », comme les appelle Boutros Boutros-Ghali. Aussi efficace que soit son organisation institutionnelle, ce n'est pas elle qui fait vivre cette institution. Ce sont ses racines plongées dans la société civile. Les enseignants jouent sur ce plan un rôle de tout premier rang. Avec les entreprises et les médias, ils constituent les piliers de ce mouvement.
Après avoir accompli beaucoup en l'espace de vingt ans, la francophonie est aujourd'hui à la croisée des chemins. Soit elle conforte ce qu'elle a entrepris, au risque de se refermer sur elle-même, soit elle accepte ce défi de la mondialisation, auquel cas elle changera de vitesse, de style et certainement de couleur. C'est dans cette deuxième optique que ce festival et ce colloque ont été pensés.