- Lundi 22 février 2010
- Mardi 23 février 2010
- Accords de coopération entre la France et la république Tchèque ainsi qu'entre la France et la Belgique en matière de sécurité sociale - Examen du rapport
- Accord entre la France et la Chine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements - Examen du rapport
- Accord entre la France et la Roumanie relatif à la protection des mineurs roumains isolés - Examen du rapport
- Mercredi 24 février 2010
Lundi 22 février 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Action extérieure de l'État - Examen des amendements au texte de la commission
La commission a procédé à l'examen des amendements au texte n°263 (2009-2010) qu'elle a établi pour le projet de loi n° 582 (2008-2009) relatif à l'action extérieure de l'Etat.
A l'article 1er (dispositions relatives aux établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France), la commission a examiné l'amendement n°31 présenté par le Gouvernement visant à exclure les établissements publics régis par le code monétaire et financier de la catégorie d'établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France.
M. Joseph Kergueris, rapporteur, a indiqué que, sous une apparence technique, cet amendement soulevait une vraie question de principe, celle de savoir si l'Agence française de développement (AFD) avait ou non vocation à relever de la nouvelle catégorie d'établissements publics.
Il a estimé que, par ses missions, l'AFD avait naturellement vocation à entrer dans cette nouvelle catégorie et que son statut d'établissement public industriel et commercial à caractère bancaire ne constituait pas, à ses yeux, un obstacle à ce rattachement.
Il a également fait valoir que les règles constitutives ne faisaient pas référence à la tutelle ministérielle et que la définition des ressources était suffisamment large pour couvrir tous les types de ressources, y compris les intérêts ou les emprunts.
Il a par ailleurs souligné les avantages de faire relever l'AFD de cette catégorie, tant en termes de renforcement du contrôle du Parlement, qui sera amené à se prononcer sur le contrat d'objectifs et de moyens, que du point de vue de l'équilibre entre l'Assemblée nationale et le Sénat, qui disposeront chacun de deux parlementaires au sein du conseil d'administration, alors qu'actuellement celui-ci compte deux députés pour un seul sénateur.
Enfin, estimant que l'aide au développement était une composante essentielle de la politique étrangère, il a considéré que les représentations locales de l'agence à l'étranger devaient, comme l'ensemble des services extérieurs de l'Etat, être placées sous l'autorité de l'ambassadeur.
Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a alors donné un avis défavorable à cet amendement.
A l'article 2 (composition du conseil d'administration des établissements contribuant à l'action extérieure de la France), la commission ayant été saisie de plusieurs amendements visant à augmenter le nombre de membres appelés à siéger au conseil d'administration, M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé qu'elle avait accepté d'augmenter de deux à quatre le nombre de parlementaires appelés à siéger au conseil d'administration dans le souci de favoriser une représentation de la diversité politique, tout en souhaitant limiter le nombre total de membres afin de préserver l'efficacité de cet organe en matière de définition des priorités stratégiques et de contrôle des organes dirigeants. Il a donc fait part de ses réserves à l'égard d'une augmentation du nombre de membres du conseil d'administration.
La commission a alors émis un avis défavorable à l'amendement n°12, présenté par MM. Robert Hue et Michel Billout, Mme Michèle Demessine et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, tendant à augmenter le nombre de parlementaires appelés à siéger au conseil d'administration.
Elle a également émis un avis défavorable à l'amendement n°1 rect. présenté par M. Christian Cointat et plusieurs de ses collègues sénateurs représentant les français établis hors de France visant à prévoir la présence de deux membres élus de l'Assemblée des Français de l'étranger au conseil d'administration de ces établissements.
Lors de l'examen de l'amendement n°11 rect., présenté par Mme Joëlle Garriaud-Maylam et plusieurs de ses collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France, et visant à prévoir la désignation d'un membre élu de l'Assemblée des Français de l'étranger parmi les personnalités qualifiées désignées pour siéger au conseil d'administration, M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé que le ministre s'était engagé en ce sens lors de la discussion du projet de loi devant la commission. Il a toutefois estimé que le mode de désignation relevait du pouvoir réglementaire. Mme Joëlle Garriaud-Maylam a réitéré son souhait que cet engagement soit inscrit dans la loi. La commission a alors décidé de s'en remettre à l'avis du Gouvernement.
Suivant l'avis de son rapporteur, la commission a décidé de donner un avis favorable aux amendements identiques n°20 présenté par Mme Monique Cerisier ben-Guiga et les membres du groupe socialiste et n°28 présenté par M. Ivan Renar et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen, tendant à prévoir la présence de représentants des collectivités locales ou d'organismes partenaires au conseil d'administration, lorsque ces établissements reçoivent le concours de ces collectivités ou organismes.
Après l'article 4, la commission, suivant l'avis de son rapporteur, a également émis un avis favorable à l'amendement n°2 rect., présenté par M. Christian Cointat et plusieurs de ses collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France, visant à introduire un article additionnel prévoyant la présentation par ces établissements d'un rapport annuel devant l'assemblée des Français de l'étranger, et à l'amendement n°22 ayant le même objet présenté par Mme Monique Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe socialiste.
Sur l'amendement n°16 à l'article 5 bis (conseils d'orientation créés auprès de l'agence française pour l'expertise et la mobilité internationales), présenté par M. Robert Hue et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et visant à prévoir une représentation des organisations syndicales des étudiants et des salariés, M. Joseph Kergueris, rapporteur, ayant fait part de ses réserves étant donné la différence de nature entre ces deux instances consultatives, la commission a donné un avis défavorable.
A l'article 5 ter (rapport au Parlement sur le rattachement du CNOUS), la commission, suivant l'avis de son rapporteur, a donné un avis favorable à l'amendement n°23 présenté par Mme Monique Cerisier ben Guiga et les membres du groupe socialiste tendant à remplacer le verbe « transmet » par celui de « soumet ».
En revanche, M. Joseph Kergueris, rapporteur, s'est déclaré réservé à l'égard de l'amendement n°8 présenté par Mme Colette Mélot et visant à supprimer la mention du CNOUS. La commission a alors décidé de demander le retrait de cet amendement.
Avant l'article 6, à l'intitulé du chapitre III, la commission ayant été saisie d'un amendement n°6 présenté par Mme Colette Mélot tendant à modifier la dénomination de l'agence chargée de la coopération culturelle pour retenir le nom d'« Institut français », M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé que la commission avait déjà débattu de cette question lors de l'élaboration de son texte et qu'elle s'était prononcée à une large majorité en faveur du nom d' « Institut Victor Hugo ». En conséquence, il a émis un avis défavorable à cet amendement. Après que Mme Joëlle Garriaud-Maylam a fait part de sa préférence pour la dénomination « Institut français », la commission, suivant son rapporteur, a donné un avis défavorable à cet amendement.
Sur l'amendement n°9 à l'article 6 (création de l'établissement public chargé de l'action culturelle extérieure), présenté par Mme Colette Mélot et tendant à prévoir le mode de désignation des organes dirigeants, M. Yves Pozzo di Borgo a estimé indispensable d'assurer une unité de commandement en faisant du président du conseil d'administration un directeur exécutif. Mme Catherine Tasca a jugé préférable que le président de cette agence soit nommé, non pas par décret en conseil des ministres comme le prévoit cet amendement, mais par décret simple du ministre des affaires étrangères. M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé qu'il avait présenté un amendement identique lors de l'examen du projet de loi par la commission, afin de garantir une unité de commandement, mais qu'il l'avait retiré à la suite des observations du ministre sur le caractère réglementaire du mode de désignation. La commission a décidé de recueillir l'avis du Gouvernement sur cet amendement.
A l'article 6 ter (rapport au Parlement sur le rattachement à l'agence du réseau culturel), la commission a donné un avis défavorable à l'amendement n°11 présenté par M. Robert Hue et les membres du groupe communiste, républicain et citoyen tendant à réduire de trois à deux ans le délai pour la remise du rapport au Parlement.
Concernant l'amendement n°26 présenté par Mme Monique Cerisier-ben Guiga et les membres du groupe socialiste visant à prévoir des expérimentations sur le rattachement du réseau, M. Joseph Kergueris, rapporteur, tout en se déclarant très favorable à l'idée de prévoir des expérimentations, a fait part de ses interrogations au regard de l'encadrement des expérimentations législatives par la jurisprudence du Conseil constitutionnel et il a souhaité recueillir l'avis du Gouvernement sur cet amendement.
Concernant l'amendement n°10 présenté par M. Adrien Gouteyron tendant à permettre le rattachement de tout ou partie du réseau, M. Joseph Kergueris, rapporteur, tout en comprenant les motivations de son auteur, s'est interrogé sur ses inconvénients au regard de la nécessité de maintenir l'unité du réseau. Mme Catherine Tasca et Mme Monique Cerisier-ben Guiga ont fait part de leur opposition à cet amendement. La commission a alors émis un avis défavorable à cet amendement.
Sur l'amendement n°7 visant à introduire un article additionnel après l'article 6 ter, présenté par Mme Colette Mélot et tendant à instituer un comité de suivi, M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé que la commission avait déjà débattu de cette question et qu'elle avait finalement décidé de ne pas inscrire dans la loi un tel comité, étant donné que les commissions compétentes sont à même de procéder elles-mêmes à une telle évaluation. La commission a alors émis un avis défavorable à cet amendement.
A l'article 13 (remboursement des frais engagés par l'Etat à l'occasion d'opérations de secours à l'étranger), la commission, suivant l'avis de son rapporteur, a émis un avis favorable à l'amendement rédactionnel n°30 présenté par le Gouvernement.
Présentant son amendement n°27 visant à exclure les journalistes, les travailleurs humanitaires, les chercheurs et les universitaires de ce dispositif, Mme Monique Cerisier-ben Guiga a estimé indispensable d'exclure clairement certaines professions du dispositif envisagé en matière de remboursement des frais de secours.
M. Joseph Kergueris, rapporteur, a rappelé que le texte du projet de loi prévoyait expressément que le remboursement ne s'appliquait pas aux personnes s'étant mises en danger à l'étranger pour un motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence, ce qui excluait clairement les journalistes se rendant dans une zone de crise au nom de la liberté de l'information ou les travailleurs humanitaires participant à des opérations d'assistance humanitaire. Il a fait valoir les inconvénients de procéder par énumération de certaines professions en prenant le risque d'exclure certaines, comme les diplomates par exemple.
M. André Trillard a fait valoir que le texte du projet de loi ne constituait nullement une limitation de la liberté de voyager mais qu'il visait uniquement à responsabiliser les personnes et les professionnels qui se rendent dans des zones à risques en permettant à l'Etat d'obtenir le remboursement de tout ou partie des dépenses engagées ou de se retourner contre les professionnels, les voyagistes ou les assureurs en cas de défaillance de leur part. Il a cité l'exemple des marins pêcheurs ou du secours en montagne.
Sur l'ensemble des amendements, la commission a adopté les avis suivants :
Mardi 23 février 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Accords de coopération entre la France et la république Tchèque ainsi qu'entre la France et la Belgique en matière de sécurité sociale - Examen du rapport
En préalable, M. Josselin de Rohan, président, a informé les membres de la commission du désistement de M. André Vantomme de sa fonction de rapporteur du projet de loi n° 273 (2009-2010) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale, au profit de M. Michel Boutant.
La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Michel Boutant sur le projet de loi n° 605 (2008-2009), autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque sur l'échange de données et la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale et sur le projet de loi n° 273 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume de Belgique pour le développement de la coopération et de l'entraide administrative en matière de sécurité sociale.
M. Michel Boutant, rapporteur, a tout d'abord indiqué que les deux conventions concernées, bien que légèrement différentes sur la forme, ne comportaient pas de différences notables sur le fond.
Le projet de loi n° 605 (2008-209) relatif à l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République tchèque sur l'échange de données et la coopération en matière de cotisations et de lutte contre la fraude aux prestations de sécurité sociale constitue le premier accord signé par la France dans le domaine de la lutte contre la fraude à la sécurité sociale.
Le projet de loi n° 273 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, concerne, quant à lui, l'approbation de l'accord signé le 17 novembre 2008 entre la République française et le Royaume de Belgique pour le développement de la coopération et de l'entraide administratives en matière de sécurité sociale.
M. Michel Boutant, rapporteur, a indiqué que, en dehors de leur aspect novateur, ces deux projets ne soulevaient guère de difficultés. Les différences de forme entre les deux conventions s'expliquent par le fait que l'accord avec la République tchèque a été conclu à l'initiative de ce pays, alors que la France a pris l'initiative pour le second accord.
S'agissant du premier projet de loi, il a noté que les liens de coopération entre la République tchèque et la France, d'une manière générale, se renforçaient et évoluaient vers un partenariat européen. Il a souhaité rappeler à cet égard que les relations entre les deux pays avaient connu un développement à la faveur de leurs présidences successives de l'Union européenne : étroite concertation des deux gouvernements sur l'ensemble des dossiers européens, en vue d'assurer la continuité des leurs présidences successives ; rencontres politiques intensifiées, consultations et échanges entre fonctionnaires.
Par ailleurs, il a fait observer que la France, la République tchèque et la Suède avaient préparé en commun le programme des dix-huit mois de présidences successives, finalisé à Prague le 27 mai 2008. Cette concertation étroite s'est poursuivie avec le gouvernement intérimaire de M. Jan Fischer, en fonctions depuis le 8 mai 2009, même si les questions extérieures faisaient l'objet d'une plus grande proximité de vues entre les deux pays que les dossiers communautaires internes. Il a ajouté que, prenant appui sur la coordination des présidences française et tchèque du Conseil de l'Union, un accord de partenariat stratégique avait été signé à Prague le 16 juin 2008, visant à permettre un approfondissement sur le long terme des relations en matière de politique étrangère et européenne, d'énergie et d'environnement, d'économie, de défense et sécurité, de culture et d'éducation.
M. Michel Boutant, rapporteur, a déclaré que, dans le domaine économique, un dynamisme fort animait les relations entre la France et la République tchèque. Portées par la croissance tchèque, les ventes françaises ont été multipliées par trois en dix ans, tandis que les importations françaises ont été multipliées par sept, du fait du rattrapage de l'économie tchèque mais aussi du recours, par les grands groupes français, à la sous-traitance locale. Les investissements français se sont fortement développés depuis 2001. Avec 3,2 milliards d'euros à la fin de l'année 2005, la France est le quatrième investisseur derrière les Pays-Bas, l'Allemagne et l'Autriche, à égalité avec l'Espagne.
Il a indiqué que, dans le domaine culturel, les échanges franco-tchèques étaient encouragés par l'Institut français de Prague et les six Alliances françaises implantées en région, que la République tchèque était, depuis 1999, un membre observateur de l'Organisation internationale de la francophonie et que Prague accueillait un Lycée français de près de 700 élèves, dont un tiers de Tchèques. Il a également souligné que, dans le domaine de la recherche, les relations étaient étroites et se développaient et que les deux pays coopéraient, dans le domaine nucléaire, dans le cadre des projets internationaux ITER, HIPER et du réacteur de recherche Jules-Horowitz.
Le rapporteur a indiqué que la coopération militaire allait bien au-delà des liens forgés lors de la création de l'armée tchécoslovaque, décidée par décret du Président Poincaré en décembre 1917 et dirigée jusqu'en 1925 par des officiers français. La République tchèque apprécie l'expertise française en matière opérationnelle, de professionnalisation et de formation.
M. Michel Boutant, rapporteur, a enfin fait valoir que la coopération décentralisée était également très dynamique et s'appuyait sur une soixantaine de partenariats entre collectivités locales françaises et tchèques.
Il a ensuite précisé que l'accord avec la République tchèque, signé le 11 juillet 2008, était le premier accord de ce type signé par la France et qu'il avait été suivi par la signature de l'accord avec la Belgique, légèrement plus complet dans le domaine de la coopération inter-administrative.
Il a rappelé que les relations entre les Etats membres de l'Union européenne en matière de sécurité sociale étaient régies par un règlement européen de 1971 qui établit une coordination entre les différents régimes de sécurité sociale. Considérant, à l'époque, que cette lutte relevait de la compétence des Etats, aucune disposition particulière en matière de lutte contre la fraude n'avait été inscrite dans ce règlement. A l'initiative de la République tchèque, et dans un contexte d'intensification de la circulation des personnes, cette appréciation a évolué. Le rapporteur a remarqué que la négociation de cet accord avait coïncidé avec le développement de la lutte contre la fraude au niveau gouvernemental, confiée à M. Eric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'Etat, par le Président de la République et le Premier ministre.
M. Michel Boutant , rapporteur, a ensuite indiqué qu'il n'existait pas de données sur l'impact financier de l'accord faute d'outils de quantification de la fraude sociale. Il a fait valoir que le total des prestations sociales transférées à l'étranger était de l'ordre de six milliards d'euros par an et que l'importance de ce chiffre justifiait la mise en place de procédures de coopération inter-administratives et de contrôle.
Il a souligné que les deux accords prévoyaient des échanges de données entre les organismes de sécurité sociale et qu'ils devraient ainsi permettre de vérifier les conditions de versement des aides, la validité des attestations d'affiliation et donc l'absence de fraude aux prélèvements sociaux. Grâce aux échanges de données, les Urssaf pourront faire procéder au recouvrement des cotisations dues en République tchèque ou en Belgique et inversement pour les organismes tchèques et belges. Enfin, les organismes de protection sociale, caisses d'assurance maladie ou caisses d'allocations familiales, notamment, pourront s'assurer des conditions de résidence ou mieux contrôler les ressources, y compris les revenus de source étrangère, lors de la demande de prestations. Les caisses d'assurance maladie pourront mieux lutter contre les fausses déclarations de maladie et les demandes de remboursement de soins qui n'ont pas été dispensés dans l'autre Etat.
En conclusion, M. Michel Boutant, rapporteur, a proposé d'adopter les deux projets de loi, selon la procédure simplifiée.
M. Robert del Picchia a déclaré que la République tchèque comptait autant de ressortissants français que la France de ressortissants tchèques.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission a alors adopté les deux projets de loi et proposé que ces textes fassent l'objet d'une procédure d'examen simplifiée en séance publique.
Accord entre la France et la Chine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements - Examen du rapport
La commission a ensuite procédé à l'examen du rapport de M. Bernard Piras sur le projet de loi n° 274 (2009-2010), adopté par l'Assemblée nationale, autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements.
M. Bernard Piras, rapporteur, a indiqué que cet accord s'inscrivait dans un double contexte : un contexte international d'abord, avec la crise financière et économique mondiale, qui a conduit à une diminution sensible des flux d'investissements directs étrangers et qui a mis en évidence l'impératif d'une régulation financière mondiale.
Un contexte national ensuite, puisque les relations franco-chinoises ont connu une certaine « éclipse », avec notamment le report par la Chine du Sommet avec l'Union européenne, qui devait se tenir sous la présidence française, le 1er décembre 2008. Il s'agissait là d'un signe de protestation à l'égard de la rencontre du Président de la République avec le Dalaï-lama à Gdansk.
Lors de sa visite à Pékin, du 20 au 22 décembre dernier, le Premier ministre a publiquement souhaité « tourner la page des malentendus ». Il a d'ailleurs annoncé, à cette occasion, la venue du Président de la République à l'Exposition universelle de Shanghai.
Au cours de cette visite officielle marquée par la signature de plusieurs grands contrats portant sur plus de 6 milliards d'euros, le Premier ministre a également évoqué prudemment la question des droits de l'homme, comme les dissidents emprisonnés ou la répression chinoise au Tibet.
M. Bernard Piras, rapporteur, a ensuite évoqué la situation économique de la Chine et l'état des relations économiques franco-chinoises.
Avec une croissance à deux chiffres entre 2003 et 2007, et autour de 9 % en 2008 et en 2009, la Chine est en passe de devenir la deuxième puissance économique mondiale, après les Etats-Unis.
Le produit intérieur brut chinois a atteint près de 5 000 milliards de dollars en 2009 et pourrait bientôt dépasser celui du Japon.
En dépit de son attractivité, la Chine n'est pourtant qu'une destination relativement marginale de l'investissement français, a toutefois relevé M. Bernard Piras.
La France se hisse en effet au quatorzième rang des investisseurs en Chine -le quatrième parmi les pays européens- qui est la dix-neuvième destination des investissements directs étrangers français.
Aujourd'hui, 7 200 entreprises françaises, dont 4 500 PME, exportent en Chine. Environ 850 entreprises françaises sont implantées dans ce pays, dont la moitié dans la région de Shangai, notamment dans les domaines de l'énergie, de l'assainissement, de la finance, de la distribution et de l'automobile, tandis qu'une cinquantaine d'entreprises chinoises sont présentes en France, en particulier dans le secteur des télécommunications. Les échanges avec la Chine expliquent la moitié du déficit commercial de la France.
M. Bernard Piras, rapporteur, a enfin évoqué l'origine et le contenu de l'accord sur la promotion et la protection des investissements.
Il a rappelé que la Chine s'était longtemps montrée fermée à toute renégociation de l'ancien accord d'investissement avec la France, qui date de 1984, mais que, depuis quelques années, elle s'avérait disposée à mettre ses traités en conformité avec les normes généralement admises en la matière. La Chine est ainsi devenue membre de l'Organisation mondiale du commerce en 2001.
La France avait donc tout intérêt à renégocier un accord plus protecteur pour ses propres investisseurs, les plaçant sur un pied d'égalité avec ceux d'autres États bénéficiant d'une protection élargie, comme l'Allemagne ou les Pays-Bas. En outre, l'accord de 1984 n'était plus conforme aux dispositions du droit communautaire relatives au libre transfert des capitaux.
M. Bernard Piras, rapporteur, a estimé que le nouvel accord permettra de renforcer la protection des investisseurs français en Chine et de contribuer ainsi à l'essor des relations économiques entre les deux pays.
Tout d'abord, cet accord protège les entreprises contre le risque politique : il interdit toute expropriation arbitraire et assure une indemnisation appropriée de toute dépossession.
Ensuite, il comporte la clause de traitement de la nation la plus favorisée et la clause de traitement national, gages d'une compétition économique équitable.
Le texte comprend en outre la clause de libre transfert, essentielle pour que les entreprises françaises actives en Chine tirent les pleins bénéfices de leur implantation.
Enfin, cet accord ouvre des voies de recours juridique, y compris devant l'arbitrage international, aux investisseurs français, dans le cas d'un éventuel différend avec la Chine.
Suivant les conclusions du rapporteur, la commission a alors adopté le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance plénière.
Accord entre la France et la Roumanie relatif à la protection des mineurs roumains isolés - Examen du rapport
La commission a d'abord procédé à l'examen du rapport de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur le projet de loi n° 500 (2007-2008) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Roumanie relatif à une coopération en vue de la protection des mineurs roumains isolés sur le territoire de la République française et à leur retour dans leur pays d'origine ainsi qu'à la lutte contre les réseaux d'exploitation concernant les mineurs.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a rappelé qu'elle avait déjà présenté le contenu de cet accord, signé le 1er février 2007 et ratifié par le gouvernement roumain en octobre de la même année, devant la commission le 13 mai 2009, mais qu'elle avait alors fait part d'un certain nombre d'interrogations concernant son contenu, préoccupations qui avaient d'ailleurs été partagées par plusieurs membres de la commission. Celle-ci avait alors décidé de reporter sa décision et l'avait chargée de suivre les évolutions de ce dossier et de présenter un nouveau rapport à une date ultérieure.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que, depuis cette date, elle avait eu de nombreux entretiens avec les responsables chargés de ce dossier au ministère de l'immigration, mais aussi avec la défenseure des enfants, Mme Dominique Versini, les représentants des associations, des magistrats, mais aussi des membres du groupe de travail sur la situation des mineurs étrangers isolés, mis en place par le ministre de l'immigration M. Eric Besson et qui a remis ses premières conclusions en octobre 2009. Elle a également indiqué qu'elle avait effectué, les 18 et 19 février 2010, un déplacement en Roumanie spécifiquement consacré à ce sujet, au cours duquel elle avait pu s'entretenir avec la secrétaire d'Etat à la justice, le secrétaire d'Etat chargé des affaires européennes, le président de l'autorité nationale de protection de la famille et des droits de l'enfant, le magistrat français détaché au ministère roumain de la justice, ainsi qu'avec de nombreuses autres personnalités. A cet égard, elle a rendu hommage au travail réalisé par les services de l'ambassade de France et les magistrats français en Roumanie.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a rappelé que la France et la Roumanie avaient signé cet accord le 1er février 2007, afin de renouveler un précédent accord conclu en 2002 pour une période de trois ans et arrivé à échéance.
Elle a rappelé que le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait fait son apparition à la fin des années 1990, et que cette présence se traduisait notamment par le pillage systématique des parcmètres parisiens, puis par des activités de prostitution sur la voie publique.
Elle a indiqué que, s'il était difficile d'avancer des chiffres fiables, les mineurs roumains représentaient alors l'écrasante majorité des mineurs isolés sur le sol français, avec une population estimée entre 3 000 et 5 000 personnes, provenant dans leur grande majorité d'une région située au Nord-ouest de la Roumanie, inscrite dans une longue tradition de migration. Les mineurs roumains isolés étaient particulièrement vulnérables et exposés à un basculement dans la délinquance et dans des réseaux d'exploitation.
Elle a souligné que, face à ce phénomène, les autorités françaises et roumaines avaient réagi par l'intensification de leur coopération bilatérale en matière policière, judiciaire et de protection des mineurs, ce qui s'est traduit par la signature d'une série d'accords, dont l'accord du 4 octobre 2002 relatif à la protection des mineurs roumains sur le sol français.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que l'accord de 2002 prévoyait le repérage et la protection du mineur sur le sol français, qu'il précisait que le juge des enfants pouvait décider le raccompagnement du mineur dans son pays d'origine s'il estimait que c'était la meilleure solution, qu'il formalisait la procédure de retour du mineur à laquelle les autorités roumaines prenaient une large part et qu'il mettait en place un dialogue bilatéral interministériel, avec un groupe de liaison opérationnelle, instance de coopération policière et judiciaire mais aussi d'examen de toute question de nature à renforcer la coopération entre les deux pays sur la question des mineurs.
Evoquant ensuite le bilan de l'accord de 2002, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, l'a estimé contrasté, puisqu'il avait permis une coopération bilatérale de qualité, la Roumanie ayant fait preuve d'une réelle volonté de coopération pour tenter de résoudre une question difficile. Néanmoins, le nombre de mineurs raccompagnés dans leur pays d'origine est resté très limité. Sur 313 mineurs isolés roumains susceptibles d'être concernés, seuls 44 sont rentrés dans leur pays, dont 31 dans le cadre d'un raccompagnement organisé par l'agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations (ANAEM) et 13 par d'autres moyens.
Elle a considéré que ce faible nombre tenait au fait que le raccompagnement n'était pas l'objectif premier de l'accord, qui visait avant tout la protection des mineurs isolés roumains sur le sol français. Par ailleurs, le délai de quatre mois prévu pour l'élaboration du projet de retour sur la base d'une enquête sociale était trop long pour satisfaire l'aspiration des jeunes concernés.
Elle a également rappelé que, en pleine période de préparation de son adhésion à l'Union européenne, la Roumanie avait vu sa situation évoluer considérablement, puisqu'elle avait adopté une loi de protection de l'enfance, modernisé la justice des mineurs et démantelé ses structures d'accueil héritées de l'ère Ceausescu, de sinistre réputation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a ensuite évoqué les raisons ayant conduit la France à conclure un nouvel accord en 2007.
La première raison tient à l'arrivée à échéance en février 2006 de l'accord de 2002, conclu pour une durée de trois ans. Elle a souligné que le groupe de liaison opérationnelle avait cessé de se réunir en formation bilatérale et qu'aucune demande d'identification de mineur, qui ne dépend pourtant pas de l'accord, n'était intervenue en 2007, la dynamique initiale s'était donc quelque peu épuisée.
La deuxième raison vient du fait que la Roumanie est entrée dans l'Union européenne le 1er janvier 2007 et que ce pays répond par conséquent en principe aux standards européens en matière de protection de l'enfance.
Elle a souligné que le nouvel accord de 2007 reprenait pour l'essentiel les termes de l'accord de 2002 en faisant une plus large place aux autorités roumaines dans la procédure de retour. Elle a indiqué que cet accord visait à accélérer cette procédure en prévoyant une modification substantielle, puisque si l'accord de 2002 confiait au seul juge des enfants la responsabilité d'autoriser le rapatriement du mineur, au titre de sa compétence pour tout ce qui concerne l'assistance éducative, l'article 4 de l'accord de 2007 modifiait la répartition des pouvoirs entre siège et parquet en prévoyant que le parquet des mineurs peut faire droit à une demande de rapatriement du mineur de la part des autorités roumaines, l'intervention du juge des enfants restant donc possible, mais n'étant plus systématique.
Elle a rappelé que, en droit interne, le parquet disposait de la capacité de prendre des mesures de protection en cas d'urgence, ces mesures devant, en application du code civil, être confirmées ou rapportées par le juge des enfants dans un délai de huit jours. Elle a estimé qu'il était peu probable, même si les autorités roumaines faisaient preuve de diligence, que la demande de raccompagnement intervienne pendant le délai de retenue du mineur. Dans l'hypothèse où le mineur n'est plus localisé à la réception de la demande roumaine, l'accord prévoit qu'il sera inscrit au fichier du système d'information Schengen et pourra être raccompagné sur instruction du parquet en cas de découverte ultérieure.
Abordant ensuite les éléments nouveaux recueillis à l'occasion de ses nombreux entretiens et de son déplacement en Roumanie, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a tout d'abord souligné que, si le phénomène des mineurs roumains isolés sur le territoire français avait connu une nette décrue entre 2002 et 2008, avec l'apparition de mineurs isolés afghans, kurdes, chinois ou encore africains, ce phénomène semblait connaître une augmentation sensible ces derniers mois, puisque selon les données dont elle dispose, le nombre de mineurs roumains mis en cause dans des infractions sur le territoire a augmenté de plus de 57 % au premier semestre de l'année 2009 par rapport aux chiffres de 2008.
Concernant ensuite la modification de l'équilibre entre le juge du siège et le parquet dans la procédure, qui a soulevé les craintes des associations et sur laquelle elle avait elle-même fait part de ses préoccupations lors de l'examen de son rapport en mai 2009, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, tout en continuant de regretter cette modification et en relevant d'ailleurs que la secrétaire d'Etat à la justice roumaine s'était montrée disposée à modifier le texte de la convention sur ce point, a souhaité toutefois nuancer sa portée pratique.
Elle a rappelé que l'intervention du Parquet en matière de protection des mineurs existait déjà en droit interne, en vertu de l'article 375-5 du code civil, en cas d'urgence, même si le juge des enfants est amené ensuite à confirmer la décision du Parquet dans un délai de huit jours. En pratique, l'accord permettra au Parquet de solliciter très vite des autorités roumaines une enquête sociale.
Elle a également fait valoir que l'identification du mineur isolé et de sa famille et la réalisation de l'enquête sociale, qui reste un préalable nécessaire au retour du mineur dans son pays d'origine aux termes de la loi roumaine, ne sauraient être effectuées dans un délai aussi court, si bien que le juge des enfants sera très certainement amené à intervenir dans la procédure.
Enfin, elle a estimé que la procédure prévue en matière de retour des mineurs isolés dans leur pays d'origine, même en cas de retenue du mineur, ne saurait s'assimiler à une procédure d'expulsion déguisée de mineurs délinquants sous l'autorité du Parquet et sans leur consentement, étant donné que le recueil des éléments nécessaires et l'organisation pratique du retour n'étaient pas envisageables dans des délais aussi courts.
Tout en regrettant la présence de cette disposition, qui a donné des arguments aux détracteurs de cet accord, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que le retard mis par la France pour le ratifier suscitait une forte incompréhension de la part des autorités roumaines, qui étaient très désireuses de renforcer leur coopération avec notre pays sur ce sujet.
Elle a donc plaidé en faveur de sa ratification en estimant que seule une entrée en vigueur rapide de cet accord pourrait permettre de relancer la coopération entre la France et la Roumanie sur ce dossier.
En particulier, elle a déploré que, en l'absence de ratification de l'accord, les échanges d'informations, la coopération bilatérale et le rapatriement des mineurs soient actuellement bloqués et elle a estimé que la ratification de cet accord permettrait de relancer le groupe de liaison opérationnelle, qui avait permis des progrès importants en matière de protection de l'enfance en Roumanie, par exemple sur la qualité des enquêtes sociales.
Elle a rappelé que la situation des mineurs isolés était un sujet très délicat qui variait beaucoup en fonction des situations et que, dans certains cas, il n'était pas certain que le placement de ces mineurs au sein des structures françaises d'accueil soit la meilleure solution, surtout si ces mineurs ont encore des proches dans leur pays, en mentionnant des exemples de fugues ou de situations dans lesquelles ces mineurs, lorsqu'ils demeurent sur notre territoire, retombent entre les mains des réseaux qui les exploitent.
Dans certaines situations, et sous réserve de son consentement, le retour au sein de sa famille dans son pays d'origine répond à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Elle a également estimé que l'accord de 2007 visait précisément à répondre à ce type de situation en accélérant la procédure de rapatriement des mineurs isolés, tout en conservant toutes les garanties nécessaires pour que ce retour se fasse dans les meilleures conditions.
Elle a rappelé, en particulier, que le retour du mineur roumain nécessitera toujours une enquête sociale préalable, aux termes de la loi roumaine, et que ce mineur sera pris en charge par les autorités roumaines dès son arrivée dans son pays.
Elle a également fait valoir que la législation roumaine prévoyait un suivi renforcé des mineurs qui sont retournés dans leur pays, pendant une durée d'au moins six mois, ainsi que l'information des autorités françaises sur leur situation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, s'est enfin déclarée profondément persuadée que la question de la protection des mineurs étrangers isolés nécessite une intervention de l'Union européenne, puisque, dans un espace de libre-circulation des personnes, le risque existe de voir ces mineurs revenir à nouveau sur le sol français quelques semaines ou quelques mois plus tard, si les conditions qui les ont conduit à quitter leur pays sont toujours réunies.
Elle a fait valoir que cela concernait en particulier la situation des jeunes Roms, qui représentent une véritable difficulté et un défi pour l'Europe entière, et dont il n'est pas certain que la Roumanie, qui n'est pas le seul pays concerné, soit mieux armée que la France pour y faire face.
Toutefois, elle a estimé que dans l'attente d'un cadre européen, la coopération bilatérale menée ces dernières années entre la Roumanie et plusieurs pays européens, comme la France, ou l'Espagne et l'Italie, qui ont conclu des accords similaires fondés sur le modèle de celui signé précédemment par la France, constituait une nécessité, comme l'a rappelé le secrétaire d'Etat aux affaires européennes, M. Pierre Lellouche, lors de son récent déplacement dans ce pays.
En conclusion, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a estimé que le principal intérêt de cet accord était de renforcer la coopération entre la France et la Roumanie sur ce dossier sensible et qui suscite une forte attente de la part des autorités roumaines, comme elle avait pu le constater lors de son déplacement dans ce pays.
Toutefois, il lui semble nécessaire d'insister, tant pour des considérations de principe que d'efficacité, sur l'intervention du juge des enfants dans la procédure.
Sous le bénéfice de ces remarques, elle a recommandé à la commission l'adoption du présent projet de loi et que son examen en séance publique s'effectue sous forme simplifiée afin de permettre une entrée en vigueur rapide de cet accord.
A la suite de cette intervention, un débat s'est engagé au sein de la commission.
M. Josselin de Rohan , président, s'étant interrogé sur la manière dont ces mineurs roumains se retrouvent isolés sur le territoire français, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a répondu qu'il existait une diversité de situations, avec des enfants issus de familles vivant souvent dans la misère dans des zones rurales partant à l'étranger dans l'espoir de trouver une vie meilleure, des mineurs en errance cherchant à échapper à des problèmes familiaux ou judiciaires, mais aussi des enfants victimes de véritables réseaux, qui font traverser les frontières et qui utilisent et exploitent ces mineurs pour la mendicité, le vol ou la prostitution.
Elle a donc estimé indispensable de renforcer la coopération policière et judiciaire entre la France et la Roumanie afin de démanteler les filières et les réseaux qui exploitent ces enfants.
Elle a mentionné la réelle détermination des autorités roumaines à lutter contre ce fléau et à favoriser la réinsertion des mineurs à leur retour.
M. Josselin de Rohan, président, ayant évoqué les mineurs roms, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a répondu que la question des mineurs roms était spécifique à bien des égards. Elle a indiqué que, contrairement à certains mineurs roumains qui se retrouvent isolés sur le territoire français, les jeunes Roms vivaient souvent avec des proches dans des campements ou des caravanes.
Mme Catherine Tasca a fait part de ses fortes préoccupations au sujet de cette convention, au regard des rôles respectifs du juge des enfants et du Parquet dans la procédure de raccompagnement du mineur.
Elle a contesté l'idée de confier au Parquet la possibilité d'autoriser le rapatriement du mineur en estimant que le juge des enfants devait conserver la responsabilité d'autoriser le rapatriement du mineur au titre de sa compétence pour tout ce qui concerne l'assistance éducative, au regard des principes fondamentaux de notre droit et des obligations internationales.
Relevant que d'après le rapporteur les autorités roumaines s'étaient montrées disposées à modifier le texte de la convention sur ce point, si cela pouvait permettre de lever certaines réticences et de ratifier cet accord, elle s'est interrogée sur les motivations ayant conduit les autorités françaises à introduire cette modification et s'est demandée s'il ne serait pas opportun de revenir sur celle-ci au moyen d'un autre accord.
Elle s'est également interrogée sur les véritables objectifs poursuivis par le projet de loi.
Elle a estimé que, sur un sujet de cette importance, qui touche à des principes fondamentaux de notre droit, un débat était indispensable et elle a donc souhaité que ce projet de loi fasse l'objet d'un débat en séance publique.
M. Josselin de Rohan, président, a alors pris acte de cette demande.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a précisé que le retard pris par la France dans la ratification de cet accord, signé en 2007, et l'impératif d'un renforcement de la coopération bilatérale franco-roumaine justifiaient une procédure rapide afin de permettre au plus vite une entrée en vigueur de cet accord et une relance de la coopération bilatérale sur ce dossier, en particulier le groupe de liaison opérationnel. Elle a estimé qu'une modification de l'accord présenterait l'inconvénient de retarder encore sa mise en oeuvre.
Elle a regretté la modification de l'équilibre entre le juge du siège et le Parquet, qui résulte d'une demande du ministère français de la justice, tout en rappelant qu'une telle intervention existait déjà dans notre droit en cas d'urgence et qu'en pratique le juge des enfants sera très vraisemblablement amené à intervenir dans la procédure et à autoriser le raccompagnement, compte tenu du délai de huit jours.
M. Daniel Reiner s'est demandé s'il n'était pas possible de renforcer la coopération bilatérale entre la France et la Roumanie en matière de protection des mineurs isolés, indépendamment du sort réservé à cette convention.
Il a également rappelé que de nombreuses associations et institutions reconnues avaient dénoncé cette convention, notamment concernant le rôle du juge des enfants, et avaient critiqué son efficacité en matière de protection des mineurs.
Il s'est également interrogé sur l'évolution du nombre de mineurs isolés et la part des mineurs roumains au sein de cette population.
Par ailleurs, il a estimé que seule une intervention au niveau de l'Union européenne permettrait réellement de répondre au problème des mineurs isolés, notamment de la communauté rom, compte tenu de la libre circulation des personnes.
En réponse, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur, a indiqué que si une action de l'Union européenne était effectivement indispensable, comme elle l'avait d'ailleurs souligné dans son intervention, l'absence d'une telle action ne devait pas pour autant dispenser les Etats de nouer des coopérations bilatérales, à l'image de celles existantes entre la Roumanie et l'Italie ou l'Espagne. Elle a d'ailleurs mis en avant le fait que ces pays avaient signé des accords avec la Roumanie, fondés sur le modèle de celui conclu précédemment avec la France.
Elle a estimé que seule la ratification de cet accord, qui est fortement attendue de la part des autorités roumaines, permettrait de renforcer la coopération bilatérale entre nos deux pays, en matière d'échanges d'informations, d'identification de ces mineurs ou de leur famille ou encore de raccompagnement de ces enfants dans leur pays d'origine.
A l'issue de ce débat, la commission a adopté, le groupe socialiste s'abstenant, le projet de loi et proposé qu'il fasse l'objet d'un débat en séance publique.
Mercredi 24 février 2010
- Présidence de M. Josselin de Rohan, président -Désarmement et non-prolifération nucléaire - Examen du rapport d'information
Lors d'une première séance tenue dans la matinée, la commission a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Jean-Pierre Chevènement sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France.
M. Josselin de Rohan, président, a rappelé que, dans la perspective de la prochaine Conférence quinquennale d'examen du traité de non-prolifération nucléaire (TNP), le débat international s'était intensifié sur les questions de désarmement et de non-prolifération nucléaire. Le président Obama a marqué les esprits en évoquant, à Prague, en avril 2009, la perspective d'un monde sans armes nucléaires, mais on mesure aujourd'hui les conditions nombreuses à réunir et les obstacles à franchir pour aller dans ce sens, alors que le cas de la Corée du Nord ou celui de l'Iran montrent combien il est difficile de maîtriser la prolifération nucléaire. Cette échéance internationale importante justifiait que la commission, à travers un rapport d'information, mette à la disposition du Sénat un document d'analyse complet et actualisé et qu'elle se prononce sur les positions que la France devrait adopter. Pour cette même raison, un débat sur le désarmement, la non-prolifération nucléaire et la sécurité de la France sera organisé, à sa demande, en séance publique le mardi 23 mars 2010.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a indiqué que la 8ème Conférence d'examen du TNP se déroulerait à New-York du 3 au 28 mai 2010. Alors que la précédente, en 2005, avait été considérée comme un échec, faute de progrès ou d'engagements sur les différents aspects de la mise en oeuvre du traité, la Conférence d'examen de mai prochain semble devoir se dérouler sous des auspices plus favorables et a suscité des attentes. Le rapport d'information vise à éclairer de manière aussi complète et objective que possible les enjeux des différentes questions en débat, sachant que certains éléments importants restent encore à préciser, comme la teneur exacte du futur accord américano-russe destiné à succéder à l'accord START I, dont la conclusion, prévue pour décembre 2009, a pris du retard, ou encore la « Nuclear Posture Review » devant déterminer les orientations de l'administration américaine en matière nucléaire militaire.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a indiqué que la partie introductive du rapport d'information visait à dresser un état des lieux, vingt ans après la guerre froide, du désarmement et de la non-prolifération nucléaire. Il en a résumé les principales caractéristiques.
Tout d'abord, le volume total des arsenaux nucléaires a été réduit des deux-tiers par rapport à son point culminant au cours de la guerre froide. Selon les estimations, les Etats-Unis (9 400 armes nucléaires) et la Russie (13 000 armes nucléaires) détiennent à eux seuls environ 96 % des armes nucléaires. Le désarmement américano-russe s'est effectué dans le cadre de plusieurs accords bilatéraux : le traité sur les forces nucléaires intermédiaires (FNI) de 1987, l'accord START I de 1991 et le traité SORT de 2002. Un traité « post-START », en cours de conclusion, devrait ramener le nombre de têtes nucléaires opérationnellement déployées des Etats-Unis et de la Russie à un maximum compris entre 1 500 et 1 675 sur une période de sept ans. Il faut toutefois apprécier avec prudence les plafonds fixés par ces accords. Ils ne comprennent pas les armes en réserve des deux Etats, ni les armes nucléaires tactiques qui restent en nombre considérable dans l'arsenal russe.
La France (moins de 300 têtes nucléaires) et le Royaume-Uni (moins de 200) ont diminué de leur propre initiative le format de leurs forces nucléaires, calibrées selon un principe de stricte suffisance ou de dissuasion minimale.
La Chine est, en revanche, la seule puissance nucléaire reconnue par le TNP à ne pas réduire son arsenal. Elle cherche à se doter d'une capacité de seconde frappe en améliorant sa composante sol-sol et en se dotant d'une composante sous-marine.
L'Inde et le Pakistan, qui n'ont jamais signé le TNP, ont officialisé par des essais, en 1998, leur capacité nucléaire et disposent chacun de quelques dizaines de têtes nucléaires. Israël, troisième Etat non signataire du TNP, dispose également d'une capacité nucléaire présumée, qu'il n'a jamais officiellement reconnue.
Enfin, la Corée du Nord s'est retirée du TNP en 2003 et a réalisé deux essais nucléaires en 2006 et 2009, sans pour autant disposer, selon les experts, d'armes nucléaires véritablement opérationnelles. Comme l'Inde et le Pakistan, elle développe ses capacités balistiques.
Le TNP, qui constitue le môle de l'ordre nucléaire mondial, a ainsi ralenti la prolifération nucléaire, sans pour autant l'empêcher. L'adhésion de la quasi-totalité des Etats et sa prorogation indéfinie en 1995 ont permis de le consolider. Les facteurs de fragilisation demeurent cependant, avec les crises nord-coréenne et iranienne, qui montrent les limites de l'autorité de l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), alors qu'un nombre important d'Etats n'ont toujours pas accepté les procédures de vérification renforcées prévues par le modèle de protocole additionnel dit « 93+2 ». De manière plus générale, le TNP fait l'objet d'une contestation latente mettant moins en cause la distinction entre puissances nucléaires reconnues par le traité et Etats non dotés que la dépendance des Etats désireux d'accéder aux bénéfices des usages pacifiques de l'énergie nucléaire vis-à-vis des Etats détenteurs de technologies. Le traitement particulier accordé à l'Inde, Etat non signataire du TNP avec lequel ont néanmoins été conclus des accords de coopération nucléaire civile, a été critiqué. Toutefois, les engagements pris par l'Inde en contrepartie ont permis à ce pays, qui reste en dehors du TNP, de se rapprocher du régime international de non-prolifération nucléaire.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a estimé que, en dépit de ses imperfections et de ses fragilités, le TNP demeurait un instrument irremplaçable pour la sécurité internationale, aucun Etat n'ayant intérêt à voir, dans sa région, l'un de ses voisins se doter de l'arme nucléaire. Considérant qu'il ne pouvait y avoir d'autre alternative que de soutenir et de consolider le TNP, il a souligné la nécessité de faire avancer trois objectifs :
- progresser sur la voie du désarmement général et nucléaire ;
- assurer l'accès de tous les Etats qui le souhaitent aux bénéfices de l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire ;
- garantir la sécurité des Etats en luttant contre la prolifération, mais aussi en traitant les causes profondes qui la sous-tendent.
S'agissant des perspectives de désarmement nucléaire, M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a indiqué qu'elles paraissaient avoir été relancées après le discours du président Obama à Prague. Toutefois, il fallait lire ce discours dans son intégralité pour bien comprendre que le président Obama, tout en souhaitant un monde sans armes nucléaires, ne pensait pas le voir de son vivant et attachait à la lutte contre la prolifération, aux risques liés au terrorisme nucléaire et, bien entendu, au maintien de la sécurité des Etats-Unis et de leurs alliés, au moins autant d'importance qu'au désarmement.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a estimé que l'on ne pouvait proclamer un objectif de désarmement nucléaire sans s'attacher d'une part à réunir les conditions qui pourraient concrètement le rendre accessible, et d'autre part à maintenir pour tous les Etats un niveau de sécurité au moins égal à celui qui était assuré par les armes nucléaires.
Il a ainsi considéré qu'il fallait dans un premier temps chercher à aller vers une « zone de basse pression nucléaire », dans le cadre d'un processus graduel.
La première priorité à cet effet serait de réduire beaucoup plus significativement les arsenaux américain et russe, qui représentent à eux seuls un peu plus de 22 000 armes nucléaires contre à peine plus d'un millier pour les autres puissances nucléaires réunies. Le futur traité « post-START », annoncé dans les prochaines semaines, ne représente qu'un pas modeste en ce sens, et des réductions plus ambitieuses seront nécessaires ultérieurement. Le développement de la défense antimissile par les Etats-Unis constitue à cet égard un frein à la diminution des forces nucléaires russes.
La question du lien entre les réductions bilatérales américano-russe et la situation des arsenaux, beaucoup plus modestes, des autres puissances nucléaires, ne pourrait se poser qu'une fois les forces des deux principales puissances nucléaires ramenées, tous types d'armes confondus, à quelques centaines d'armes nucléaires.
Un deuxième pas important serait la ratification par les Etats-Unis, comme l'a souhaité le président Obama, du traité d'interdiction complète des essais nucléaires (TICE), signé en 1996. Cette ratification, rejetée une première fois par le Sénat en 1999, serait cruciale, car elle pourrait entraîner celle d'autres Etats clefs comme la Chine, l'Inde ou le Pakistan. Elle redonnerait une crédibilité à l'entrée en vigueur à moyen terme d'un traité susceptible de faire obstacle à l'amélioration qualitative des armes nucléaires. Pour l'heure, la majorité qualifiée nécessaire à cette ratification n'est pas assurée au Sénat américain et l'examen du traité est repoussé à 2011.
Enfin, la relance du désarmement exigerait la conclusion d'un traité d'interdiction de la production de matières fissiles pour les armes nucléaires (TIPMF) qui garantirait quant à lui le plafonnement quantitatif des arsenaux. L'ouverture de la négociation est actuellement entravée par le Pakistan, qui considère qu'un tel traité figerait un déséquilibre en sa défaveur avec l'Inde. En l'attente de la conclusion d'un tel traité, tous les Etats qui ne l'ont pas encore fait devraient déclarer un moratoire sur la production de matières fissiles.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a souligné qu'un deuxième axe d'effort à promouvoir lors de la Conférence d'examen du TNP devrait porter sur la relance des usages pacifiques de l'énergie nucléaire, qui fonde la légitimité du traité et répond à l'attente d'un nombre croissant de pays. Il a rappelé que la France agissait, à travers de nombreux accords de coopération, pour un développement sûr et responsable de l'énergie nucléaire. Il a précisé que les nouvelles générations de réacteurs présentaient un haut degré de garantie en matière de sûreté et de non-prolifération. Il a insisté pour que des assurances soient rapidement données aux pays demandeurs en ce qui concerne les garanties d'approvisionnement en combustible nucléaire. Les projets évoqués depuis plusieurs années de mécanismes multilatéraux et de « banques du combustible » doivent désormais se concrétiser. Des installations d'enrichissement et de retraitement à statut international pourraient également être réalisées sur une base régionale. En ce qui concerne les transferts des technologies sensibles du cycle du combustible (enrichissement et retraitement), il serait désormais temps de lever le moratoire décrété depuis 2004 par le G8 et de le remplacer par des règles claires autorisant ces transferts sous un certain nombre de conditions bien définies, telles que l'existence d'un programme électronucléaire crédible et l'adhésion aux normes les plus élevées de sûreté, de sécurité et de non-prolifération.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a estimé que le troisième objectif, lors de la Conférence d'examen, devait être d'assurer le maintien de l'ordre nucléaire mondial, incarné par le TNP.
Cet objectif passe au moins par quatre types d'actions.
Il faut tout d'abord renforcer la mobilisation internationale autour de la résolution des crises iranienne et nord-coréenne, potentiellement très déstabilisatrices dans la mesure où elles pourraient entraîner une prolifération en cascade, d'autres Etats des régions concernées considérant ne plus devoir être liés par le TNP.
Il faut ensuite consolider le régime international de non-prolifération nucléaire, en incitant les Etats non signataires à s'en rapprocher, comme l'a fait l'Inde en souscrivant à divers engagements, mais aussi en accentuant les moyens de vérifier et d'assurer le respect du TNP. La généralisation du protocole additionnel aux accords de garanties, l'encadrement du droit de retrait et l'attribution à l'AIEA de moyens humains, techniques et financiers en rapport avec sa mission sont, de ce point de vue, essentiels.
Troisièmement, la politique de contre-prolifération, avec des actions telles que la mise en oeuvre de la résolution 1540 du Conseil de sécurité des Nations unies ou la Proliferation Security Initiative (PSI), doit être poursuivie, de même que la lutte contre les autres formes de prolifération, chimique, biologique, balistique, qui ont un effet très déstabilisant au plan régional.
Enfin, au-delà du renforcement des instruments internationaux et des mesures préventives ou coercitives, il est indispensable d'agir sur les déterminants régionaux de la prolifération nucléaire. La normalisation des relations entre l'Inde et le Pakistan, la création d'un Etat palestinien et la reconnaissance d'Israël par les Etats arabes et par l'Iran, la poursuite du dialogue avec ce dernier en vue d'obtenir des engagements solides permettant d'envisager une levée des sanctions, enfin une approche globale de l'organisation de la sécurité en Asie de l'Est sont autant de points clefs pour l'obtention de réels résultats en matière de désarmement nucléaire, alors que les risques de prolifération et d'accroissement des arsenaux nucléaires se concentrent sur le Moyen-Orient et sur l'Asie.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a conclu sur les positions que la France et l'Europe devaient à ses yeux défendre lors de la Conférence d'examen.
Il a estimé que la France présentait un bilan exemplaire en matière de désarmement : réduction de moitié de ses forces nucléaires, avec l'abandon de la composante sol-sol et la diminution des composantes sous-marine et aéroportée ; transparence sur le volume de son arsenal ; ratification du TICE et démantèlement des sites d'essais, arrêt de la production de matières fissiles et démantèlement des usines de fabrication. Elle peut donc aborder sans aucun complexe la Conférence d'examen. Elle n'a en aucun cas à adopter une attitude frileuse ou « défensive » et doit au contraire plaider pour des objectifs ambitieux, en interpellant l'ensemble de ses partenaires :
- ceux qui n'ont pas ratifié le traité d'interdiction complète des essais nucléaires, comme les Etats-Unis, la Chine, l'Inde, le Pakistan ;
- ceux qui n'ont pas définitivement cessé la production de matières fissiles militaires ou déclaré de moratoire, comme la Chine, l'Inde et le Pakistan ;
- ceux, encore nombreux, qui n'ont pas conclu de protocole additionnel avec l'AIEA ;
- ou encore les Etats-Unis et la Russie, qui conservent un nombre considérable d'armes nucléaires en réserve ou, s'agissant de la Russie, d'armes nucléaires tactiques.
La France doit insister sur les conditions à réunir pour permettre le désarmement nucléaire, dans la perspective d'un monde plus sûr.
Dimensionnées selon le principe de stricte suffisance, qui a conduit à des réductions successives, les forces nucléaires françaises n'ont pas à être prises en compte, à ce stade, dans un processus de négociation multilatérale de désarmement nucléaire. La France doit maintenir une dissuasion indépendante et se tenir en dehors du Groupe des plans nucléaires de l'OTAN.
La France ne saurait davantage renoncer à l'ambiguïté calculée de sa posture en donnant sans restriction des garanties négatives de sécurité ou, plus encore, des engagements généralisés de « non-usage en premier ».
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a également souligné la nécessité pour la France de sensibiliser ses alliés à l'intérêt de maintenir un principe de dissuasion en Europe, tant que les voisins de celle-ci n'ont pas renoncé à leurs armements nucléaires. Elle devrait également appeler ses alliés à la prudence sur les projets de développement d'une défense antimissile balistique en Europe, dans le cadre de l'OTAN. Ces projets pourraient entraîner les Européens dans des dépenses considérables sans garantir une couverture absolue. Ils pourraient générer un illusoire sentiment de protection nuisible à l'esprit de défense.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a indiqué que ces différentes conclusions et préconisations seraient détaillées dans son rapport écrit.
A la suite de cet exposé, M. Xavier Pintat a souligné la nécessité de prendre en compte des réalités telles que le maintien d'arsenaux nucléaires très importants aux Etats-Unis et en Russie, l'accroissement de l'arsenal chinois et les risques de la prolifération, qui rendent la perspective d'un monde sans armes nucléaires inaccessible à court terme. Il a estimé qu'il serait dangereux pour la France, dans ces conditions, de s'engager dans une démarche unilatérale de désarmement alors que ses forces nucléaires sont définies à un niveau de stricte suffisance. Il a souhaité savoir à quelles conditions, aux yeux du rapporteur, pourrait se poursuivre un mouvement de réduction globale du nombre d'armes nucléaires. Par ailleurs, M. Xavier Pintat s'est étonné que le rôle de la dissuasion nucléaire soit assez peu évoqué dans les débats sur la révision du concept stratégique de l'OTAN. Ce rôle ne saurait être aussi central que durant la guerre froide, mais la dissuasion est un élément important de la sécurité collective des membres de l'Alliance. Enfin, il a estimé que sans se substituer à la dissuasion, la défense antimissile pouvait jouer un rôle complémentaire par rapport à celle-ci. Il a rappelé les compétences technologiques françaises en ce domaine et considéré qu'elles mériteraient de pouvoir être valorisées, si l'OTAN s'engageait dans des développements sur une défense antimissile du territoire européen.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a indiqué que le traité « post-START », en cours de négociation, ne devait constituer, dans l'esprit des Etats-Unis et de la Russie, qu'une étape vers des réductions plus substantielles de leurs arsenaux nucléaires. La Russie ne devrait pas s'engager, toutefois, dans des réductions drastiques. Elle s'inquiète des développements possibles de la défense antimissile aux Etats-Unis et souhaite conserver une capacité de frappe suffisante pour garantir la crédibilité de sa dissuasion. Même si elle est certainement disposée à en réduire le nombre, elle n'entend pas abandonner ses armes nucléaires tactiques qui compensent son infériorité conventionnelle et jouent un rôle sur sa frontière orientale et vis-à-vis du « proche étranger ». Les Etats-Unis, pour leur part, doivent tenir compte du niveau de l'arsenal russe et des besoins liés à la dissuasion élargie au bénéfice de leurs alliés en Europe et en Asie. Il est peu probable qu'un arsenal réduit à 500 têtes nucléaires, comme on l'évoque parfois, permette aux Etats-Unis de disposer des options nécessaires à l'exercice de cette dissuasion élargie. S'agissant de la défense antimissile, elle pourrait donner une illusion trompeuse de protection, comme la ligne Maginot, et représenterait un coût important pour une garantie incertaine. Il est en revanche nécessaire de maintenir dans la stratégie de l'OTAN un concept de dissuasion qui est essentiel à la garantie de défense collective prévue par l'article 5 du traité de Washington.
M. Josselin de Rohan, président, a estimé qu'une double pression risquait de s'exercer sur les pays européens de l'OTAN : l'une pour opérer le retrait des armes nucléaires américaines stationnées sur le territoire européen, et l'autre pour s'engager dans un programme de défense antimissile du territoire européen. Il a estimé que dans le difficile contexte budgétaire actuel, cette situation imposait une vigilance particulière sur le maintien de notre capacité de dissuasion nucléaire. Il a également considéré que le futur concept stratégique de l'OTAN ne devrait pas faire l'impasse sur la dissuasion nucléaire.
Mme Josette Durrieu a estimé qu'on ne pouvait défendre le maintien de l'ordre nucléaire mondial sans se pencher sur les situations régionales qui le fragilisent. Cela est particulièrement évident pour le Moyen-Orient. La possession de l'arme nucléaire par Israël constitue un véritable tabou. La question n'est pratiquement jamais soulevée dans les pays occidentaux, alors qu'il s'agit d'un facteur de déséquilibre majeur dans la région et un élément qui ne peut être ignoré dans le règlement du problème iranien.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a répondu qu'il insistait, dans son rapport, sur la nécessité d'apporter des réponses politiques aux situations régionales qui n'ont pas été réglées et qui ont un rôle déterminant dans la prolifération. C'est le cas bien entendu du Moyen-Orient. Le président Obama a pris des engagements, au début de son mandat, sur le conflit israélo-palestinien. Il y a un lien entre son engagement effectif dans ce dossier et la crédibilité de son discours sur le désarmement nucléaire. Il n'y aura pas de paix au Moyen-Orient sans un Etat palestinien viable et la reconnaissance d'Israël par tous les pays arabes et l'Iran. C'est à cette seule condition que l'on pourra aller vers une zone exempte d'armes de destruction massive au Moyen-Orient. Pour autant, il ne faut pas voir dans les capacités nucléaires israéliennes une menace pour les autres pays de la région, alors que Tel Aviv recherche surtout une garantie ultime de sécurité compensant l'étroitesse de son territoire. S'agissant de l'Iran, il est possible qu'il ne souhaite pas aller jusqu'à la réalisation d'une arme nucléaire et veuille seulement devenir un « pays du seuil », maîtrisant les technologies faisant de lui une puissance nucléaire potentielle. Dans ce cas, une normalisation des relations avec la communauté internationale serait possible à condition que l'Iran apporte les garanties suffisantes, telles que la ratification du TICE, le respect de l'interdiction de fabriquer des matières fissiles militaires et la pleine application des contrôles de l'AIEA, à travers un protocole additionnel.
M. Didier Boulaud a déclaré que le groupe socialiste partageait l'opinion du rapporteur sur la nécessité, pour la France, d'adopter une posture dynamique lors de la Conférence d'examen du TNP, afin d'éviter un risque de marginalisation et des pressions excessives de ses partenaires européens. Il a appelé à une vigilance particulière sur la place accordée à la dissuasion nucléaire à l'occasion de la révision du concept stratégique de l'OTAN. Il a soutenu la position du rapporteur, écartant une participation de la France au Groupe des plans nucléaires de l'OTAN. Il a estimé qu'à un moment où les contraintes budgétaires se faisaient plus fortes, il fallait veiller à éviter toute remise en cause de la dissuasion nucléaire française et la tentation, au nom des impératifs financiers, de l'abandonner au profit d'un « parapluie » américain.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a estimé que dans le contexte actuel - maintien d'arsenaux considérables en Russie et aux Etats-Unis, risque d'instabilité nucléaire au Moyen-Orient, montée nucléaire de l'Asie - la dissuasion nucléaire restait pour la France une garantie fondamentale de paix et d'indépendance. Il serait grave que face à tant d'incertitude, l'Europe néglige les exigences de sa sécurité et se démobilise. Il est nécessaire que demeurent en Europe des pays possédant une capacité de dissuasion nucléaire.
M. Christian Poncelet s'est inquiété de la volonté du régime iranien de poursuivre ses activités nucléaires en dépit des offres de dialogue du président Obama et en contradiction avec les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies. Il a estimé que l'accession de l'Iran à l'arme nucléaire amènerait inévitablement d'autres Etats de la région à se délier de leurs engagements et à envisager eux aussi un programme nucléaire militaire. Tout en appelant de ses voeux des évolutions politiques intérieures qui permettraient de rétablir la confiance entre l'Iran et la communauté internationale, il a estimé qu'un renforcement des sanctions était dans l'immédiat nécessaire. Il a regretté que la Chine s'oppose pour le moment à toute action en ce sens au sein du Conseil de sécurité.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a souligné les effets limités des sanctions ciblées actuellement édictées contre l'Iran, ainsi que l'opposition de la Chine à l'accentuation des pressions internationales.
M. André Vantomme a fait part de ses inquiétudes sur la dégradation des finances publiques et les risques qui en découlent sur les moyens de notre politique de défense, et en particulier la dissuasion.
M. Jean-Pierre Chevènement, rapporteur, a estimé que ces craintes étaient justifiées, mais qu'il serait à long terme désastreux de sacrifier la dissuasion nucléaire, qui est un élément fondamental de notre sécurité et ne représente somme toute qu'un investissement limité de l'ordre de 3,5 milliards d'euros par an, soit moins de 10 % du budget de la défense.
A la suite de ce débat, M. Josselin de Rohan, président, a indiqué que les membres de la majorité de la commission souscrivaient aux conclusions et préconisations du rapporteur.
M. André Vantomme a manifesté l'appui des membres du groupe socialiste aux conclusions du rapporteur.
M. Michel Billout a indiqué que le groupe communiste, républicain et citoyen s'abstiendrait, se réservant d'exprimer ses positions sur les différentes conclusions du rapporteur lors du débat du 23 mars en séance publique.
La commission a adopté les conclusions du rapporteur et a autorisé leur publication sous la forme d'un rapport d'information.
Audition du Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères d'Afghanistan et candidat à l'élection présidentielle de 2009
Lors d'une seconde séance tenue dans l'après-midi, la commission a procédé à l'audition du Dr Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères (2001-2006) et candidat à l'élection présidentielle de 2009 en Afghanistan.
Après avoir rappelé la carrière politique de M. Abdullah Abdullah, ancien ministre des affaires étrangères de la république islamique d'Afghanistan de 2001 à 2006, et regretté les fraudes massives de l'élection présidentielle de 2009, M. Josselin de Rohan, président, a souhaité connaître ses appréciations sur la situation politique et institutionnelle en Afghanistan et sur les possibilités de son évolution vers une démocratie qui tienne compte de ses particularités.
Il a également souhaité connaître le programme du parti que M. Abdullah Abdullah est en train de constituer et la façon dont il entend rassembler pour dépasser les clivages ethniques et tribaux.
Il a aussi voulu connaître les analyses du Dr Abdullah Abdullah sur la situation sécuritaire à un moment où les troupes afghanes et les troupes de la coalition internationale sont en train de mener une opération de grande envergure dans la province du Hemland. Quel jugement peut-on porter sur la stratégie suivie ? Quelles sont les perspectives ouvertes par l'afghanisation des forces de sécurité ? Il s'est enfin interrogé sur les relations de l'Afghanistan avec ses voisins et notamment avec le Pakistan.
Le Dr Abdullah Abdullah a tout d'abord rappelé les changements très positifs intervenus au cours des huit dernières années dans son pays en termes de retour des réfugiés, d'éducation, de santé et de reconstruction, en particulier du réseau routier. Toutefois, après 25 ans de guerre, le pays est encore en phase de « récupération » et la situation reste difficile. Dans ce contexte, en dépit du fait que l'exercice de certaines libertés n'est toujours pas possible, des changements positifs ont eu lieu. Les diverses élections ont vu la participation du peuple afghan, malgré les menaces et la tenue de grandes réunions permettant de discuter des problèmes du pays. Néanmoins, la situation sécuritaire s'est dégradée depuis cinq ans, la gouvernance laisse à désirer et le gouvernement ne respecte pas les décisions du parlement, les problèmes de narcotrafiquants, de corruption et de mafias perdurent. Cette situation a naturellement une incidence sur les gouvernements et l'opinion publique des pays occidentaux qui s'interrogent sur la pertinence et l'efficacité de leur aide.
Pourtant, il existait, à l'origine, un consensus quasi général sur le processus à suivre en Afghanistan après la chute des taliban qui dépassait les clivages ethniques et tribaux. Cette situation a changé et l'éclatement du consensus est dû à la conjugaison de trois facteurs.
La première erreur a été de ne pas utiliser des moyens locaux de sécurité et, au contraire, de démanteler tout ce qui existait au niveau local. Le Dr Abdullah Abdullah a rappelé que les effectifs de la coalition occidentale en 2001 ne dépassaient pas 10 000 hommes. Le second facteur de déstabilisation s'explique par le double jeu du président Pervez Musharraf qui a aidé les taliban qui s'étaient réfugiés dans les zones tribales. Enfin, l'effort des nations de la coalition s'est reporté en partie sur la guerre en Irak.
Les taliban ont profité de la conjugaison de ces erreurs ainsi que de la mauvaise gestion du gouvernement, du développement de la corruption et du non-respect de la règle de droit.
S'agissant des élections présidentielles de 2009, la réélection du président Hamid Karzaï semblait, au départ, faire l'objet d'un certain consensus bien qu'elle ne suscitât que peu d'enthousiasme. La candidature du Dr Abdullah Abdullah a permis de présenter une alternative crédible au seul choix auquel étaient soumis les électeurs : M. Hamid Karzaï ou les taliban. Cette candidature a suscité beaucoup d'espoirs qui se sont manifestés par une très grande participation aux meetings politiques organisés.
De nombreux problèmes sont apparus à l'approche des élections, en particulier du fait du rôle joué par la commission électorale indépendante qui n'a d'indépendant que le nom, par l'utilisation de la corruption et par la fraude.
Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'il entreprenait la mise en place d'un mouvement politique nouveau dont le programme est le même que celui qu'il avait présenté lors des élections présidentielles. Il prône la décentralisation, la croissance équitable, le changement de la loi électorale, l'autosuffisance de l'Afghanistan. La ligne directrice de ces propositions politiques est de mettre le peuple afghan au centre des projets.
S'agissant des élections législatives du 18 septembre 2010, leur préparation se déroule bien sur le plan technique, mais elles supposent une véritable indépendance de la commission électorale qui est loin d'être acquise. En l'état actuel des choses, cette commission est entièrement dans les mains du gouvernement. Elle s'occupe aujourd'hui de tout ce qui concerne les élections jusque dans les moindres détails. De plus, la commission qui traite les plaintes en matière électorale et qui est composée de deux commissaires afghans et de deux étrangers est actuellement menacée par la décision, prise par décret du Président Karzaï, d'en écarter les étrangers alors même que leur présence avait permis son indépendance en dépit des pressions.
Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'il s'opposerait fortement à cette décision et a souhaité que la communauté internationale fasse pression pour qu'on revienne sur celle-ci, faute de quoi le peuple afghan sera une fois de plus écarté et les élections législatives connaîtront un déroulement pire que celui de l'élection présidentielle.
Le système démocratique est essentiel mais celui qui sera installé en Afghanistan sera spécifique. Le commandant Massoud avait un jour indiqué qu'il pourrait quitter la vie politique lorsque le principe « un homme ou une femme = une voix » serait entré dans les faits.
Le fait que les partis politiques n'existent pas dans le système afghan est une importante lacune du processus. Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué que le moment est venu de combler ce vide d'une démocratie sans partis et sans participation de la société civile. Durant la campagne électorale, il a tenté de dépasser les clivages ethniques et de parler à tous les Afghans de leurs problèmes. Son objectif est de créer un noyau dur qui reflèterait la diversité du pays. Toutefois, il sera très difficile de dépasser les clivages ethniques tant qu'il n'y aura pas eu de changements concrets et visibles des conditions de vie de la population qui, faute de progrès, se replie sur ses identités et ses solidarités particulières.
S'agissant de l'opération militaire en cours dans le Hemland, le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'elle se déroulerait au coeur même du pouvoir taliban, dans une région proche de la frontière avec le Pakistan. La tâche est donc difficile et le nombre des forces engagées n'est peut-être pas suffisant pour inverser la situation, même si elle peut en arrêter l'évolution. Tout en reconnaissant que certaines pertes civiles étaient inévitables, il a regretté les récents dommages collatéraux dont l'effet était très négatif sur la population. Le succès de l'opération se jugera surtout sur le suivi qui sera fait, à moyen et long terme, dans la province et à Kandahar. Il dépendra également de la prise de conscience par le gouvernement pakistanais de la menace que représentent pour lui les taliban quels qu'ils soient.
S'agissant de l'afghanisation, le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'elle se déroule lentement. D'un point de vue technique elle ne dépend que de l'accélération de la formation donnée aux forces de sécurité. Mais il faut également tenir compte du facteur politique.
À la suite de cette présentation M. Didier Boulaud s'est interrogé sur l'environnement régional et notamment sur les relations entre l'Inde et le Pakistan qui seront, selon lui, l'un des leviers de l'amélioration de la situation en Afghanistan.
Le Dr Abdullah Abdullah a indiqué que la reprise du dialogue composite, qui a été interrompu après les attentats de Bombay, permettrait une baisse des tensions entre les deux pays et aurait sans doute un impact positif sur la situation sécuritaire en Afghanistan.
Il a toutefois rappelé que la population pakistanaise appuie totalement l'armée qui lutte contre les taliban dans les zones tribales et au Waziristan. Il faudrait que l'opinion publique pakistanaise fasse pression sur le Gouvernement et les dirigeants militaires pour que la lutte s'effectue sans distinction contre les taliban, qu'ils soient afghans ou pakistanais.
Dans les années 90, les Pakistanais étaient persuadés que l'Inde était derrière tout ce qui se passait en Afghanistan. Certes, entre 1996 et 2001, l'Inde a soutenu la résistance. En tant que ministre des affaires étrangères, il avait essayé de persuader le président Musharraf de saisir l'opportunité d'un rapprochement avec l'Inde. Il a souligné que les autorités pakistanaises, qu'elles soient civiles ou militaires, étaient largement désinformées, en particulier par l'engagement idéologique de certains membres des services secrets (ISI).
M. Jean-Pierre Chevènement s'est interrogé sur les moyens de remédier au déficit de légitimité politique qui résulte des conditions dans lesquelles l'élection présidentielle de 2009 s'est déroulée. Il a souhaité également avoir des précisions sur le processus de réconciliation et sur la façon dont le Dr Abdullah pouvait définir ce qu'est un taliban.
M. Abdullah Abdullah a indiqué que si un gouvernement d'union nationale n'avait pu être constitué c'est que le Président Karzaï, pour être réélu, avait négocié des alliances avec les chefs des différentes factions non pas sur la base de l'intérêt du pays mais sur celle d'un partage des postes ministériels. Il n'y avait donc plus de place pour l'opposition politique dans un gouvernement. De plus, les discussions entreprises avec le président Karzaï ont montré qu'il n'était absolument pas disposé à entreprendre une négociation pour un gouvernement d'union nationale. Selon lui, la commission électorale était totalement indépendante, il n'y avait pas eu de fraudes, mais les problèmes provenaient plus de la présence d'étrangers que de la menace des taliban. Après la proclamation des résultats de l'élection présidentielle aucun recours juridique n'est possible. La légitimité va désormais découler des politiques choisies et des programmes mis en oeuvre. On ne peut que constater que, jusqu'à présent, les propositions faites par le président Karzaï au parlement pour la composition du gouvernement ont été rejetées à 60 %, lors de la première réunion du parlement sur ce sujet et à 50 % lors de la seconde réunion. Le Dr Abdullah a toutefois reconnu que le président Karzaï disposait d'une légitimité internationale qui ne l'aidera cependant pas en cas d'échec.
Sur la question des taliban, le Dr Abdullah Abdullah a indiqué qu'il existait une étroite relation avec Al Qaïda. Il est donc très difficile de distinguer les différences au sein de cet ensemble. Le point le plus important est de prendre conscience que la majorité des pachtounes sont opposés au retour des taliban au pouvoir.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam s'est interrogée sur la façon dont la communauté internationale et la France pourraient aider la société civile afghane et en particulier les femmes.
M. Abdullah Abdullah a indiqué qu'il y avait beaucoup de candidates aux élections législatives, en particulier au sein de son mouvement politique. Il a salué le courage des femmes, citant en exemple le fait que la première personne qui a dénoncé la fraude électorale lors de l'élection présidentielle était une femme parlementaire de Kandahar, région où la présence des taliban, la corruption et les réseaux de trafic de drogue sont très actifs. Il a souligné le courage de cette femme mettant sa vie en danger au nom de l'espoir qu'elle a dans une société plus juste et plus transparente.
Les femmes afghanes sont très préoccupées par le contenu de la réconciliation engagée après la conférence de Londres car elles pensent qu'elle risque de consacrer le retour des taliban.
À moyen et long terme, l'éducation est une question-clé pour l'ensemble de la population, mais plus particulièrement pour les femmes et les filles. Le Dr Abdullah Abdullah a fait remarquer que, lorsque l'on parle du droit des femmes, on parle surtout des femmes vivant dans les villes. Or les défis de celles qui vivent dans les campagnes sont très importants puisqu'il s'agit de faire progresser leur droit sans confrontation avec les forces conservatrices.
Ces changements ne peuvent être imposés de l'extérieur. Il est absolument crucial que l'initiative vienne des Afghans eux-mêmes. Les résultats des élections législatives seront déterminants pour faire entendre la voix du peuple.
M. Robert del Picchia a fait part de son inquiétude sur l'étendue de la corruption qui paraît totalement intégrée et acceptée pour que le système puisse fonctionner. Il s'est également interrogé sur l'introduction d'une forte décentralisation comme solution institutionnelle pour résoudre les problèmes auxquels l'Afghanistan est confronté.
M. Abdullah Abdullah a souligné que la volonté politique et l'exemplarité des dirigeants étaient la clé de la lutte contre la corruption, avant même l'instauration d'une réglementation. En l'absence de dispositif anticorruption, il faut donner le pouvoir de contrôle au peuple. C'est ce qu'avait fait le commandant Massoud dans la vallée du Panshir où l'on ne rencontre pas de problèmes de corruption, de trafic de drogue et de criminalité. Le gouverneur de cette province exerce pleinement les pouvoirs qui lui sont octroyés, mais il ne peut opprimer le peuple au service duquel il est. Les dirigeants politiques doivent montrer l'exemple. On ne peut convaincre le peuple que le gouvernement lutte contre la corruption si ses membres sont corrompus.
Le Dr Abdullah Abdullah a rappelé que le programme politique qu'il avait proposé lors des élections présidentielles, et qui est repris dans la plate-forme du mouvement qu'il dirige, promeut une décentralisation des pouvoirs au bénéfice des provinces. Cette décentralisation refléterait le pluralisme du système, le multiculturalisme, le multilinguisme et même les différentes religions qui caractérisent la diversité afghane. De plus, cette décentralisation serait mieux à même de traiter les questions de corruption. Aujourd'hui, les décisions sont centralisées à Kaboul. À titre d'exemple, les nominations dépendent des liens qu'entretiennent les candidats avec ceux qui décident dans la capitale. Cette situation ne permet pas, sauf exception, de désigner les personnes les plus compétentes et les mieux à même de promouvoir le bien public. C'est par exemple le cas pour les maires qui sont nommés. Enfin, la centralisation des désignations ne tient aucun compte de la diversité des situations entre les provinces. Il n'est pas étonnant que le président Karzaï soit très fortement opposé à toute proposition de décentralisation des pouvoirs.
Contestant l'analyse du Dr Abdullah, Mme Joëlle Garriaud-Maylam s'est interrogée sur la pertinence d'une décentralisation dans une société qui reste, selon elle, fondamentalement tribale.
Le Dr Abdullah Abdullah a fait remarquer que ceux qui souhaitent développer les institutions centrales et un État fort avant de décentraliser ne tiennent pas compte des enseignements de l'histoire. L'expérience historique de l'Afghanistan, depuis 200 ans, a montré que tous les pouvoirs forts et centralisés ont dérivé en dictature. Il a affirmé sa conviction que la décentralisation est la seule solution démocratique pour l'Afghanistan même si sa mise en place se heurtera certainement à des problèmes et à des oppositions dans un premier temps.