2ème JOURNÉE DES FRANÇAIS DE L'ÉTRANGER - Destination monde
Sénat - 1er mars 2008
Le forum « Embarquez pour le monde »
TABLE RONDE N°3 :
PRÉSENCE ÉCONOMIQUE FRANÇAISE À L'ÉTRANGER : LES BONNES RECETTES
27 milliards d'euros de déficit du commerce extérieur en 2006, 39 milliards en 2007 : la France accumule un solde commercial négatif depuis plusieurs années, alors que dans le même temps l'Allemagne réalise des excédents record. Faut-il voir dans ces résultats le signe d'une crise grave de la compétitivité des entreprises et de l'économie françaises ou bien doit-on poser un diagnostic plus nuancé ? Quels sont les moyens pour renforcer la présence de nos entreprises françaises, et notamment de nos PME, sur les marchés mondiaux ? Quelles leçons peut-on tirer de l'exemple allemand ? En bref, quelles bonnes recettes la France peut-elle inventer ou aller puiser au-delà de ses frontières pour renforcer son dynamisme sur les marchés extérieurs ? |
Table ronde présidée par Jean ARTHUIS , ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
Animée par Stéphanie ANTOINE , journaliste économique à France 24
Avec :
Christophe LECOURTIER , directeur général d'Ubifrance
Philippe de BRAUER , président de la Commission internationale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
Jean-Bernard GAUTIER , premier vice-président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger (UCCIFE)
Jean BURELLE , président du MEDEF international
André WURTZ , président de la section Allemagne des conseillers du commerce extérieur
Pierre TAPIE , directeur général de l'ESSEC
Stéphanie ANTOINE
39 milliards d'euros, c'est le montant du déficit commercial de la France en 2007. Ce dernier ne cesse de se creuser depuis 2004, notamment du fait de la hausse de la facture pétrolière et de l'appréciation de l'euro. Faut-il considérer ce mauvais résultat comme le signe d'une grave crise de la compétitivité des entreprises françaises ? Quels sont les moyens dont celles-ci - et notamment les PME - disposent pour renforcer leur présence à l'international ? Quelles leçons pouvons-nous tirer de l'exemple allemand ? Quelles bonnes recettes la France peut-elle inventer ou aller puiser au-delà de ses frontières pour renforcer son dynamisme sur les marchés extérieurs ?
Autant de questions auxquelles les intervenants de cette table ronde s'efforceront de répondre.
Jean Arthuis, vous êtes sénateur de la Mayenne, président de la commission des Finances et président du Conseil général de la Mayenne. Pourquoi le déficit commercial de la France se creuse-t-il depuis 2004, alors que l'Allemagne affiche, au contraire, un excédent commercial record ? Est-ce inquiétant ? Comment expliquez-vous ce décalage ?
Jean ARTHUIS, président de la commission des finances du Sénat
La situation est-elle inquiétante ? Elle est pour le moins préoccupante. La situation de nos finances publiques auquel s'ajoute un déficit commercial qui ne cesse de se creuser a de quoi nourrir nos préoccupations. Il convient néanmoins de saluer le prodigieux succès commercial que vient d'obtenir EADS. Cet exemple montre que notre pays possède de formidables atouts. Mais néanmoins, nous nous trouvons dans une situation qui ne nous permet plus d'ajourner les réformes que la France attend.
40 milliards de déficit en 2007, soit 13 milliards de plus qu'en 2006, cela signifie que nous consommons plus que ce que nous produisons. Ce déficit nourrit les excédents d'un certain nombre de pays qui assurent notre approvisionnement en énergie fossile - pétrole et gaz - ou en biens de consommation. N'ayant pas l'usage de ces excédents, ces pays contribuent au financement de nos bons du trésor et investissent dans le secteur immobilier ou sur le CAC 40. Cela m'inquiète mais je suis encore plus préoccupé lorsqu'ils investissent dans le capital de nos PME, car ils ont tendance alors à délocaliser nos activités et emplois pour optimiser leurs résultats.
Comment en sommes-nous arrivés là ? Faut-il incriminer l'euro ? Certes, l'euro s'est beaucoup apprécié par rapport au dollar, et donc corrélativement, par rapport aux monnaies asiatiques qui sont significativement sous-évaluées. Mais si l'euro est la cause de notre déficit, comment expliquer a contrario l'excédent commercial de l'Allemagne qui tangente les 200 milliards d'euros en 2007 ? On ne peut donc expliquer notre difficulté à équilibrer notre balance commerciale par le seul facteur monétaire.
Est-ce un problème de stratégie commerciale ? Nos réseaux manquent-ils d'efficacité ? Les entreprises françaises sont-elles suffisamment solidaires les unes des autres pour défendre ensemble leurs intérêts à l'échelle mondiale ? Ont-elles la capacité à se projeter vers l'extérieur ?
Nos PME sont sans doute trop petites par rapport aux PME allemandes. Pourtant, notre réseau à l'étranger est relativement dense avec Ubifrance, les missions économiques, les conseillers du commerce extérieur, qui constituent un réseau de premier plan et jouent un rôle majeur dans l'implantation des entreprises françaises à l'étranger. Sans doute conviendrait-il de projeter davantage à l'étranger nos conseillers d'entreprise - avocats conseil, experts comptables, auditeurs -, leur rôle me paraissant au moins aussi important que celui des pouvoirs publics. Les PME qui s'installent à l'étranger ont besoin sur place de correspondants pour les conseiller, les orienter et les aider à établir des comptes non ambigus, sincères et clairs.
Notre déficit est-il le résultat d'une mauvaise stratégie industrielle ? Quoi qu'en disent certains discours anesthésiants, personne ne peut nier les délocalisations d'activités qui ont eu lieu depuis plusieurs années. La désindustrialisation a entraîné la perte d'un million d'emplois en France depuis dix ans. En outre, nos législations multiplient les seuils, les régimes particuliers et enferment bien souvent les PME dans des logiques de taille réduite pour éviter les contraintes liées au franchissement de certains seuils. Un certain nombre de dirigeants de PME sont tentés de penser que vivre petit, c'est vivre heureux. Or, contrairement aux entreprises du CAC 40 qui raisonnent dans une logique globale, totalement mondialisée, les PME enracinées dans les territoires de l'hexagone constituent le vrai potentiel de création de richesses et de projection vers l'extérieur. La vraie difficulté réside dans leur compétitivité. S'agissant du financement, nous avons des difficultés à mobiliser les ressources pour assurer leur développement.
Il y a enfin, incontestablement, la lourdeur excessive de nos réglementations et de nos législations : 35 heures, droit instable et complexe, multiplicité des régimes particuliers et lourdeur des prélèvements obligatoires. Je suis convaincu que nous ne pourrons pas continuer à financer la protection sociale par des prélèvements sur les salaires.
Y a-t-il des impôts payés par les ménages et d'autres par les entreprises ? Ma conviction est que tous les impôts payés par les entreprises sont en définitives payés par les ménages. Car les entreprises qui ne répercuteraient pas le poids des impôts reposant sur la production dans le prix facturé au consommateur en dernier ressort, ne survivraient pas. Dans une économie globalisée, il peut être tentant d'aller produire dans les pays où la fiscalité est réduite ; d'où notre obligation de nous préparer à des réformes significatives pour, notamment, inverser la tendance, équilibrer notre commerce extérieur et générer, à l'instar de l'Allemagne, des excédents commerciaux.
Stéphanie ANTOINE
M. Jean Burelle, quelles sont les attentes des PME en matière de soutien à l'export ? Le dispositif existant est-il suffisant ? Comment l'améliorer ?
Jean BURELLE, président du MEDEF international
Pour avoir dirigé l'équipementier automobile Plastic Omnium, je connais bien l'industrie automobile dont le bilan import/export se dégrade de manière significative, malgré les performances de nos deux grands champions - PSA et Renault - qui ont fabriqué 73 millions de véhicules dans le monde. Peu d'acheteurs se doutent que leurs véhicules sont fabriqués en Slovénie, au Maroc ou en Espagne - où se trouve la plus grosse usine de PSA. Car la compétitivité du site France se détériore.
L'exportation dans le domaine industriel, c'est le contraire de l'épicerie de quartier : l'important n'est pas de détenir tous les produits en stock mais d'avoir une position dominante. Si l'entreprise que j'ai dirigée pendant trente-cinq ans a vu son chiffre d'affaires passer de 2,5 millions à 3 milliards d'euros, et est devenue l'une des toutes premières dans son secteur, c'est que j'ai passé mon temps à élaguer pour prendre des positions extrêmement fortes dans certaines productions. Nous avons cessé de produire des tableaux de bord mais sommes devenus le n°1 mondial de la fabrication de réservoirs d'essence, de pare-chocs et de conteneurs pour la collecte mécanisée des ordures ménagères. Devant le directeur des achats de BMW ou de Mercedes, on est plus convaincant si on a une position dominante dans un secteur, si on est très fort sur son métier, plutôt que si on détient une position moyenne dans plusieurs.
Comment y arriver ? Certainement en faisant plus d'innovations, c'est-à-dire plus de recherche et de brevets. C'est grâce à l'innovation qu'Essilor, petite société, est devenue le numéro un des verres ophtalmiques, laissant son challenger loin derrière. On peut aussi y arriver par les marques comme dans le domaine du luxe, où la France détient des marques extraordinaires et des réseaux commerciaux efficaces. Cointreau vient de payer 250 millions d'euros pour reprendre son indépendance en Chine pour mieux vendre son cognac. Depuis les ventes sont reparties à la verticale.
Par ailleurs, dans le domaine du tourisme, l'idée selon laquelle la France serait le n°1 mondial dans ce secteur est une idée fausse. Si notre pays est bien celui qui attire le plus d'étrangers sur son territoire, il n'est pas celui qui tire de leur présence le plus de recettes, étant devancé par les États-unis et l'Espagne en la matière. A cet égard, la France doit certes proposer de meilleures infrastructures, mais surtout une offre de services de plus grande qualité pour les touristes avec une attitude orientée vers la satisfaction du client.
Stéphanie ANTOINE
M. Philippe de Brauer, comment renforcer la présence des PME françaises à l'international ?
Philippe DE BRAUER, président de la commission internationale de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
Il s'agit d'une question récurrente pour laquelle je ne détiens pas de recette miracle.
Mais il convient de souligner quelques chiffres encourageants : les investissements des entreprises nationales à l'étranger ont beaucoup progressé en 2007. La France représente le deuxième investisseur dans le monde et ses entreprises possèdent 31 000 filiales à l'étranger.
Il est certain que la petite taille des PME françaises freine leur dynamisme commercial. Le dirigeant d'une PME lambda qui emploie en moyenne entre 35 et 40 salariés est amené à tout faire dans son entreprise. Il n'a pas le temps de développer la présence de son entreprise à l'internationale, ni la possibilité de recruter quelqu'un chargé des exportations.
Celles, plus importantes, ayant des effectifs compris entre 50 et 100 personnes, sont confrontées à des problèmes d'effets de seuil et ont du mal à se retrouver dans le maquis des aides en matière d'exportation. C'est la raison pour laquelle les chambres de commerce, qui sont le premier partenaire des entreprises, devraient accompagner davantage les chefs d'entreprise dans leur démarche d'exportation. Pas seulement pour les aider à être présents sur les salons mais également pour les accompagner dans le suivi des retombées de ces salons, les visites chez les clients potentiels, etc.
Stéphanie ANTOINE
M. Christophe Lecourtier, les missions économiques forment un réseau international destiné à renforcer la présence des entreprises françaises à l'étranger. Quels sont vos projets pour améliorer ce dispositif ?
Christophe LECOURTIER , directeur général d'Ubifrance
Pour occuper mes fonctions depuis trois jours, je peux me permettre d'avoir un oeil critique sur le dispositif public d'aides à l'exportation.
Un constat s'impose : les entreprises sont de moins en moins nombreuses à exporter et elles réduisent de plus en plus leurs marges. L'enjeu consiste à faire grossir les PME pour qu'elles puissent se projeter vers l'extérieur.
Dans cette perspective, le ministre du commerce extérieur m'a confié la mission de remettre à plat de l'ensemble des dispositifs ayant pour objet d'aider les PME à s'agrandir et à exporter leurs produits.
Ubifrance s'est engagé à réorganiser son dispositif autour de deux axes :
En premier lieu, nous avons demandé à un grand cabinet de conseil d'auditer l'ensemble de la gamme des produits que nous offrons aux PME, depuis nos études de marché jusqu'aux missions individuelles (organisation de rendez-vous à l'étranger, puis suivi des contacts pris), en passant par les services collectifs en matière de foires et salons. Les ministres souhaitent que le regard porté sur ces produits soit celui de nos clients. A cet effet, nous réunirons des panels de gens clients ou non d'Ubifrance pour tâcher de cerner leurs besoins et procéder à une révision complète de la gamme.
Nous proposerons aux entreprises un service Ubifrance totalement intégré entre la France et l'étranger. Aujourd'hui, le paysage du soutien au commerce extérieur est kafkaïen : il y a des directions régionales du commerce extérieur placées sous l'autorité des préfets, des missions économiques placées sous la houlette de l'ambassadeur et Ubifrance placé sous la tutelle du ministre du commerce extérieur. C'est illisible pour les PME.
Aussi, dès 2009, nous ferons basculer les équipes commerciales des missions économiques dans Ubifrance. Les agents des missions économiques qui sont aujourd'hui soit des fonctionnaires, soit des contractuels de droit public, passeront dans le privé et perdront le vernis de la fonction publique diplomatique pour adopter un mode de service plus adapté à ce qu'attendent les entreprises privées.
Le 2 ème axe de la réforme, c'est la complémentarité : nous travaillons avec les représentants des chambres de commerce en France et à l'étranger pour mettre en oeuvre un partenariat non concurrent qui mettra un terme aux querelles picrocholines entre les différentes organisations oeuvrant dans le domaine du soutien au commerce extérieur. A chacun de se spécialiser dans ses domaines d'excellence : aux chambres de commerce en France de détecter par exemple les entreprises susceptibles de mener une démarche à l'international. L'objectif doit être de parvenir à exprimer politiquement une volonté de travailler ensemble de façon complémentaire, en définissant les responsabilités de chacun et en veillant à ce que les domaines de compétence ainsi définis soient respectés à travers la mise en place de comités de suivi.
Stéphanie ANTOINE
M. Jean-Bernard Gautier, que pensez-vous de cette réorganisation des dispositifs d'aide aux entreprises françaises ? Ceux-ci vous semblent-ils manquer de lisibilité ?
Jean-Bernard GAUTIER, 1 er vice-président de l'Union des chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger (UCCIFE)
L'UCCIFE est un réseau privé d'entrepreneurs réunissant 114 chambres de commerce et 40 délégations régionales. Il est présent dans 78 pays et comprend 25 000 adhérents, tous des entrepreneurs locaux (50 % d'entreprises françaises et 50 % d'entreprises étrangères. Il emploie 900 collaborateurs, riches d'une double culture et souvent aussi d'une double nationalité. Son chiffre d'affaires s'élève à 35 millions d'euros, dont 12,5 millions d'euros sont directement destinés au soutien aux entreprises. C'est un réseau ancien puisque 20 chambres sont centenaires.
Nous sommes très favorables à une complémentarité intelligente avec le réseau Ubifrance, en toute indépendance bien évidemment. Privé et autofinancé à hauteur de 94 % par les cotisations de ses membres et les revenus tirés de l'organisation d'événements et de services rendus aux entreprises françaises, il bénéficie, par ailleurs, de 6% de financements extérieurs, provenant des chambres de commerce et d'industrie françaises, de la direction générale du Trésor et de la politique économique (DGTPE) - 15 volontaires internationaux sont délégués - et du Ministère des Affaires étrangères dans le cadre des comités pour l'emploi et la formation.
Notre réseau est unique en Europe. Les chambres de commerce qui le composent sont toutes des associations privées, à but non lucratif, d'entreprises françaises et étrangères, et de droit local. Elles exercent un rôle d'animation auprès des communautés d'affaires franco-étrangères, notamment en tenant des réunions mensuelles facilitant les échanges entre les entrepreneurs, et permettent de positionner la France dans le pays.
L'appui aux entreprises est devenu un des axes majeurs de notre action. Il passe par l'organisation de foires-expositions, de colloques et de réunions thématiques, par l'appui aux entreprises dans la réalisation de leurs objectifs à travers la conduite de missions de prospection à l'étranger. Nous tentons dans chaque pays de coordonner nos actions avec celles des missions économiques. Notre objectif consiste à présenter un fonds uni et cohérent pour les industriels français qui s'expatrient, mais aussi pour les communautés d'affaire locales. Nous voulons présenter à nos partenaires et clients une classification de nos chambres de commerce en fonction de leurs compétences spécifiques.
Nous agissons également, de manière très importante, dans le domaine de la domiciliation. Nous sommes ainsi très engagés auprès d'Ubifrance dans le programme des VIE. Les chambres de commerce présentes à l'étranger peuvent, par exemple, recevoir un VIE mandaté par un groupe de PME.
Stéphanie ANTOINE
M. André Wurtz, quelles sont les clés, selon vous, du succès à l'export des PME allemandes ? Leur exemple est-il transposable en France ?
André WURTZ, président de la section Allemagne des Conseillers du commerce extérieur
Pourquoi diable les Allemands réussissent-ils là où nous échouons alors qu'ils ont la même monnaie et sont soumis aux mêmes contraintes européennes ?
Depuis longtemps, on attribue le succès allemand à son très bon positionnement produits - ils fabriquent des machines-outils, des automobiles et des produits pharmaceutiques plus utiles aux pays émergents que le champagne et les produits de luxe français. On invoque aussi la réforme - dans la douleur - du marché du travail allemand devenu plus réactif, ou le développement d'industries nouvelles, notamment liées à l'environnement.
Malgré tout, l'ensemble de ces raisons ne saurait justifier tous ses bons résultats économiques qui tiennent à trois facteurs majeurs, comme nous avons pu le vérifier auprès de quatre PME allemandes (Chocolats Ritter, un des leaders mondiaux du modélisme, cuisines Bulthaup, fabricant de machines-outils Trumpf) lors d'un colloque organisé en novembre dernier à Baden-Baden par la section Allemagne des conseillers du commerce extérieur.
1/ La stratégie d'entraide et de réseau entre les grandes entreprises allemandes et leurs fournisseurs : les grandes entreprises emmènent les PME dans leur démarche à l'expatriation et leurs appliquent des délais de paiement courts, ce qui améliore sensiblement la situation de leur trésorerie et accroît leur capacité d'emprunt auprès des banques. Il faut aussi souligner le rôle de la fameuse Housebank, une banque qui soutient les entreprises dans les bons comme dans les mauvais moments. Cette aide en réseau se traduit par un soutien puissant des fédérations qui agissent au niveau professionnel et régional.
2/ Par ailleurs, contrairement aux Français dont l'absence de culture économique est abyssale, les Allemands ont du chef d'entreprise et de l'entreprise une image positive et valorisante. Selon une enquête d'opinion publique, le métier d'entrepreneur - à ne pas confondre avec celui de manager - serait, en effet, le deuxième métier le plus apprécié par la population allemande après le métier de médecin et devant le métier de couvreur. Par conséquent, les ouvriers allemands ont plus de plaisir à travailler en entreprise et à y fabriquer des produits de qualité que les ouvriers français. Autre conséquence : les entreprises allemandes, comme Karcher par exemple, ont une dimension familiale et se fortifient au fil des générations.
3/ 3 ème clé enfin, la spécialisation des entreprises et leur investissement dans l'innovation et la recherche. Elles se concentrent sur la fabrication de produits de qualité à forte valeur ajoutée, ne mettant les produits sur le marché que lorsqu'ils sont prêts à être mis sur le marché, faisant du label Made in Germany une appellation très demandée sur les marchés étrangers.
Enfin les Allemands sont dotés d'un esprit très conquérant sachant défendre leurs positions. Pour l'anecdote, si la commission européenne n'a jamais réglementé la vitesse sur les routes européennes - et l'Allemagne est le seul pays d'Europe où la vitesse sur autoroute ne soit pas limitée - c'est que les industriels Allemands sont très bien organisés dans leur lobbying. Depuis 15 ans que je suis en Allemagne, je n'ai jamais entendu parler de principe de précaution.
Stéphanie ANTOINE
M. Pierre Tapie, les réseaux dont parlent M. Wurtz commencent à l'école, la mentalité entrepreneuriale commence également à l'école, avez-vous les solutions pour former les jeunes futurs entrepreneurs français pour qu'ils s'investissent davantage à l'international d'une part, et pour préparer les étudiants étrangers à mieux connaître la France, d'autre part ?
Pierre TAPIE, directeur général de l'ESSEC
Merci d'avoir convié l'espace universitaire à participer à ce débat.
Pour permettre à la maison France d'être présente à l'étranger dans sa dimension économique, il ne suffit pas de former les élites françaises, il est aussi important de réfléchir à la manière dont nous pouvons former, en France, les élites étrangères.
Les écoles françaises d'ingénieurs et de technique, ainsi que les écoles de management, sont de plus en plus connues sur la scène internationale comme des gisements de très hauts potentiels. Parmi les dix meilleures formations en management en Europe, cinq sont françaises selon le Financial Times . En outre, selon une enquête réalisée par le Wall Street journal auprès de 4 500 recruteurs internationaux, deux MBA français sont classés parmi les dix meilleurs au monde : le MBA de l'ESSEC (7 ième ) et le MBA d'HEC (9 ième ).
Selon cette même enquête, sept caractéristiques sont déterminantes dans le recrutement d'un cadre à l'international pour les responsables d'entreprises : les candidats doivent avoir le potentiel pour devenir des « stars » ; ils doivent pouvoir s'adapter très rapidement à l'entreprise ; ils doivent avoir la capacité de travailler en équipe dans des équipes diverses en termes d'origines et de disciplines ; ils doivent avoir l'aptitude et l'envie d'évoluer dans un milieu interculturel : l'autre m'intéresse ; ils doivent être capables d'inventer des choses nouvelles (« to think out of the box ») et ne pas se contenter de l'ordre établi ; ils doivent témoignent d'une haute intégrité et d'une éthique personnelle robuste ; enfin leur expérience professionnelle doit être cohérente avec leur formation.
Lorsque les Business School américaines les plus critiques viennent auditer l'ESSEC, ils sont admiratifs et nous disent : la globalisation a été accomplie à l'ESSEC. Elles nous envient le niveau d'exigence que nous imposons à nos étudiants à savoir l'apprentissage de quatre langues et un an de vie à l'étranger pour les bachelors , et l'apprentissage de trois langues et six mois de vie à l'étranger aux étudiants en MBA., tout comme elles nous envient le niveau de professionnalisation basé sur des enseignements à la fois pratiques et théoriques.
Nous avons créé un campus à Singapour il y a quelques années dont la vitesse de développement est le double de celle que nous avions anticipée.
Nous pouvons aussi préparer les étudiants en les formant autrement c'est-à-dire en répondant à la question : pourquoi un Chinois, un Argentin ou un Japonais choisirait-il de venir étudier à l'ESSEC plutôt qu'aux Etats-Unis ? Donnons-leur envie d'étudier en Europe et singulièrement en France. Ce que nous pouvons leur offrir en plus des compétences techniques, c'est un enseignement qui les prépare à avoir du recul par rapport au monde pragmatique dans lequel ils seront plongés, basé sur les humanités classiques et la philosophie. C'est en revenant aux sources de ma propre culture que je serai en mesure de distinguer entre le shanghaïen sauvage et le leader chinois éclairé imprégné de sa tradition confucéenne. C'est quelque chose que nous savons mieux faire, en France, qu'ailleurs.
Nous avons aussi eu l'audace à quelques uns en France, de demander aux étudiants étrangers qui souhaitent étudier en France, de payer le plein coût de la formation. En effet, il n'y a aucune raison de faire financer par les impôts des Français la formation des jeunes Chinois ou des jeunes Japonais plus ou moins fortunés. De plus, la gratuité des études est souvent perçue comme un signe de très haute médiocrité à l'étranger.
En conclusion, j'ajouterai que nous devons faire des progrès dans trois domaines. Il nous faut prendre conscience collectivement qu'investir dans la connaissance, c'est préparer l'économie de la connaissance et l'intelligence de demain. Même si le Président de la République a pris la décision très courageuse d'augmenter de 50 % en cinq ans le budget de l'enseignement supérieur, les 5 milliards de plus mis sur l'intelligence des jeunes Français ne représentent que la moitié du déficit de la sécurité sociale française. Deuxièmement, nous devons nous demander comment être mieux professionnel sur les choses simples, comme par exemple l'accueil dans les aéroports français qui est un scandale international, ou la politique des visas pour les élites étrangères et leurs conjoints. Il est très difficile par exemple d'expliquer à l'épouse d'un professeur indien que nous avons grand mal à faire venir qu'il lui faut parler français pour pouvoir rejoindre son mari. Enfin, dans un monde globalisé, il serait bon que les Français apprennent cette alchimie de l'ambition et de l'humilité. On peut être ambitieux, reconnaître nos atouts et être fiers de notre pays sans humilier les personnes originaires d'autres cultures.
Jean ARTHUIS, ancien ministre, président de la Commission des finances
La France possède tous les atouts pour réussir, d'excellents instrumentistes mais nous avons encore du mal à jouer la partition. Votre conclusion M. Pierre Tapie entre ambition et humilité doit pouvoir marquer une ligne politique.
J'ai compris, de nos échanges, qu'on verrait bientôt la fin de la distinction entre Ubifrance et les directions régionales de l'exportation placées sous la tutelle des préfets, Ubifrance étant appelée à resserrer ses liens avec les chambres de commerce et d'industrie en France et à l'étranger. Nous avons les bons instruments en matière e réseaux pour réussir. Encore faut-il avoir des produits et des services à exporter et surtout, la compétitivité requise. Les PME allemandes évoquées par M. Wurtz sont des entreprises familiales ayant échappé à la financiarisation de leurs activités, c'est-à-dire dont les patrons ne sont pas des fonds d'investissement ayant pour seul objectif la maximisation de leur rentabilité, mais des acteurs attachés à la stabilité et à la lisibilité dans le temps de l'entreprise. Ce facteur contribue à rendre plus attachante la culture d'entreprise.
J'ai noté également que l'ESSEC se préoccupait d'éthique. Une société qui ne se préoccupe pas d'éthique peut connaître des déconvenues. Vous avez souligné M. Tapie les études supérieures payantes. J'ai pu constater lors d'un de mes voyages en Chine combien gratuité rimait à leurs yeux avec manque de qualité. Tout pourrait marcher à condition que grâce à l'innovation, nos produits soient les meilleurs du monde.
Je suis convaincu que nos réglementations ne facilitent pas l'émergence de PME plus importantes et n'ont pas de sens dans une économie globalisée. A quoi sert-il de multiplier les seuils et les régimes particuliers dans tous les domaines (fiscal, social...) dès lors que les entreprises les plus importantes peuvent à tout moment s'extraire du territoire national ? La France pourrait devenir compétitive à condition de faire preuve d'innovation et d'accorder plus de marges de manoeuvre aux entreprises.
Il faudrait aussi que nous prenions le temps de dire aux Français ce qu'est la mondialisation. Nous avons tort de ne pas en parler davantage car elle est anxiogène compte tenu de notre inertie à adapter la France à la mondialisation. Vous avez raison aussi de souligner le manque de culture économique des Français. Nous avons tout pour réussir mais il est temps de tirer le signal d'alarme car les 40 milliards d'euros de notre déficit commercial sont un indicateur qui devrait nous mettre en état de vigilance et nous préparer à l'action.
De la salle : Marc VILLARD, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger (circonscription de Bangkok)
Depuis dix-huit ans, je vis au Vietnam où je préside la Chambre de commerce franco-vietnamienne. Je suis aussi président de la commission des affaires économiques de l'AFE.
Jean Arthuis n'en a pas parlé, mais les emplois créés par les entreprises étrangères qui investissent en France compensent en partie ceux détruits à la suite de délocalisations. Certes, il faut lutter contre l'anxiété due aux délocalisations, mais il faut aussi arrêter de subventionner des pans entiers de notre économie qui ne sont plus rentables. Il faut bien sûr accompagne socialement ces délocalisations mais en ayant conscience qu'elles sont inéluctables pour certaines entreprises ; de plus, en délocalisant, les entreprises participent au développement de nouveaux marchés.
Les entreprises françaises ne font pas toujours les efforts nécessaires pour accroître leur présence à l'étranger. En 1994, par exemple, le marché des poubelles en plastique de la ville de Hô Chi Minh est revenu à une entreprise allemande parce que Plastic Omnium n'a pas jugé la demande de cette municipalité assez sérieuse.
Par ailleurs, j'ai le plaisir d'inviter M. Christophe Lecourtier à la commission des affaires économiques de l'Assemblée des Français de l'étranger et souhaite rappeler, à la suite des propos de M. Gautier, que les chambres de commerce et d'industrie françaises à l'étranger, représentent des associations de droit local, autofinancées et composées de bénévoles riches d'une expérience que jamais les réseaux d'Ubifrance ne pourront acquérir. Il serait, par conséquent, regrettable de ne pas entretenir ce réseau.
Enfin, si la France doit effectivement muscler les PME françaises, elle doit aussi revoir son dispositif d'appui à l'étranger pour ces entreprises.
Jean ARTHUIS, ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
La situation est suffisamment préoccupante pour nous convaincre d'agir et de sortir des discours anesthésiants. Il faut arrêter de légiférer comme si la mondialisation n'existait pas (35 heures).
Parmi les discours anesthésiants, il y a celui consistant à dire : la France est un pays formidable, les capitaux du monde entier s'y concentrent. Quand on regarde de près les cibles d'investissement, il y a en premier lieu tout l'immobilier de luxe de Paris et de la périphérie parisienne, comme par exemple l'achat du centre de conférences internationales de la rue Kléber par un fond qatari pour 400 millions d'euros, ce qui a pour conséquence une inflation des actifs immobiliers qui chasse les résidents loin de leur lieu de travail. Il y a en deuxième lieu la souscription de bons du Trésor (100 milliards en 2008) qui permet de financer le déficit budgétaire de la France et les déficits de la sécurité sociale et du régime agricole. Il y a en troisième lieu les actions des entreprises du CAC 40 qui réalisent la plupart de leurs bénéfices en dehors du territoire national et qui n'aident pas directement la France à générer des emplois et à développer sa croissance. Il y a enfin le rachat de PME, qui précède souvent leur délocalisation quand les investisseurs préfèrent produire ailleurs.
Je ne stigmatise pas les délocalisations. Mais nous devons regarder la réalité des choses et en tirer les conséquences, afin de prendre les mesures nécessaires pour nous permettre de retrouver de la compétitivité sur notre territoire national.
Marc TRINTIGNANT
J'ai passé 40 ans de ma vie en Allemagne dont la moitié pour le compte d'entreprises françaises et la moitié pour le compte d'entreprises allemandes.
L'entrepreneur français doit employer 80% de son temps dans des déplacements hors de l'hexagone pour voir son activité export commencer à fonctionner. Personne d'autre que lui ne peut le faire. C'est essentiel! Pendant plus de dix ans, comme correspondant pour l'Allemagne à l'Agence de promotion internationale de la CGPME, j'ai eu l'occasion d'examiner plus de 150 dossiers d'entreprises françaises souhaitant exporter. Seulement 2 à 3% d'entre elles y sont parvenues car les autres n'exprimaient qu'une velléité, pas une volonté réelle.
L'orientation vers la rentabilité des postes d'expansion économiques est la décision la plus catastrophique qui ait été prise. En effet, autour des postes qui étaient autrefois spécialisés dans la production d'informations, se trouvaient une pléiade d'entreprises de conseil remarquablement organisées qui pouvaient aider les PME françaises. Du jour où Ubifrance s'est mis en concurrence, il a saboté ce réseau. En revanche, Ubifrance devrait s'inspirer de l'Irlande, et se servir de son outil de veille sur les marchés étrangers pour informer les entreprises françaises des différents appels d'offre émis à l'étranger.
Enfin, pour élargir le débat, c'est grâce aux grands chantiers de l'État (EDF, Airbus), que les entreprises françaises ont pu exporter, notamment dans les secteurs de l'aéronautique, du nucléaire et du traitement des déchets. On ne se développe qu'à partir de ses points forts.
Christophe LECOURTIER, directeur général d'Ubifrance
Je n'ai pas prononcé le mot de rentabilité. Cela voudrait dire qu'on cherche à faire payer aux PME le coût réel du service proposé. Lorsqu'on demande à Ubifrance d'emmener plus d'entreprises sur des salons à l'étranger - et nous avons accru leur présence de 20% entre 2006 et 2007 -, cela coûte de l'argent. Je souhaiterais qu'à moyens décroissants, nous puissions offrir un meilleur service aux entreprises.
Je ne crois pas que la relation d'Ubifrance avec les chambres de commerce françaises à l'étranger soit à fleuret moucheté. La première chose que j'ai faite quand je me suis rendu au Vietnam a été de rendre visite à la chambre de commerce dirigée par M. Villard.
Presque 30 ans après la réforme libérale, l'agence britannique d'aide à l'export bénéficie d'une subvention du double de celle d'Ubifrance.
Julien HIRONDELLE
J'ai créé ma société il y a quatre ans à l'étranger, en expérimentant pour cela toutes les difficultés liées à la création d'entreprise (COFACE, OSEO, ANVAR...). Comment se fait-il que l'Angleterre compte 40 000 business angels , contre seulement 4 000 en France ? Pourquoi les Français investissent-ils leurs économies dans des contrats d'assurance-vie plutôt que dans des starts up ou dans de jeunes entreprises innovantes qui peuvent passer de trois à 500 salariés en dix ans ? Par ailleurs, si l'Allemagne jouit d'une balance commerciale positive de 200 milliards d'euros c'est qu'elle bénéficie de 10 000 PME de 300 salariés de plus que la France. J'ai compté qu'il fallait remplir 19 formulaires différents pour toucher une aide à l'export qui sera dix fois inférieure à la subvention touchée par une PME allemande.
Pour avoir reçu des dizaines de CV, je suis convaincu que les jeunes sont ouverts à la culture d'entreprise et ont envie de travailler, mais il y a une chape de plomb qui fait que 60% des jeunes Français rêvent d'être fonctionnaires et qu'on a créé un million d'emplois dans les collectivités territoriales en quinze ans alors que les communautés de commune ont précisément pour objectif d'optimiser les ressources.
Nous sommes en train de gâcher une opportunité, celle des pôles de compétitivité qui ont pour ambition de faire travailler ensemble les PME, les grandes entreprises et les moyens de la recherche publique avec ceux de la recherche privée. Le problème, c'est qu'au lieu de se concentrer sur trois pôles, nous avons saupoudré les subventions à 70 pôles. Par ailleurs, les pôles de compétitivité meurent de trop d'administration : dans toutes les régions de France, il y a un micro cluster qui dort mais qui a été anesthésié par la prééminence des pouvoirs publics sur les acteurs privés.
Par ailleurs, il faut tirer les conséquences du fait que seulement 1% des jeunes ingénieurs ou des étudiants issus des écoles de commerces créent une entreprise en France. Cela passe certainement par la suppression des grands corps de l'État et par la revalorisation du rôle des chercheurs, des universitaires et des entrepreneurs dans notre société.
Le Président de la République a annoncé qu'à compter du 28 janvier 2008, il y aurait un chef de projet sur l'aménagement du plateau de Saclay. Je rappelle que le plateau de Saclay représente 13.000 chercheurs et 23.000 étudiants, soit deux fois plus qu'à Stanford dans la Silicon Valley. A part Stanford, toutes les universités californiennes sont publiques. Avec un beau campus à Saclay qui réunirait Polytechnique, l'école centrale et la fac d'Orsay, on pourrait créer 1% de croissance supplémentaire.
J'aimerais aussi comprendre pourquoi 50% du capital des entreprises du CAC 40 est détenu par des fonds de pension contre 30% aux États-unis.
Jean ARTHUIS, ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
Les B usiness Angels se montrent, en effet, beaucoup moins nombreux en France qu'en Grande-Bretagne. Notre culture a décidément du mal à admettre l'économie de marché.
Je ne crois pas que les subventions soient l'avenir de l'économie. Les pôles de compétitivité sont une très bonne idée mais peut-être a-t-on trop mis d'administration autour. Ce qui me semble nécessaire est de laisser les entrepreneurs et les chercheurs se rencontrer sans que l'Etat où la Région n'interviennent nécessairement dans leurs discussions. Néanmoins ce qui s'accomplit est prometteur.
Pour la recherche, se pose moins la question des moyens mis en oeuvre par la collectivité que celle du statut des chercheurs.
Enfin, il convient de poursuivre la mise en place d'institutions locales reposant sur un fonctionnement suffisamment simple et lisible pour permettre aux Français d'avoir accès à un minimum de services. J'observe que depuis 26 ans de décentralisation, l'essentiel des transferts de compétence a été réalisé au profit des départements et non pas des communes. Pourquoi? Parce que sur 36.000 communes, 33.000 n'auraient probablement pas pu les assumer. Il faut donc poursuivre la réforme et continuer à mettre de la lumière dans la maison publique pour faire disparaître l'opacité qui y régnait. Le mouvement est amorcé, il y a une prise de conscience. Le politique dont je suis doit se remettre en lui pour faire preuve de lucidité et de courage.
De la salle
J'accompagne les entreprises dans trois régions : les Émirats Arabes Unis, la partie Ouest de l'Inde et Hong Kong. Ne pensez-vous pas nécessaire d'exiger, comme dans d'autres pays, que les « Business models » des entreprises reposent en partie sur le développement à l'export ? S'il en était ainsi, toutes les sociétés chercheraient à innover et à se doter d'outils pour devenir compétitives sur le plan international. Les sociétés indiennes pensent de façon internationale.
Jean ARTHUIS, ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
Il y a quelques années, j'ai rencontré à Bangalore les représentants de Tata dans le domaine des logiciels informatiques qui avaient décidé, sur la base d'une étude, de s'implanter en Tchéquie plutôt qu'en France. Cet exemple nous montre combien il nous faut tenir un discours clair vis à vis des citoyens afin que chacun prenne conscience de ce qu'implique la mondialisation et que nous puissions lever les hésitations qui multiplient les inhibitions et qui font que les vraies réformes ont du mal à s'engager.
Notre épargne sert aujourd'hui en grande partie à financer nos déficits publics. Il nous faut donc déjà, dans un premier temps, mettre de l'ordre dans nos finances publiques pour que notre épargne serve d'abord à financer les entreprises. C'est la meilleure façon de gager nos pensions de retraites à échéance de vingt, trente ou cinquante ans.
L'an passé, le gouvernement avait soumis un texte sur le travail, l'emploi et le pouvoir d'achat, lequel offrait la possibilité pour les redevables de l'ISF de liquider l'impôt en souscrivant des titres de PME, à hauteur de 75% d'un impôt plafonné à 50 000 euros. Cela n'est pas gigantesque mais c'est un premier pas pour drainer des ressources vers des PME en développement. Le plus simple serait évidemment de supprimer l'ISF, ce dont tout le monde est convaincu en privé. Mais dès qu'on est en séance publique, chacun est retenu par des considérations plus idéologiques.
M. Bernard METZLER
Je bénéficie d'une expérience d'une vingtaine d'années dans la direction de petites et moyennes entreprises. Ma question s'adresse principalement à M. Tapie. J'anime une petite école de 110 étudiants dans la ville de Quimper. 40 % d'entre eux sont chinois, indiens ou japonais. Ils paient tous une cotisation de l'ordre de 5 000 euros par an pour suivre leurs études. Comment peut-on donner l'envie aux Français, dès le lycée, de voyager, d'entreprendre et de créer ?
Pierre TAPIE, directeur de l'ESSEC
Actuellement, l'Institut de l'entreprise et le Ministère de l'Éducation nationale mènent des travaux très intéressants sur les présupposés culturels des enseignants du secondaire. Ils ont montré, à ma grande stupéfaction, que les ouvrages destinés aux sections économiques et sociales sont chargés d'une idéologie hostile à l'entreprise, laquelle peut se rencontrer ailleurs, par exemple dans la presse généraliste.
J'aimerais pouvoir lire dans la presse que la mondialisation représente une chance exceptionnelle pour la France et l'opportunité, pour les Chinois et Indiens, de sortir de leur situation d'extrême pauvreté.
Par ailleurs, j'ai été ravi d'apprendre, par le président du Sénat, que les sénateurs ont la possibilité de découvrir le monde de l'entreprise par le biais d'un stage. Mon seul regret est que ce stage ne dure qu'un jour ! Cet exemple sous forme de clin d'oeil démontre qu'il reste encore du chemin à parcourir avant de réconcilier les Français, toutes catégories sociales confondues, avec l'entreprise.
Jean ARTHUIS , ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
C'est bien que les Français qui par leur parcours professionnel n'ont pas eu l'occasion de connaître l'entreprise, aient envie de faire des stages en entreprise et rendons hommage au Président du Sénat qui a eu cette initiative. Je souligne que les stages des sénateurs durent plus d'un jour.
Les Français, en effet, souffrent d'un manque de culture économique et il appartient au monde politique, mais aussi aux entrepreneurs, au MEDEF, à la CGPME et à toutes les personnes qui représentent les entreprises, d'en tirer les conséquences. Vivent les entreprises !
De la salle, un conseiller de l'Assemblée des Français de l'étranger
Je suis un entrepreneur français, installé en Angleterre, et je réalise 75% de mon chiffre d'affaires à l'exportation. Au delà d'un seuil de 25%, on ne bénéficie d'aucune subvention à l'export.
Je souhaite souligner un problème lié aux VIE. Les entreprises françaises qui emploient des VIE à l'étranger ne paient ni charges sociales, ni impôts sur ces jeunes recrues, comte tenu de leur statut public. Mais il est de plus en plus fréquent que ces entreprises subissent des redressements fiscaux de la part du fisc local, notamment en Grande Bretagne. Vous réagiriez de même M. Arthuis si de jeunes Britanniques étaient envoyés en France pendant deux ans en exonération totale de charges sociales et d'impôts. J'aimerais savoir M. Lecourtier quand Bercy nous donnera la liste des pays dans lesquels ce risque existe.
Christophe LECOURTIER , directeur général d'Ubifrance
Ubifrance est conscient des problèmes liés à ce dispositif qui est un dispositif de droit français. Nous avons demandé aux services fiscaux de préciser la raison de l'exonération en France des charges sociales et des charges fiscales. Évidemment, la réciprocité ne s'applique pas partout. C'est pourquoi nous menons actuellement un travail explicatif auprès des pays dans lesquels notre statut de VIE pose problème en nous appuyant notamment sur l'exégèse fiscale de nos textes législatifs. Nous avons proposé, par ailleurs, aux ministres d'échanger sur le sujet avec leurs collègues étrangers avant que le problème se pose. Nous avons commencé à le faire avec la Commission européenne pour essayer de défendre l'idée d'un statut européen du VIE, ce qui résoudrait le problème au niveau européen. Nous le faisons aussi avec de grands pays émergents: nous leur expliquons notre dispositif et leur demandons s'ils seraient intéressés par un tel dispositif pour leurs propres stagiaires en France.
Jean ARTHUIS, ancien ministre, président de la Commission des Finances du Sénat
Ayons la sagesse de concevoir des dispositions simples. En effet, à chaque fois que nous mettons en place des statuts particuliers, il y a ceux pour lesquels le dispositif est conçu, et puis il y a ceux qui se trouvent tout près du dispositif et qui font appel aux meilleurs spécialistes du droit fiscal ou social pour démontrer qu'il s'applique aussi à eux. Cette situation multiplie les foyers de contentieux, de frottements et de frictions, si bien que certains responsables de sociétés ont l'impression de vivre une situation de conflit avec l'État.
Nos législations sont trop complexes parce que nous avons multiplié les règles d'exception. La sagesse est de parvenir à des règles de droit simples et compréhensibles par tous pour être applicables et respectées par chacun.