Discours d’ouverture du président Gérard Larcher
Rencontre sénatoriale avec les maires d’outre-mer
Lundi 21 novembre 2022 – 15 heures
Pavillon de l’Orangerie
Seul le prononcé fait foi
Monsieur le président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, cher Stéphane Artano,
Mesdames et Messieurs les sénateurs,
Monsieur le président de la délégation aux outre-mer de l’Assemblée nationale, (Moetai Brotherson),
Monsieur le président du gouvernement de la Polynésie française, (Édouard Fritch),
Madame et Messieurs les présidents d’association de maires,
Mesdames et Messieurs les maires, maires-adjoints, et élus municipaux,
Chers amis,
Je suis très heureux de souhaiter à chacune et à chacun d’entre vous la bienvenue au Sénat pour cet après-midi d’échanges entre mes collègues de la délégation sénatoriale aux outre-mer et vous tous qui présidez aux destinées de vos collectivités.
Cette troisième rencontre, organisée dans le cadre du Congrès des maires de France, est un moment privilégié qui nous donne l’occasion de manifester l’attachement du Sénat aux élus municipaux et sa volonté de toujours mieux les associer à ses travaux. Elle permettra d’aborder :
- d’une part, certaines problématiques de gestion locale comme la gestion des déchets, après l’important travail d’investigation de nos collègues Viviane Malet et Gisèle Jourda ;
- d’autre part, le sujet de l’évolution institutionnelle dans les Outre-mer, relancé par l’Appel de Fort-de-France mais aussi par le souhait du Président de la République de mettre en place une « commission transpartisane » pour réfléchir à une réforme institutionnelle.
Je remercie très sincèrement le président Stéphane Artano qui a pris l’initiative de cette rencontre. Je veux aussi saluer la forte implication de l’ensemble de mes collègues membres de la délégation aux Outre-mer, que je remercie pour leur présence nombreuse aujourd’hui ainsi que pour leur mobilisation et leur vigilance, tout au long de l’année. Car, lors de l’examen des textes, ce sont eux qui font entendre la voix des Outre-mer parfois négligée dans les projets de loi élaborés par des administrations très parisiennes qui, encore trop souvent, n’ont ni le réflexe ni la culture des Outre-mer.
Je tiens à saluer très chaleureusement les présidents des associations de maires présents parmi nous, et à leur dire combien j’ai trouvé opportune la création d’une délégation aux outre-mer au sein de l’AMF. Je suis certain qu’elle permettra de renforcer ou de nouer des liens indispensables entre les décideurs nationaux et vos collectivités.
Cette réunion est l’occasion pour moi d’évoquer avec vous des sujets qui font l’actualité tant sur vos territoires qu’ici en métropole.
Je pense en particulier au renchérissement des coûts : énergie, matières premières, transport, lié à la fois au redémarrage économique de l’an dernier et à la guerre en Ukraine.
Nous ne pouvons rester indifférents aux difficultés que ce renchérissement génère dans vos territoires où la pauvreté, selon un récente étude de l’Insee, est cinq à quinze fois plus fréquente que dans l’Hexagone et où la cherté des produits a déjà des conséquences sur la vie quotidienne de vos concitoyens.
Beaucoup d’élus m’ont fait part de leur impossibilité de préserver les tarifs communaux, notamment ceux de la restauration scolaire ; d’autres s’inquiètent de devoir arbitrer, en matière d’éclairage public, entre sécurité et sobriété. Certes, le Gouvernement a prévu un « amortisseur électricité », mais nous devons veiller à la mise en place effective d’un dispositif de soutien aux collectivités territoriales, clair et intelligible pour tous les élus et susceptible de concerner le maximum de communes.
Je pense également à la volonté gouvernementale de faire participer les élus locaux au redressement des finances publiques du pays, en incitant les collectivités à dépenser moins que l’inflation. Le Gouvernement semble oublier qu’il y a de nombreux facteurs d’augmentation des dépenses des collectivités, à commencer par les hausses qu’il décide lui-même. À titre d’exemple, je ne prendrai que sa décision d’augmenter le point d’indice pour toute la fonction publique. Lorsque l’on connaît le poids important que représente la masse salariale dans les dépenses de fonctionnement de vos communes, près des deux tiers de celles-ci, et la détérioration de vos marges d’autofinancement comme le montrent les données de la DGCL, nous ne pouvons que nous alarmer quant à vos capacités d’investissement.
Le Sénat, dans ses « 50 propositions pour le plein exercice des libertés locales », prévoyait pour garantir l’autonomie financière des collectivités d’inscrire dans la Constitution le principe selon lequel « qui décide paie ». Cette proposition n’a rien perdu de sa pertinence.
Il m’est impossible, en abordant les finances locales, de ne pas évoquer les Contrats de Redressement Outre-Mer (COROM) dont notre collègue Georges Patient est un des initiateurs. Ce dispositif permet à l’État d’accompagner par un appui technique, humain et financier des communes volontaires, en échange d’engagements visant à leur permettre de revenir à une meilleure santé financière. C’est un dispositif essentiel en raison de la situation financière de nombreuses communes, qui mérite un accroissement des crédits budgétaires le concernant. Certes, dans le texte retenu par le Gouvernement sur la deuxième partie de la loi de finances de 2023, des crédits supplémentaires ont été obtenus ; mais cette enveloppe apparaît encore insuffisante. Le Sénat, à l’initiative de ses rapporteurs proposera une rallonge de 20 millions d’euros en faveur des COROM. Il serait souhaitable par ailleurs que la mise en œuvre de ces contrats soit simplifiée.
Autre sujet d’actualité, celui de la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Cette suppression va encore accroître la déconnexion des contributions locales au budget des collectivités et pourrait, à terme, désinciter les communes et intercommunalités à accueillir des entreprises sur leur territoire et à développer les infrastructures appropriées.
Ces différents sujets d’actualité me convainquent de la nécessité de réformer en profondeur les relations entre les collectivités territoriales et l’État. Un nouvel équilibre entre les pouvoirs locaux et le pouvoir central est nécessaire.
Trop de Français, et en particulier dans les Outre-mer, ont le sentiment de ne pas être entendus. Ce déficit démocratique se vérifie scrutin après scrutin, dans l’abstention ou dans le vote en faveur de partis protestataires. Il suffit de regarder les résultats des scrutins pour l’élection présidentielle dans la plupart de vos départements ou collectivités pour mesurer ce vote de défiance qui nous oblige. Qu’attendent nos concitoyens ? Plus d’efficacité et plus de proximité dans la réponse publique, qui prendra d’autant mieux en compte les besoins exprimés qu’elle sera élaborée par les acteurs de terrain.
J’ai donc souhaité que le Sénat s’engage à nouveau dans un travail de propositions, dans le cadre d’un groupe de travail pluraliste sur la décentralisation, auquel le président Artano participe en sa qualité de président de la délégation aux Outre-mer.
Ce travail s’articule autour de trois axes :
- les relations financières entre l’État et les collectivités territoriales ;
- l’approfondissement de la différenciation territoriale ;
- et la déconcentration de l’État.
Sur le volet « relations financières », comme je l’ai dit précédemment, nous devons faire évoluer le système actuel des ressources et péréquations des collectivités locales vers un système qui garantirait des ressources stables, sécurisées et planifiées pour l’ensemble des collectivités.
Sur le volet « approfondissement de la différenciation territoriale », la délégation aux Outre-mer a la charge d’actualiser le rapport de Michel Magras, en procédant à l’audition des présidents d’exécutifs régionaux, départementaux et territoriaux, ainsi qu’à des échanges comme ceux d’aujourd’hui, avec vous qui agissez au quotidien pour le bien de vos concitoyens. Les auditions menées par Stéphane Artano et sa co-rapporteure, Micheline Jacques, sont d’ores et déjà riches d’enseignements. Elles montrent, en effet, la diversité des attentes, la nécessité d’éviter l’écueil de discussions purement juridiques qui ne tiendraient pas compte des véritables enjeux locaux et l’impératif de partager tout projet d’évolution avec la population concernée afin d’atteindre l’objectif recherché. Parce que toute réforme qui n’aurait pas l’adhésion de nos compatriotes serait vouée à l’échec !
De même, ces échanges montrent qu’il ne faut pas uniquement se focaliser sur de nouveaux transferts de compétences, mais aussi sur la mise en œuvre de modifications, d’éclaircissements, qui permettraient aux collectivités d’exercer enfin pleinement les compétences qui leur sont dévolues par la loi, au plus grand bénéfice de leurs administrés.
Qu’elles puissent à ce titre également endosser la responsabilité des politiques qu’elles conduisent. Comment en effet accepter plus longtemps que l’État continue, avec une accumulation de contraintes et de normes, à encadrer l’exercice de leurs compétences ?
Nous devons renforcer le pouvoir réglementaire local qui est le principal outil concret de la différenciation.
Nous devons empêcher que les lois soient défaites par des dispositions réglementaires ou par l’absence de textes d’application. L’État doit cesser de s’immiscer toujours davantage par le pouvoir réglementaire, par les interventions de son administration et de ses choix budgétaires, dans la gestion des compétences transférées aux collectivités territoriales.
Enfin, sur le troisième volet du groupe de travail, qui traite de la déconcentration de l’État, comme le montre un récent rapport de notre délégation aux collectivités locales, il apparaît important de repenser l’État territorial, avec des services déconcentrés renforcés. Il faut en effet remettre l’État là où il est nécessaire sur le territoire.
Je ne verrais que des avantages à ce que les services de l’État puissent, par exemple, renforcer leur pôle d’ingénierie et assurer une meilleure coordination avec les autres structures d’ingénierie opérant sur le même territoire ultramarin afin d’optimiser les financements et la concrétisation des projets. Il est rageant de constater, comme le souligne la Cour des comptes, que la sous-consommation des crédits est très souvent liée au manque structurel d’ingénierie.
Cette sous-consommation se retrouve également dans le faible taux de consommation des crédits affectés aux contrats de convergence et de transformation (CCT), ce qui est dommageable.
Aussi, l’enjeu des travaux du Sénat n’est autre que de libérer les énergies locales, pour assurer un meilleur développement de vos territoires. Ainsi, le Sénat a adopté vendredi dernier, dans le cadre de l’examen de la loi de finances pour 2023, plusieurs amendements ont été adoptés notamment afin d’harmoniser pour les COM et les DOM les durées de prolongation de plusieurs dispositifs de défiscalisation ou encore tendant à proroger, sous certaines conditions, jusqu’à la fin 2024 les crédits d’impôt en faveur des investissements productifs outre-mer.
Avant de conclure, je tiens à rappeler que l’État, dans ses missions régaliennes, doit assurer à la population de vos territoires un environnement harmonieux, en garantissant la sécurité de tous. Or, plusieurs collectivités ultramarines sont aujourd’hui confrontées à des situations de violences. Le sujet de la sécurité, au cœur des préoccupations des élus, a été abordé ce matin, lors de vos échanges à Issy-les-Moulineaux. J’ai quant à moi bien entendu, lors de notre dernière rencontre, les messages des élus de Mayotte où les communes doivent faire face à des exactions d’une extrême gravité. Les événements de la semaine dernière, qui témoignent de l’accroissement des agressions violentes contre les transports scolaires, sont inacceptables. Dans ce territoire, comme dans d’autres, les forces de sécurité et l’autorité judiciaire doivent bénéficier de moyens accrus et d’une attention particulière.
La nomination d’un préfet délégué en Martinique pour travailler sur les questions de sécurité, signe d’une prise de conscience, devrait également concerner d’autres territoires, si l’on entend élaborer une véritable stratégie de lutte contre la délinquance propre à chacune de vos collectivités, et répondre ainsi à vos préoccupations.
Je souhaite que vous repartiez de cet après-midi d’échanges convaincus que notre Haute Assemblée, chambre des territoires, veillera, lors de nos futurs travaux, à ce que vos collectivités disposent, au sein de la République, d’une organisation et de normes qui répondent à leurs spécificités. Je pense en particulier aux communes de Nouvelle-Calédonie qui ont été négligées par l’accord de Nouméa et qui, je le souhaite, verront l’importance de leur rôle davantage reconnu dans le prochain statut.
Je vous souhaite des débats nourris et enrichissants, et nous nous retrouverons pour conclure cet après-midi à la présidence, pour un moment de convivialité.