COM (2013) 894 final
du 18/12/2013
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Examen : 22/01/2014 (commission des affaires européennes)Réponse de la Commission européenne
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 309 (2013-2014) : voir le dossier legislatif
Agriculture et pêche
Introduction des aliments nouveaux
Proposition de résolution
européenne
portant avis motivé de M. Richard Yung
(Réunion du 22 janvier 2014)
M. Simon Sutour, président. - Nous allons à présent écouter le rapport de Richard Yung sur la proposition de règlement concernant les nouveaux aliments. Le groupe de travail sur le contrôle de subsidiarité de notre commission avait en effet estimé il y a quelques semaines que ce texte méritait un examen plus approfondi. Richard Yung nous présente aujourd'hui le résultat de son analyse.
M. Richard Yung. - Le 18 décembre 2013, la Commission européenne a présenté une proposition de règlement relatif aux nouveaux aliments. Cette proposition modifie le circuit d'examen sanitaire préalable à la mise sur un marché des nouveaux aliments.
Je ne peux que confirmer les premiers doutes émis il y a quelques semaines par le groupe de travail « subsidiarité ». C'est pourquoi je vous proposerai d'adopter une proposition d'avis motivé.
Les nouveaux aliments - novel foods - sont ceux qui n'ont pas d'historique de consommation dans l'Union européenne avant 1997. Chaque année, plusieurs nouveaux aliments ou ingrédients alimentaires sont introduits dans les produits de consommation en Europe : l'huile d'argan, la pulpe de baobab, l'huile de krill, des vitamines synthétiques, etc.
Tout aliment ou ingrédient qui correspond à cette définition doit faire l'objet d'une autorisation de mise sur le marché. Ce régime repose aujourd'hui sur une analyse par les autorités nationales chargées du contrôle sanitaire du pays dans lequel la mise sur le marché est demandée. En France, le service responsable est la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes (DGCCRF).
Le circuit suit plusieurs étapes. La DGCCRF, sollicitée par un industriel, demande une évaluation sanitaire à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES). L'ANSES procède à l'évaluation et formule, le cas échéant des observations. La DGCCRF transmet ces observations à la Commission européenne qui, à son tour, transmet l'avis aux agences nationales des autres États membres. Si, dans un délai de 60 jours, ces dernières n'ont pas formulé d'observations, la mise sur le marché est autorisée. Lorsqu'il y a des observations de la part d'une autorité nationale, la Commission peut saisir l'Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui, à son tour, procède à une évaluation et formule des observations.
L'évaluation porte sur la sécurité du produit. Les questions portent sur les incompatibilités avec d'autres produits, sur l'utilisation de l'aliment par certaines populations fragiles. Le manque de documentation scientifique est également un motif d'observations. Sur tous ces fondements, les agences d'évaluation peuvent être amenées à demander des restrictions d'utilisation ou des limites de dose. Les agences nationales ont un niveau d'exigence variable. L'ANSES est réputée pour être parmi les plus rigoureuses.
Chaque année, entre cinq et dix aliments de ce type sont introduits en Europe en suivant les procédures que je viens de vous décrire.
La proposition de la Commission consiste à réformer ce système d'évaluation, en confiant l'évaluation à la seule EFSA.
Sur un plan industriel, cette proposition apporte incontestablement un allégement des procédures et une simplification des circuits. Les industriels, à l'origine des innovations alimentaires, se sont souvent plaints des délais et des lourdeurs de la procédure actuelle. Si l'introduction de nouveaux aliments, sans observations particulières, est assez rapide, en cas d'objection d'une autorité nationale et d'appel à l'évaluation de l'EFSA, les procédures peuvent durer plusieurs années. Incontestablement, le rythme institutionnel de l'évaluation n'est pas celui de l'innovation.
Par ailleurs, l'Union européenne a déjà confié l'évaluation des allégations nutritionnelles à la seule EFSA, au lieu et place des évaluations nationales. Il est vrai que ce sujet ne pose pas des problèmes aussi importants que l'introduction d'aliments nouveaux.
Néanmoins, cette proposition suscite des réserves quant au respect du principe de subsidiarité.
En premier lieu, la proposition est très peu et très mal motivée. La Commission n'évoque pas les arguments rappelés ci-dessus. Elle se contente de mentionner « des niveaux de sécurité différents qui peuvent induire en erreur les consommateurs » et de rappeler la tautologie classique selon laquelle « une action menée au niveau de l'Union européenne constitue le meilleur moyen d'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur ». À aucun moment, la Commission ne mentionne d'éventuels dysfonctionnements qui justifieraient de réduire les compétences des États membres en la matière.
En second lieu, la mise sur le marché des médicaments suit une procédure d'évaluation nationale, comparable au régime actuel d'évaluation des nouveaux aliments et ce système donne satisfaction. Or, l'introduction de nouveaux aliments, avec les incertitudes qu'elle peut compter, est finalement assez comparable à l'autorisation de nouveaux médicaments.
En troisième lieu, s'agissant d'un domaine lié à la santé publique, l'existence d'un double contrôle ne paraît pas superflue. Dans le passé, il y eut des divergences d'appréciations entre l'EFSA et les agences nationales, en particulier l'agence française. Ce fut le cas lors de l'examen des risques liés à l'ESB et à l'embargo sur les viandes. Sans contester les compétences des experts de l'agence européenne, - issus des agences nationales -, il est légitime de marquer sa préférence pour un contrôle à double détente, garant d'une sécurité maximum, comme c'est le cas aujourd'hui.
Pour quitter le champ juridique, plusieurs affaires récentes ont révélé les inquiétudes et, en parallèle, les attentes des citoyens européens en matière de la sécurité alimentaire. L'Union européenne ne doit pas envoyer de signal contraire à cette attente légitime. Ainsi, la proposition apparaît contraire au principe de subsidiarité pour deux motifs :
- remplacer un système décentralisé par un système centralisé doit être justifié : la Commission doit prouver la nécessité de cette centralisation. Or, elle n'avance pratiquement pas d'arguments ;
- la proposition n'apporte pas de réelle plus-value par rapport au système en vigueur : elle entraîne certes une simplification, mais au prix d'une certaine diminution des garanties. Or, du point de vue de la subsidiarité, il faut que la proposition apporte une plus-value indiscutable.
Pour ces raisons, je vous propose d'adopter la proposition de résolution portant avis motivé qui vous a été distribuée.
M. Jean Bizet. - Je suis d'accord avec cette proposition de résolution. La France est très en avance en matière de sécurité alimentaire, il ne s'agit pas de perdre cet avantage.
M. Richard Yung. - Je tiens à souligner qu'il est rare pour moi de ne pas défendre le point de vue communautaire. Mais force est de constater que cette proposition de règlement n'est pas une amélioration.
M. Simon Sutour, président. - Cet avis motivé, après examen par la commission des affaires économiques, sera envoyé à la Commission européenne. Je vous rappelle qu'il faut un tiers des voix attribuées aux parlements nationaux pour que celle-ci révise éventuellement son texte. Nos collègues de l'Assemblée nationale doivent également se pencher sur ce sujet.
La commission adopte, à l'unanimité, la proposition de résolution portant avis motivé dans le texte suivant :
Proposition de résolution
européenne portant avis motivé
La proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relative aux nouveaux aliments (COM (2013) 894 final) modifie le système d'évaluation de l'introduction des nouveaux aliments dans l'Union européenne
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat :
- constate l'insuffisance de la motivation de la proposition de règlement. La Commission se limite à affirmer qu'« une action menée au niveau de l'Union européenne constitue le meilleur moyen d'assurer le bon fonctionnement du marché intérieur » sans démontrer une insuffisance ou d'éventuels dysfonctionnements du système actuel ;
- considère que, s'agissant d'un domaine aussi sensible que la sécurité alimentaire, le système actuel de contrôle reposant sur une évaluation nationale des États membres et, le cas échéant, sur une évaluation européenne, paraît le plus adapté pour garantir une sécurité alimentaire maximum et pour assurer la confiance des consommateurs ;
- estime en conséquence, que la proposition de règlement n'est pas conforme au protocole n° 2 annexé au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.