COM(2021) 823 final
du 22/12/2021
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Cette proposition de directive du 22 décembre 2021 définit des règles visant àÌ garantir un niveau minimum d'imposition effective des sociétés appartenant àÌ de grands groupes multinationaux et aÌ des groupes purement nationaux de grande envergure opérant sur le marchéì unique.
Ces règles sont conformes aux règles types de cette organisation approuvées et publiées le 20 décembre dernier, en droite ligne de l'accord conclu le 8 octobre 2021 par le cadre dit inclusif de l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et du G20 sur l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices (Base Erosion and Profit Shifting, BEPS) en vue de parvenir àÌ une solution consensuelle au niveau mondial.
Dans ses conclusions du 27 novembre 2020, le Conseil avait confirméì qu'il suivrait ses règles afin que toutes les entreprises paient leur juste part de l'impôt sur les bénéfices générés par leurs activités dans l'Union européenne (UE).
1) Le cadre de l'OCDE
Le cadre de l'OCDE, approuvé par 137 pays au niveau mondial, se compose de deux piliers, traitant de problématiques différentes mais connexes. L'un et l'autre visent, dans une économie de plus en plus mondialisée et numérisée, à apporter une réponse concertée au niveau mondial aux problèmes de BEPS non résolus et de réduire drastiquement la concurrence fiscale excessive entre les différents pays ou zones économiques.
Le premier, dit « Pilier 1 », n'est pas couvert par la présente proposition de directive. Il permet une réattribution partielle des droits d'imposition vers les pays où les entreprises concernées font leurs affaires et non vers ceux où elles ont leur siège fiscal. Sont concernées les grandes entreprises multinationales (EMN) dont le chiffre d'affaires mondial dépasse 20 milliards d'euros et dont la rentabilité (c'est-à-dire le ratio bénéfice avant impôt/chiffre d'affaires) est supérieure à 10 %, calculée en utilisant un mécanisme de moyenne.
C'est le « Pilier 2 » qui fait l'objet de la présente proposition.
Ce corpus de règles instaure un impôt minimum mondial sur les sociétés au taux de 15 %. Cet impôt minimum s'appliquera aux EMN qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 750 millions d'euros et devrait générer chaque année environ 150 milliards de dollars de recettes fiscales supplémentaires au niveau mondial.
Cette imposition minimale effective pour les grands groupes multinationaux se compose des éléments suivants :
A / Deux règles nationales interdépendantes qui forment ensemble les règles globales de lutte contre l'érosion de la base d'imposition (dites GloBE) :
a) Une règle d'inclusion du revenu (RDIR), qui consiste à assujettir une « entité mère » à un impôt supplémentaire portant sur le revenu faiblement imposé d'une « entité constitutive » ;
b) Une règle relative aux paiements insuffisamment imposés (RPII), lorsque le revenu faiblement imposé d'une entité constitutive n'est pas assujetti à l'impôt au titre d'une RDIR ;
B/ Une règle conventionnelle : la règle d'assujettissement à l'impôt (RAI), qui accorde aux « pays sources » du revenu un droit d'imposition. La RAI est prise en compte pour l'application des règles GloBE.
2) L'objectif et le cadre de la proposition de directive
Le plan de mise en oeuvre détailleì, figurant dans la déclaration du cadre inclusif de l'OCDE d'octobre 2021, indique que les dispositions nationales de mise en oeuvre du modèle de règles GloBE doivent être opérationnelles et applicables aÌ partir du 1er janvier 2023.
L'Union européenne étant, avec son marcheì unique, une économie étroitement intégrée, l'accord reposant sur deux piliers doit y être mis en oeuvre de manière cohérente et uniforme dans l'ensemble des États membres. Pour garantir cette application au sein de l'UE et la compatibilitéì avec le droit de l'Union, la principale méthode de mise en oeuvre du pilier 2 dans l'UE est une directive. Cette proposition de directive met en oeuvre le modèle de règles GloBE uniquement. La RAI a par nature vocation aÌ être traitée dans le cadre de conventions fiscales bilatérales.
3) Base juridique de la directive
L'article 115 du traiteì sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) est la base juridique pour les initiatives législatives européennes dans le domaine de la fiscalitéì directe. Cet article 115 renvoie aux directives relatives au rapprochement des législations nationales quand celles-ci ont une incidence directe sur l'établissement ou le fonctionnement du marchéì intérieur.
Pour que cette condition soit remplie, il est nécessaire que la proposition législative de l'Union dans le domaine de la fiscalitéì directe ait pour objectif de corriger des incohérences existantes dans le fonctionnement du marchéì intérieur.
Or l'absence de règles garantissant une imposition minimale effective des sociétés dans tout le marchéì unique constitue une telle incohérence. L'article 115 justifie donc qu'une directive soit adoptée dans ce domaine.
4) L'économie générale du dispositif
Le dispositif proposé est complexe. Il peut être schématisé selon le graphe ci-après.
a) Le champ d'application
Le champ d'application de la directive est défini par référence aux entités constitutives situées dans l'Union qui font partie de groupes d'EMN ou, pour des raisons tenant au principe d'égalité et de non-discrimination, de groupes nationaux de grande envergure (composés d'entités constitutives qui en sont membres) ayant réaliséì un chiffre d'affaires consolideì supérieur aÌ 750 millions d'euros au cours d'au moins deux des quatre années précédentes.
b) Les exclusions
Pour respecter le principe de neutraliteì fiscale, et conformeìment aux règles types de l'OCDE, les entiteìs suivantes sont exclues du champ d'application de la directive: les entiteìs publiques, organisations internationales, organisations aÌ but non lucratif, fonds de pension et, pour autant qu'elles soient au sommet de la structure du groupe, les entiteìs d'investissement et les veìhicules d'investissement immobilier. Les entiteìs deìtenues aÌ au moins 95 % par des entiteìs exclues sont également exclues du champ d'application de la directive.
Conformément aux règles types de l'OCDE, la directive exclut de l'application du modeÌle de règles GloBE le reìsultat provenant de l'exploitation de navires en trafic international et le reìsultat provenant d'activiteìs accessoires aÌ l'exploitation de navires en trafic international. Cette exclusion obeìit au principe selon lequel, dans les systeÌmes fiscaux nationaux, les revenus issus de l'exploitation de navires sont souvent imposeìs en vertu d'un ensemble de règles distinct de celui du reìgime geìneìral d'imposition des socieìteìs.
c) Le « taux effectif d'imposition »
En outre, la directive fait usage d'une option proposée par l'OCDE, selon laquelle l'État membre d'une entitéì constitutive appliquant la RDIR, qui est le plus souvent le pays de « l'entitéì mère ultime », est tenu de garantir l'imposition effective, au niveau minimal convenu, non seulement des filiales étrangères, mais aussi de toutes les entités constitutives ayant leur résidence dans cet État membre ainsi que des établissements stables du groupe d'EMN établis dans cet État membre. Les règles types de l'OCDE prévoient que la juridiction appliquant la RDIR tient compte du taux effectif d'imposition (TEI) des entités constitutives étrangères uniquement.
Il s'agit ici de viser une règle minimale uniforme dans l'Union, afin de réduire au minimum les distorsions de concurrence fiscale au sein du marché unique européen.
Le taux effectif est calculeì en divisant le montant ajusteì des impo^ts concerneìs du groupe par le revenu ajusteì geìneìreì par le groupe dans une juridiction donneìe au cours de l'année fiscale.
Conformément aÌ l'accord global de l'OCDE, la directive fixe le taux effectif minimum d'imposition aux fins du modeÌle de règles GloBE aÌ 15 %.
d) L'impo^t compleìmentaire national
Pour preìserver la souveraineteì des Eìtats membres, la directive preìvoit qu'un Eìtat membre peut choisir de preìlever un impo^t compleìmentaire au niveau national aupreÌs des entiteìs constitutives situeìes sur son territoire.
Le taux de l'impo^t compleìmentaire est calculeì, en faisant la diffeìrence entre le taux effectif minimum d'imposition de 15 % et le taux effectif d'imposition du pays. Le pourcentage obtenu est multiplieì par le revenu selon les règles GloBE du pays concerné pour l'anneìe consideìreìe.
L'OCDE a publié le 14 mars dernier des « orientations techniques détaillées » pour l'application harmonisée au niveau mondial des règles GloBE.
e) La reÌgle relative aux paiements insuffisamment imposeìs (RPII)
La directive preìvoit que, dans les cas ouÌ « l'entiteì meÌre ultime » est situeìe hors de l'UE dans une juridiction n'appliquant pas de RDIR qualifieìe, les entiteìs constitutives d'un tel groupe multinational situeìes dans un Eìtat membre feront l'objet d'une reìpartition et devront payer, dans l'Eìtat membre ouÌ elles se trouvent, une part de l'impo^t compleìmentaire lieì aux filiales faiblement imposeìes du groupe.
Conformeìment aux règles types de l'OCDE, le calcul et l'attribution de l'impo^t compleìmentaire pour la RPII dans la directive reposent sur deux eìleìments : le nombre d'employeìs et la valeur comptable des actifs corporels.
f) ReÌgles particulieÌres applicables aux fusions et acquisitions
Un chapitre de la directive, le chapitre VI, contient des règles particulieÌres concernant les fusions, les acquisitions, les coentreprises et les groupes d'EMN aÌ entiteìs meÌres multiples. Il preìvoit l'application d'un seuil de chiffre d'affaires consolideì aux membres d'un groupe qui se trouvent dans une situation de fusion ou de scission.
Il comprend une reÌgle speìcifique pour les groupes d'EMN aÌ entiteìs meÌres multiples, selon laquelle les entiteìs du groupe sont traiteìes comme faisant partie d'un seul groupe d'EMN.
e) Délai de transposition
Le deìbut de l'application des règles de la directive est fixeì au 1er janvier 2023, sauf pour la RPII, dont l'application est reporteìe au 1er janvier 2024. Ce sont des délais très brefs, eu égard à la complexité du dispositif.
Des dispositions transitoires sont prévues et font l'objet d'un chapitre spécifique.
5) Analyse de la conformité du dispositif proposé au principe de subsidiarité
L'objet même de cette proposition de directive requiert une initiative commune sur l'ensemble du marcheì inteìrieur. L'unanimité s'imposant en matière fiscale, il a fallu surmonter de fortes réticences des États membres ayant inscrit la concurrence fiscale au coeur de leur modèle de développement économique et de leur droit des sociétés. Il n'a pas été simple d'obtenir l'adhésion de certains États membres, dont l'Irlande. Chypre est encore réservée.
L'imposition minimale effective, qu'elle permet aux États membres de mettre en oeuvre, porte principalement sur les bénéfices des grandes multinationales opeìrant sur le marcheì inteìrieur et au-delaÌ. Il fallait fournir un cadre commun pour mettre en oeuvre les règles types de l'OCDE dans les législations nationales des États membres de manière coordonnée et adaptée aux exigences du droit de l'Union.
Une telle législation fiscale minimale, dont l'application est d'envergure mondiale, ne peut être effective si une mise en oeuvre uniforme des règles types de l'OCDE n'est pas garantie dans l'UE. Il est indispensable de disposer d'un ensemble unique de règles uniformes et d'un niveau minimal commun au sein du marcheì inteìrieur.
L'intervention de l'UE, sur un marcheì caracteìriseì par une forte inteìgration des eìconomies, se justifie aussi par la nécessité d'ameìliorer le fonctionnement du marcheì inteìrieur et d'optimiser l'incidence positive de l'imposition minimale effective des bénéfices des entreprises. Cet objectif ne peut être atteint que si une législation est adoptée au niveau européen et transposée de manière uniforme.
Les groupes multinationaux eìtant geìneìralement preìsents dans plusieurs États membres de l'UE et le modeÌle de règles GloBE ayant une dimension mondiale, toute dispariteì dans l'application de ces règles, en particulier dans la meìthode de calcul du taux effectif d'imposition ou de l'impo^t compleìmentaire du^, créerait une faille dans le dispositif, mettant en péril son objet même. L'asymeìtrie qui en résulterait fausserait la concurrence sur le marcheì inteìrieur et contreviendrait au principe de loyauté de celle-ci.
Les solutions devant fonctionner pour le marcheì inteìrieur dans son ensemble, celles-ci ne peuvent être mises en oeuvre qu'au niveau de l'Union.
L'initiative de l'Union apporte à cette égard une nette valeur ajoutée par rapport aÌ ce qu'une multitude de méthodes de mise en oeuvre nationales plus ou moins coordonnées ou disparates permettrait d'obtenir.
Certes des intérêts divergents demeurent au sein au sein du marcheì unique, mais la législation européenne, sous la forme de directive, qui doit être transposée par les États membres, permet de les contenir et de les orienter vers les solutions et objectifs communs.
La directive est l'outil juridique adapté à cet égard sur le fondement de l'article 115 du TFUE.
En respectant le droit fiscal national par sa transposition, la directive fixe une ligne commune dans toute l'Union. C'est le seul moyen à la disposition des États membres afin de donner aux contribuables la garantie que ce nouveau cadre juridique est compatible avec les liberteìs fondamentales consacreìes par le droit de l'Union, notamment la liberteì d'eìtablissement.
Au regard du principe de proportionnalité, les règles types de l'OCDE s'appliquent aux entreprises multinationales dont le chiffre d'affaires du groupe combineì est d'au moins 750 millions d'euros d'apreÌs les états financiers consolideìs. Les mesures envisageìes ne vont pas au-delaÌ de l'objectif consistant aÌ garantir l'imposition minimale effective de telles entiteìs opeìrant sur le marcheì inteìrieur, et elles sont conformes aux règles types de l'OCDE comme aux exigences du droit de l'Union.
L'extension de la reÌgle d'inclusion du revenu (RDIR) aux groupes nationaux de grande envergure (dont le chiffre d'affaires du groupe combineì est supeìrieur aÌ 750 millions d'EUR) concernera, d'apreÌs les estimations, un nombre restreint de contribuables et se limitera au minimum indispensable pour assurer la compatibiliteì des règles de la directive avec le droit de l'Union. La directive n'exceÌde donc pas ce qui est neìcessaire pour atteindre ses objectifs.
Au terme de cette analyse, quelles que soient les légitimes réserves politiques qui pourraient être soulevées par ailleurs sur le fond d'un dispositif naturellement complexe, certains pouvant l'estimer insuffisant, d'autres au contraire pouvant juger qu'il irait trop loin, force est de constater qu'il est porté par l'OCDE, le G20 et adopté par 137 États (ou « juridictions fiscales » du monde). Pour l'Union européenne, il marque un grand pas vers une unification des conditions de concurrence. Il représente un progrès indéniable par rapport au développement d'un « dumping fiscal » délétère et nuisible au bon fonctionnement du marché intérieur et aux intérêts des États et des citoyens européens. Il s'efforce d'éliminer au maximum les « trous dans la raquette » et réunit un consensus quasi universel. Pour assurer son efficacité, son application doit être rapide et uniforme. La proposition de directive la garantit au niveau du droit de l'Union européenne. Elle doit être transposée dès cette année par les États membres. Elle paraît respectueuse des principes de subsidiarité et de proportionnalité.
Le groupe de travail sur la subsidiarité a donc décidé de ne pas intervenir sur ce texte au titre de l'article 88-6 de la Constitution.