Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte européenExamen : 03/10/2013 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n°827 (2012-2013) : voir le dossier legislatif
Transports
Examen de la proposition de résolution
européenne n° 827
sur les aides d'État aux
aéroports régionaux
Rapport de M. Jean Bizet
(Réunion du 3 octobre 2013)
M. Simon Sutour, président. - Merci à M. Jean Bizet de nous présenter son rapport sur la proposition de résolution concernant les aides aux aéroports régionaux, qu'il a cosignée avec M. Bernard Saugey. La question est sensible pour nos territoires ; je lui fais confiance pour la démêler.
M. Jean Bizet. - Je vais essayer de mériter votre confiance ! Il y a quelques semaines, M. Bernard Saugey attirait mon attention sur un sujet qui m'était alors moins familier : les lignes directrices sur les aides d'État aux aéroports et aux compagnies aériennes et leur révision par la Commission européenne. Comme il s'agit d'une compétence exclusive de l'Union, le Gouvernement ne nous a pas soumis cette proposition. Pour autant, il nous est permis de nous exprimer puisque, après la consultation ouverte par la Commission du 3 juillet dernier au 26 septembre, les États membres ont jusqu'au jeudi 3 octobre pour lui répondre et que s'ensuivront des négociations. Le Sénat est donc pleinement dans l'actualité et dans son rôle de représentant des collectivités locales en se prononçant sur ce dossier.
La libéralisation du ciel européen est entrée en vigueur en 1997. Afin de l'accompagner, la Commission européenne a adopté des lignes directrices concernant les aides que les collectivités publiques peuvent apporter à leurs aéroports et aux compagnies aériennes en 1994 puis en 2005.
Ces règles, peu claires, ont souffert d'être mal ou pas appliquées. Et à cause de cette mauvaise application, les compagnies low cost ont bénéficié d'aides que d'aucuns jugent exorbitantes. Elles occupent désormais la première place dans le ciel européen : en 2012, leur part de marché était de 44,8 %, contre 42,4 % pour les grandes compagnies comme Air France et la Lufthansa.
Dans le même temps, par les lois de 2004-2005, la France a organisé la décentralisation de ses aéroports : les collectivités territoriales se sont vu confier leur propriété et des sociétés privées leur gestion sous la forme de délégations de service public. Afin de faire vivre leurs territoires, beaucoup de nos collectivités, comme d'autres en Europe, ont subventionné de nouvelles lignes affrétées par des compagnies à bas coût, sans se préoccuper parfois des règles imposées par Bruxelles. Les Français y ont trouvé leur compte et le low cost a trouvé sa place dans le paysage : il représentait jusqu'à 13,6 % du trafic en France en 2012. Ce n'est pas rien !
La compagnie Ryanair, pour ne pas la nommer, s'est spécialisée dans la recherche des subventions et, imposant sa puissance et ses conditions face à des collectivités locales poussées à la dépense, a obtenu des contrats subventionnés qui lui ont rapporté jusqu'à 500 à 600 millions d'euros par an. Le chiffre est parlant ! Les grandes compagnies européennes ont saisi la Commission européenne. Résultat, pas moins de vingt-sept contentieux pour la France et près d'une soixantaine en Europe, dont la quasi-totalité concerne Ryanair.
Si le secteur aérien est moins subventionné que le rail, et je ne veux pas rouvrir la bataille du rail, l'enjeu financier n'est pas neutre. Selon la direction générale de l'aviation civile, les collectivités consacrent près de 70 millions d'euros chaque année aux aéroports régionaux. De plus, comment bâtir un ciel unique européen et assurer un développement durable du territoire en laissant des compagnies pratiquer un inadmissible dumping fiscal et social ? D'où la décision de la Commission d'adopter de nouvelles lignes directrices.
Dans son projet, la Commission distingue trois types d'aides d'État, à commencer par les aides aux investissements dans les infrastructures aéroportuaires. Elles seraient dorénavant soumises à deux conditions : d'une part, l'existence d'un réel besoin en matière de transport, et, d'autre part, la nécessité d'une aide publique pour garantir l'accessibilité de la région. Le projet prévoit de fixer des taux maximaux d'aides en fonction de la taille de l'aéroport : de 75 % pour les aéroports de plus d'un million de passagers par an à 25 % pour les aéroports assurant un trafic annuel compris entre 3 et 5 millions de passagers. Au-delà de 5 millions, aucune aide ne serait autorisée, ce qui paraît d'une grande rationalité.
Les aides d'État au fonctionnement des aéroports, qui existent de fait, seraient désormais autorisées pour les aéroports de moins de 3 millions de passagers par an. Néanmoins, pour une période transitoire de dix ans seulement, et encore sous certaines conditions et de façon dégressive.
Enfin, les aides au démarrage octroyées aux compagnies aériennes pour lancer une nouvelle liaison seraient autorisées pendant deux ans et dans la limite de 50 % des coûts de démarrage. Actuellement, l'aide peut être apportée pendant 3 ans, mais dans la limite de 30 % des coûts.
Pour les aéroports de moins de 3 millions de passagers, la notification des aides dépendrait d'un régime déterminé par chaque État avec accord de la Commission. Les aides aux plus grands aéroports devraient être notifiées individuellement.
Cette proposition paraît globalement satisfaisante : avec une approche plus intégrée des aides d'État, elle apporte une clarté qui faisait défaut jusqu'alors. De plus, elle est animée par des soucis louables : celui de l'efficacité de la dépense publique et de la transparence. Gestionnaires d'aéroports, ministère des transports et même Air France y sont plutôt favorables. Autre motif de satisfaction, la volonté nouvelle, tant de la part de la Commission que de la France, de faire appliquer les Lignes directrices réformées.
Néanmoins, cette proposition comporte un défaut majeur : elle traite peu et mal des aéroports dont le trafic est inférieur à 1 million de passagers par an ! D'où cette proposition de résolution. La France compte 79 aéroports qui accueillent plus de 1 000 passagers par an. Parmi eux, 46 ont un trafic inférieur à 200 000 passagers, 17 ont un trafic supérieur à un million de passagers, 2 aéroports accueillant entre 500 000 et 1 million de passagers et, enfin, 14 entre 200 000 et 500 000 passagers. Ce sont précisément ces derniers, pourtant essentiels à nos régions, qui risquent de disparaître faute de subventions publiques. Sans compter les aéroports qui pourraient être rapidement fragilisés, je pense, notamment, à celui de Nîmes.
M. Simon Sutour, président. - Merci !
M. Jean Bizet. - Le problème est réel en Languedoc-Roussillon : il a été évoqué lors d'une audition.
Actuellement, une aide apportée à un aéroport de moins d'un million de passagers par an est considérée comme une compensation de service public non susceptible de fausser la concurrence à condition de respecter les critères de service d'intérêt économique général, les SIEG. La Commission, dans son projet de révision, a considérablement abaissé le seuil : il passe d'un million à 200 000 passagers par an ! Nous comptions demander, avec M. Bernard Saugey, le maintien du seuil à 1 million, afin d'éviter que près de 16 de nos aéroports soient menacés.
Hélas, ce seuil relève de la réglementation générale sur les SIEG sur laquelle nous ne pouvons pas revenir ; notre dénonciation, à l'initiative de M. Bernard Piras, de la vision étroite et restrictive de la Commission n'avait pas porté lors de la réforme qui a abouti à la décision du 20 décembre 2011. Il n'est pas trop tard pour agir quand beaucoup de voix se sont élevées en Europe pour critiquer les difficultés faites aux petits aéroports depuis que la Commission a présenté son projet aux États membres. Nos propositions pourraient être utiles, pour peu qu'elles visent juste.
Puisque le calendrier nous est très favorable, profitons-en pour jouer pleinement notre rôle de défenseurs des collectivités territoriales. Confirmons notre soutien à la lutte contre la concurrence déloyale exercée par les compagnies qui pratiquent le dumping, exprimons notre regret du choix de l'abaissement du seuil à 200 000 passagers avant de proposer la création d'une nouvelle catégorie pour les aéroports dont le trafic est inférieur à 500 000 passagers par an. Nous viserons ainsi les fameux 14 sites sur la sellette. Pour eux, les aides à l'investissement couvriraient jusqu'à 90 % des coûts et le maintien des aides après dix ans pourrait être envisagé, de façon limitée et contrôlée par les États membres.
Introduisons également de la subsidiarité dans le régime d'aide national afin de rendre un peu de pouvoir aux collectivités locales et d'assurer une gestion durable des aéroports sur nos territoires. L'idée est de demander au Gouvernement de désigner officiellement les régions comme collectivité pilote dans la gestion des aéroports, une fonction qu'elles assurent déjà presque partout. Charge à elles de négocier avec les collectivités pour limiter la concurrence entre les aéroports, et avec l'État pour assurer une coordination au niveau national. De cette manière, nous éviterons que la Commission décide seule, in fine, de la fermeture d'aéroports.
La proposition de la Commission européenne mérite d'être précisée afin que les mauvaises pratiques sur les aides aux démarrages pour mettre un terme définitif aux mauvaises pratiques de Ryanair. Je ne suis pas contre les compagnies low cost, elles font partie de notre société. En revanche, je n'admets pas qu'elles contournent les règles. Un aspect de la solution serait d'inclure, ce qui est loin d'être le cas actuellement, les contrats de marketing et de publicité manifestement liés à l'arrivée d'une compagnie aérienne dans le régime d'aide au démarrage. Sans quoi, des subventions continueront d'être distribuées larga manu à ces acteurs.
Enfin, plutôt que de verser des subventions visant à compenser les surcoûts engendrés par le lancement d'une nouvelle liaison aérienne, ce soutien pourrait prendre la forme d'une réduction ciblée des redevances aéroportuaires fixées par les aéroports, avec l'accord de la Direction générale de l'aviation civile. Demandons au Gouvernement d'étudier cette formule.
M. Simon Sutour, président. - Je partage globalement votre approche. Nos aéroports, parce qu'ils sont le fruit de notre histoire, ne sont pas forcément répartis de manière rationnelle sur notre territoire. Dans ma région de Languedoc-Roussillon, Nîmes Garons se trouve ainsi à 50 km de Montpellier. Cet aéroport a ceci de particulier qu'il est, en partie, militaire. La base militaire attenante, qui fournissait les contrôleurs aériens, a fermé ; mais c'est une autre histoire... Il a été rénové, ses pistes réaménagées et la Direction de l'aviation civile, qui était à l'étroit, doit bientôt s'y installer. Ne supprimons pas ce qui existe.
M. André Gattolin. - Les aéroports ont une dimension militaire, une dimension stratégique et une dimension d'aménagement du territoire. N'oublions pas, pour autant, la dimension économique. Le fret joue un grand rôle dans la rentabilité des aéroports, je le sais pour avoir grandi dans l'ombre de Lyon Saint-Exupéry. La Commission a dédaigné ce critère en ne retenant que le volume passager. La circulation des marchandises, à laquelle on prête hélas plus d'attention qu'à celle des hommes, n'est-elle pas au fondement de l'Union ? Sénateur vert, je ne suis pas un anti aéroport, même si je peux contester telle ou telle implantation à cause de son impact environnemental ou de son coût. Ce qui m'importe ici est la rationalité économique.
M. Éric Bocquet. - Je partage entièrement la philosophie et les termes de cette proposition de résolution. La question des aéroports régionaux nous concerne tous, en tant que sénateurs et en tant qu'élus. L'aménagement de nos territoires est en jeu. Puisqu'il a été fait allusion à la bataille du rail, j'ajouterai qu'il y a de quoi s'inquiéter : superposez les projections pour les lignes ferroviaires à vingt ou trente ans avec la carte des aéroports et vous verrez apparaître de vrais déserts. Intéressant quand nous débattons, dans l'hémicycle, des métropoles... A-t-on une idée de l'impact de ces nouvelles lignes directrices en Allemagne et au Royaume-Uni ?
M. Bernard Piras. - Je suis en accord avec les propositions du rapporteur, elles sont cohérentes avec celles que j'avais défendues lors de la réforme des SIEG.
M. Jean Bizet. - Je me réjouis que toutes les sensibilités politiques se rejoignent sur des sujets d'aménagement du territoire. Monsieur Gattolin, vous avez raison de souligner l'importance du fret, mais je ne suis pas certain que le critère du fret soit plus favorable. J'ajoute que nous avons déjà corrigé l'approche très restrictive de Bruxelles en soulignant que les aéroports sont des facteurs de développement et de création de richesses.
Monsieur Bocquet, vous avez raison d'établir un parallélisme avec le rail. Si nous poussons la logique de réduction du périmètre des SIEG à l'extrême, elle est aberrante : à quoi serviront donc l'État et les collectivités territoriales ? Nous devons envoyer un message et encourager la péréquation, ce qui se pratique déjà entre grands et petits aéroports sur les 100 millions d'aides apportées au ciel chaque année. La réponse ne peut pas être purement comptable, purement libérale.
Monsieur Piras, je regrette que nous n'ayons pas été entendus sur les SIEG. Le Gouvernement me semble intéressé par notre orientation sur ce dossier ; profitons-en et espérons que la commission du développement durable, saisie au fond sur ce dossier, restera dans la ligne de notre texte.
À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté à l'unanimité la proposition de résolution.
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 106 § 2 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concernant les services d'intérêt économique général,
Vu l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne concernant les aides d'État,
Vu le livre blanc de la Commission européenne « La politique européenne des transports à l'horizon 2010 : l'heure des choix »,
Vu les lignes directrices de la Commission européenne de 2005 sur le financement des aéroports et les aides d'État au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d'aéroports régionaux,
Vu le projet de lignes directrices de l'Union européenne sur les aides d'État aux aéroports et aux compagnies aériennes du 3 juillet 2013,
Condamne la concurrence déloyale exercée par certaines compagnies aériennes et appelle l'Union européenne à lutter contre le dumping fiscal et social ;
Comprend que les aides accordées aux aéroports régionaux doivent respecter des principes de transparence, de non-discrimination et de proportionnalité afin de ne pas constituer de distorsion de concurrence ;
Rappelle que le rôle des aéroports et des compagnies aériennes dans l'ouverture du ciel européen fait partie intégrante de la stratégie de l'Union européenne en matière de transport, et contribue aux objectifs de lutte contre les problèmes de congestion du transport aérien ainsi que l'accroissement des possibilités de vols pour les citoyens européens ;
Mais souligne également que l'accès aux transports sur l'ensemble des territoires constitue un levier de développement économique pour chaque région et participe à la cohésion territoriale ;
Estime que la présence d'un aéroport régional est cruciale pour la compétitivité des territoires puisqu'elle bénéficie aux entreprises des régions concernées et peut également favoriser un cercle vertueux d'implantation d'entreprises dans ces régions ;
Observe que la présence d'un aéroport régional bénéficie également aux citoyens européens en favorisant le tourisme et la mobilité des personnes sur le territoire européen ;
Juge qu'en temps de crise économique particulièrement sévère, il est indispensable que les collectivités locales puissent octroyer des aides aux aéroports régionaux pour soutenir leurs activités et éviter une disparition de cette modalité de transport dans certaines régions ;
Regrette que la décision de la Commission européenne du 20 décembre 2011 relative à l'application de l'article 106, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général ait abaissé à 200 000 passagers par an le seuil en-dessous duquel un aéroport peut bénéficier d'aides publiques au titre des services d'intérêt économique général, au lieu d'un million de passagers jusqu'à présent ;
Estime qu'un tel abaissement de ce seuil affaiblit la notion de service d'intérêt économique général en Europe ;
Regrette le manque d'attention portée par les nouvelles lignes directrices aux aéroports de moins d'un million de passagers et craint que leur application n'entraîne la disparition d'un certain nombre d'aéroports régionaux ;
Demande, par conséquent, au Gouvernement d'ouvrir sans attendre des négociations avec la Commission européenne et de soutenir les propositions suivantes :
- l'introduction dans les nouvelles lignes directrices de la catégorie d'aéroports dont le trafic annuel est inférieur à 500 000 passagers ;
- pour les aéroports dont le trafic annuel est inférieur à 500 000 passagers, l'autorisation d'aides à l'investissement n'excédant pas 90 % des coûts ;
- pour les aéroports dont le trafic annuel est inférieur à 500 000 passagers, le maintien des aides à l'exploitation au-delà du délai transitoire envisagé de dix ans, de façon limitée et contrôlée par les États membres ;
- concernant les aides au démarrage, de préciser les coûts éligibles au régime d'aide d'État ;
- de considérer comme des aides au démarrage les contrats de marketing et de publicité lorsqu'ils sont manifestement liés à l'arrivée d'une compagnie aérienne dans un aéroport ;
Demande, par ailleurs, au Gouvernement de désigner les régions comme collectivité pilote dans la gestion des aéroports sur leur territoire, en coordination avec les autres collectivités locales et les services de l'État ;
Souhaite que soit étudiée l'hypothèse d'une réduction ciblée des redevances aéroportuaires comme aide possible au démarrage d'une nouvelle ligne aérienne.