Mardi 30 janvier 2007
- Présidence de M. Joël Bourdin, président.Productivité et niveau de vie - Examen du rapport d'information
La délégation a procédé à l'examen du rapport d'information de M. Joël Bourdin, président, rapporteur, sur la productivité et le niveau de vie.
M. Joël Bourdin, président, a tout d'abord fait observer une minute de silence à la mémoire de Marcel Lesbros, dont il a rappelé qu'il avait été membre de la délégation pour la planification depuis sa création en 1984.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite présenté le rapport d'information sur la productivité et le niveau de vie.
Il a indiqué que la problématique fondamentale de ce rapport d'information se résumait à la question suivante : l'Europe prend-elle du retard sur les Etats-Unis en termes de productivité comme de niveau de vie ?
En effet, le PIB par habitant de l'Europe a rattrapé celui des Etats-Unis jusqu'au milieu des années 70, puis s'est stabilisé relativement aux Etats-Unis, avant d'entamer un déclin à partir du milieu des années 1990.
Aujourd'hui, le PIB par habitant en Europe est donc, comme en 1970, inférieur de 25 % environ à celui des Etats-Unis. La France se situe, pour sa part, 22 % en dessous du niveau de vie américain.
Le PIB par habitant est un indicateur très imparfait du niveau de vie, puisqu'il souffre d'imprécisions statistiques qui perturbent les comparaisons internationales et qu'il ne prend pas en compte de nombreux éléments du bien-être, comme l'espérance de vie en bonne santé, la préservation des ressources naturelles, le temps de travail, etc.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a néanmoins estimé que ces comparaisons de PIB/habitant dessinaient des tendances claires sur les performances des ensembles économiques.
Après avoir défini le concept de productivité, souligné que le rapport d'information privilégiait la productivité du travail, et notamment la productivité horaire et rappelé que la productivité du travail était au coeur du processus de croissance et de la compétitivité, M. Joël Bourdin, rapporteur, s'est, tout d'abord, intéressé aux relations entre productivité, emploi et PIB.
En effet, la productivité est souvent associée à la destruction de l'emploi, alors que la relation est plus complexe. A long terme, les travaux théoriques et empiriques montrent que les variations de la productivité se reportent intégralement sur la croissance du PIB, et non sur l'emploi. A moyen terme, la relation peut être différente si l'économie souffre d'un chômage élevé, lié à une croissance du PIB qui évolue en dessous de son potentiel. Dans cette hypothèse, la croissance de la productivité n'a pas d'effet sur le PIB, contraint par l'insuffisance des débouchés, et les évolutions de la productivité se reportent négativement sur l'emploi.
Cet arbitrage entre productivité et emploi est très clair en Europe sur la période 1995-2005 : le ralentissement de la productivité y a profité à l'emploi.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a ainsi estimé que la productivité était au coeur du dilemme de politique économique de l'Europe.
En effet, l'Europe et la France ont cherché à copier le modèle américain, qui, dans les années 80, créait beaucoup d'emplois pour une croissance donnée, au contraire de l'Europe. Une stratégie volontariste d'enrichissement du contenu en emplois de la croissance a été mise en oeuvre : allègement de charges, réduction de la durée du travail, encouragement au travail à temps partiel.
Cependant, M. Joël Bourdin, rapporteur, a observé qu'au moment où cette politique portait ses fruits, la productivité a accéléré fortement aux Etats-Unis et la stratégie européenne de ralentissement de la productivité est apparue peu soutenable : effets négatifs sur la qualité des emplois créés, déficit d'innovation, retard par rapport aux Etats-Unis... Ces évolutions ont nourri le discours sur le déclin économique de l'Europe et sur la nécessité de privilégier l'innovation et la productivité.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a ensuite analysé l'écart de niveau de vie entre l'Europe et les Etats-Unis. Il a, tout d'abord, rappelé que l'évolution du PIB par tête est déterminée par quatre facteurs comptables : le ratio population 15-64 ans/population totale (c'est-à-dire un ratio démographique), le taux d'emploi (c'est-à-dire la part de la population en âge de travailler qui a un emploi), la durée du travail et la productivité horaire.
Sur la période 1970-2004, la productivité horaire a progressé continûment en Europe jusqu'à rejoindre, ou même dépasser pour la France, le niveau américain.
Mais, inversement, la durée du travail et le taux d'emploi ont baissé en Europe relativement aux Etats-Unis.
Les écarts de PIB par tête par rapport aux Etats-Unis pour l'Europe s'expliquent comptablement par une durée du travail et un taux d'emploi plus faibles qu'aux Etats-Unis.
Pour la France, ceci est encore plus marqué : l'écart de durée du travail explique pratiquement la totalité de l'écart de niveau de vie avec les Etats-Unis.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a ainsi considéré que l'Europe avait besoin de plus de travail, mais surtout, de plus de travail productif, ce qui renvoie à sa capacité à innover, à mobiliser toutes les technologies.
Il est ensuite revenu sur la double inflexion des rythmes de productivité au cours des années 90, c'est-à-dire sa forte accélération et son ralentissement en Europe et a proposé un diagnostic en cinq points :
Le ralentissement de la productivité en Europe s'inscrit dans un processus continu, depuis les Trente Glorieuses. Ceci dément l'idée d'un décrochage brutal de l'Europe, d'une inadaptation qui se révèlerait soudainement.
On constate une inversion des tendances relatives de la productivité entre l'Europe et les Etats-Unis, mais l'ampleur de cet écart est discutée. Les toute dernières évolutions de la productivité (2005-2006), corrigées des effets conjoncturels, telles qu'elles sont estimées par les services de la Banque de France, montrent que l'écart structurel de croissance de la productivité est aujourd'hui de 0,5 point, c'est-à-dire beaucoup moins que ce que les économistes avaient généralement à l'esprit.
La persistance de cet écart de 0,5 point, qui se traduit par un écart de croissance potentielle équivalent, conduit à poser la question de son origine. M. Joël Bourdin, rapporteur, a avancé deux hypothèses :
- cet écart traduirait le délai de mise en oeuvre d'adaptations à la révolution des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC), ce qui signifie que prochainement la zone euro va connaître un sursaut de sa productivité,
- ou, cet écart traduirait la difficulté propre de l'Europe à mettre en oeuvre ce processus d'adaptation, du fait de ce que l'on nomme communément ses rigidités.
L'accélération de la productivité aux Etats-Unis s'explique en grande partie par le rôle joué par les TIC et par leur diffusion beaucoup plus importante aux Etats-Unis. Ceci explique que l'innovation y a été beaucoup plus forte : innovation technologique, mais aussi innovation non technologique, comme la réorganisation du processus de production, de la relation au client.
Si la diffusion des TIC a été moindre en Europe, cela peut s'expliquer par une réglementation plus rigide des marchés des biens, qui freinent les mouvements d'entrées et sorties d'entreprises, l'innovation augmentant avec les entrées d'entreprises nouvelles sur les marchés.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé qu'une autre explication méritait d'être examinée : la persistance du chômage en Europe, due à l'atonie de l'activité, a eu un double effet : un effet de contrainte sur les entreprises pour qu'elles maintiennent l'emploi, ce qui offre un contexte très peu propice à l'innovation, d'une part ; une diminution de la capacité à prendre le risque d'innover dans ce contexte de réduction des débouchés, d'autre part.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a ainsi identifié deux facteurs décisifs de l'innovation, la productivité et la croissance : la souplesse et l'adaptabilité des entreprises et de la main d'oeuvre, et la capacité des institutions à créer un environnement macroéconomique favorable à l'innovation, grâce notamment aux politiques conjoncturelles.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a conclu en évoquant les perspectives d'évolution du niveau de vie dans un contexte de vieillissement démographique.
Il a indiqué que le vieillissement démographique se traduisait par une dégradation du ratio population en âge de travailler/population totale, ce qui pèserait sur l'évolution du PIB/habitant et estimé qu'à partir des dernières projections démographiques de l'INSEE, l'évolution démographique diminuerait la croissance du PIB par habitant de 0,4 point par an.
Si la croissance du PIB par habitant sur 1980-2005 était de 1,6 % par an, toutes choses égales par ailleurs, elle serait donc de 1,2 % par an à l'horizon 2020.
Cependant, le taux d'emploi, second déterminant comptable du niveau de vie, peut fluctuer très fortement, et se redresser très nettement dans les périodes de croissance soutenue. Ceci montre d'ailleurs que la faiblesse du taux d'emploi en France, et dans la zone euro, résulte surtout d'une croissance inférieure à son potentiel, qui conduit à exclure du marché du travail les plus jeunes et les plus âgés.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé qu'il fallait revenir sur cet arbitrage, les dispositifs qui découragent l'activité des femmes et des travailleurs âgés étant clairement identifiés, et la France commençant à les corriger progressivement.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a considéré que l'autre priorité devait porter sur la mise en oeuvre des politiques susceptibles de stimuler l'innovation et la productivité. Celles-ci devraient, tout d'abord, privilégier les vecteurs de l'innovation, c'est-à-dire la recherche et le développement et l'enseignement supérieur, mais créer aussi un environnement macroéconomique et microéconomique favorable à la diffusion de l'innovation.
Concernant la Recherche-Développement, M. Joël Bourdin, rapporteur, a estimé que le recul en matière de recherche des entreprises françaises était préoccupant. Or, l'exigence d'investir dans la recherche augmente dans tous les secteurs, au fur et à mesure qu'un pays se développe et que son coût du travail augmente.
Ainsi, pour la France, la recherche devrait bien sûr augmenter tout autant, dans le secteur pharmaceutique, par exemple, que dans celui du textile, si les entreprises de ce secteur voulaient survivre.
Néanmoins, en matière de recherche, tous les travaux montrent qu'il y a une période de maturation, c'est-à-dire un temps pour semer et un temps pour récolter. Les entreprises peuvent d'autant plus facilement assumer cette période de transition, où la recherche est coûteuse et ne rapporte rien, que l'environnement macroéconomique est favorable.
En matière d'enseignement supérieur, M. Joël Bourdin, rapporteur, a rappelé qu'on établissait la relation suivante : une année supplémentaire d'études pour la moyenne de la population se traduirait par une augmentation de la productivité de 8 %.
Or, la population active française est moins éduquée que la moyenne de l'OCDE, et les dépenses que la France consacre à l'enseignement supérieur sont nettement inférieures à celles des Etats-Unis, pour une efficacité globale médiocre, au regard de critères économiques.
Enfin, lorsqu'un pays se rapproche du stade le plus avancé du développement technologique, ce qui est le cas de la France, les possibilités d'imitation deviennent plus limitées et il est alors plus rentable d'investir dans l'enseignement supérieur.
Innover est en effet le fait de chercheurs et met en jeu l'enseignement supérieur et les arguments théoriques et empiriques ne manquent pas pour faire de l'enseignement supérieur une priorité.
Cependant, M. Joël Bourdin, rapporteur, s'est demandé si une même priorité ne devait pas être accordée à la formation initiale, car si l'on considère que l'adaptabilité et la souplesse de la main d'oeuvre sont les clés de la productivité, la persistance d'un noyau de 150.000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans formation ni qualification constitue un véritable facteur de blocage, qui contribue à la cristallisation du marché du travail.
M. Joël Bourdin, rapporteur, a évoqué les conditions permettant une véritable diffusion de l'innovation. Sur un plan microéconomique, il a considéré que la première de ces conditions résidait dans un abaissement des obstacles réglementaires à l'entrée sur les marchés de biens.
Les travaux empiriques sont, en effet, nombreux, qui montrent que les obstacles réglementaires freinent la productivité et l'innovation dans les économies que l'on qualifie de proches de la frontière technologique, c'est-à-dire au stade le plus avancé du développement technologique.
Dans une économie en rattrapage, dont l'imitation constitue le moteur de la productivité, une protection peut être favorable, car elle est crée une incitation à copier les technologies les plus efficaces.
Mais dans les économies les plus avancées, le moteur de la productivité n'est pas l'imitation, mais l'innovation. Il faut donc encourager la compétition et l'accès aux marchés de nouvelles entreprises par nature plus innovantes.
Beaucoup de travaux montrent cependant que l'Europe et la France ont mis en oeuvre des réformes qui ont permis d'abaisser ces obstacles réglementaires et qu'elles pourraient en percevoir bientôt les bénéfices.
La seconde condition pour la réussite des politiques de productivité réside dans un environnement macroéconomique favorable à l'innovation.
Le policy mix est, au sein de la zone euro, insuffisamment mobilisé pour éviter que la croissance effective ne s'écarte trop de son secteur potentiel.
Cette réactivité insuffisante de la politique de régulation conjoncturelle est démontrée par de multiples travaux empiriques. Le fait que la zone euro connaisse des périodes de ralentissement de l'activité plus longues nuit à la crédibilité de la croissance et diminue l'incitation à l'innovation. Surtout, elle en accroît le risque, alors même que la contrainte de crédit est beaucoup plus forte en Europe qu'aux Etats-Unis, compte tenu de marchés du crédit à la fois peu harmonisés et moins complets.
La délégation a ensuite approuvé la publication du rapport d'information sur la productivité et le niveau de vie, de M. Joël Bourdin, rapporteur.