COM (2011) 635 final
du 11/10/2011
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 19/10/2011Examen : 23/02/2012 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 425 (2011-2012) : voir le dossier legislatif
Justice et affaires intérieures
Texte E 6713
Proposition de résolution
européenne de M. Alain Richard
sur les contrats de vente
COM
(2011) 635 final
(Réunion du jeudi 23 février 2012)
M. Simon Sutour, président. - Nous en venons au sujet important et très controversé du droit européen des contrats de vente.
M. Alain Richard. - L'Europe applique au moins 27 droits différents, auxquels nos juristes sont habituellement attachés. Néanmoins, l'intensification des transactions transfrontalières justifierait une harmonisation dont le besoin s'accentue avec le développement des achats en ligne.
Quelques outils pratiques existent déjà, ce qui est logique puisque l'Union européenne est compétente pour parachever le marché intérieur, donc les contrats entre acheteurs et vendeurs. Globalement, la législation communautaire est favorable aux consommateurs - la délocalisation fait produire moins cher des produits vendus aux consommateurs sous étiquette d'entreprises européennes.
La Commission a voulu créer un droit commun des contrats, en commençant par les contrats de vente, pour avancer par étapes vers une sorte de Code civil européen, expression dont l'usage est le meilleur moyen pour que les juristes en général, et les civilistes en particulier s'arment d'escopettes. La Commission a publié un Livre vert qui expose plusieurs formules permettant d'aboutir à un droit européen des contrats. Après consultation, notamment d'universitaires, gardiens de la rigueur juridique, elle a établi un plan d'action. Parmi les options décrites, figure de donner le choix entre le droit contractuel national et un droit européen, qui serait nécessairement le fruit d'un règlement pour être directement applicable parallèlement aux codes civils locaux. Cette démarche ne fait pas que des heureux, le conservatisme du Vieux continent s'ajoutant à la crispation des professionnels du droit. Bien qu'il se heurte à d'innombrables oppositions, ce projet correspond à une nécessité pratique difficilement contestable.
Parmi les objections formulées se trouve la publication récente d'une directive sur le même sujet. Sauf qu'il faut des années pour transposer une directive, nombre de pays jouant de surcroît les bons apôtres en n'intégrant les nouvelles dispositions que de façon très approximative. C'est pourquoi la Commission préfère proposer un contrat européen optionnel, de manière à créer la pression à l'harmonisation.
Le règlement proposé repose sur une trentaine d'années de travail fourni par les juristes. Sur le plan de la cohérence, il ne subit aucune critique. En revanche, la méthode utilisée est contestée. Les associations de consommateurs mettent en exergue les quelques dispositions protégeant mieux les consommateurs dans telle ou telle législation nationale, pour craindre que la solution la plus défavorable aux consommateurs ne soit systématiquement retenue par les vendeurs. Ne croient-elles pas à leur action ? Je ne crois pas les avoir convaincues du fait que la concurrence éviterait ce risque.
M. Aymeri de Montesquiou.- Libre-échangiste !
M. Alain Richard. - Avec le développement des achats en ligne, on peut penser que les acheteurs choisiront la meilleure offre, bien qu'aucun ne lise les contrats sur Internet. Au demeurant, le règlement apporterait à un très grand nombre de consommateurs européens une protection très supérieure à celle dont ils bénéficient aujourd'hui.
La principale interrogation est la suivante : a-t-on le droit de faire progresser l'harmonisation en offrant un système juridique alternatif aux législations nationales au lieu de faire évoluer celles-ci par des directives ? Offrir une option entre deux législations a déjà été admis, par exemple pour la société coopérative européenne, qui s'adressait, il est vrai, à des personnes que leurs démarches avaient déjà éclairées. Peut-on donner directement le choix à tous les agents économiques ? Notre gouvernement le conteste ; le service juridique du Conseil se penche sur la question. Quel que soit le sort final de ce règlement, que les Etats membres acceptent le principe d'une harmonisation par option entre un système juridique national et un ensemble législatif communautaire serait un vrai changement. Est-ce une harmonisation qu'autorise le traité ? Les juristes en débattent.
Un mot de la collégialité de la Commission, où les commissaires se renvoient volontiers l'ascenseur. Evidemment, rien de semblable ne se passe dans un gouvernement... Mme Viviane Reding a fait grand cas de cette harmonisation pour fluidifier le marché intérieur, notamment les exportations des PME. L'essentiel des groupements patronaux explique que cela ne sert à rien ; la CGPME est la seule à se dire intéressée pour les transactions entre deux entreprises, nettement moins pour les ventes aux consommateurs. En réalité, les estimations de chiffre d'affaires supplémentaire que l'on trouve dans l'étude d'impact ne reposent sur rien.
Le règlement repose sur une idée intéressante et il comporte beaucoup de points positifs. En France, la direction des affaires civiles estime que toute évolution du droit national prend en compte ce qui se passe à l'étranger, ce qui assure la convergence juridique. Pour toutes ces raisons, je vous propose une résolution que je crois équilibrée, différente de celle de l'Assemblée nationale où les députés s'insurgent contre une atteinte abominable à la souveraineté nationale.
M. Aymeri de Montesquiou. - Dès lors qu'un choix est proposé entre le droit européen et le droit national et que chacun peut ester, je vois mal où est le problème. C'est une situation extrêmement souple. Je suis favorable à un contrat européen. Peut-être se heurte-t-il à des oppositions culturelles, mais il faut savoir ce que l'on veut, l'Union européenne ou des frontières intangibles ? Où cela va-t-il finir ?
M. Alain Richard. - A la Cour, je ne sais dans combien de temps. Ce que contestent le gouvernement français et des Parlements, le Bundestag et la Chambre des communes, au motif que ce texte rend applicable sur leur sol un droit alternatif au leur...
M. Aymeri de Montesquiou. - So what ?
M. Alain Richard. - Cela froisse la souveraineté...
M. Aymeri de Montesquiou. - C'est le propre de l'Europe !
M. Simon Sutour, président. - Il y a la subsidiarité !
M. Alain Richard. - Outre que ce principe est parfois mis en avant pour arrêter la construction européenne, il n'y a pas de problème de subsidiarité, car le droit national demeure applicable. Un choix est donné au contractant. Cela représente une interprétation nouvelle de la souveraineté de l'Etat. Le gouvernement français et plusieurs autres autorités nationales plaident qu'il n'y a pas de base dans le traité pour le faire, l'harmonisation devant partir de chaque législation nationale et non d'une législation transnationale. Si je devais présenter un jour un mémoire à la Cour de justice de l'Union européenne, je plaiderais que c'est possible. L'establishment juridique de chaque pays prétend que non.
M. Richard Yung. - Nous savons que la chancellerie a toujours été très frileuse dans ce domaine. Cela ne me gêne pas que l'on froisse la souveraineté, c'est ainsi que l'on avance ! Les juristes sont là pour inventer des solutions.
M. Simon Sutour, président. - Il y aura une jurisprudence !
M. Alain Richard. - En fait, les litiges vont se développer dans chaque pays. Dans un monde parfait, le premier tribunal saisirait la Cour d'une question préjudicielle ; en réalité, les jurisprudences nationales se prononceront dans des sens différents. Le règlement dit qu'il faut les recueillir : c'est nouveau et positif. Dans la vraie vie, il y a une certaine cohérence, une continuité. Mais il arrive à des cours suprêmes, je le sais, de changer de jurisprudence. La Cour remplit assez bien sa mission.
M. Simon Sutour, président. - Nous vous suivons sur l'harmonisation nécessaire au sein de l'Union européenne et sur les bémols que vous avez apportés, qui sont moindres que ceux de l'Assemblée nationale.
M. Alain Richard, rapporteur. - Je continue à penser que l'Etat est un. Le fonctionnement de notre exécutif est assez optimal à cet égard. Il en va tout autrement chez nos amis allemands, qui font preuve d'une mauvaise coordination. On m'a assuré, lors de mon premier contact au SGAE, que l'affaire était pliée, que personne ne défendrait ce texte au Conseil. Trois semaines après, la direction des affaires civiles m'a dit qu'en dépit des réserves du Bundestag, le gouvernement allemand ne s'opposerait pas à ce texte au Conseil !
M. Richard Yung. - Fédéralisme oblige.
La proposition de résolution suivante est adoptée à l'unanimité.
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 114, 169 et 352 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;
Vu la proposition de règlement (texte E 6713) relatif à un droit commun européen de la vente ;
Vu la résolution européenne du 15 février 2011 sur la proposition de directive relative aux droits des consommateurs (E 4026) ;
Le Sénat :
- considère qu'une harmonisation plus grande du droit commun de la vente au niveau européen apparaît nécessaire pour faciliter les échanges dans le marché unique ;
- rappelle que la méthode optionnelle proposée par la Commission européenne a déjà été utilisée dans le passé ; regrette toutefois que ses effets pour les entreprises et les consommateurs n'aient pas été évalués précisément ; estime qu'en tout état de cause cette méthode optionnelle peut être conduite de manière complémentaire avec l'adoption de directives tendant à renforcer les droits des consommateurs dans le marché unique ;
- souligne que cette harmonisation du droit commun de la vente ne peut être envisagée que sous réserve d'assurer un niveau élevé de protection des consommateurs comme l'exige l'article 169 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; invite, en conséquence, le Gouvernement à faire preuve de la plus grande vigilance pour que la mise en place d'un « second régime » pour le droit des contrats de vente n'aboutisse pas à réduire le niveau de protection des consommateurs ;
- juge nécessaire de clarifier la base juridique utilisée pour conduire cette démarche d'harmonisation et invite le Gouvernement à agir dans ce sens ;
- estime que l'unification du droit applicable ne saurait suffire à l'ouverture des marchés et que cette démarche devrait être complétée par l'adoption d'un instrument, soit public, soit résultant d'une mutualisation des moyens entre entreprises, afin de faciliter l'accès des petites et moyennes entreprises de taille intermédiaire à des marchés nationaux spécifiques.