COM(2023) 790 final
du 12/12/2023
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Ø Proposition modifiée de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à la création d'un mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier (COM (2023) 790 final)
La coopération territoriale européenne (CTE), dont l'instrument est Interreg1(*), est l'un des objectifs de la politique de cohésion qui vise à résoudre les problèmes transfrontaliers et à développer conjointement le potentiel des différents territoires. Dans ce cadre, les acteurs nationaux, régionaux et locaux de différents États membres voisins peuvent mener des actions communes et partager des politiques.
Constatant que cette coopération se heurte parfois à des obstacles règlementaires et juridiques, après que l'impulsion initiale a été donnée par la présidence luxembourgeoise du Conseil en 2015, la Commission européenne a présenté en mai 20182(*), dans le cadre de la programmation 2021-2027, un nouvel instrument destiné à simplifier les projets transfrontaliers en permettant, sur une base volontaire et en accord avec les autorités compétentes, que la réglementation d'un État membre s'applique dans l'État membre voisin. Cet instrument temporaire était destiné à s'appliquer à un projet ou à une action spécifiques d'une durée limitée, mis en oeuvre dans une région frontalière à l'initiative des pouvoirs publics locaux et/ou régionaux.
Après les différentes préoccupations formulées par les États membres lors des réunions du groupe de travail, le Conseil n'avait pas adopté de position de négociation sur ce texte.
Au vu de l'aggravation des obstacles transfrontaliers qui posent des problèmes aux citoyens, entreprises, services publics et collectivités concernés3(*), constatés lors des crises récentes, la Commission européenne, à la demande du Parlement européen4(*), propose une version modifiée de sa proposition initiale.
En effet, les instruments financiers et juridiques actuellement disponibles au niveau de l'UE ne constituent pas une réponse globale et efficace aux problèmes qui touchent les régions transfrontalières, du fait des écarts entre les normes en vigueur de part et d'autre des frontières entre Etats membres voisins.
Si les groupements européens de coopération territoriale (GECT)5(*) facilitent efficacement la coopération transfrontalière en créant des entités juridiques à cheval sur les frontières nationales, ils ne disposent pas de compétences réglementaires.
De même, si les programmes Interreg apportent un soutien financier efficace aux projets transfrontaliers contribuant à rapprocher les régions et les citoyens de part et d'autre de frontières communes, ils ne lèvent pas les obstacles juridiques et administratifs qui subsistent hors du champ d'application des structures de gestion des programmes et projets qu'ils financent.
1. Le contenu de la proposition de règlement
La Commission propose dans ce texte procédural un « outil de facilitation » harmonisé des solutions transfrontalières pour permettre la mise en place et le fonctionnement de tout élément d'infrastructure nécessaire aux activités transfrontalières publiques ou privées ou de tout service public transfrontalier qui favorise la cohésion économique, sociale et territoriale dans une région transfrontalière.
Le texte prévoit à cette fin la mise en place de points de coordination transfrontalière (PCT) dans tous les États membres pour signaler les obstacles transfrontaliers et examiner les dossiers soumis par les « initiateurs ». Les « initiateurs » sont des entités de droit public ou de droit privé ou des personnes physiques qui élaborent un « dossier transfrontalier » contenant une définition de l'interaction transfrontalière et une description des obstacles, et qui est examiné par les points de coordination. Les États membres peuvent désigner des organismes existants ou en créer de nouveaux et ils peuvent choisir d'établir un ou plusieurs points de coordination, y compris des organismes communs avec des États membres voisins, conformément à leur cadre institutionnel et à leurs préférences.
Si le PCT conclut à l'existence d'un obstacle, il examine les structures de coopération disponibles pour le lever. S'il n'existe pas de structure institutionnelle permettant à la coopération transfrontalière de lever l'obstacle ou si les structures existantes ne suffisent pas, les États membres peuvent choisir d'utiliser l'outil de facilitation transfrontalière mis en place en vertu du présent texte.
À toute étape de la procédure, le PCT peut choisir de ne pas lever l'obstacle, même s'il conclut à son existence. Il en informe l'initiateur et explique pourquoi l'obstacle décrit dans le dossier ne sera pas levé. Après avoir examiné un dossier transfrontalier, le PCT doit transmettre la conclusion de l'examen à l'initiateur « dans un délai raisonnable ».
Si la décision de lever l'obstacle déterminé est prise, la procédure proposée par ce texte varie en fonction de la nature de la disposition qui en est à l'origine. S'il s'agit d'une disposition de nature administrative, l'autorité contactée par le PCT peut décider de modifier la disposition ou la pratique, y compris son interprétation. Dans ce cas, le PCT en informe l'initiateur par écrit. S'il s'agit d'une disposition législative, l'autorité contactée par le PCT peut uniquement inviter à adapter le cadre législatif pour lever l'obstacle conformément aux règles constitutionnelles de l'État membre. Dans ce cas, le PCT informe par écrit l'initiateur des étapes de la procédure législative qui pourrait être envisagée. Si deux États membres voisins ou plus concluent que chacun d'entre eux souhaite lancer une procédure législative ou modifier une disposition administrative pour lever un même obstacle, ils devront procéder en étroite coordination, y compris éventuellement en parallèle et en créant une commission mixte, conformément à leurs cadres législatifs respectifs.
Comme tout règlement de l'UE, le texte proposé sera obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre. L'article 291, paragraphe 1, du traité permet aux États membres de prendre toutes les mesures de droit interne nécessaires pour la mise en oeuvre des actes juridiquement contraignants de l'UE. Même lorsqu'il existe une législation européenne, les États membres disposent d'une certaine marge de manoeuvre et d'appréciation pour l'application détaillée de cette législation dans leur système national.
Les questions transfrontalières, héritées de l'histoire d'une Europe où les relations de voisinage n'ont pas toujours été sereines, sont souvent très délicates, touchant à l'identité et aux usages de longue date des régions concernées. Lors des négociations des colégislateurs de la proposition de 2018 relative au mécanisme transfrontalier européen, le Conseil avait exprimé de vives préoccupations qui ont été à présent prises en compte de manière approfondie, selon la Commission, de même que la résolution précitée du Parlement européen.
Le texte initial, instituant des procédures fort complexes, a été, en conséquence, substantiellement simplifié. Le nombre d'articles a été réduit de près d'un tiers, de 26 à 14.
Il importe de souligner que selon ce texte procédural, qui propose en définitive une « boîte à outils » destinée à identifier et résoudre des problèmes, la décision de lever un obstacle administratif ou juridique identifié reste facultative et à la discrétion des États membres concernés.
2. Cette proposition législative est-elle conforme aux principes de subsidiarité et de proportionnalité ?
Cette proposition est fondée sur l'article 175, troisième alinéa du TFUE, qui prévoit que des actions spécifiques peuvent être arrêtées en dehors des fonds6(*) visés au premier alinéa dudit article, pour réaliser l'objectif de cohésion économique et sociale prévu par le traité7(*).
Les actions de coopération territoriale visées par le présent texte entrent sans conteste dans ce cadre, ainsi donc que les mesures et procédures nécessaires à l'amélioration de leur mise en oeuvre.
En outre, l'article 174, troisième alinéa, dudit traité reconnaît les difficultés auxquelles sont confrontées les régions transfrontalières et dispose que l'UE doit accorder une attention particulière à ces régions dans son action tendant au renforcement de sa cohésion économique, sociale et territoriale.
Force est de constater que le financement de la coopération territoriale européenne, dans le cadre des programmes Interreg, le soutien institutionnel à la coopération apporté par les GECT précités et l'initiative « b-solutions » lancée en 2018 par la Commission, ne sont pas suffisants pour lever certains des obstacles administratifs et juridiques qui entravent l'efficacité de la coopération.
Les initiatives individuelles, bilatérales voire multilatérales prises par les États membres pour surmonter les obstacles transfrontaliers d'ordre juridique ne sont pas non plus suffisantes, d'autant que tous les États membres ne disposent pas de telles structures de coopération, et que toutes les frontières n'en sont pas dotées dans un État membre donné.
Les objectifs de l'action proposée ne pouvant pas être suffisamment atteints par les États membres, au niveau national, régional ou local, l'on peut estimer qu'ils sont mieux réalisés par des mesures prises au niveau de l'UE. En tout cas, les procédures proposées par le présent texte sont de nature à faciliter des solutions plus efficaces que le statu quo actuel ou que les initiatives existantes prises par les États membres et par la Commission.
Nous observons que l'outil de facilitation transfrontalière proposé est facultatif. Les États membres peuvent décider avec un ou plusieurs États membres voisins de continuer à lever les obstacles juridiques dans une région transfrontalière donnée dans le cadre des structures de coopération existantes. Ils ont également toute latitude pour organiser leurs ressources lors de la désignation d'un PCT, notamment en désignant un organisme existant.
Dès lors, le principe de subsidiarité paraît respecté.
Le présent texte n'impose aux États membres que l'obligation de désigner des PCT et de veiller à ce que les « initiateurs » reçoivent une réponse de leur part après l'examen d'un « dossier transfrontalier » dans « un délai raisonnable », lequel peut être fixé par le droit national.
La Commission renvoie à l'étude d'impact précédemment réalisée en 2017. Mais une étude récente du service de recherche du Parlement européen, intitulée «Mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier - Évaluation de la valeur ajoutée européenne»8(*), affirme que l'adoption d'un nouvel instrument législatif au niveau de l'UE visant à remédier aux obstacles juridiques et administratifs transfrontaliers pourrait générer des avantages économiques de 123 milliards d'euros par an au sein de l'UE et avoir une incidence sociale positive sur les régions frontalières.
La présente proposition n'entraînant pas de coût budgétaire direct pour les institutions de l'UE selon la Commission, elle pourrait avoir un effet très positif sur le dynamisme du marché intérieur et sur la vie quotidienne des citoyens européens.
La politique de cohésion et le marché unique se renforcent mutuellement. Le mécanisme établi en vertu du présent texte contribuerait aux objectifs du marché unique, en stimulant le potentiel économique des régions transfrontalières, qui serait en partie inexploité en raison des différences entre systèmes juridiques et administratifs.
Selon la Commission, cette proposition de règlement est « sans préjudice des mécanismes de coordination établis en matière de sécurité sociale et de fiscalité ».
Le texte n'allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre ses objectifs, le principe de proportionnalité paraît donc respecté.
Compte tenu de ces observations, le groupe de travail sur la subsidiarité a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.
* 1 Règlement (UE) 2021/1059 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions particulières relatives à l'objectif «Coopération territoriale européenne» (Interreg) soutenu par le Fonds européen de développement régional et les instruments de financement extérieur (JO L 231 du 30.6.2021, p. 94, http://data.europa.eu/eli/reg/2021/1059/oj).
* 2 COM (2018) 373 final.
* 3 À la fin du mois de novembre 2023, 154 cas ont été recensés par l'initiative, dite « b-solutions » de la Commission européenne (. https://www.b-solutionsproject.com/). Dans 90 d'entre eux, la cause de l'obstacle a été précisément identifiée. Ces 90 cas concernaient 27 régions transfrontalières situées dans 21 États membres. Ils relevaient principalement des domaines de l'emploi, des transports publics, des soins de santé et de la coopération institutionnelle. Dans plus d'un tiers de ces cas, c'est la divergence des normes juridiques et administratives de part et d'autre de la frontière qui constituait la cause première de l'obstacle, ce qui a obligé les États membres à s'attacher à rechercher une solution. Si l'initiative « b-solutions » a contribué à la détermination des obstacles, elle n'est pas suffisante pour constituer un outil fiable et utilisable par les États membres pour l'élimination des obstacles, selon la Commission.
* 4 Résolution du 14 septembre 2023.
* 5 Règlement (CE) n 1082/2006 du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relatif à un groupement européen de coopération territoriale (GECT) (JO L 210 du 31.7.2006, p. 19).
* 6 Le Fonds européen de développement régional (FEDER), le Fonds social européen plus (FSE+), le Fonds de
cohésion, le Fonds pour une transition juste (FTJ), le Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa), le Fonds « Asile, migration et intégration » (FAMI), le Fonds pour la sécurité intérieure (FSI) et l'instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (IGFV)
* 7 voir l'article 1er du règlement (UE) 2021/1060 du Parlement européen et du Conseil du 24 juin 2021 portant dispositions communes relatives au Fonds européen de développement régional, au Fonds social européen plus, au Fonds de cohésion, au Fonds pour une transition juste et au Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture, et établissant les règles financières applicables à ces Fonds et au Fonds « Asile, migration et intégration », au Fonds pour la sécurité intérieure et à l'instrument de soutien financier à la gestion des frontières et à la politique des visas (JO L 231 du 30.6.2021, p. 159, : https://eur-lex.europa.eu/eli/reg/2021/1060/oj).
* 8 EPRS, Mécanisme visant à lever les obstacles juridiques et administratifs dans un contexte transfrontalier : Évaluation de la valeur ajoutée européenne, PE 740.233, 2023.