Mercredi 16 avril 2008
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.Union européenne - Politiques économiques en Europe - Audition de M. Jean Pisani-Ferry, directeur du Centre de recherche et de débats sur les politiques économiques en Europe (Bruegel)
M. Joël Bourdin, président, a indiqué que la présence de M. Jean Pisani-Ferry, directeur du Centre de recherche et de débats sur les politiques économiques en Europe (Bruegel), devait permettre à la délégation de discuter son diagnostic sur la coordination des politiques économiques en Europe et de recueillir ses suggestions pour en améliorer le fonctionnement.
M. Jean Pisani-Ferry s'étant félicité de retrouver la délégation pour la planification, qui représente pour les économistes une interface privilégiée entre les experts et la sphère politique, a déclaré partager le diagnostic du récent rapport de la délégation sur la coordination des politiques économiques en Europe.
Le succès durable de l'euro suppose, en effet, plus que l'indépendance de la Banque centrale européenne (BCE) et la discipline budgétaire.
A côté de ces deux piliers de « marbre », la coordination apparaît comme le pilier de « plâtre » de l'euro, mais elle s'est pourtant imposée petit à petit avec la consécration du rôle de l'Eurogroupe qui prépare les décisions des Conseils Ecofin.
Pour autant, la question doit être abordée en se souvenant que la construction européenne mêle coordination et concurrence, celle-ci ayant des aspects positifs, mais devant fonctionner de la façon la plus efficace possible.
M. Jean Pisani-Ferry a alors estimé que si les besoins de coordination étaient assez faibles dans le cadre de l'Europe à 27 et, pour cette raison, trouvaient une satisfaction à peu près adaptée dans le cadre du processus de Lisbonne, qui est faiblement prescriptif en ce domaine, il en allait autrement pour la zone euro.
Celle-ci conduit ses membres à partager même monnaie, mêmes taux d'intérêt et même balance commerciale, soit autant de motifs pour se coordonner.
Ayant évoqué les oppositions existant entre les pays sur les visions de la politique économique, notamment sur la politique budgétaire, il a souligné qu'il pouvait exister deux conceptions de la coordination, plus ou moins réalistes.
La première vise à éviter les risques majeurs, la seconde à optimiser les politiques publiques.
Si ces deux objectifs ne sont pas indépendants, ils peuvent néanmoins être distingués.
Concernant les risques, il conviendrait d'élargir le champ de ceux qui font l'objet d'une coordination en ajoutant au domaine budgétaire des questions comme la stabilité financière ou la résolution des asymétries manifestes entre pays.
Concernant l'optimisation des politiques publiques, l'expérience montre que peu de projets ont pu être menés à bien et l'analyse suggère qu'une certaine décentralisation peut être justifiée et qu'il conviendrait peut-être même de l'accentuer.
Revenant au problème des asymétries en Europe, il est convenu que les politiques nationales de compétitivité pouvaient être déstabilisantes, mais qu'elles devaient être interprétées comme correspondant à des évolutions cycliques marquées par des périodes de dégradation, puis de rétablissement de la compétitivité des pays.
Enfin, M. Jean Pisani-Ferry a souhaité faire part de ses inquiétudes quant à la crédibilité de la France comme moteur de la coordination des politiques économiques en Europe.
M. Joël Bourdin, président, l'ayant interrogé sur la contribution éventuelle d'un budget européen reformé à la coordination, M. Jean Pisani-Ferry a rappelé que le budget européen ne représentait qu'un quarantième des dépenses publiques en Europe.
Des réflexions sont en cours sur sa refonte dans le cadre de la préparation des nouvelles perspectives financières de l'Union, mais elles se déroulent au niveau des experts, les instances politiques se tenant jusqu'à présent à l'écart.
Le rapport Mac Dougall avait dès 1977 envisagé de porter le budget européen à 5 points de PIB, mais ce projet n'a pas été suivi d'effets et il est peu vraisemblable qu'une augmentation de la taille du budget européen intervienne à court terme.
Il est difficile en pratique de trouver des fonctions d'interventions collectives à transférer au budget européen. Ce n'est pas optimal, mais il faut le constater.
Par ailleurs, on peut réfléchir à l'affectation de ressources nouvelles au budget européen et il y a de bons « candidats » pour cela, comme les revenus de la BCE ou le produit des ventes de permis de polluer. Il reste que le contenu du budget européen pose problème, car il est sans correspondance avec les nouvelles priorités de l'Union. Le statut de la politique agricole commune est en cause et, pour les fonds structurels, la question de leur distribution à travers des critères régionaux plutôt que nationaux est en débat.
Enfin, il conviendrait de résoudre, une fois pour toutes, les conflits relatifs aux soldes nationaux qui gênent à l'excès la programmation budgétaire et de donner plus de flexibilité à celle-ci.
M. Joël Bourdin, président, ayant souligné l'intensité de la concurrence fiscale en Europe, M. Jean Pisani-Ferry a estimé qu'il y avait une bonne concurrence fiscale, celle qui pousse à une optimisation des interventions publiques, mais aussi des concurrences excessives quand elles sont abusives ou quand elles conduisent à sacrifier la production de biens publics.
En réponse à une interrogation de M. Joël Bourdin sur les désajustements des taux de change réels en zone euro, à travers les évolutions divergentes des coûts salariaux unitaires, M. Jean Pisani-Ferry a précisé que si ceux-ci pouvaient être associés à des évolutions cycliques normales, il fallait discipliner les divergences extrêmes et développer la transparence sur leurs causes.
M. Yves Fréville a estimé que les travaux proposant d'affecter l'impôt sur les sociétés au budget européen méritaient d'être revitalisés et que, malgré leur existence, et l'Eurogroupe et le groupe Schengen restaient des institutions essentiellement coutumières.
Il s'est alors interrogé sur la manière de restaurer la politique de change de l'Union européenne, faisant observer que les taux d'intérêt devraient, en bonne logique, être partagés entre les gouvernements et la Banque centrale européenne.
Déplorant la perte de crédibilité de la France, il s'est demandé quelle pourrait être la contribution d'une constitutionnalisation d'une règle de plafond de déficit public à l'amélioration des comptes, tout en exprimant un certain scepticisme sur ce point.
Enfin, citant l'exemple de la défense, il a évoqué l'apport à la coordination que pourraient représenter des coopérations renforcées entre certains pays de l'Union.
M. Jean Pisani-Ferry ayant estimé que le nouveau traité consolidait un peu l'Eurogroupe a indiqué que, depuis l'accord de 1997, la clause du traité organisant les compétences du Conseil en matière de change était caduque, celui-ci ne pouvant s'en servir qu'en cas de désalignement permanent des taux de change. Il s'est également interrogé sur l'efficacité des actions en ce domaine, rappelant l'échec de la Banque du Japon qui, en 2003, n'avait pas réussi à obtenir la dépréciation du yen, malgré des interventions massives.
Il a toutefois estimé qu'il fallait progresser vers une gestion plus partagée des taux de change et que, sous cet angle, la question de la représentation unique de la zone euro au Fonds monétaire international (FMI) n'était pas négligeable.
Il a alors déclaré partager le scepticisme d'Yves Fréville quant à l'édiction d'une règle constitutionnelle de déficit et estimé qu'il était préférable d'adopter des comportements budgétaires responsables plutôt que de se donner des règles rigides en ce domaine.
Enfin, il a jugé qu'il était pratiquement difficile de trouver des domaines d'application pour des coopérations renforcées en Europe.
M. Yvon Collin a estimé que la coordination des politiques économiques resterait, sans doute, une illusion tant que la problématique ne serait pas élargie à la coordination des politiques sociales.
La réduction de la voilure sociale n'est pas vue comme de très grande importance par les experts parce qu'elle n'est pas considérée comme productive de gains durables de compétitivité. Les salaires directs s'ajusteraient. Mais, cet ajustement n'est pas si certain et il existe, en revanche, une certitude : la concurrence sociale conduit à s'aligner sur le moins-disant et à accroître les inégalités.
Par conséquent, il faudrait promouvoir en Europe un objectif communautaire autour de la question des inégalités socio-économiques et aussi, en lien avec ce processus, un objectif de réduction de la pauvreté.
M. Jean Pisani-Ferry ayant écarté la question de l'harmonisation des systèmes de protection sociale, a concédé que, dans le domaine des institutions du marché du travail, il n'y avait pas beaucoup de convergences en Europe, observant, cependant, que sur le salaire minimum des évolutions importantes étaient intervenues ou en cours, tant au Royaume-Uni qu'en Allemagne.
Il a aussi souligné que le récent élargissement n'avait pas posé de problèmes aussi aigus qu'escompté et que, la mobilité du travail se développant en Europe, des convergences plus importantes n'étaient pas hors de portée.
A deux questions de M. Bernard Angels relatives, l'une à la portée pratique du processus de Lisbonne, et, l'autre, aux effets de la TVA sociale, assimilable selon lui à une restauration des dévaluations compétitives dans la zone euro, M. Jean Pisani-Ferry a répondu que le processus de Lisbonne ne devait pas être vu comme un vrai moteur pour la coordination, mais plutôt comme un processus de renforcement à petits pas des communautés de vues à travers des apprentissages partagés. Il a incidemment jugé que les objectifs fixés en matière de recherche-développement avaient sans doute été un peu surcalibrés.
Puis il a reconnu que, sous la TVA sociale, se cachaient des intentions proches de celles décrites par le sénateur, mais qu'elles ne devaient pas empêcher de réfléchir à la question du financement optimal des interventions publiques.
M. Joël Bourdin, président, a alors estimé que cette réflexion aurait pu faire l'objet d'une meilleure coordination, celle des esprits restant, à l'évidence, à mettre en oeuvre en Europe.