Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte européenExamen : 07/04/2009 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif
Agriculture et pêche
Communication et proposition de résolution de
MM.
Gérard César et Simon Sutour sur l'élaboration de vins de
table rosés par coupage de vin rouge et de vin blanc
(Réunion du mardi 7 avril 2009)
M. Simon Sutour :
Voici en quelques mots les raisons qui me paraissent justifier le dépôt d'une proposition de résolution.
Tout d'abord, autoriser la production de vin rosé par coupage de vin rouge et de vin blanc me paraît une mauvaise mesure sur le fond. Ces dernières années, des efforts importants ont été faits pour promouvoir le vin rosé et en améliorer la qualité. Ces efforts étaient d'ailleurs cohérents avec le discours que tenait la Commission européenne au moment de la réforme de l'OCM « vin » : privilégier la qualité et savoir s'adresser au consommateur. Les résultats sont là, puisque les ventes de vin rosé ont progressé, et notamment au profit des producteurs français, qui assurent 29 % de la production mondiale. Ces efforts pour revaloriser l'image du vin rosé vont être compromis dès lors que cette catégorie de vins ne correspondra plus à un type de production, mais pourra aussi recouvrir un mélange de vins. On va exactement dans le sens contraire de l'orientation en faveur de vins de qualité, identifiables par le consommateur. On va brouiller l'image du vin rosé.
Le résultat sera forcément négatif. Quand le consommateur ne trouve pas, sous une dénomination qu'il connaît, un produit répondant à ses attentes, il perd confiance dans cette dénomination et s'en détourne. Par ailleurs, le marché risque d'être déstabilisé. On va utiliser les excédents d'autres vins pour produire un pseudo-rosé qui va arriver sur le marché au moment même où on va jeter le doute dans l'esprit du consommateur.
Ensuite, je voudrais souligner que cette mesure est particulièrement malvenue. La viticulture est une activité en crise dans certaines régions, dont la mienne. Or, cette mesure sera perçue comme un manque de respect. Le vin représente une culture, un savoir-faire, une tradition. Autoriser n'importe quel mélange, c'est ignorer cette dimension du vin, qui n'est pas un produit industriel. Les viticulteurs vont avoir le sentiment d'une forme d'ignorance, voire de mépris pour ce qu'ils font, alors qu'ils doivent faire face à une situation difficile.
J'ajoute que la procédure de décision me paraît anormale. On a le sentiment que personne ne contrôle vraiment ce qui se passe dans ces comités où des experts de la Commission retrouvent des experts des États membres. Personne ne semble contrôler ces comités, et notamment pas notre Gouvernement, alors que le vin n'est pourtant pas une petite affaire pour notre pays, même du point de vue strictement économique. Dans un premier temps, notre représentant a dit « oui » ; lors d'un second vote, il s'est abstenu ; et tout laisse à penser que le troisième vote sera négatif, alors que pendant un certain temps il était question de se contenter d'une concession sur l'étiquetage.
Il est particulièrement étonnant que l'expert représentant la France ait donné son accord dans un premier temps. On nous a dit qu'il s'agissait d'un « paquet », et que l'expert en question avait considéré que, les autres aspects du « paquet » étant satisfaisants, il pouvait approuver l'ensemble. Je considère pour ma part qu'une appréciation de ce type est une appréciation politique qui ne devrait pas être laissée à un expert. Je le disais à l'instant, le vin a une dimension culturelle, symbolique ; je veux bien que les comités règlent des questions purement techniques, mais certainement pas des questions qui touchent à cette dimension culturelle, et qui ont donc une portée politique.
Quand nous avons entendu le secrétaire général du SGAE, il nous a dit que son administration elle-même ne parvenait pas à contrôler ce qui se passe dans ces comités. On se demande où se trouve la supervision pourtant indispensable.
Enfin, ce manque de responsabilité ne peut que donner une mauvaise image de l'Europe, alors que nous sommes à deux mois des élections européennes. Voudrait-on donner des arguments aux eurosceptiques qu'on ne s'y prendrait pas autrement. Ce genre de bévue ne peut que décourager ceux qui essayent de faire avancer l'idée européenne sur le terrain. J'espère que nous parviendrons à la rattraper ; je crois que le gouvernement a pris conscience - tardivement - de la nécessité de le faire. C'est le moment ou jamais de montrer que l'Europe, ce n'est pas une machinerie qui tourne inexorablement, mais qu'on peut au contraire corriger, redresser un processus de décision mal engagé.
C'est pourquoi je souhaite que cette proposition de résolution soit adoptée le plus rapidement possible.
M. Gérard César :
La Commission européenne propose de reconnaître, parmi les pratiques oenologiques admises dans l'Union, l'obtention de vins rosés par coupage de vins blancs et de vins rouges.
Cette innovation n'est pas acceptable. Grâce aux efforts pour améliorer la qualité et la notoriété du vin rosé produit dans l'Union, ce type de vin a connu une croissance régulière de ses ventes au cours des quinze dernières années. La France en est d'ailleurs le premier producteur mondial, devant l'Italie et l'Espagne.
Autoriser ce procédé de fabrication brouillerait l'image obtenue grâce à ces efforts, induirait le consommateur en erreur et pourrait déséquilibrer le marché vitivinicole en favorisant l'utilisation des excédents de vin blanc au détriment de la production de vin rosé authentique.
La production européenne doit viser à l'excellence dans le cadre de ses traditions, qui sont perçues par les populations comme un aspect de leur identité culturelle. Elle ne gagnera pas en compétitivité en ternissant l'image de ses productions, ce qui serait le cas dès lors qu'une même catégorie de vins pourrait recouvrir des productions de nature très différente.
Cette mesure va gravement porter atteinte à l'image du vin rosé. Les producteurs ont fait beaucoup d'efforts, et ces efforts vont être remis en cause au moment même où ils commencent à être couronnés de succès. Il est clair qu'une concession sur l'étiquetage ne peut pas résoudre le problème : ce qu'il faut, c'est interdire la production du vin rosé par coupage. Je regrette que la Commission européenne semble surtout s'inspirer des demandes du négoce, au lieu de prendre en compte l'ensemble des données du problème.
Je vous propose donc, en accord avec Simon Sutour, une proposition de résolution invitant le Gouvernement à s'opposer à l'introduction dans la réglementation européenne d'une mesure permettant d'obtenir du vin rosé par coupage de vins rouges et de vins blancs.
Compte rendu sommaire du débat
M. Jean Bizet :
J'approuve l'analyse de nos rapporteurs. Mais est-il encore possible d'intervenir utilement ?
M. Gérard César :
Je le crois. Le vote a été reporté au 19 juin. Nous avons donc assez de temps pour motiver le Gouvernement, dont la position a déjà évolué.
M. Simon Sutour :
Le report est lié notamment à la demande de l'OMC d'analyser ce texte afin de confirmer que ces nouvelles pratiques sont conformes à ses règles. Nous avons un délai, il faudrait le mettre à profit pour essayer d'amener d'autres pays à partager notre point de vue.
Mme Colette Mélot :
J'approuve l'idée que la définition des vins touche à une réalité culturelle, à des traditions, à des savoir-faire qu'il faut préserver et respecter.
Mme Bernadette Bourzai :
Je soutiens également la démarche des rapporteurs. Ce qui se passe aujourd'hui pour le vin rosé risque de se passer demain pour d'autres productions. Je me souviens d'avoir entendu, lorsque j'étais députée européenne, la commissaire européenne Fischer Boel déclarer que l'avenir était à l'« homogénéisation » des productions, en suivant le modèle californien. Il faut absolument faire barrage à cette orientation qui ferait perdre à l'Europe sa spécificité qui est un atout et non un handicap.
M. François Patriat :
La position de certains pays membres peut évoluer, et lors du prochain vote le ministre français aura changé. C'est le moment d'agir, car, après les élections européennes, il sera trop tard. Je ne suis pas de ceux qui refusent sans discernement toute évolution, mais, en l'occurrence, l'opposition est justifiée. Il ne faut pas que les positions du négoce deviennent le critère exclusif d'appréciation.
M. Raymond Couderc :
Dans quelle mesure peut-on espérer que l'Italie et l'Espagne aillent dans notre sens ?
M. Jacques Blanc :
Je crois que nous devrions également nous appuyer sur l'Association des régions viticoles d'Europe. Par ailleurs, je me propose, pour ma part, de saisir le Comité des régions de l'Union européenne.
M. Gérard César :
À l'échelon professionnel, des contacts ont déjà été pris par la Confédération nationale des AOC avec ses homologues européens, notamment en Espagne et en Italie. Je crois que la Hongrie et la Roumanie peuvent être également des alliés.
Je reviens un instant sur l'aspect culturel. On considère de plus en plus la gastronomie comme un aspect des patrimoines culturels, mais la gastronomie française est inséparable du vin, de même que bien d'autres traditions culinaires en Europe.
M. Simon Sutour :
Le report de la décision est un premier progrès. La position du ministre a évolué : il est conscient désormais qu'une mesure concernant l'étiquetage ne peut régler le problème. Je crois que nous devons tout mettre en oeuvre, tant qu'il est temps, pour obtenir le retrait de cette mesure.
M. Jean Bizet :
Dans le cas des allégations nutritionnelles, le Président Barroso lui-même a invité ses services à revoir leur projet.
M. Gérard César :
La commission des affaires économiques va instruire cette proposition de résolution. Ce sera l'occasion, je l'espère, de faire valoir notre point de vue à Bruxelles auprès de la Commission, en même temps que nous inviterons le Gouvernement à agir.
*
À l'issue du débat, la commission a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante et a chargé MM. Gérard César et Simon Sutour de la présenter en son nom :
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu le projet de règlement de la Commission fixant certaines modalités d'application du règlement (CE) n° 479/2008 du Conseil en ce qui concerne les catégories de produits de la vigne, les pratiques oenologiques et les restrictions qui s'y appliquent,
Invite le Gouvernement à s'opposer à la disposition permettant d'obtenir du vin rosé par coupage de vins rouges et de vins blancs.