Allocution de Monsieur le Président du Sénat
à l'occasion de la 19ème réunion de l'Association des Sénats d'Europe
Le vendredi 15 juin 2018
Monsieur le Président du Sénat de Roumanie,
Mesdames et Messieurs les Présidents, chers collègues,
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Mesdames et Messieurs les Secrétaires généraux des Sénats,
Permettez-moi tout d’abord de remercier le Sénat de Roumanie et son Président, pour la qualité de son accueil et la parfaite organisation de nos travaux.
Comme vous le savez, l’association des Sénats d’Europe a été créée à Paris, en 2000, à l’initiative de l’un de mes prédécesseurs, Christian Poncelet, pour qui j’ai une pensée en ce moment. Elle a pour vocation de promouvoir le bicamérisme et le renforcement de l'identité et de la conscience européennes.
Nos rencontres régulières sont particulièrement utiles dans la période que nous traversons. Alors que partout en Europe on constate une montée des populismes, je suis profondément convaincu que les deuxièmes chambres ont un rôle essentiel à jouer pour conforter la démocratie parlementaire.
Je voudrais à cet égard vous confirmer la candidature du Sénat français pour accueillir à Paris en 2019 la 20e réunion de l’Association des Sénats d’Europe, la préparer avec vous, chers collègues, et faire vivre pendant une année les relations entre nos assemblées.
Le thème que vous avez choisi de mettre à l’ordre du jour touche à l’avenir même du projet européen.
La construction européenne nous a permis de préserver la paix. Pour autant, jamais la construction européenne n’a semblé aussi fragile qu’aujourd’hui et jamais le doute des citoyens à l’égard de l’Europe n’a paru aussi grand.
Un processus de déconstruction menace l’Europe.
1°) Cette crise existentielle résulte d’abord de facteurs externes :
Face à l’unilatéralisme du Président américain Donald Trump, à la politique conquérante de la Chine, qui lance de nouvelles routes commerciales, à la Russie de Vladimir Poutine, l’Europe peine à faire entendre sa voix. Le récent Sommet du G7 en porte témoignage.
Face à une crise migratoire depuis 4 ans d’une ampleur sans précédent, l’Union européenne a réagi dans l’urgence, de manière dispersée et sans assez de cohérence d’ensemble. Aujourd’hui encore, elle peine à apporter des réponses efficaces à la fois à un drame humain et à la déstabilisation des pays d’entrée de ces migrants.
Mais la crise de l’Europe résulte aussi de facteurs internes.
Le referendum britannique sur le Brexit a été un choc et un signal. Je forme le vœu que l’Union européenne parvienne à un accord permettant à la fois de préserver l’intégrité du marché unique et de maintenir une coopération étroite avec nos amis britanniques. Je sais le rôle essentiel de nos collègues de la Chambre des Lords en ce moment.
Un peu partout en Europe, nous assistons à une montée de courants anti-européens et de nombreux Etats sont confrontés à des tendances centrifuges, à la montée des régionalismes et des revendications autonomistes, à des « fractures territoriales ».
2°) Face à cette crise existentielle, je suis convaincu qu’il faut renforcer la cohésion et l’unité de l’Europe, à la fois sur le plan externe et sur le plan interne.
Sur le plan externe, l’Europe doit s’affirmer comme puissance. Les citoyens veulent d’abord une « Europe qui protège ».
Il nous faut progresser en matière de défense et de sécurité, de contrôle des migrations et de protection des frontières.
Face au défi migratoire et au terrorisme, l’Europe doit protéger sa frontière extérieure. Nous devons, pour les pays membres de l’UE, encore renforcer l’agence FRONTEX et lutter résolument contre les réseaux criminels de passeurs. Pour traiter les causes des migrations à la racine, nous devons développer les partenariats avec les pays d’origine et de transit, en particulier d’Afrique, en renforçant l’aide au développement. En retour, nous sommes en droit d’attendre de ces pays une coopération en matière de réadmission. Mettons en œuvre une véritable solidarité entre nos Etats. Gardons-nous de créer des clivages entre l’Est et l’Ouest, entre le Nord et le Sud de l’Europe, qui seraient lourds de périls.
Il nous faut également mener une politique commerciale adaptée au nouvel état du monde. L’Union européenne, première puissance commerciale, doit défendre ses intérêts sur la base du principe de réciprocité. Elle doit se doter des instruments de défense commerciale lui permettant de réagir face à des pratiques déloyales ou aux ruptures unilatérales de règles commerciales ou douanières.
Face aux tendances centrifuges, l’Europe doit aussi renforcer sa cohésion interne.
Nous devons éviter le dumping social et fiscal au sein même de l’Europe. Il ne s’agit pas d’aller vers un modèle social uniforme, mais d’encourager une plus grande convergence fiscale et sociale.
Malgré la reprise de la croissance en Europe, le chômage reste encore trop élevé dans certains pays, en particulier chez les jeunes. L’Union européenne a un rôle important à jouer pour encourager la formation professionnelle, la mobilité des apprentis, une politique économique permettant de soutenir la croissance et la création d’emplois.
Nous devons aussi maintenir une politique agricole commune et une politique régionale ambitieuses pour assurer la cohésion et l’équilibre des territoires.
Alors que l’agriculture présente un intérêt stratégique majeur pour la souveraineté et la sécurité alimentaires de l’Europe, mais aussi pour l’équilibre de nos territoires, la forte baisse des financements européens que propose la Commission européenne ne peut en l’état être acceptée.
De même, la politique de cohésion doit disposer des crédits nécessaires pour mener à bien ses missions. C’est l’équilibre des territoires qui est en cause mais aussi la réalisation d’infrastructures, le soutien à l’innovation et à la création d’emplois. Pour être plus efficace, cette politique doit aussi être simplifiée.
Pour renforcer la cohésion de l’Europe et rapprocher l’Europe des citoyens, je suis persuadé que les Parlements nationaux, et les chambres hautes en particulier, ont un rôle essentiel à jouer.
Je pense en particulier au respect du principe de subsidiarité, afin que l’action de l’Union européenne se concentre sur l’essentiel et non sur les petites choses.
J’ai beaucoup parlé de l’Union européenne. Je n’oublie pas les deuxièmes chambres des autres pays européens, comme le Conseil des Etats suisse et la Chambre des Peuples de Bosnie-Herzégovine.
Les chambres hautes sont proches des réalités concrètes vécues par nos concitoyens dans les territoires. Elles sont moins sujettes à l’emprise de l’actualité immédiate. Elles peuvent ainsi être force de propositions pour la cohésion économique, sociale et territoriale, en identifiant lucidement les défis du moment mais aussi en traçant les perspectives pour l’avenir.
Les deuxièmes chambres jouent aussi un rôle important en matière de diplomatie parlementaire, pour favoriser le dialogue et rapprocher les points de vue. Sans rompre la nécessaire cohésion autour de décisions communes, auxquelles la France et moi-même tenons, peut-être faudra-t-il reprendre un dialogue avec le Conseil de la Fédération de Russie. Le dialogue, sans faiblesse aucune, est la seule voie pour le retour de la confiance.
Je crois les citoyens conscients de l’importance des secondes chambres pour l’équilibre des pouvoirs et la cohésion de nos Etats et de l’Europe : la preuve en est que les deux referendums qui ont eu lieu à ce sujet en Europe au cours des dernières années – je pense à l’Irlande et à l’Italie - ont conclu au rejet d’une réduction du rôle de la deuxième chambre.
Nous devons donc continuer à promouvoir le bicamérisme.
Je vous remercie.
Seul le prononcé fait foi