COM (2011) 452 final
du 20/07/2011
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 26/06/2013
Contrôle de subsidiarité (article 88-6 de la Constitution)
Examen : 08/12/2011 (commission des affaires européennes)Réponse de la Commission européenne
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 179 (2011-2012) : voir le dossier legislatif
Économie, finances et fiscalité
Normes prudentielles applicables aux
banques
Communication de M. Michel Billout
et proposition de
résolution portant avis motivé
(Réunion du 21 décembre 2011)
M. Simon Sutour, président. - Nous en venons à la première application de nos compétences en matière de subsidiarité, dont l'exercice est organisé par un nouveau règlement intervenu en début d'année. Jusqu'à une époque récente, tout se passait par courrier, mais depuis le début de la mandature, je réunis tous les quinze jours un groupe de travail informel, avec des représentants de tous les groupes politiques. Il est souhaitable que ce soit les mêmes collègues qui représentent les groupes, mais il est encore plus important que chaque groupe soit représenté dans cette course de fond.
M. Michel Billout. - Nous allons nous livrer à un exercice contraint, puisque le Sénat dispose de huit semaines à partir de la réception d'une proposition d'acte législatif européen pour formuler éventuellement un avis motivé destiné à la Commission européenne. Pour que cette procédure soit prise en compte au niveau communautaire, il faut que le tiers des parlements nationaux ait formulé un avis motivé, mais pas nécessairement dans les mêmes termes. Si notre commission juge que l'avis motivé est justifié, celui-ci est transmis à la commission législative saisie au fond, puis, éventuellement, débattu en séance publique. Et tout cela doit aboutir en huit semaines ! Nous avons donc eu quinze jours pour auditionner et travailler...
La subsidiarité relève d'une problématique de forme, non de fond. Il s'agit ici des règles prudentielles applicables aux sociétés de financement et d'investissement. Après avoir examiné attentivement le copieux projet de règlement européen, il apparaît que seul son article 443, qui traite des actes délégués, pose problème.
De la faillite de Lehman Brothers aux difficultés actuelles des banques européennes, en passant par la faillite de Dexia, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait réguler le secteur bancaire. À cette fin, la Commission européenne a élaboré le paquet législatif dit CRD IV, composé d'une directive et d'un règlement qui s'imposerait à tous. La crise de 2007-2009 a mis en lumière les lacunes prudentielles de Bâle II. Le comité de Bâle a donc élaboré les recommandations de Bâle III, relevant le niveau des fonds propres, proposant des ratios de liquidité plus exigeants et traitant de l'effet de levier.
La Commission européenne propose d'harmoniser les normes applicables au sein de l'Union en reprenant les critères de Bâle III. Avec cette harmonisation maximale, les 8 200 établissements financiers européens se verraient imposer les mêmes ratios minimaux, aucun État membre ne pouvant exiger des ratios supérieurs - la Grande Bretagne aurait souhaité le faire, et cela a fait débat. Une marge de manoeuvre est accordée aux Etats membres qui peuvent imposer la constitution d'un matelas de fonds propres complémentaires. Je n'entre pas plus dans le détail : M. Yung y reviendra, puisqu'il est le rapporteur de ces textes pour notre commission.
M. Richard Yung. - En janvier.
M. Michel Billout. - Le sujet ne fait pas polémique : l'ensemble des groupes au Parlement européen soutient ces propositions.
Selon le premier alinéa de l'article 443 proposé par la Commission européenne, « La Commission est habilitée, notamment sur recommandation ou avis du Comité européen du risque systémique (CERS), à adopter des actes délégués conformément à l'article 445 pour imposer, pour un laps de temps limité, des exigences prudentielles plus strictes pour toutes les expositions ou pour celles sur un ou plusieurs secteurs, régions ou Etats membres, dans la mesure nécessaire pour réagir à d'éventuelles variations d'intensité des risques micro et macroprudentiels dues à l'évolution du marché après l'entrée en vigueur du règlement ».
La Commission européenne se fonde sur l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Les deux premiers alinéas disposent : « Un acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d'adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l'acte législatif. Les actes législatifs délimitent explicitement les objectifs, le contenu, la portée et la durée de la délégation de pouvoir. Les éléments essentiels d'un domaine sont réservés à l'acte législatif et ne peuvent donc pas faire l'objet d'une délégation de pouvoir ».
Or, l'acte délégué visé à l'article 443 de la proposition de résolution dépasse le cadre habituel. Il autorise le recours à un acte délégué sur une base à la fois très étendue et très imprécise : « d'éventuelles variations d'intensité des risques micro- et macroprudentiels ». Une formulation aussi large permet de couvrir un vaste éventail de situations allant d'un simple risque pour, par exemple, le crédit immobilier dans un Etat jusqu'à une crise grave. D'ailleurs, l'article ne comporte aucune référence explicite à une situation d'urgence : il mentionne seulement une procédure d'urgence. Les autres articles sont bien plus précis.
Comment l'article 443 s'insère-t-il dans les compétences déjà attribuées ? Quatre règlements européens entrés en application le 1er janvier ont créé le Conseil européen du risque systémique (CERS), chargé d'apprécier les risques macroprudentiels, et trois autorités européennes de surveillance (AES) en charge chacune d'un risque micro-prudentiel. Le premier transmet toute information sur une dégradation du risque au Conseil, lequel est compétent pour constater l'urgence de la situation. Particulièrement dans ce cas, le CERS formule des recommandations, qui peuvent être générales ou spécifiques, confidentielles ou publiques, adressées à une ou plusieurs autorités de surveillances nationales, une ou plusieurs AES, un ou plusieurs Etats membres ou à l'ensemble de l'Union. Les AES ont le pouvoir d'imposer des décisions en cas de défaillance des autorités nationales.
Alors que le partage des compétences est très précis et conforme au principe de subsidiarité, l'article 443 vient transformer cette architecture, la Commission pouvant modifier une répartition des compétences établie par les institutions de l'Union, le Conseil et le Parlement.
Cumulée avec l'imprécision juridique entourant la mise en oeuvre de l'article, l'absence de motivation rend difficile l'appréciation que nous devons porter quant au respect du principe de subsidiarité. La Commission européenne est-elle la plus à même de prendre des mesures de renforcement des fonds propres ? Il faudrait l'établir et la Commission ne le fait pas. Or, en cas d'incendie, on s'adresse à la caserne de pompiers la plus proche... Il me semble que les autorités nationales prendront rapidement et efficacement les mesures nécessaires.
C'est pourquoi je vous propose, sans remettre en question la démarche du paquet CRD IV, d'adopter une résolution portant avis motivé sur la conformité de l'article 443 au principe de subsidiarité. Sept parlements nationaux s'interrogent à ce titre, parfois pour des raisons de fond, mais toujours avec des arguments de forme faisant référence à la subsidiarité. Le diable se cache dans les détails, et il ne faudrait pas que la faiblesse de rédaction de l'article 443 soit dommageable à l'ensemble de la proposition législative.
M. Richard Yung. - Vous avez fort bien posé le problème : l'article 443 du projet de règlement s'inscrit dans ce cadre de l'article 290 du traité sur le fonctionnement de l'Union, qui autorise les actes de délégation.
Le débat de fond est le suivant : en cas de risque systémique, les autorités nationales sont-elles les mieux placées pour augmenter les ratios ? Est-il préférable de miser sur la capacité de la Commission européenne ? Je penche plutôt pour la seconde solution, car les autorités nationales ont déjà démontré qu'elles ne réagissaient pas toujours avec suffisamment de détermination. Elles peuvent être soumises à des pressions fortes du système bancaire national, comme celles d'aujourd'hui contre l'accélération du passage aux ratios de Bâle III ; elles peuvent aussi vouloir maintenir à un avantage compétitif relatif. D'autre part, une situation de crise touchera nécessairement plusieurs pays, voire tout le marché unique.
J'approuve largement les propos de M. Billout, mais pas sa conclusion : je fais plus confiance à la Commission pour agir dans une période déterminée et limitée.
M. Jean Bizet. - Sur ce sujet délicat, je ne partage pas jusqu'à la fin les orientations de M. Yung : l'harmonisation est certes essentielle, mais la réactivité l'est aussi et je souhaite que les autorités nationales conservent une possibilité d'action en cas de crise. Connaissant les qualités de notre AMF -notamment celles, éminentes, de son président - je suis plutôt séduit par la proposition de résolution.
M. Jean-René Lecerf. - Pourrait-on combiner la compétence des Etats et celle de la Commission, qui interviendrait en cas de carence ?
M. Michel Billout. - Nous avons du mal à nous affranchir des considérations de fond, alors que nous devons nous prononcer sur le respect de la subsidiarité : cet article du projet de règlement est-il conforme au traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ? J''estime qu'il ne respecte pas l'article 290. En revanche, le recours aux actes délégués aux articles 441, 442, 444 et 445 ne soulève aucune objection.
La rédaction de l'article 443 permet à la Commission d'agir sans même avoir été saisie par le CERS, malgré les compétences que le règlement entré en vigueur le 1er janvier attribue à ce comité. D'autre part, l'expression « un laps de temps limité » n'a pas de signification juridique précise. Dans le même esprit, les « exigences prudentielles plus strictes », pour « un ou plusieurs secteurs, régions ou Etats membres » ne sont nullement encadrées. Enfin, reste la question de la motivation : la Commission serait-elle plus efficace que les autorités nationales ? La question de la subsidiarité se pose.
M. Jean Bizet. - Le fait que sept parlements nationaux aient réagi montre que cet article pose problème.
Nous voulons une harmonisation. En votant la résolution, nous permettrions à la Commission de préciser l'ampleur et la durée de son éventuelle intervention. N'oublions pas qu'à propos des semestres européens, le politique a repris la main sur la Commission. Je souhaite que celle-ci précise sa copie sur l'article 443.
M. Alain Richard. - J'éprouve un peu de mal à me convaincre sur le second sujet. Par les temps qui courent, il n'est pas totalement injustifié de définir une procédure de crise, mais demander qu'on précise la motivation est tout à fait justifié. En revanche, il me paraîtrait aventureux d'affirmer que l'action des 27 régulateurs nationaux serait plus judicieuse que celle de la Commission. Aurait-on défendu la sécurité des navires en pensant que le régulateur grec ferait bien son travail ? Je voudrais être sûr que la confiance accordée aux régulateurs nationaux ne sera pas démentie tôt ou tard. En ce domaine, toute exigence supplémentaire a des conséquences concurrentielles, puisque les établissements devant renforcer leurs fonds propres subissent une réduction temporaire de leur capacité à réaliser des opérations. Or, l'instance compétente pour la concurrence en Europe est la Commission européenne.
M. Richard Yung. - Je me retrouve dans ces propos. On peut craindre que les autorités nationales n'aient pas toute la volonté d'agir vite et fort. Voyez les réactions des systèmes bancaires face à l'éventuelle accélération du calendrier de Bâle III, dont l'entrée en vigueur pourrait intervenir dès 2012-2013 au lieu de 2018.
M. Alain Richard. - Des réactions totalement désintéressées !
M. Richard Yung. - La Commission garantit une action dans l'intérêt supérieur européen. Pour autant, je ne suis pas hostile à ce que l'on précise mieux les conditions de son intervention.
La Chambre des Communes britannique a adopté un avis motivé, en pensant aux banques de la City qui ont des participations étrangères.
M. Joël Guerriau. - En situation de crise, il est difficile d'obtenir des crédits. Confrontées à l''obligation de renforcer leurs fonds propres, les banques peuvent se lancer à la recherche de la rentabilité, qui va de pair avec le risque. Il faut donc être vigilant avant d'imposer un relèvement des ratios de fonds propres. Notre attention devrait se porter sur l'usage qu'on en fait (produits discutables, montages financiers peu acceptables).
M. Yann Gaillard. - Le fonctionnement du CERS donne-t-il satisfaction ?
M. Michel Billout. - Nous ne pouvons guère nous prononcer : il ne fonctionne que depuis le 1er janvier.
Sachant que les AES disposent déjà d'un pouvoir de substitution aux autorités nationales, l'article 443 est un « ovni ». Selon Mme Nouy, secrétaire générale de l'ACP, notre autorité nationale, cet article ne s'appliquerait pas dans des situations d'urgence.
Le projet CRD IV imposera des ratios à 8 200 organismes financiers européens, alors que pour les Etats-Unis, Bâle III s'appliquerait à 18 établissements américains.
Une disposition européenne sera-t-elle plus efficace ? L'absence de motivation de l'article pose problème au regard des traités.
M. Alain Richard. - Pourquoi ne pas parler de la coordination, voire de l'impulsion des autorités nationales ?
M. Simon Sutour, président. - Nous devons seulement nous prononcer sur la conformité ou non aux traités européens.
M. Alain Richard. - Notre avis pourrait mentionner les motifs que la Commission pourrait légitimement invoquer pour intervenir.
M. Simon Sutour, président. - Je vous propose d'examiner les observations inscrites dans la proposition de résolution. Les deux premières ne soulevant aucune objection, j'en viens à la troisième : « En l'état, il n'est pas démontré que, dans les situations visées à l'article 443 et notamment en cas d'urgence, une intervention de la Commission européenne soit plus à même d'être efficace que l'intervention du régulateur national ».
M. Richard Yung. - Je suis en désaccord avec cet alinéa.
M. Simon Sutour, président. - L'on pourrait mentionner les autorités européennes de surveillance.
M. Richard Yung. - Oui.
M. Yann Gaillard. - Ne remettons pas en cause la Commission.
M. Simon Sutour, président. - Je suggère d'ajouter in fine les mots « ou d'une autorité européenne de surveillance ».
M. Jean Bizet. - D'accord.
M. Simon Sutour, président. - Puisque nous sommes désormais d'accord sur cet alinéa comme sur les deux suivants, passons à l'avant-dernier alinéa de la proposition de résolution : « Le Sénat observe que l'article 443 de la proposition de règlement permettrait à la Commission européenne de modifier unilatéralement cette répartition et de porter éventuellement atteinte au principe de subsidiarité sans aucun contrôle possible. » Nous pourrions supprimer les mots « sans aucun contrôle possible ».
M. Simon Sutour, président. - S'il n'y a plus d'opposition, j'en viens au dernier alinéa : « Le Sénat estime, en conséquence, que l'article 443 de la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil E 6787 n'est pas conforme à l'article 5 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et au protocole n° 2 annexé à ce dit traité. Le reste de la proposition n'appelle pas d'observation au regard du principe de subsidiarité ». Je propose de préciser « dans sa rédaction actuelle » après les mots « n'est pas conforme ».
M. Jean Bizet. - Cette rédaction conjugue les vues de MM. Yung et Billout en amenant la Commission à préciser les deux points qui nous choquent.
M. Richard Yung. - Seul un avis motivé a été adopté jusqu'à présent : les autres parlements en discutent.
M. Jean Bizet. - Vous devriez les stimuler !
M. Richard Yung. - J'approuve la synthèse proposée par notre président.
M. Simon Sutour, président. - Je suis satisfait de la synthèse - nous devons pratiquer ainsi le plus longtemps possible.
M. Michel Billout. - Je remercie tous les intervenants pour leur esprit constructif.
M. Simon Sutour, président. - Ce premier débat est important car nous jouons ainsi notre rôle constitutionnel.
La proposition de résolution portant avis motivé est adoptée à l'unanimité dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Proposition de résolution
européenne portant avis motivé
L'article 443 de la proposition de règlement E 6787 accorde à la Commission le pouvoir d'imposer aux établissements financiers de l'Union européenne, par acte délégué, des exigences prudentielles plus strictes « pour un laps de temps limité ». Cette délégation s'exerce « ...dans la mesure nécessaire pour réagir à d'éventuelles variations d'intensité des risques micro- et macroprudentiels dues à l'évolution du marché... » et dans le cadre d'une procédure d'urgence. La procédure d'urgence est définie par les articles 445 et 446.
Vu l'article 88-6 de la Constitution,
Le Sénat fait les observations suivantes :
- L'article 443 de cette proposition de règlement n'est pas accompagné de motivation au regard du principe de subsidiarité,
- Le cadre d'exercice de cette délégation - tant les conditions déterminant l'adoption d'un acte délégué que sa durée de validité - est défini de façon imprécise,
- En l'état, il n'est pas démontré que, dans les situations visées à l'article 443 et notamment en cas d'urgence, une intervention de la Commission européenne soit plus à même d'être efficace que l'intervention du régulateur national ou des autorités européennes de surveillance.
Le Sénat rappelle que :
- Les règlements n° 1092/2010, 1093/2010, 1094/2010 et 1095/2010, adoptés par les Institutions européennes et conformes au principe de subsidiarité, ont mis en place un système européen de surveillance financière.
- Ces règlements répartissent les compétences en ce qui concerne la surveillance et la gestion des risques micro et macro-prudentiels.
Le Sénat observe que l'article 443 de la proposition de règlement permettrait à la Commission européenne de modifier unilatéralement cette répartition et de porter éventuellement atteinte au principe de subsidiarité.
Le Sénat estime, en conséquence, que l'article 443 de la proposition de règlement du Parlement Européen et du Conseil E 6787 n'est pas conforme, dans sa rédaction actuelle, à l'article 5 du traité sur l'Union européenne et au protocole n°2 annexé à ce traité. Les autres articles de la proposition n'appellent pas d'observation au regard du principe de subsidiarité.
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 16/11/2011Examen : 23/02/2012 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 423 (2011-2012) : voir le dossier legislatif
Economie, finances et fiscalité
Textes E 6480 et E 6787
Proposition de
résolution européenne de M. Richard Yung
sur la
régulation bancaire
COM (2011) 452 final et COM (2011) 453
final
(Réunion du jeudi 23 février 2012)
M. Simon Sutour, président. - Notre ordre du jour est copieux, pour ne pas dire indigeste, car la suspension prochaine des travaux nous impose d'examiner en deux séances des textes dont nous aurions normalement discuté jusqu'à fin mars.
Nous commençons par le projet « CRD IV » qui doit modifier profondément la législation bancaire, sujet complexe sur lequel nous avions organisé le 15 février une table ronde conjointe avec la commission des finances.
M. Richard Yung. - Les fonds propres des banques et leur contrôle prudentiel sont un thème d'actualité depuis que la crise financière a mis en lumière une série d'insuffisances. Nous avons tous étés surpris par l'ampleur de cette crise et la rapidité de sa propagation.
En décembre 2010, le comité de Bâle, qui réunit les banques centrales et certains décideurs européens ou américains, a proposé de refondre le contrôle prudentiel des banques. Tel est l'objet des normes « Bâle III ». En juillet 2011, la Commission européenne a présenté une proposition de directive et une proposition de règlement dénommés « Capital requirement directive IV » ou « CRD IV ». Leur objectif est de transposer les normes « Bâle III » et d'ajouter une harmonisation des règles prudentielles applicables aux banques européennes.
L'ambition d'une régulation pérenne et efficace doit être défendue. Il y a danger en ce domaine, car le débat se déroule dans un contexte difficile où les pressions sont nombreuses. Cela pourrait inciter à temporiser, même si la présidence danoise s'efforce d'accélérer le calendrier.
Ensuite, il faut surveiller les conséquences non souhaitées pour le financement de l'économie. Les nouvelles règles ne font pas plaisir aux banques, qui doivent respecter des exigences sensiblement accrues. D'où le pilonnage auquel procèdent les groupes de pression financiers et bancaires. C'est vrai en Europe, ça l'est encore plus aux États-Unis où l'importante législation votée par le Congrès est en partie stoppée. Nous risquons d'être soumis à un chantage, on nous menacera de licenciements par milliers pour faire baisser les exigences.
Les obligations prudentielles sont aujourd'hui régies par une directive autorisant des divergences nationales significatives : l'Europe des banques n'existe pas. Il faut donc harmoniser. Tel est le choix fait par la Commission européenne, avec son projet de règlement, par nature directement applicable sans transposition.
Le règlement « CRD IV » s'applique à l'ensemble des 8 300 institutions bancaires en Europe, donc au-delà des banques internationales, seules visées par « Bâle III ». Cette évolution exigera de nombreuses adaptations dans bien des pays. Elle placera le régulateur européen en avance sur son homologue américain.
On ne s'est pas limité à élever les contraintes de solvabilité, on a aussi voulu réduire le risque de nouvelle crise systémique, se propageant comme le feu en Corse l'été. Concrètement, la proposition de règlement « CRD IV », c'est d'abord le renforcement des fonds propres. Selon certains, cette disposition sera inutile si le risque est suffisamment contrôlé, et inefficace face un risque majeur. Elle apporte néanmoins une certaine garantie. Concrètement, le ratio minimal des fonds propres réglementaires sur les risques supportés par l'institution financière reste à 8 %, mais la proposition « CRD IV » impose des exigences qualitatives nouvelles quant à ce qui constitue des fonds propres et distingue des fonds propres « durs », dont la part devra être de 4,5 %, contre 2,5 % aujourd'hui, et qui devront être complétés par un « coussin de conservation » de 2,5 %. En cas de choc, les banques disposeront ainsi de fonds propres « durs » de 7 % - j'ai tendance pour ma part à juger ce niveau encore un peu bas...
En outre, un ratio de levier sera progressivement introduit. L'expérimentation initiale plafonnera à 3 % le quotient des fonds propres par rapport au total du bilan. L'intérêt de ce ratio est qu'il ne tient pas compte de la pondération des risques qu'effectuent les banques pour elles-mêmes. Reprendre l'idée de pondérer les risques reviendrait à ouvrir la boîte de Pandore : qui décidera s'il faut comptabiliser un hôtel à Caracas pour 100 %, 70 %, 50 % ou 20 % de sa valeur ? La discussion serait sans fin et nul ne s'y retrouverait au niveau du système bancaire européen. Une des grandes armes brandies par les institutions financières consiste à discuter ces pondérations.
Enfin, la liquidité des établissements bancaires serait encadrée par deux ratios, celui à court terme permettra d'apprécier la capacité de l'établissement à surmonter un choc de liquidités sur 30 jours ; celui sur un an concernera l'adéquation des maturités des financements longs.
Ces dispositifs imposeront aux banques européennes d'immobiliser 1 000 milliards d'euros pour assurer leur liquidité à court terme, 1 700 milliards pour les liquidités à un an et seulement 460 milliards au titre des ratios de fonds propres - mais on parle de 8 300 établissements dans une zone dont le PNB atteint 16 000 milliards.
À ce règlement s'ajoute la directive qui traite de la supervision, des sanctions, du recours aux agences de notation et du matelas de précaution. La démarche « CRD IV » mérite d'être soutenue.
M. Alain Richard. - C'est un rattrapage qu'on n'aurait jamais dû avoir à opérer !
M. Richard Yung. - Cela évitera, on l'espère, de revoir certaines situations...
Le principe de l'harmonisation maximale doit être défendu. Il signifie qu'aucun État ne peut établir de ratios réglementaires minimaux plus stricts, ni bien sûr de ratios moins exigeants, car toute différence compliquerait les comparaisons et serait source d'incertitudes. Renoncer à l'harmonisation maximale rendrait la régulation inopérante.
Deuxièmement, le ratio de levier est un outil complémentaire prudentiel indispensable. Il est indiscutable, puisqu'il est calculé partout de la même façon.
Troisièmement, la fiscalité est un outil de cohérence réglementaire. D'après le FMI, l'exonération, très fréquente, des intérêts de la dette incite les banques à emprunter plutôt qu'à constituer des fonds propres. Nous discutons avec la commission des finances, en particulier la rapporteure générale, pour formuler une proposition plus précise à ce sujet.
Quatrièmement, l'encadrement réglementaire de la liquidité est une priorité. La gestion de la liquidité étant au coeur du métier bancaire, la démarche « CRD IV » représente un enjeu considérable pour l'industrie bancaire, qui se démène pour obtenir de meilleures conditions. La gestion de la liquidité est au coeur du métier des banques. Il faut une régulation pour éviter les excès et assurer une plus grande transparence.
Cinquièmement, la réglementation « CRD IV » doit être coordonnée avec les directives MIF portant sur les marchés financiers, et EMIR sur les produits dérivés - nous avions examiné une proposition de résolution.
Sixièmement, il est indispensable de réduire le contournement de la règlementation, la « finance de l'ombre », le shadow banking comme on dit au pays de Conan Doyle. Aujourd'hui, les marchés non contrôlés représentent des montants considérables ! La titrisation en particulier a permis aux banques de transférer le risque au sein de hamburgers financiers mélangeant des instruments financiers tellement variables que nul ne peut plus apprécier le risque. La dissémination par ce biais des junk bonds fonciers aux États-Unis est une des causes de la crise financière. Il faut donc que les institutions financières appliquent le même traitement réglementaire à des instruments financiers identiques.
Enfin, j'en viens à la séparation des activités bancaires. Les banques commerciales sont aux yeux du public des guichets où les honnêtes gens déposent leur épargne afin que les gentils banquiers la transforment en prêts à de bons industriels qui créent des emplois. Un vrai conte de fées ! Mais les banques bénéficiant d'une garantie implicite de l'État réalisent des placements risqués avec cette ressource, obtenue dans des conditions très avantageuses. D'où le grand débat sur la séparation entre banques commerciales et banques d'affaires. Certains ont déjà choisi : la commission Vickers en Angleterre propose de séparer les activités de banque de détail et celle d'investissement. Aux États-Unis, la règle Volcker, le Dodd Frank Act, interdit les activités de trading pour compte propre.
La proposition de résolution ajoute un élément à ce que je viens de dire, en demandant que le règlement « CRD IV » s'accompagne d'une harmonisation comptable basée sur les normes européennes.
M. Alain Richard. - J'approuve l'analyse de M. Yung. La régulation bancaire et financière est un combat permanent, car ceux qui gagnent beaucoup d'argent avec le système actuel s'opposent fort logiquement aux normes « Bâle III », qu'ils prétendent contraires à l'intérêt des clients.
S'agissant de normes comptables, les pays tiers ont-ils déjà adopté les normes américaines ou sont-ils partagés ?
M. Richard Yung. - Je n'ai pas la réponse, mais je pense que le combat n'est pas perdu d'avance, car les normes en vigueur aux États-Unis s'appliquent exclusivement aux banques fédérales, soit 15 à 20 établissements. Le reste du système bancaire est régi par la législation de chaque État fédéré. Vu la puissance économique de l'Union européenne, nous n'avons aucune raison de baisser pavillon.
M. Jean-François Humbert. - Je n'ai pas d'objection concernant la proposition de résolution.
M. Aymeri de Montesquiou. - L'ultralibéralisme a engendré une grande prospérité, puis une très grande catastrophe. Il faut éviter de nouvelles catastrophes, mais sans brider les banques au point que l'économie en pâtisse. Restons dans un juste équilibre.
M. Richard Yung. - La grande prospérité fut surtout pour les banquiers, et nous payons la très grande catastrophe !
Mme Bernadette Bourzai. - Je félicite M. Yung pour sa clarté : j'ai plus appris aujourd'hui qu'il y a trois semaines à la Banque européenne d'investissement, à Bruxelles. Je constate que les inquiétudes qu'il exprime se réalisent déjà à notre détriment, quand par exemple un réseau bancaire distribue 8 millions de prêts dans une zone où il recueille jusqu'à 111 millions en dépôts.
La proposition de résolution suivante est adoptée à l'unanimité.
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d'investissement (E 6787), dit « règlement CRD IV » ;
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement (E 6480), dite « directive CRD IV » ;
- soutient l'initiative de réunir dans un corpus réglementaire unique européen les dispositions de l'accord « Bâle III » et d'harmoniser les règles de gouvernance et de supervision ;
- partage les objectifs de « CRD IV » et approuve les dispositions contenues dans le texte des propositions de directive et de règlement ;
- souligne que l'ambition de « CRD IV » d'établir un cadre réglementaire pérenne à même d'assurer la solidité et le fonctionnement sain du secteur bancaire européen doit être maintenue;
- constate que certaines des règles prudentielles préconisées dans les propositions « CRD IV » sont d'ores et déjà appliquées ;
- souhaite en conséquence que soient étroitement surveillés :
* les démarches de réduction de l'activité des établissements bancaires, en particulier lorsqu'elles se traduisent par des réductions de crédit en direction des entreprises et des collectivités locales ;
* le repli progressif des acteurs financiers sur leur marché national qui risque de conduire à terme à une fragmentation du marché financier européen ;
- soutient et juge essentielle la mise en place effective d'une harmonisation maximale des ratios prudentiels au sein de l'Union européenne ;
- se prononce en faveur d'un ratio de levier conçu comme un outil réglementaire complémentaire aux ratios de fonds propres ;
- considère indispensable que la mise en place des mesures réglementaires de « CRD IV » soit accompagnée d'une harmonisation internationale des normes comptables sur la base des normes européennes, nécessaire à l'homogénéité des ratios ;
- souhaite que soit étudiée l'utilisation de la fiscalité au regard des objectifs de renforcement des fonds propres ;
- soutient la mise en place dans le règlement « CRD IV », au terme d'une période d'observation, de ratios de liquidité contraignants, en particulier en ce qui concerne la gestion de la liquidité à court terme ;
- souhaite que des moyens appropriés soient alloués à l'Autorité bancaire européenne afin qu'elle puisse mener à bien les missions centrales qui lui sont confiées ;
- rappelle que les dispositions « CRD IV » doivent être coordonnées avec un ensemble de textes récents ou en cours d'élaboration et qu'une attention particulière doit être portée à leurs calendriers de mise en oeuvre respectifs ;
- souligne notamment l'importance d'établir rapidement un cadre européen de prévention et de gestion des crises bancaires ;
- souhaite que soit étudié un renforcement de l'encadrement des rémunérations du secteur bancaire ;
- souhaite également que soient rapidement formulées des propositions européennes en ce qui concerne la régulation du transfert des activités et des risques bancaires vers le secteur non réglementé ;
- prend acte de la constitution d'un groupe de travail à haut niveau en Europe sur la séparation des différentes activités bancaires ;
- souligne que ce groupe de travail devra traiter du soutien implicite des Etats au secteur bancaire et de la nécessaire protection des déposants ;
- souhaite que, dans le cadre de cette réflexion, une étude approfondie sur la corrélation entre risque et rentabilité des activités bancaires et particulièrement des transactions (trading) pour compte propre soit communiquée au Parlement ;
- demande au Gouvernement de défendre et de faire valoir ces orientations auprès des institutions européennes.