COM(2023) 435 final  du 05/07/2023

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 30/08/2023


Politique commerciale

Proposition de décision du Conseil relative à la signature, au nom de l'Union européenne, de l'accord intérimaire sur le commerce entre l'Union européenne et la République du Chili

COM (2023) 434 final - Texte E 18064

Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de l'Union européenne, de l'accord intérimaire sur le commerce entre l'Union européenne et la République du Chili

COM (2023) 435 final - Texte E 18063

(Procédure écrite du 11 décembre 2023)

Les textes COM(2023) 434 et 435 final proposent au Conseil d'adopter une décision visant à autoriser la signature et la conclusion de l'accord intérimaire sur le commerce entre l'Union européenne et la République du Chili.

Les relations entre l'Union européenne et la République du Chili sont actuellement fondées sur un accord d'association entré en vigueur le 1er mars 2005 (avec application provisoire à compter du 1er février 2003). Le 13 novembre 2017, le Conseil a adopté une décision autorisant la Commission européenne et la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité à ouvrir des négociations en vue d'un accord modernisé avec le Chili destiné à remplacer l'accord d'association précité.

Les négociations ont été officiellement lancées le 16 novembre 2017. L'Union européenne et le Chili sont parvenus à la conclusion politique des négociations le 9 décembre 2022 à Bruxelles.

La modernisation de l'accord d'association entre l'Union européenne et le Chili s'articule autour de deux instruments juridiques, afin de tenir compte de la jurisprudence dite « Singapour » de la Cour de justice de l'Union européenne1(*) :

- d'une part, un accord-cadre avancé, qui inclura le pilier « questions politiques et de coopération » et le pilier « commerce et investissements » (y compris les dispositions relatives à la protection des investissements). Cet accord-cadre avancé relève des compétences partagées entre les États membres et l'Union européenne, ce qui implique que les États membres devront le ratifier selon leurs procédures constitutionnelles respectives ;

- d'autre part, un accord intérimaire sur le commerce (AIC), relevant de la compétence exclusive de l'Union européenne, couvrant la libéralisation des échanges et des investissements. Cet accord intérimaire sur le commerce expirera lorsque l'accord-cadre avancé entrera en vigueur. Il doit être signé par l'Union, en vertu d'une décision du Conseil basée sur l'article 218, paragraphe 5, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et conclu par l'Union en vertu d'une décision du Conseil basée sur l'article 218, paragraphe 6, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, après approbation du Parlement européen. Il ne fera pas l'objet d'une ratification par les États membres.

? Ainsi que l'avaient relevé MM. Jean-François Rapin et Didier Marie dans leur communication du 19 janvier 2023 sur l'actualité de la politique commerciale, selon les données fournies par la Commission européenne, cet accord-cadre avancé place les droits de l'Homme, le commerce durable et l'égalité entre les hommes et les femmes au coeur des relations entre l'Union et le Chili et renforce leur coopération sur les défis mondiaux communs, tels que l'environnement et la lutte contre le changement climatique.

Sur le plan commercial, 99,9 % des exportations de l'Union vers le Chili seraient, aux termes de l'accord, exemptés de droits de douane (le sucre constituerait une exception notable, dans les deux sens de commerce, et ne serait pas exempté de droits de douane), les simulations laissant anticiper une croissance des exportations qui pourrait atteindre 4,5 milliards d'euros. L'accord devrait également permettre à l'Union de sécuriser un plus large accès aux matières premières et aux combustibles propres, essentiels à la transition vers une économie verte, comme le lithium dont le Chili possède les plus grandes réserves au monde, le cuivre et l'hydrogène.

L'Union européenne est le troisième partenaire commercial du Chili, après la Chine et les États-Unis, et représentait 9,5 % du commerce total du pays en 2022. Selon les statistiques de la direction générale du Commerce de la Commission européenne, alors que l'Union exporte principalement vers le Chili des machines (27,5 % des exportations en 2022), des produits chimiques (18,9 %) et des équipements de transport (17,3 %), le Chili exporte principalement des matières premières (41,7 %) et des produits végétaux (38,5 %).

Avec ses importantes réserves de cuivre et de lithium, le Chili contrôle certaines des matières premières les plus importantes pour assurer la transition vers une économie plus écologique et plus électrifiée. L'accord entre l'Union européenne et le Chili apparaît à cet égard, pour les deux partenaires, comme un moyen de diversifier les relations commerciales et de réduire leur dépendance vis-à-vis de la Chine.

S'agissant des relations commerciales entre la France et le Chili, la direction générale du Trésor2(*) fait valoir que depuis plusieurs années déjà, tant en termes d'implantations que d'échanges commerciaux, le Chili est le troisième partenaire de la France en Amérique Latine, derrière le Brésil et le Mexique. Les trois quarts des entreprises du CAC 40 y ont une présence significative, grâce à laquelle elles déploient souvent des activités régionales. En 2022, les échanges annuels se sont élevés à 2,6 milliards d'euros (+ 11,6 % par rapport à 2021) : 1,3 milliard d'euros d'exportations françaises (+ 9,7 %), pour 1,2 milliard d'euros d'importations françaises (+ 13,7 %), soit un excédent commercial favorable à la France de 108 millions d'euros (- 21,2 %), notamment grâce aux livraisons d'aéronefs et plus marginalement de véhicules automobiles. Les importations sont majoritairement (56,6 %) constituées de métaux non-ferreux, principalement du cuivre (692,4 millions d'euros).

Dans sa note précitée, la direction générale du Trésor relève que « parmi les nombreuses orientations stratégiques que le Chili et la France ont en commun, celles relatives au climat - dont notamment la décarbonation de l'économie - sont tout particulièrement des vecteurs de rapprochement et de développement de la relation économique entre les deux pays (hydrogène renouvelable et bas carbone ; lithium ; cuivre vert ; ville durable ; etc.) ».

? Selon l'exposé des motifs des deux propositions de décision, l'accord intérimaire sur le commerce fournit un cadre juridique global modernisé pour les relations entre l'Union européenne et le Chili en matière de commerce et d'investissements. Les accords en vigueur relatif au commerce du vin et relatif au commerce des boissons spiritueuses et des boissons aromatisées seront intégrés dans cet accord.

Cet accord intérimaire comprend un chapitre sur le commerce et le développement durable, qui assure une liaison avec les objectifs généraux de l'Union en matière de développement durable et les objectifs spécifiques dans les domaines du travail, de l'environnement et du changement climatique.

Des déclarations communes sur les dispositions en matière de commerce et de développement durable sont jointes à l'accord-cadre avancé et à l'accord intérimaire sur le commerce. Elles prévoient que les parties entameront, dès l'entrée en vigueur de l'accord intérimaire sur le commerce, un processus formel d'examen de ses aspects liés au commerce et au développement durable afin d'envisager l'intégration, le cas échéant, de dispositions supplémentaires qui pourraient être jugées pertinentes par l'une ou l'autre des parties à ce moment-là, notamment dans le contexte de l'évolution de leurs politiques intérieures respectives et de leur pratique récente en matière de traités internationaux. Ces dispositions supplémentaires peuvent porter, en particulier, sur le renforcement du mécanisme d'application du chapitre sur le commerce et le développement durable, y compris la possibilité d'appliquer une phase de mise en conformité, et des contre-mesures adéquates en dernier ressort. Sans préjudice des résultats de l'examen, les parties étudieront également la possibilité d'inclure l'accord de Paris sur le changement climatique en tant qu'élément essentiel des accords à l'avenir.

L'accord intérimaire précise que le droit des gouvernements de réglementer dans l'intérêt public constitue un principe fondamental.

S'agissant des produits agricoles, l'exposé des motifs précise que, « dans le cadre de l'accord d'association actuel, tous les produits industriels et une part considérable des produits agricoles et des produits de la pêche ont déjà été libéralisés. Avec la modernisation, le chapitre relatif au commerce des marchandises donne lieu à une libéralisation totale pour plus de 99 % de l'ensemble des lignes tarifaires. Dans le même temps, l'AIC tient pleinement compte des sensibilités agricoles de l'UE. L'UE ne libéralisera pas complètement ses marchés pour des produits très sensibles, comme la volaille, le boeuf, le porc et l'huile d'olive. Ces produits importés du Chili n'auront qu'un accès limité et contrôlé au marché de l'UE grâce à des contingents tarifaires soigneusement calibrés qui tiennent compte des préoccupations des agriculteurs européens et des préférences des consommateurs ».

Le sucre ne sera pas concerné par la libéralisation des échanges. En revanche, le Chili libéralisera ses importations de produits laitiers et de préparations alimentaires de l'Union. Les contingents tarifaires existants pour le fromage européen et pour les céréales transformées, les sucreries, le chocolat, les biscuits sucrés et les champignons préparés chiliens resteront temporairement en place, mais seront finalement libéralisés dans le cadre du nouvel accord, au plus tard sept ans après l'entrée en vigueur de l'accord modernisé.

De son côté, l'Union n'accordera un accès supplémentaire aux produits agricoles que sous la forme de contingents en franchise de droits. Elle augmentera notamment les contingents existants de 18 000 tonnes pour la viande de volaille (en deux tranches égales, l'une à l'entrée en vigueur et l'autre après trois ans), ce qui reste modeste par rapport aux importations actuelles3(*). Elle augmentera également les contingents de 9 000 tonnes pour la viande porcine, de 4 000 tonnes pour la viande ovine et de 2 000 tonnes pour la viande bovine. Pour l'ail, le contingent existant sera porté à un montant total de 2 000 tonnes.

L'Union européenne ouvrira également de nouveaux contingents en franchise de droits pour les préparations de fruits (10 000 tonnes), l'huile d'olive (11 000 tonnes), le jus de pomme (2 000 tonnes), les oeufs (500 tonnes équivalent oeufs en coquille), l'amidon et les dérivés de l'amidon (300 tonnes), les produits riches en sucre (1 000 tonnes), le maïs doux (800 tonnes), l'éthanol (2 000 tonnes) et le rhum (500 hectolitres). Enfin, le traitement préférentiel actuellement applicable aux fruits et légumes chiliens qui sont soumis au système de prix d'entrée de l'Union restera inchangé.

L'accord protégera également plus de 200 indications géographiques de l'Union. Il sera le premier accord commercial de l'Union à inclure un chapitre consacré aux systèmes alimentaires durables. L'Union et le Chili s'engagent notamment à coopérer à tous les niveaux de la chaîne d'approvisionnement alimentaire en matière de déchets alimentaires, de normes de bien-être animal, de pesticides et d'engrais. Ils sont également convenus d'éliminer progressivement l'utilisation des antimicrobiens.

Comme le relève Agriculture Stratégies (ex-Momagri)4(*), « Chili et UE ne sont pas des partenaires commerciaux majeurs sur le plan des produits agricoles : le Chili se place respectivement au 30ème et au 21ème rang des exportations et des importations agricoles européennes. (...) Pour certains produits qui étaient déjà concernés par l'accord précédent, comme les viandes, les contingents (quotas d'importation sans droits de douane) déjà existants augmentent. Le secteur le plus concerné est celui de la viande de volaille, dont le quota double pour atteindre 38 000 tonnes. Ces volumes restent cependant peu importants au regard de la consommation européenne et des importations actuelles ». Le think tank relève qu'« il y a ainsi peu de risques que les produits agricoles et alimentaires chiliens inondent le marché européen suite à la rénovation de l'accord », en relevant toutefois l'enjeu que représente la multiplication des agréments bilatéraux signés par l'Union et l'absence formelle de clauses miroirs.

Compte tenu de ces éléments et du calendrier très resserré d'examen de ces textes au Conseil (examen le 5 décembre 2023), la commission a décidé de ne pas intervenir plus avant sur ces textes.


* (1) 1 Avis 2/15 de la Cour (Assemblée plénière) du 16 mai 2017 sur l'accord de libre-échange entre l'Union européenne et la République de Singapour.

* (2) 2 Direction générale du Trésor, les relations économiques et commerciales entre la France et le Chili, 15 mars 2023.

* (3) 3 En 2022, la France a importé pour 827 000 tonnes équivalent carcasse de volailles (+10,3 %), cette augmentation étant particulièrement due à la grippe aviaire. Selon les chiffres de l'interprofession de la volaille (ANVOL), 43 % des volailles consommées en France ont étéì importées en 2022, cette part atteignant 45,2 % sur les 6 premiers mois 2023, les principaux pays d'origine des importations étant intra-communautaires : la Belgique, la Pologne et les Pays-Bas. À l'échelle de l'Union, les exportations de volailles se sont élevées à plus de 2 millions de tonnes équivalent carcasse en 2022, pour des importations de 855 000 tonnes. Les pays d'origine des importations sont, par ordre d'importance, le Brésil, l'Ukraine (en très forte hausse à la suite du cadre favorable mis en place en 2022), la Thaïlande, le Royaume-Uni, la Chine et la Bosnie-Herzégovine (Source : DG Agri Dashboard, 22.11.2023).

* (4) 4 Agriculture Stratégie, « L'accord de libre-échange UE-Chili : pas de clauses miroirs en vue », 27 janvier 2023.