COM (2015) 595 final  du 08/12/2015

Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)

Examen : 21/01/2016 (commission des affaires européennes)
Réponse de la Commission européenne

Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : Proposition de résolution portant avis motivé sur la conformité au principe de subsidiarité du paquet (2015-2016) : voir le dossier legislatif


Réunion de la commission des affaires européennes du jeudi 21 janvier 2016

Environnement - Paquet « Économie circulaire » - Examen du rapport et proposition de résolution européenne portant avis motivé de MM. Michel Delebarre et Claude Kern

M. Jean Bizet, président. - Notre ordre du jour appelle en premier lieu l'examen du projet de résolution européenne portant avis motivé de nos collègues Michel Delebarre et Claude Kern sur le paquet « Économie circulaire » présenté par la Commission européenne.

Lors de sa réunion du 14 janvier, le groupe de travail « subsidiarité » a considéré que ces textes pouvaient présenter des difficultés au regard du respect de la subsidiarité.

Je remercie nos deux collègues de s'être mobilisés très vite pour examiner la question. Le Protocole 2 ne laisse aux parlements nationaux que huit semaines pour se prononcer et notre avis motivé sera ensuite adressé à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, comme le prévoit le règlement du Sénat.

M. Michel Delebarre. - Le 9 décembre 2014, le Sénat adoptait une proposition de résolution de notre commission sur le premier paquet « Économie circulaire », un ensemble de propositions formulées par la Commission européenne.

Je me bornerai aujourd'hui à rappeler trois des observations qui y figuraient : l'utilité d'un pas vers l'économie circulaire, qui doit permettre une croissance plus économe en matières premières non renouvelables ; la nécessité de prendre en compte les contraintes subies par les collectivités territoriales ; enfin les réserves motivées par un recours important aux actes délégués.

Depuis, le contexte a subi trois évolutions majeures : la nouvelle Commission européenne a retiré le premier paquet « Économie circulaire » ; ensuite, le Parlement français a adopté la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte ; enfin, la Commission européenne a présenté le 2 décembre un ensemble de mesures dénommées « Boucler la boucle - Un plan d'action de l'UE pour l'économie circulaire ».

Avec Claude Kern, nous avons examiné les propositions récentes venant de Bruxelles. L'avis motivé que nous vous soumettons aujourd'hui prend en compte l'évolution induite par la loi sur la transition énergétique, dont le titre IV est consacré à l'économie circulaire. Pour les collectivités territoriales, les dispositions proposées par la Commission européenne s'ajoutent à celles déjà inscrites dans notre droit interne depuis bientôt six mois.

En pratique, la seule disposition normative directement européenne susceptible de toucher les collectivités territoriales françaises concerne la mise à la décharge des déchets municipaux qui sera plafonnée à 10 % du poids total de ces déchets à l'horizon 2030. La loi française adoptée en août 2015 est quelque peu différente, puisqu'elle impose que les déchets municipaux non dangereux non inertes admis en installations de stockage diminuent de 30 % à l'horizon 2020 et de 50 % en 2025 par rapport aux constatations de 2010.

J'ajoute que la loi de transition énergétique est plus complète dans son approche de l'économie circulaire, notamment parce qu'elle utilise la commande publique pour stimuler le recyclage, via l'obligation faite à l'État, aux collectivités territoriales et leurs groupements d'utiliser du papier bureautique partiellement recyclé. De même, les matériaux utilisés dans les chantiers publics de construction routiers devront largement provenir de déchets, à concurrence de 60 % à partir de 2020.

A priori, cet ensemble aux ambitions relativement réduites aurait pu ne soulever aucune objection fondée sur le principe de subsidiarité. De fait, l'avis motivé ne mentionne pas la proposition de directive relative aux véhicules hors d'usage, aux piles et accumulateurs, aux déchets d'équipements électriques et électroniques. En revanche, les trois autres propositions de directive nous ont paru justifier l'avis motivé.

M. Claude Kern. - L'avis motivé critique le recours à des actes délégués et à des actes d'exécution portant sur des dispositions substantielles des propositions de directive.

Ni les actes délégués, ni les actes d'exécution ne sont soumis aux parlements nationaux pour contrôle de subsidiarité et de proportionnalité. Par suite, il importe que ces actes ne soient pas susceptibles de porter atteinte à ces mêmes principes de subsidiarité et de proportionnalité. Nous ne pouvons évidemment pas exclure que la Commission européenne respecte irréprochablement ces deux principes. Mais, si les thèmes concernés sont substantiels, il serait trop tard pour invoquer la subsidiarité dans l'hypothèse où elle ne serait pas respectée.

Cette contrainte institutionnelle nous conduit à proposer aujourd'hui un avis motivé fondé en premier lieu sur le recours à des actes délégués portant sur des dispositions substantielles. Ce n'est pas un procès d'intention intenté à la Commission européenne, mais une précaution rédactionnelle salutaire.

La deuxième raison mentionnée concerne l'établissement par la Commission européenne de lignes directrices interprétant les termes « valorisation » et « élimination » des déchets. Nous sommes là au coeur du sujet ! L'économie circulaire ne se limite pas au traitement des déchets, loin de là, mais les propositions de directive dont nous parlons aujourd'hui portent précisément sur ce thème. La valorisation et l'élimination ne peuvent donc être considérées comme de simples notions techniques, ni des précisions juridiques accessoires. C'est pourquoi vos rapporteurs proposent de mentionner ces lignes directrices dans l'avis motivé. L'esprit de cette objection est comparable à celui qui a justifié la mention des actes délégués ou d'exécution sur des aspects importants.

Troisième point : le rapport d'alerte établi par la Commission européenne en cas de manquement d'un État membre aux objectifs poursuivis par les projets de directive. Sur le plan des principes, la faculté d'établir un rapport d'alerte ne soulève pas d'objections, à condition que la portée du document soit clairement délimitée.

En effet, le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne a institué une procédure applicable face à un manquement commis par un État membre. Vient d'abord une phase précontentieuse marquée par un échange d'observations entre la Commission européenne et l'État membre concerné. Si le désaccord persiste, la Commission peut émettre un avis motivé, accompagné éventuellement d'injonctions. Lorsque ces dernières ne sont pas intégralement appliquées, la Commission a la faculté de saisir la Cour de justice de l'Union européenne. La décision appartient aux juges.

Or, la rédaction floue du paquet « Économie circulaire » pourrait ouvrir la voie à une sorte de procédure parallèle. Pour l'éviter, il convient d'encadrer le rapport d'alerte, afin que les recommandations éventuelles de la Commission européenne restent indicatives et pour préserver le rôle dévolu à la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que les compétences attribuées aux États membres, comme la fiscalité.

M. Jean Bizet, président. - C'est un sujet fondamental pour l'avenir. La gestion des déchets, qui présente des coûts importants, peut induire une concurrence déloyale entre États membres.

M. Simon Sutour. - Les propositions de directive en question ont recours aux actes délégués et aux actes d'exécution. Au nom du principe de subsidiarité, l'avis demande à la Commission européenne d'écarter ces projets. J'insiste sur les actes délégués et d'exécution, qui ont fait l'objet, en janvier 2014, d'un rapport que j'avais rédigé au nom de notre commission. Je vous en recommande la lecture !

M. Jean Bizet, président. - Nous avons en effet déjà exploré la question. À travers les actes délégués et les actes d'exécution, la Commission européenne tend à reprendre la main, au détriment du cadre défini par le traité de Lisbonne qui met l'accent sur le rôle des parlements nationaux. Soyons vigilants, car c'est à cause de ce type de dérives que l'Europe n'est pas toujours bien perçue par nos concitoyens. Nous voulons non pas plus d'Europe, mais une meilleure Europe.

La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution portant avis motivé dans le

texte suivant :

Proposition de résolution européenne portant avis motivé

Les propositions de directive modifiant la directive 1993/31/CE du Conseil concernant la mise en décharge des déchets (COM(2015) 594 final), modifiant la directive 2008/98/CE relative aux déchets (COM(2015) 595 final) et modifiant la directive 94/62/CE relative aux emballages et aux déchets d'emballages (COM(2015) 596 final) s'intègrent dans un paquet destiné à favoriser l'économie circulaire et ont pour objectif d'amplifier le recyclage et le réemploi des déchets d'emballage (au minimum 65 % de leurs poids d'ici 2025 et 75 % à l'horizon 2035) et des déchets municipaux (60 % au moins de leur poids d'ici 2020 et 65 % en 2030), ainsi que de réduire les déchets municipaux mis en décharge (pas plus de 10 % de leurs poids en 2030).

Vu l'article 88-6 de la Constitution,

Le Sénat fait les observations suivantes :

- le principe même d'une intervention normative de l'Union paraît se justifier par le coût du recyclage, donc par la nécessité d'une concurrence loyale au sein de l'Union européenne ;

- mais le recours aux actes délégués et aux actes d'exécution au sein des deux textes concerne certaines dispositions substantielles, comme la définition des indicateurs de performance globale en matière de prévention des déchets, la liste des déchets recyclables et des emballages, le seuil quantitatif de déchets non dangereux, la désignation d'organismes de préparation en vue de réemploi, ou le réseau de consignes agréés ;

- dans le même esprit, l'établissement par la Commission européenne de lignes directrices pour l'interprétation des termes « valorisation » et « élimination » des déchets pourrait compromettre des pratiques nationales par nature plus à même de prendre en compte le contexte technique, économique et environnemental ;

- enfin, les contours du rapport d'alerte établi par la Commission européenne en cas de manquement d'un État membre aux objectifs poursuivis par ces projets de directives sont insuffisamment délimités, notamment quant aux recommandations qui en découleront et à leur caractère contraignant : ainsi, des incitations fiscales sont envisagées alors que la fiscalité relève des États membres.

Pour ces raisons, le Sénat estime que les propositions de directives COM (2015) 594 final, COM (2015) 595 final et COM (2015) 596 final ne respectent pas le principe de subsidiarité.


Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 10/12/2015


La commission des affaires européennes n'est pas intervenue sur ce texte.