5285/18
du 22/01/2018
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution européenne sur l'appui européen à un mécanisme de justice transitionnelle en Irak (2018-2019) : voir le dossier legislatif
Justice et affaires intérieures
Proposition de résolution européenne
de M. Bruno Retailleau relative à un appui européen à
un mécanisme de justice transitionnelle en Irak
Rapport de M.
Jean Bizet
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - J'ai accepté avec grand plaisir d'être rapporteur de cette proposition de résolution européenne sur l'appui européen à un mécanisme de justice transitionnelle en Irak, déposée par notre collègue Bruno Retailleau et 80 membres du groupe sénatorial de réflexion, de vigilance et de solidarité avec les chrétiens, les minorités au Moyen-Orient et les Kurdes. Les présidents des groupes Socialiste et Républicain, Union Centriste et RDSE sont signataires de ce texte comme un certain nombre d'entre nous.
Je vous rappelle que le groupe de réflexion a été créé à l'initiative du président du Sénat, Gérard Larcher, en juin 2015. Composé de 130 membres issus de tous les groupes politiques du Sénat, le groupe s'est fixé à l'origine comme objectif de sensibiliser au drame vécu par les chrétiens, les minorités et les Kurdes au Moyen-Orient directement menacés par Daech et d'organiser des actions humanitaires sur place.
La défaite militaire de Daech ne doit pas aujourd'hui faire oublier le sort dramatique des communautés chrétiennes et des minorités en Irak. Le nombre de chrétiens y est passé de 860 000 en 2014 à moins de 400 000 aujourd'hui. Quelque 125 000 chrétiens auraient quitté l'Irak pour la seule année 2014. Une partie de ceux qui sont restés ont subi des violences de toute sorte, certaines relevant de la barbarie la plus sophistiquée. Le sort des fidèles des religions syncrétiques, pré-islamiques n'est guère plus enviable. Il en va ainsi des Yézidis, communauté kurdophone qui comptait en 2014 environ 600 000 membres en Irak, dont 400 000 auraient été déplacés par les combats, 1 500 sont morts et 4 000 retenus en captivité. Quelque 3 500 esclaves sexuelles yézidies sont, par ailleurs, détenues par Daech. L'une d'entre elles, Nadia Murad, qui a pu s'enfuir et témoigner, a reçu cette année le prix Nobel de la paix. Les Kakaïs, autre communauté kurdophone, seraient quant à eux 140 000 en Irak, pour la plupart déplacés après l'offensive de Daech, à l'instar des Shabaks qui seraient entre 40 000 et 60 000.
Le groupe de réflexion du Sénat a multiplié au cours des deux dernières années les initiatives pour la reconnaissance des crimes commis comme crimes de guerre, crimes contre l'humanité et pour la création, concomitante, d'un mécanisme de justice transitionnelle. Une résolution avait été adoptée à l'unanimité par le Sénat en décembre 2016. Un colloque sur cette question a été organisé en avril dernier. Le président Retailleau a été invité à intervenir lors de la troisième conférence organisée au printemps dernier dans le cadre du Plan d'action de Paris, consacré aux victimes de violences ethniques et religieuses au Moyen-Orient, adopté le 8 septembre 2015 et signé par 56 États et 11 organisations régionales et internationales. Le texte que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans la continuité. Il préconise, avec l'appui de l'Union européenne, la mise en place en Irak d'un mécanisme de justice transitionnelle, à même de faciliter la réconciliation entre les communautés qui composent ce pays.
L'Union européenne s'est engagée à de multiples reprises depuis 2003 pour la reconstruction en Irak. Elle a envoyé entre 2005 et 2013 une mission civile, Eujust Lex Irak, dédiée aux questions de police et de justice. Elle déploie aujourd'hui la mission EUAM Irak, chargée de conseiller et d'assister le gouvernement irakien dans la mise en oeuvre des aspects civils de la stratégie de sécurité irakienne. Le mandat de cette mission vient d'être prorogé jusqu'en avril 2020. Elle a, en outre, annoncé une aide financière de 400 millions d'euros pour la période 2018-2020 dédiée à la reconstruction du pays. Une communication adoptée par le Conseil en janvier dernier insiste précisément sur le nécessaire renforcement de l'État de droit.
C'est dans ce contexte que la proposition de résolution européenne flèche une partie des financements européens vers un mécanisme de justice transitionnelle apte à qualifier et juger les crimes commis par Daech sur le territoire irakien. Elle demande en premier lieu que ce dispositif ait une dimension internationale. L'Irak n'est pas aujourd'hui partie au Statut de Rome qui a institué la Cour pénale internationale. Les autorités irakiennes, très sensibles à leur souveraineté en la matière, sont néanmoins signataires du Plan d'action de Paris. Elles se sont donc engagées à documenter les crimes en mettant l'accent sur les exactions commises pour des motifs sectaires, ethniques et religieux. Elles doivent également garantir l'intégrité et la sécurité des victimes, des témoins et de leurs familles. Le gouvernement irakien a déjà demandé l'appui de la communauté internationale pour mener à bien ces missions. Il convient, dans ces conditions, de rechercher une solution hybride conciliant appui international et souveraineté. La proposition de résolution européenne met judicieusement en avant l'exemple des chambres extraordinaires auprès des tribunaux cambodgiens, composées de magistrats internationaux et cambodgiens, créées afin de traduire en justice les personnes responsables des crimes commis par les Khmers rouges. L'Union européenne finance pour partie leur activité. Ce dispositif pourrait être dupliqué à l'échelle irakienne. L'ajout d'une dimension internationale doit constituer, en tout état de cause, une des conditions du soutien européen.
La proposition de résolution européenne insiste également sur le travail de formation des enquêteurs et des juges. Son auteur souhaite que l'Union européenne renforce à cet effet le mandat de l'actuelle mission EUAM Irak et qu'elle contribue à la formation des forces de sécurité irakiennes aux enquêtes sur les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité. Une telle option faciliterait indéniablement la coopération avec l'équipe d'enquêteurs des Nations Unies chargée de recueillir des preuves en Irak qui va commencer ses travaux dans les prochaines semaines. Elle ne peut donc qu'être appuyée.
La proposition insiste, en outre, sur la mission Eujust Lex Irak dont le mandat s'est achevé le 31 décembre 2013. Ce dispositif avait pour objectif de renforcer l'État de droit et de promouvoir une culture de respect des droits de l'Homme dans le pays, en menant notamment des actions de formation auprès de fonctionnaires irakiens des forces de police, de la justice ou de l'administration pénitentiaire. L'auteur de la proposition de résolution souhaiterait le lancement d'une mission quasi-équivalente, plus particulièrement dédiée aux questions judiciaires. Il s'agirait de former le personnel judiciaire, en le sensibilisant particulièrement aux spécificités des instructions visant les crimes de guerre ou les crimes contre l'humanité. Une telle mission viendrait compléter tout à la fois le travail des enquêteurs et celui des chambres mixtes envisagées plus haut. L'appui européen pourrait se traduire par l'introduction dans le droit irakien des incriminations de crime de guerre et de crime contre l'humanité. La loi antiterroriste irakienne, aux termes de laquelle les combattants de Daech sont aujourd'hui jugés, ne prend pas en compte la notion de crime contre l'humanité. L'ambition de l'auteur de la proposition doit là encore être approuvée.
L'économie générale du texte comme ses préconisations ne me paraissent pas, dans ces conditions, devoir susciter de réserves ou de précisions complémentaires. Je vous propose donc d'adopter la proposition de résolution sans modification - ce qui ne signifie pas sans débat. Elle sera ensuite transmise à la commission des affaires étrangères avant un examen en séance publique le 22 janvier prochain.
L'Union européenne est souvent là pour mettre fin aux conflits. Je pense, toutes proportions gardées, à son rôle essentiel dans l'accord du Vendredi saint qui a fait cesser la guerre civile en Ulster. L'Union européenne, créée autour du couple franco-allemand, est un facteur de paix. En Irak, elle peut oeuvrer à la réconciliation des différentes ethnies.
Cette proposition de résolution est nécessaire pour épauler un pays qui en a besoin et s'inscrire dans la lutte contre ces crimes de guerre et ces crimes contre l'humanité.
M. Claude Kern. - Tout est dit.
M. Benoît Huré. - Cette proposition de résolution est très équilibrée.
Mme Colette Mélot. - On ne peut que l'approuver.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Donner une dimension européenne à ce sujet à la veille des élections européennes montrera à nos concitoyens tentés par un vote eurosceptique qu'il faut y regarder à deux fois. L'Union européenne n'est pas seulement le premier marché économique mondial. C'est aussi une entité qui a des valeurs.
Mme Gisèle Jourda. - Cette proposition de résolution du président Retailleau, qui préside le groupe de réflexion - auquel j'appartiens -, porte sur un sujet qui nous touche au coeur. Je l'ai immédiatement soutenue, comme plusieurs collègues socialistes. Comme cela se fait au groupe RDSE, certains membres du groupe socialiste y seront favorables et d'autres s'abstiendront sans pour autant s'y opposer, en raison de sa difficulté de mise en oeuvre liée à la non-adhésion de l'Irak à la Cour pénale internationale.
Ce type de justice transitionnelle existe ailleurs - l'ex-Yougoslavie et la Sierra Leone en ont fait l'expérience. Elle a toute légitimité à se substituer temporairement à la justice classique pour aider les victimes et s'élever contre les crimes contre l'humanité, en attendant que le pays devienne suffisamment mûr pour le faire de façon autonome.
Nous, Européens, avec notre histoire, devons tendre la main aux minorités persécutées et montrer que nous sommes attachés à la démocratie et à la sortie de l'état de guerre, dans des pays parfois volontairement déstabilisés. Ne nous privons pas de rééquilibrer les situations.
Face au sort quotidien des Palestiniens, la communauté internationale est complètement paralysée, réduite à l'inertie, ce qui rend la solution à deux États de moins en moins viable. Même si comparaison n'est pas raison, c'est un argument de plus pour soutenir cette proposition de résolution.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Merci d'avoir souligné l'importance de la souveraineté des États, à laquelle l'Union européenne est très attentive.
La proposition de résolution est adoptée.
M. Jean Bizet, président, rapporteur. - Unanimité ! Je tiens à féliciter à nouveau l'auteur de la proposition de résolution et l'ensemble du groupe de réflexion.