COM (2011) 824 final  du 01/12/2011

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 09/12/2011
Examen : 20/01/2012 (commission des affaires européennes)


Transports

Textes E 6914, E 6915 et E 6916

Fonctionnement des aéroports de l'Union européenne

COM (2011) 824 final, COM (2011) 827 final
et COM (2011) 828 final

(Procédure écrite du 20 janvier 2012)

La Commission européenne a présenté le 1er décembre 2011 un « paquet » de mesures dans le but d'améliorer le fonctionnement des aéroports européens. Les trois propositions de règlement concernent l'attribution des créneaux horaires aux compagnies aériennes, les services d'assistance en escale et la réglementation anti-bruit.

1) Créneaux horaires (texte E 6915)

La Commission souhaite modifier les règles d'attribution des créneaux horaires (un créneau désigne l'autorisation de décoller ou d'atterrir dans un aéroport à une heure et à un jour donnés) aux compagnies aériennes pour mieux répartir les capacités dans les aéroports de l'Union européenne. L'augmentation du trafic aérien à l'horizon 2030 fait en effet craindre un engorgement de nombreux aéroports européens, d'où la nécessité de mieux utiliser les capacités de vols disponibles.

La Commission propose ainsi d'autoriser le « commerce secondaire » des créneaux horaires, c'est-à-dire la possibilité pour une compagnie aérienne de vendre ses créneaux à une autre compagnie. Il s'agit de favoriser la mobilité des créneaux et faciliter l'arrivée de nouvelles compagnies dans les aéroports. Ni explicitement autorisée ni explicitement interdite par la législation européenne actuelle, cette pratique existe déjà dans certains pays, au Royaume-Uni notamment. L'objectif de la Commission est que cette pratique se fasse à présent dans un cadre européen complètement transparent.

Le texte E 6915 propose également de renforcer la règle du « créneau utilisé ou créneau perdu » (« use-it-or-lose-it ») afin que les compagnies aériennes exploitent pleinement leurs créneaux. Actuellement, les compagnies doivent utiliser leurs séries de créneaux à au moins 80% sous peine de ne pas pouvoir bénéficier d'un droit de priorité durant la saison aéronautique suivante et donc de les rendre disponibles pour d'autres compagnies. Le texte E 6915 relève le pourcentage d'utilisation requis à 85 %. De plus, il porte la longueur minimale d'une série (c'est-à-dire le nombre minimal de créneaux hebdomadaires requis pour qu'une priorité d'attribution soit accordée pour la saison suivante) de 5 à 15 pour la saison d'été et à 10 pour la saison d'hiver. Les droits acquis par une compagnie grâce à des séries courtes peuvent en effet empêcher d'autres opérateurs d'exploiter des séries plus longues sur la même destination.

La Commission estime que ces mesures devraient permettre de prendre en charge 24 millions de passagers supplémentaires par an d'ici à 2025.

2) Assistance en escale (texte E 6914)

Les services d'assistance en escale désignent tous les services proposés dans un aéroport : assistance «passagers», manutention des bagages, opérations en piste, assistance « carburants et huile », transport au sol, nettoyage et service de l'avion, etc. Ce marché de services a été ouvert à la concurrence en 1996 par la directive 96/67/CE.

Le texte E 6914 propose d'approfondir cette ouverture à la concurrence en augmentant le nombre minimum de prestataires pour une série de services jusqu'ici protégés : assistance bagages, opérations en piste, assistance « carburants et huile » et traitement du fret et du tri postal. D'un minimum de deux prestataires pour ces services (dont un totalement indépendant, c'est-à-dire non contrôlé par l'aéroport ou la compagnie aérienne dominante dans l'aéroport), la Commission propose de passer à trois. La réforme ne concernerait que les aéroports de plus de 5 millions de passagers par an.

Les changements envisagés par la Commission ne se limitent pas à cet objectif général. La commission des affaires européennes a eu l'occasion de débattre de ce texte dans le cadre du contrôle de subsidiarité, et a ainsi relevé deux mesures qui, si elles ne portent pas atteinte au principe de subsidiarité au final, mérite d'être évoquées :

a) La première concerne la mise en place d'une procédure d'agrément des entreprises souhaitant fournir des services d'assistance en escale dans un aéroport. Actuellement, les États membres ont la faculté de mettre en place une telle procédure, mais cela n'est pas obligatoire et un agrément ne vaut que pour le pays qui l'a délivré.

Le nouveau texte rendrait obligatoire la procédure d'agrément et l'harmoniserait dans tous les États membres. De plus, la Commission européenne introduit un principe de reconnaissance mutuelle des agréments. Une entreprise agréée par l'autorité compétente dans un État membre pourrait ainsi fournir ses services dans tous les aéroports de l'Union, sans plus d'examen (principe du pays d'origine).

La crainte qu'un État membre ne soit plus en mesure de s'opposer, par exemple pour des raisons d'ordre public et de sûreté, à l'agrément d'une société agréée dans un autre État membre est toutefois infirmée par l'article 17 paragraphe 3 de la proposition. Celui prévoit que « lorsqu'une entreprise sollicite ou a obtenu un agrément, elle respecte les dispositions nationales en matière de protection sociale, de protection de l'environnement et de sûreté aéroportuaire de tous les États membres dans lesquels elle exerce ses activités ». Selon la direction générale de l'aviation civile, ce passage suffirait à préserver la compétence des États membres en matière de sûreté. En outre, la proposition de règlement ne remettrait pas en cause notre législation nationale qui soumet l'accès aux zones réservées des aéroports à une double habilitation délivrée par le préfet : celle des entreprises et celle des agents eux-mêmes.

b) Une autre mesure doit permettre aux aéroports de fixer des standards minimums de qualité pour les services d'assistance en escale. Mais la définition du champ de ces normes minimales est très générale : le texte évoque aussi bien les performances opérationnelles que les règles de sûreté. De plus, au-delà de la contrainte qui pèsera sur les autorités nationales ou locales pour définir des normes, le texte prévoit que ces normes minimales devront respecter des « spécifications » arrêtées par la Commission au moyen d'actes délégués. Toutefois, il n'est pas dit quelle en serait la nature ni dans quel but elles seraient adoptées (améliorer l'efficacité des services, veiller à la légalité du dispositif...).

Au final, toute cette architecture apparaît excessivement floue et brouille la répartition des responsabilités. Cette complexité augmente encore si on cherche à distinguer ce qui relève des « règles de conduite » définies par les États membres et prévues à l'article 31 de la proposition de ce qui relève de ces « normes de qualité minimale » prévues à l'article 32. Il est impératif que la Commission européenne procède sur ce point à un partage des compétences qui soit clair. C'est pourquoi, lors de sa réunion du 12 janvier, la commission a décidé de demander à la Commission européenne des clarifications dans le cadre du dialogue politique.

3) Restrictions d'exploitation liées au bruit dans les aéroports (texte E 6916)

Cette proposition de règlement a pour objectif d'harmoniser la gestion dans les États membres des nuisances sonores générées par les avions, actuellement encadrée par la directive 2002/30/CE. Une telle harmonisation est nécessaire compte tenu des enjeux pour la libre circulation et le fonctionnement du marché intérieur. Les interactions entre aéroports sont très fortes et des restrictions locales ont des répercussions très larges.

Le texte ne remet pas en question la compétence des États de décider de mesures de restriction de l'exploitation d'un aéroport en raison du bruit. Il prend ainsi soin de détailler la procédure pouvant conduire l'autorité nationale compétente à ces décisions. Il prévoit même un mécanisme de recours. Cependant la Commission européenne se réserve à l'article 10 un droit de regard : à la demande d'un État membre ou de sa propre initiative, et sans préjudice d'une procédure de recours pendante, la Commission pourrait examiner une décision nationale instituant une restriction d'exploitation, préalablement à sa mise en oeuvre. Lorsque la Commission serait d'avis que la décision ne respecte pas les exigences du règlement, ou est contraire au droit européen, elle pourrait suspendre pour une durée illimitée la décision nationale.

Ce droit de regard est problématique et paraît contraire au principe de subsidiarité, comme nous en avons convenu au cours de notre réunion du jeudi 12 janvier. Il court-circuite une procédure nationale, alors même qu'un recours pourrait être pendant. La législation européenne harmonise et encadre strictement la procédure, mais laisse aux États membres la responsabilité de l'opportunité et de l'importance des restrictions en fonction de l'intensité de la nuisance pour les populations proches. C'est le sens du principe de subsidiarité en l'espèce. Or, la Commission vient par ce droit de regard remettre en cause cette répartition sans d'ailleurs la justifier réellement.

La Commission invoque l'accord « ciel ouvert » conclu entre les États-Unis et l'Union européenne et ses États membres en octobre 2007 et modifié par un protocole en 2010. Pourtant, rien dans cet accord ne rend nécessaire un tel droit de regard avec pouvoir suspensif. L'article 15 modifié de cet accord prévoit seulement un mécanisme de consultation lorsqu'une des parties décide de mesures de restrictions d'exploitation fondées sur le bruit. En particulier, l'introduction de toute nouvelle restriction doit être communiquée à l'autre partie au minimum 150 jours avant son entrée en vigueur. Au-delà, rien n'est prévu.

Il serait pour le moins gênant que des mesures visant à réduire le bruit dont souffrent les riverains soient suspendues au nom du droit de la concurrence ou d'un accord avec les États-Unis. Les négociations avec les riverains sont toujours très délicates et doivent concilier des intérêts divergents après des mois de discussions. Une telle décision de la Commission envenimerait encore des situations déjà très tendues et décrédibiliserait les autorités nationales qui font face au quotidien aux associations de riverain et aux compagnies. Pour ces raisons, lors de sa réunion du 12 janvier, la commission a adopté un projet d'avis motivé au titre de l'article 88-6 de la Constitution.

Sous le bénéfice de ces observations, la commission a décidé de ne pas intervenir davantage sur ces textes, dont les dispositions les plus contestables ont fait de sa part l'objet d'interventions appropriées, par ailleurs.