Allocution du Président du Sénat, M. Gérard Larcher, à l’occasion de la célébration
du 75e anniversaire du Bundesrat et de la Loi fondamentale

Bonn, le 7 septembre 2024

Seul le prononcé fait foi

Monsieur le Président de la République fédérale d’Allemagne,
Madame la Présidente du Bundesrat, qui m’avez fait l’honneur de m’inviter à cette célébration et que je tiens à remercier chaleureusement,
Monsieur le Président de la Première chambre du Royaume des Pays-Bas,
Monsieur le Ministre-président du Land de Rhénanie du Nord – Westphalie,
Mesdames et Messieurs les Ministres-présidents des Länder,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les Parlementaires, liebe Kolleginnen und Kollegen - vous me permettrez de présenter les sénateurs qui m’accompagnent : le sénateur Cédric Perrin, Président de la Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées ; le sénateur Jean-François Rapin, Président de la Commission des Affaires européennes ; le sénateur Ronan Le Gleut, Président du groupe d’amitié France - Allemagne,

Madame la Maire de Bonn,

Mesdames et Messieurs les Représentants du corps diplomatique,
Mesdames et Messieurs qui représentez la société civile allemande et les Länder dans leur diversité,


Le lieu est historique, et l’heure solennelle.

Il y a 75 ans, jour pour jour, dans cet hémicycle, revivait la démocratie parlementaire allemande. Ce moment fondateur avait été précédé ici même, pendant des mois, par les travaux qui devaient aboutir à l’adoption de la Loi fondamentale. Ce 7 septembre 1949, une page était tournée : le Parlementarisme allemand, meurtri par l’incendie du Reichstag en 1933, piétiné par le totalitarisme, s’affirmait vainqueur.

Et avec lui les Länder, qui avaient été supprimés dès 1934. Ils disposaient désormais de leur chambre, votre Bundesrat. Le bicamérisme s’imposait comme une évidence, pour mieux garantir l’État de droit, la stabilité et les équilibres politiques.

En habitant, jusqu’au 14 juillet 2000, l’Aula qui a vu naître votre Loi fondamentale, le Bundesrat a littéralement fait corps avec elle : la Nation était fédérale et le fédéralisme faisait Nation !

Il y a 80 ans, le 7 novembre 1944 exactement, l’Assemblée consultative provisoire de la République française tenait sa première session, à Paris. Et c’est l’hémicycle du Sénat qui fut choisi pour accueillir la nouvelle instance parlementaire, après des années d’errance, de Brazzaville à Alger. La vie parlementaire se glissait à nouveau dans les habits qui étaient les siens et retrouvait, dans notre pays, toute sa vigueur.

Alors, 75 ans, 80 ans : si les circonstances et les traditions parlementaires, dans nos deux nations, étaient bien entendu très différentes, se scellait une alliance plus solide, plus indéfectible, plus immuable que tous les
traités : celle des démocrates !

Mes chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Le 7 septembre 1949, le Président de séance, M. Johannes Büll, avait ouvert vos travaux en citant les paroles si inspirantes de Schiller, l’auteur de L’hymne à la joie, notre hymne européen : « La plus parfaite de toutes les œuvres d’art est la construction de la vraie liberté politique ».

La perfection d’un texte constitutionnel se mesure à sa longévité. Et votre Loi fondamentale, conçue comme transitoire, est devenue la plus durable de l’histoire de l’Allemagne. Fondée sur les droits inaliénables de la personne, les principes démocratiques fondamentaux et la forme fédérale de votre État, en vertu de la « clause d’éternité » contenue en son sein, elle s’est avérée à même de cimenter la réunification de l’Allemagne, au moment où tous les citoyens allemands avaient soif de liberté, de prospérité, d’unité.

La Loi fondamentale portait la promesse de la réunification. Le Bundesrat en devint le trait d’union : c’était le
9 novembre 1989, lors de la chute du Mur de Berlin, il y a 35 ans - décidément les anniversaires se
superposent !

En France, depuis un an à peine, la Constitution de la Ve République est également devenue la plus durable de notre histoire.

Est-ce à dire que le triomphe de la liberté, de la démocratie, est aussi absolu et solide que nos constitutions sont durables ? Cette question mérite d’être posée.

Nous voyons autour de nous les régimes autoritaires se multiplier ; les spécificités culturelles s’ériger en barrières contre les droits fondamentaux ; un islamisme dévoyé menacer notre régime de libertés ; l’antisémitisme, que nous croyions contenu, ressurgir avec une véhémence nouvelle. Solingen, si près d’ici, Duisbourg, Arras, Conflans-Sainte-Honorine, Paris, Berlin, Ansbach, Wurtzbourg, toutes villes meurtries !

Dans la tragédie aussi, les destins contemporains de la France et de l’Allemagne sont mêlés !

Et nous constatons que la réponse populiste devient partout, y compris dans plusieurs États membres de l’Union européenne, une tentation.

À ceux qui utilisent la violence ou la désinformation pour fouler au pied nos valeurs, nous devons faire entendre que la démocratie n’est pas synonyme de faiblesse ou d’impunité.

À ceux qui doutent et sont tentés par les dérives populistes, que la démocratie est tolérante sans être permissive. Quelle est ferme sans être injuste. Et qu’elle est indissociable de l’État de droit !

Nous constatons aussi que la crise de la démocratie contemporaine est avant tout, au sein de l’Union européenne, une crise des États, qu’ils soient centraux ou fédéraux, une crise de leur efficacité, une crise de leur capacité à représenter tous les territoires et tous les citoyens.

L’Allemagne et la France sont confrontées aux mêmes défis, malgré des histoires dissemblables. En Allemagne, faut-il le rappeler, ce n’est pas l’État fédéral qui a établi les Länder, mais les Länder qui ont formé l’État fédéral. En France, l’État central s’est imposé aux provinces, avant que ne soient dévolues aux collectivités territoriales des compétences propres, via la décentralisation.

Les entités fédérales ou locales, en France comme en Allemagne, sont moins touchées par la perte de confiance envers l’État fédéral ou central, même si les lendemains d’élections sont parfois brutaux !

Regardons ces résultats en face, mais restons fidèles à ce qui fait l’essence du fédéralisme, de la décentralisation, du bicamérisme : la culture du compromis, la proximité avec les citoyens –c’est essentiel-, le pragmatisme avant l’idéologie, l’éthique de la responsabilité avant le préjugé ou la passion !

Car le renouveau de l’État fédéral ou central prendra le chemin, j’en suis convaincu, des entités fédérales et locales. Il est de notre responsabilité de nous y atteler : le traité de l’Élysée de 1963 avait fait des relations entre les échelons fédéraux et locaux la substantifique moelle du lien bilatéral. Enrichissons le traité d’Aix-la-Chapelle en ce sens : je propose que nos deux assemblées y travaillent ensemble. Célébrons enfin l’alliance du fédéralisme allemand et de la décentralisation française, car tel est l’esprit de nos lois !

Mesdames et Messieurs,

On entend trop souvent dire que la relation franco-allemande aurait perdu de sa pertinence alors que le monde s’est transformé ; qu’elle serait affaiblie par des intérêts divergents ; que des déséquilibres croissants susciteraient des tiraillements en son sein ; que l’audience du couple franco-allemand en Europe aurait faibli. Bref que notre relation serait « datée » et vidée peu à peu de sa substance.

Ne cédons pas aux chants de sirène des Cassandre !

Datée, la réconciliation entre deux nations longtemps qualifiées d’ennemis héréditaires ? Tout au contraire ! Il s’agit d’une promesse pour les pays traversés par des conflits anciens et douloureux : la paix demeure un horizon possible, pour peu que les circonstances s’y prêtent et que la volonté politique leur soit associée !

Allant de soi, les droits de la personne et la dignité humaine, que nos textes fondamentaux consacrent comme imprescriptibles ? Bien évidemment, non ! Si l’affirmation des droits de la personne a trouvé un terrain fécond dans l’Union européenne, elle n’en constitue pas moins une aspiration universelle et de tout temps qui doit constamment être protégée … Partout.
Dépassé, notre modèle économique, social, éducatif, à la recherche du meilleur équilibre entre le marché, la solidarité et la Justice ? Absolument pas ! Regardons les pays extra-européens qui nous entourent : dans combien d’entre eux les conditions de vie de la population sont-elles comparables aux nôtres ?

Datée, la place du couple franco-allemand dans la construction européenne ? Pas du tout ! Si un accord entre la France et l’Allemagne n’est plus la préfiguration indispensable d’un accord au niveau européen, quelle avancée européenne pourrait-on citer sans l’apport conjoint de la France et de l’Allemagne ? Quelle Europe de la sécurité pourrait-on construire sans nos deux pays, a fortiori après le Brexit ? Comment faire face aux défis migratoires, si nos deux pays ne trouvent pas de convergences ? Quelle autonomie énergétique sans la prise en compte du modèle de l’un et de l’autre ?

Mesdames et Messieurs,

Pour ma part, je ne crois pas que l’Union européenne soit mortelle.

À vrai dire, l’idée d’Europe nous a toujours accompagnés. De l’héritage gréco-latin aux Carolingiens, du Saint-Empire romain-germanique à la Renaissance, des Lumières aux Printemps des peuples, l’Europe fut l’horizon indépassable de nos destinées. Que l’Europe soit menacée, que la guerre soit à ses portes, qu’elle ait à se réformer et à s’affirmer comme un compétiteur économique plus pugnace, qu’elle soit tiraillée par des forces populistes qui sont une tentation constante de son histoire, il s’agit d’une évidence.

Mais de façon plus substantielle, tant que la relation entre la France et l’Allemagne restera une épine dorsale de notre continent et de notre Union, sa stabilité et sa sécurité me paraissent assurées.


Mesdames et Messieurs,

Renouer avec l’esprit de nos grands devanciers ... Combien de fois avons-nous cru sombrer ? Combien de fois nous sommes-nous relevés ? La résignation ne nous mènera nulle part !

Dans De l’Allemagne, Mme de Staël a écrit : « Il faut avoir, dans nos temps modernes, l’esprit européen ». Regardons ce que nous avons accompli, séparément et ensemble, au cours de ces dernières décennies.

Non par nostalgie, mais pour nous donner de la vigueur, de l’ambition, un dessein.

Vivent le fédéralisme et la décentralisation ! Vive le Bundesrat qui célèbre son 75e anniversaire ! Vive l’amitié entre la France et l’Allemagne, pour une Europe plus souveraine ! Vive l’Europe !