Mardi 13 février 2007
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.Fonctionnement du marché du travail en France - Audition de M. Antoine Magnier, responsable de la Direction de l'Animation de la Recherche, des Etudes et des Statistiques (DARES)
M. Antoine Magnier a d'abord présenté les grandes caractéristiques du marché du travail en France :
- un taux de chômage élevé et persistant, dans un contexte européen où plusieurs pays ont des performances plus favorables ;
- un chômage qui touche surtout les jeunes et les non-qualifiés, comme partout en Europe, avec toutefois deux particularités en France : un taux de chômage à l'issue du baccalauréat équivalent à celui des titulaires du diplôme national du brevet (anciennement BEPC), CAP ou BEP ; un taux de chômage des diplômés du cycle supérieur long plus élevé qu'à l'issue des formations supérieures courtes.
- un taux d'emploi très nettement inférieur à la moyenne, surtout du fait des jeunes et des seniors, avec, pour les premiers, un biais statistique possible du fait de la rareté relative des formations en alternance en France et des étudiants en emploi.
Le décrochage pour les jeunes traduit, certes, l'allongement de la durée moyenne des études, mais aussi des difficultés d'insertion particulières ; pour les seniors, c'est à partir de la première moitié des années 80, qu'à la suite des restructurations industrielles, de la mise en place de dispositifs de retrait d'activité précoce et de l'abaissement de l'âge de la retraite à 60 ans que leur taux d'emploi diminue. Sous cet angle, la remontée de 9 points, observée à la fin des années 90, semble due à un changement des conventions statistiques pour 2 points et à des effets de composition démographique (hausse de la part des 55 à 60 ans dans la population des seniors et arrivée des contingents de femmes actives) transitoires et réversibles.
- une forte proportion de chômeurs de longue durée, avec une durée de chômage comprise entre 12 et 16 mois, contre 3 à 6 mois aux Etats-Unis ;
- une montée de la précarité des emplois, sans que le passage par l'emploi précaire ne débouche majoritairement - sauf pour les jeunes - sur un emploi plus stable ;
- une précarisation des trajectoires professionnelles, qui concerne particulièrement les jeunes. Ils ne sont que 56 % en contrat à durée indéterminée (CDI), contre 87 % pour l'ensemble de la population. Il faut entre 7 et 10 ans à un jeune pour gagner l'emploi stable ;
- différentes autres caractéristiques, comme l'existence de phénomènes d'exclusion et de discrimination, le faible nombre d'heures travaillées par salarié, les désajustements entre offres et demandes d'emploi dans de nombreux secteurs (construction, mais aussi électronique, mécanique, banques et assurances...).
Enfin, un contexte nouveau se profile avec le vieillissement démographique, qui ouvre la perspective d'une forte augmentation du nombre de postes à pourvoir : environ 750.000 postes par an d'ici à 2015.
M. Antoine Magnier a alors évoqué quelques explications, comme l'effet du retard conjoncturel, mais aussi l'existence de facteurs plus structurels de tension.
Puis il a davantage insisté sur les politiques de l'emploi mises en oeuvre. Elles ont répondu à cinq grands types d'approches : la réduction de la population active ; « l'assouplissement » du marché du travail ; les dispositifs spécifiques d'aide à l'emploi ; la réduction des prélèvements sur le travail et la réduction du temps de travail.
S'agissant de la réduction de la population active, les mesures développées à la fin des années 1970 et durant les années 1980 ont favorisé une réduction du chômage à court terme, mais en provoquant un affaiblissement de l'offre de travail et du potentiel de production à moyen terme.
L'assouplissement du marché du travail s'est notamment manifesté, quant à lui, par la suppression de l'autorisation administrative de licenciement (1986) et par une forte progression du recours aux contrats à durée déterminée (CDD) et à l'intérim. L'effet semble favorable sur l'emploi à moyen terme au prix d'un dualisme accru du marché du travail, d'une perte de bien-être individuel et d'une diminution des incitations à la formation.
Les dispositifs spécifiques d'aide à l'emploi ont été développés, à partir du début des années 1990, avec une double logique, conjoncturelle et structurelle.
La réduction des prélèvements sur le travail a recherché à diminuer l'écart entre le coût du travail payé par l'entreprise et le salaire net perçu par le salarié (le « coin fiscalo-social »). Les évaluations de la DARES identifient un effet favorable sur l'emploi et le potentiel de production à moyen terme.
Les baisses de prélèvements ont été diverses, avec des allègements de cotisations sociales ciblés sur les bas salaires, des baisses générales de fiscalité sur le travail et des réformes visant à améliorer le gain financier à l'emploi : prime pour l'emploi (PPE), intéressement...
Les allègements de cotisations sociales ciblés sur les bas salaires semblent avoir obéi à deux logiques successives : une utilisation « offensive » jusqu'en 1997, avec de l'ordre de 300.000 emplois créés ou sauvegardés, d'après la moyenne des études, pour un coût actuel d'environ 8 milliards d'euros, soit un coût brut par emploi créé de 25.000 euros (10.000 euros en coûts nets) ; une utilisation « défensive » par la suite, en accompagnement de la réduction du temps de travail et de la convergence vers le haut des Smic multiples.
Enfin, la politique de réduction du temps de travail avait pour logique économique d'accélérer la résorption du chômage conjoncturel grâce au partage du travail, la hausse du coût salarial devant être neutralisée par des gains de productivité horaire liés aux réorganisations, aux allègements de cotisations sociales et à la modération salariale négociée.
La politique de réduction du temps de travail pourrait avoir créé de 300.000 à 350.000 emplois à court terme, mais avec un coût élevé pour les finances publiques : de l'ordre d'11 milliards d'euros pour compenser la hausse du coût du travail induite et la convergence des Smic multiples. L'effet sur l'emploi à long terme est plus incertain et un affaiblissement du potentiel de production (de l'ordre de 2 points de PIB à long terme) pourrait résulter de cette mesure.
Des tendances plus récentes des politiques publiques de l'emploi peuvent être identifiées. Elles semblent être dirigées vers les institutions du marché du travail autour de plusieurs axes :
- le développement du marché des biens et services (création d'entreprises...) ;
- le réaménagement du coût du travail dans ses deux composantes de rémunérations et de prélèvements (l'augmentation du Smic horaire a été de + 33 % depuis 1999 ; la prime pour l'emploi (PPE) coûte 4,2 milliards d'euros en 2007) ;
- la réorganisation du service public de l'emploi ;
- l'assouplissement du droit du travail ;
- et l'amélioration des systèmes d'éducation et de formation.
Un large débat s'est alors ouvert.
M. Joël Bourdin, président, a souhaité obtenir des précisions sur le niveau structurel du chômage et sur les performances comparatives de la France au regard du contenu en emplois de sa croissance.
En réponse, M. Antoine Magnier a indiqué que si la moyenne des études situait le taux de chômage structurel entre 8 et 10 % en France, il existait une large marge d'incertitude sur ce point. Le chômage a baissé en France ces dernières années sans que de réelles tensions inflationnistes soient perceptibles, même si les difficultés de recrutement ont un peu grandi durant ces épisodes. Au demeurant, le contexte de faible inflation semble installé durablement et conduit certains à remettre en cause l'existence même de la notion de chômage structurel.
Quant au contenu en emplois de la croissance en France, après la période entre 1970 et le début des années 90 où il fut faible en raison du rythme rapide des gains de productivité, il s'est, depuis, redressé avec un enrichissement de la croissance en emplois. L'allègement des charges sociales, la réduction du temps de travail transitoirement, la montée du temps partiel semblent l'expliquer.
M. Gérard Bailly a, d'abord, souhaité que le diagnostic de la DARES, sur les explications des mauvaises performances du marché du travail français, puisse être affiné. Puis, relevant la dégradation du commerce extérieur, il s'est inquiété de l'effet du manque de compétitivité de la France sur le chômage.
M. Jean-Pierre Plancade ayant insisté sur la situation particulièrement dégradée des jeunes, pour lesquels la France paraît avoir les pires résultats en Europe, M. Antoine Magnier a remarqué que la compétitivité-coût du travail était en France dans la moyenne des pays développés, même si elle était évidemment très en retrait par rapport à celle observée dans les pays émergents. S'agissant des pertes d'emploi dans l'industrie, qui ne peuvent être niées, la question de savoir si elles résultent de phénomènes conjoncturels ou de données structurelles relatives à la compétitivité industrielle de la France reste posée. La situation des jeunes apparaît en effet particulièrement préoccupante, puisque, par exemple, un cinquième d'entre eux sortent du système de formation initiale sans qualification. Le développement des formations en alternance pourrait constituer une solution.
M. Bernard Angels a rappelé que la problématique à la mode de la flexi-sécurité était construite sur le postulat que le chômage et le faible taux d'activité résultent de la rigidité du droit du travail qui inhiberait l'embauche. Il a souhaité savoir sur quelles données concrètes, en dehors donc de la seule considération abstraite des règles de droit, on pouvait étayer ce postulat qui, incidemment, semble accréditer l'idée que le droit du travail est effectivement protecteur pour les salariés en emploi.
Puis, ayant cité plusieurs études qui prétendent que le coin fiscalo-social, c'est-à-dire la différence entre le coût complet d'un salarié pour l'employeur et le salaire net perçu par le salarié, serait responsable du faible niveau de l'activité en France, en décourageant l'embauche et en n'incitant pas les travailleurs à participer au marché du travail, il s'est demandé si la DARES disposait d'une expertise à ce sujet.
A ce propos, il a remarqué que le coût salarial unitaire semblait, en France, plutôt compétitif, alors qu'une grande partie du financement de nos dépenses publiques de protection sociale repose sur les salaires.
Il a complété ses interrogations en se demandant si le secteur public savait valoriser suffisamment les droits que les prélèvements obligatoires ouvrent aux salariés et à leurs familles et qui ne sont pas déduits du calcul, finalement assez théorique, du coin fiscalo-social.
M. Jean-Pierre Plancade ayant souhaité des précisions sur la comparabilité des données relatives aux taux de chômage en Europe et sur les évaluations de réduction des charges sociales, M. Antoine Magnier a répondu aux sénateurs.
L'évaluation de la rigidité du droit du travail en France et de ses incidences ont fait l'objet de rares études systématiques, qui sont perfectibles. Les études disponibles ne suggèrent pas d'effets sensibles de la législation française sur le taux de chômage. En revanche, il pourrait exister un lien entre le degré de protection de l'emploi et le taux d'emploi de certaines catégories de personnes, ainsi qu'avec la durée du chômage.
M. Jean-Pierre Plancade a souligné ces incertitudes, alors qu'une partie importante du débat public s'appuie sur l'idée d'une excessive rigidité du droit du travail français et propose différentes formules de flexibilisation.
M. Antoine Magnier ayant remarqué que le caractère peu opérationnel des études disponibles ne permettait pas de conclure à l'absence de rigidité du droit du travail et de ses effets sur la dynamique de l'emploi, a ajouté que, selon l'expertise de la DARES, la diminution du coin fiscalo-social avait eu des effets favorables sur l'emploi, en particulier pour les personnes peu qualifiées.
Ayant précisé que les données relatives au taux de chômage étaient en général homogènes, il a indiqué que, pour certains pays (Allemagne, Grèce...), quelques difficultés statistiques semblaient demeurer.
M. Bernard Angels a alors souhaité obtenir des précisions sur le coût global des politiques de l'emploi conduites en France.
En réponse, M. Antoine Magnier a relevé qu'une telle évaluation posait de redoutables problèmes de méthode. Faut-il, par exemple, compter les allègements de charges sociales en tant que dépenses fiscales ou les exclure en les considérant comme des aménagements structurels du système de financement de la protection sociale visant à en assurer une plus forte progressivité ? Moyennant ces incertitudes, il a fait état d'un chiffre de l'ordre de 4 points de PIB. Il a insisté, enfin, sur le fait qu'en l'absence d'allègement de cotisations sociales, le poids de celles-ci dans le financement de la protection sociale, qui représente une spécificité française, serait encore plus atypique.
Sur ce point, M. Bernard Angels a remarqué que, malgré cela, le coût salarial unitaire semblait en France compétitif par rapport à la moyenne de l'OCDE et qu'un réaménagement du financement de la protection sociale renforcerait ainsi notre compétitivité.
M. Joël Bourdin, président, a alors vivement remercié les intervenants pour la qualité de leurs propos et assuré M. Antoine Magnier du très grand intérêt porté par la délégation et ses membres aux travaux de la DARES.