COM(2024) 531 FINAL
du 13/11/2024
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant une interface publique connectée au système d'information du marché intérieur pour la déclaration de détachement de travailleurs et modifiant le règlement (UE) n°1024/2012 (COM (2024) 531 FINAL)
Rappel sur les règles relatives au détachement des travailleurs et contexte de la présente proposition
Un travailleur détaché se définit comme étant un salarié envoyé dans un autre État membre de l'Union européenne, par son employeur d'origine, pour effectuer un travail pendant une durée déterminée.
Les règles relatives au détachement des travailleurs dans l'Union européenne relèvent de :
- la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services ;
- la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relative à l'exécution de la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services et modifiant le règlement (UE) no 1024/2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur ;
- et la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil du 28 juin 2018 modifiant la directive 96/71/CE concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.
Afin de garantir la protection des droits et des conditions de travail des travailleurs détachés dans l'Union européenne, un corpus de règles relatives aux conditions de travail et d'emploi des travailleurs détachés s'applique.
Ainsi, si les travailleurs détachés restent employés de leur entreprise d'origine, le droit européen prévoit des conditions de travail et d'emploi de base, qui sont appliquées conformément aux règles en vigueur dans l'État membre d'accueil dans la mesure où elles sont plus favorables que la protection offerte par le droit du travail de l'État d'origine ou par la loi applicable au contrat de travail.
Un travailleur détaché peut donc bénéficier des conditions de travail et d'emploi dans l'État membre d'accueil, par exemple en matière de rémunération, de temps de travail et de repos, de congés annuels payés, de santé et sécurité au travail ou encore d'égalité de traitement entre les hommes et les femmes.
Enfin, tout détachement d'un travailleur doit au préalable faire l'objet d'une déclaration de détachement auprès des autorités de l'État d'accueil.
En 2022, environ 1,9 million de travailleurs ont été détachés1(*). À l'échelle de l'Union, le nombre de détachements aurait augmenté de 14 % entre 2001 et 20222(*).
Depuis janvier 2023, un groupe d'experts travaille sur la conception d'un formulaire électronique commun pour la déclaration de détachement de travailleurs, en se focalisant en particulier sur les informations pertinentes nécessaires pour permettre des contrôles factuels sur le lieu de travail. Ce travail a permis à la Commission d'établir une liste commune d'informations à collecter en vue du détachement des travailleurs.
Dans sa communication sur les pénuries de main d'oeuvre du 20 mars 2024, la Commission a invité les États membres à utiliser le format commun pour la déclaration électronique pour le détachement des travailleurs.
Enfin, en mai 2024, neuf États membres, dont l'Allemagne, ont fait connaitre leur intention d'adapter les informations qu'ils demandent aux prestataires de services détachant des travailleurs sur leur territoire à la liste commune des informations exigées.
Rappelons que le programme de travail 2024 de la Commission indiquait que « La Commission encourage la conclusion d'un accord en temps utile sur un modèle commun de format électronique pour les déclarations des travailleurs détachés ainsi que la mise en oeuvre généralisée d'un tel modèle. Aidée par des travaux visant à mettre à disposition un portail multilingue, la Commission entend permettre aux entreprises de soumettre leurs déclarations de détachement sous forme numérique dans leur propre langue, et ce pour tous les États membres qui décident d'utiliser cet outil »3(*). Ce texte en assure la mise en oeuvre.
Le contenu de la proposition législative de la Commission
Publiée le 13 novembre 2024, la proposition de règlement est avant tout présentée par la Commission comme un texte de simplification. Elle ne remet pas en question le cadre prévu au niveau européen pour le détachement des travailleurs et la garantie de leurs droits.
La proposition vise à créer un portail numérique unique pour les déclarations de détachement, connecté au système d'information du marché intérieur (IMI) répondant ainsi à deux objectifs :
- un objectif de simplification pour les entreprises et de réduction de la charge administrative ;
- et un objectif de conformité à la directive de 2014 précitée, laquelle dispose dans son article 9 que « Les États membres veillent à ce que les procédures et les formalités liées au détachement de travailleurs en vertu du présent article puissent être effectuées de manière conviviale par les entreprises, dans la mesure du possible à distance et par voie électronique ».
Dans le détail, ce texte, composé de neuf articles, prévoit dans son article 1er la mise en place d'un portail web sécurisé permettant l'utilisation d'un format électronique commun et le transfert automatique de données, connecté au système d'information du marché intérieur (IMI), établi par le règlement (UE) n 1024/2012 du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 concernant la coopération administrative par l'intermédiaire du système d'information du marché intérieur et abrogeant la décision 2008/49/CE de la Commission («règlement IMI»).
Cette interface publique électronique multilingue pour le détachement des travailleurs ne serait pas obligatoire mais pourrait être utilisée par les États membres sur une base volontaire. L'objectif mis en avant est celui d'une simplification administrative pour les autorités et les entreprises, via un rapprochement des législations et procédures nationales. Ainsi, dès lors qu'un État membre choisit d'utiliser l'interface publique, cela remplace toute déclaration préexistante requise en vertu du droit national.
L'article 2 énumère les principales fonctionnalités de l'interface publique. Celle-ci doit permettre notamment :
- la création d'un compte garantissant un accès sécurisé ;
- la création, la transmission et la gestion des déclarations de détachement ;
- la transmission d'une copie de la déclaration de détachement au travailleur détaché ;
- la mise à disposition des informations inscrites dans l'IMI aux autorités nationales compétentes de l'État membre d'accueil aux fins de la coopération administrative.
Le développement, la maintenance et le fonctionnement de l'interface publique relèvent de la Commission.
L'article 3 définit la procédure à suivre par les États membres pour utiliser l'interface. Ils doivent tout d'abord en informer la Commission six mois avant, puis adopter toute disposition nécessaire pour en permettre l'utilisation. Aucune exigence supplémentaire ne peut être demandée en matière de déclaration ou d'information aux prestataires de services qui transmettent les déclarations de détachement par l'intermédiaire de l'interface publique.
Tout État membre peut cesser d'utiliser l'interface publique, sous réserve d'en informer la Commission six mois avant la date prévue de fin de l'utilisation.
L'article 4 présente les éléments devant figurer dans le formulaire type servant à la déclaration des travailleurs détachés. Ce formulaire doit ainsi comporter des informations sur le prestataire de services, le travailleur détaché, la mission de détachement, la personne de contact chargée d'assurer la liaison avec les autorités compétentes et le destinataire du service.
Le même article précise que le formulaire type est établi par la Commission par voie d'actes d'exécution.
Tout État membre utilisant l'interface :
- est libre de ne pas demander toutes les informations contenues dans le formulaire, il doit néanmoins en informer la Commission ;
- a la possibilité de soumettre à la Commission des suggestions de modification du formulaire type.
L'article 5 dispose que le traitement et la conservation des données à caractère personnel relèvent :
- de la Commission s'agissant de la sécurité et la disponibilité de l'interface publique, ainsi que du traitement de l'identification et des coordonnées de la personne qui transmet la déclaration de détachement de travailleurs ;
- du prestataire de service concernant le traitement de l'identité et des coordonnées du prestataire de services, de l'identité d'un travailleur détaché, de l'adresse de notification électronique, de l'adresse du lieu de travail du travailleur détaché ainsi que de l'identité et des coordonnées de la personne de contact du prestataire ;
- de l'autorité nationale de l'État membre, après réception des déclarations de détachement, pour le traitement des données à caractère personnel contenues dans les déclarations de détachement.
Les données relatives à un détachement communiquées sur l'interface sont automatiquement supprimées trente-six mois après la date de fin de la période de détachement. En outre, toutes les données à caractère personnel conservées sur l'interface et celles conservées dans les comptes des prestataires de services peuvent être supprimées lorsqu'elles ne sont plus nécessaires.
L'article 6 permet la coopération administrative entre les autorités compétentes des États membres, en simplifiant les demandes d'assistance mutuelle. Ainsi, les informations fournies dans les déclarations de détachement devraient être mises directement à la disposition des autorités nationales compétentes des États membres d'accueil dans l'IMI.
L'article 7 modifie le règlement (UE) n 1024/2012 précité pour intégrer dans son annexe listant les dispositions relatives à la coopération administrative dans les actes de l'Union européenne qui sont appliquées au moyen de l'IMI le règlement concernant une interface publique connectée au système d'information du marché intérieur pour la déclaration de détachement de travailleurs.
L'article 8 précise que la Commission est assistée par un comité.
L'article 9 charge la Commission, cinq ans après son entrée en vigueur, d'évaluer le présent règlement et d'établir un rapport sur l'expérience acquise durant son application ainsi que sur la réalisation de ses objectifs.
Enfin, l'article 10 prévoit l'entrée en vigueur du règlement, trois mois après sa publication.
Si l'on peut déplorer l'absence d'étude d'impact, la Commission a néanmoins procédé à quelques consultations avec des entreprises, des prestataires de services, des syndicats et autorités nationales, qui ont mis en avant les points suivants :
- les entretiens menés auprès de 30 entreprises dans 9 États membres ont montré que le coût induit par les systèmes nationaux de déclaration pouvait considérablement varier d'un État à l'autre, toutefois la médiane des coûts serait de 200 euros par détachement. Cette estimation de la Commission a été complétée par des tests des outils nationaux de déclaration, constatant que le délai moyen pour soumettre une déclaration préalable était d'une grande variabilité en fonction des éléments d'information requis dans la déclaration préalable ou des différences de conception, d'exigences et de fonctionnalités des déclarations nationales ;
- les représentants des employeurs ont pointé l'augmentation des coûts et des procédures consécutives à la mise en oeuvre de la directive 2014/67/UE précitée. Ainsi, une procédure et un formulaire unique sont considérés comme une avancée positive et un facteur de simplification pour les déclarations, d'une part, et pour les contrôles, d'autre part ;
- les représentants des travailleurs, quant à eux, auraient lié le succès de ce formulaire unique à la garantie d'un niveau approprié de protection des travailleurs et appelé à une interopérabilité avec les systèmes nationaux existants.
Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
Fondée sur l'article 114 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), qui prévoit l'harmonisation des règles pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, cette proposition répond à un objectif de simplification et s'inscrit également dans la continuité du formulaire de détachement en vigueur dans le transport routier.
Le cas du détachement dans le transport routier
La directive (UE) 2020/1057 établit des règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier, outre les règles générales établies par la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE. Ainsi, l'opérateur a l'obligation de soumettre une déclaration de détachement aux autorités nationales compétentes de l'État d'accueil au moyen de l'interface publique connectée à l'IMI. Le conducteur, quant à lui, a l'obligation de conserver une copie de la déclaration de détachement et de la fournir lorsqu'elle est demandée.
Si une simplification des démarches est en soi un objectif louable, on peut noter des critiques de certains États sur la façon d'opérer de la Commission, à savoir le choix d'une nouvelle plateforme plutôt qu'un portail unique européen mettant en lien les systèmes nationaux fonctionnant bien (tel est le cas du système français de déclaration en ligne des détachements SIPSI, voir infra). La Commission justifie cette absence d'interconnexion par des divergences entre systèmes tenant aux exigences en matière d'enregistrement et de connexion, à un choix de langue de connexion limité, ou encore à la question des informations requises.
La situation en France : le portail « système d'information sur les prestations de service internationales » (SIPSI).
La France utilise déjà un système de déclaration de détachement de salariés en ligne, le portail SIPSI, pour répondre à l'exigence selon laquelle un employeur établi hors de France qui détache des salariés sur le territoire français doit transmettre avant le début de son intervention en France une déclaration préalable ou une attestation à l'inspection du travail du lieu où le détachement sera réalisé.
Mis en place par le décret n° 2016-1044 du 29 juillet 2016 relatif à la transmission dématérialisée des déclarations et attestations de détachement de salariés et autorisant un traitement des données à caractère personnel qui y figurent, le SIPSI permet aux entreprises étrangères de saisir leurs déclarations de détachement, en cinq langues (français, anglais, allemand, italien et espagnol). La démarche de déclaration se veut simplifiée et sécurisée, et la déclaration est imprimable à l'issue de la procédure. De même, il est possible de télécharger un accusé de réception.
Conçu pour permettre la rapidité et la précision des saisies pour les entreprises, le système SIPSI est également un outil au service des agents de contrôle de l'inspection du travail notamment grâce à des fonctionnalités de recherche et de ciblage. Les autres corps de contrôle disposent quant à eux d'une possibilité de consultation de la base.
De plus, des incertitudes demeurent quant au contenu exact du formulaire, dont l'établissement se fera par voie d'actes d'exécution.
Néanmoins, s'agissant d'un système optionnel pour les États, qui sont donc libres de continuer à utiliser leur propre système national, le principe de subsidiarité semble préservé.
S'agissant du principe de proportionnalité, l'objectif de la proposition est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur, l'action envisagée pour y parvenir est un moyen qui semble approprié et qui ne semble pas excéder ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif.
Ces observations étant faites, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas approfondir l'examen de ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/384d8554-4e1c-11ef-acbc-01aa75ed71a1/language-en
* 2 Hors secteur du transport routier, qui possède son propre portail européen de déclaration des travailleurs détachés.
* 3 https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52023DC0638&qid=1698397831941