COM(2011) 285 final
du 24/05/2011
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 12/06/2013
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 06/06/2011Examen : 27/06/2012 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : n° 618 (2011-2012) : voir le dossier legislatif
Economie, finances et fiscalité
Texte E 6299
Proposition de
résolution européenne de M. Richard Yung
sur le contrôle
par les autorités douanières
du respect des droits de
propriété intellectuelle
M. Richard Yung. - Cette proposition de règlement concerne le contrôle par les autorités douanières du respect des droits de propriété intellectuelle. Elle est à un stade assez avancé de discussion au niveau européen. Le Conseil pourrait prendre position assez rapidement après le vote du Parlement, sans doute avant la fin du mois de juillet.
I/ Quel est le contexte ?
Les conditions d'intervention de la douane dans ce domaine sont actuellement précisées par un règlement communautaire qui date de 2003. La révision de ce règlement a été engagée en 2011. Elle vise à élargir le champ d'intervention de la douane à un plus grand nombre de droits de propriété intellectuelle. Elle tend aussi à harmoniser les meilleures pratiques dans l'Union européenne et à simplifier les procédures en particulier pour les petits envois et pour permettre la destruction des marchandises contrefaites. Ce faisant, elle répond à une demande légitime des titulaires de droit de propriété intellectuelle.
La propriété intellectuelle est un enjeu essentiel. Elle soutient l'innovation et la création qui sont les moteurs de la croissance et de l'emploi. A l'inverse, la contrefaçon menace directement nos activités économiques, en particulier notre industrie. Elle fait courir des risques très graves pour la santé et la sécurité des consommateurs. On ne peut donc, au nom du commerce international, affaiblir notre système de protection de la propriété intellectuelle.
La France a toujours été en pointe dans la défense de la propriété intellectuelle. Son droit a souvent inspiré les dispositifs adoptés au niveau communautaire. On pense en particulier à la procédure très efficace de la saisie-contrefaçon. Avec notre ancien collègue Laurent Béteille, nous avions établi, l'an passé, un rapport d'information sur le bilan de la loi du 29 octobre 2007 de lutte contre la contrefaçon, dans lequel nous avions formulé une série de propositions pour renforcer le cadre juridique.
II/ Quelles sont les principales difficultés ?
1/ Préserver les saisies douanières en cas de transit et de transbordement
Dans un arrêt du 1er décembre 2011 dit « NOKIA PHILIPS », la Cour de justice a donné une interprétation du règlement de 2003 qui altère sensiblement l'intervention de la douane dans la lutte contre la contrefaçon aux frontières extérieures de l'Union européenne. En effet, cet arrêt encadre très strictement les contrôles douaniers dans les cas de transbordement, de transit et même de tout régime douanier suspensif.
De quoi s'agit-il ? De produits de provenance et de destination a priori extra-communautaires, qui transitent en Europe.
Or, l'arrêt exige que les autorités douanières disposent d'éléments probants ou d'indices forts de commercialisation dans l'Union européenne des marchandises de prime abord destinées à un pays tiers et soupçonnées de contrefaçon, pour pouvoir les intercepter.
Il y a là un vrai décalage entre cette interprétation restrictive et la réalité des trafics de contrefaçon, qui sont devenus une activité très lucrative pour les organisations criminelles. Il faut savoir que les saisies en transit/transbordement représentent près de la moitié des saisies en France en 2011 ; 42 % dans l'Union européenne. En outre, ces marchandises peuvent revenir sur le territoire de l'Union via des achats sur Internet : 16 % des saisies effectuées en 2001 l'ont été sur le fret postal et le fret express.
Il paraît essentiel que le texte prenne en compte toutes les situations douanières dans lesquelles les douanes peuvent intervenir. Il faut clairement affirmer que celles-ci doivent pouvoir agir dès l'introduction des marchandises sur le territoire de l'Union, y compris donc en transit et transbordement et sous tout régime douanier suspensif. Toute marchandise soupçonnée de contrefaçon doit pouvoir être interceptée.
Le rapport d'information précité proposait précisément de clarifier la réglementation douanière communautaire pour prévoir explicitement la possibilité pour les douanes d'intervenir pour les produits en transbordement. Il demandait également que les douanes soient dotées d'un arsenal juridique complet pour lutter contre tous les types de contrefaçon.
2/ La saisie de médicaments contrefaisants en transit
Dans un considérant, le texte fait valoir qu'au titre de la déclaration adoptée lors de la conférence ministérielle de l'OMC à Doha en 2001, il convient d'interpréter et d'appliquer l'accord dit ADPIC d'une manière qui appuie les droits des membres de l'OMC de protéger la santé publique et, en particulier, de promouvoir le droit d'accès aux médicaments.
La France soutient l'accès de tous aux médicaments. C'est une exigence que nous devons réaffirmer. Il y a là un enjeu majeur de santé publique à l'échelle internationale. Pour autant, nous ne pouvons pas admettre que des médicaments contrefaits et présentant des risques sérieux pour la santé puissent se déverser sur le territoire européen parce qu'on aurait limité les pouvoirs d'intervention de la douane au-delà de la question des brevets, seule question qui ait fait l'objet de litiges avec l'Inde ou le Brésil au titre du droit d'accès aux médicaments.
3/ Le déroulement des procédures
Pour être efficace, la procédure de retenue des marchandises suspectées de contrefaçon doit pouvoir être mise en oeuvre rapidement. C'est elle qui permet d'engager les contrôles qui confirmeront ou non la réalité de la contrefaçon. Or, le texte prévoit la possibilité pour le déclarant ou le détenteur des marchandises soupçonnées de contrefaçon d'exprimer son point de vue sur la mesure de retenue avant même sa mise en oeuvre, pendant une durée pouvant aller jusqu'à 20 jours pour les petits envois.
Ce droit d'être entendu pourrait donc s'appliquer au stade d'un simple soupçon de contrefaçon. Or, la retenue n'aboutit pas nécessairement à une décision défavorable pour le détenteur de la marchandise. On risque donc d'alourdir inutilement la procédure. Pourtant, ce droit d'être entendu a été maintenu dans le projet de résolution législative du Parlement européen et dans le texte du Conseil pour la seule procédure simplifiée concernant les petits envois. Cette dernière solution est paradoxale puisqu'elle revient à complexifier une procédure dite simplifiée.
Cela conduit à évoquer plus globalement cette procédure simplifiée pour les petits envois. Outre le souci de conserver un caractère simple à cette procédure, il faut aussi retenir des seuils qui la rendent applicable à un nombre de cas suffisant. La définition des petits envois serait limitée aux envois en fret express et en fret postal. C'est bien dans ces domaines qu'une procédure simplifiée peut être pertinente. Un double critère de poids et d'articles serait par ailleurs mis en oeuvre. Ce qui paraît cohérent. Mais encore faut-il que les seuils ne soient pas trop bas. Or, le texte du Conseil retient un critère alternatif : cinq articles au moins ou un poids de moins de trois kilos. En France, les seuils sont actuellement de 100 articles et/ou 60 000 € pour la saisie directe.
4/ La révision du droit matériel de la propriété intellectuelle
Le règlement douanier est un règlement de procédure. Il s'agit donc d'un règlement d'application du droit matériel de la propriété intellectuelle. C'est donc à l'occasion de la révision - annoncée par la Commission - de ce droit matériel, en particulier le droit des marques, qu'il faudra veiller à prendre en compte l'ensemble des situations douanières dans lesquelles une marchandise peut porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle. En outre, la jurisprudence a actuellement une vision restrictive de la notion de commercialisation qu'elle limite à l'acte de vente au consommateur sur le territoire de l'Union européenne. Il conviendrait donc d'élargir cette notion pour prendre en compte le transit et le transbordement.
5/ Le maintien du droit national plus protecteur
Il est essentiel que les Etats membres puissent appliquer leur droit national lorsque celui-ci est plus protecteur. C'est en particulier le cas pour le droit français qui, par exemple, prend en compte, contrairement à la proposition de la Commission, les marchandises non commerciales contenues dans les bagages des voyageurs ou, encore, retient des seuils plus importants pour la procédure simplifiée applicable aux petits envois. En outre, nos exigences constitutionnelles portant sur le droit de propriété requièrent que la procédure de destruction simplifiée, envisagée par le texte, ne puisse être mise en oeuvre sans l'accord express du propriétaire de marchandises.
6/ Les sanctions
Le texte se borne à prévoir de simples sanctions administratives qui concerneraient uniquement les manquements aux obligations édictées par le règlement douanier. Or, notre droit national prévoit, pour sa part, des sanctions pénales contre les auteurs d'infractions, qui peuvent être dissuasives. Il faut donc que le texte permette aux Etats membres d'appliquer des sanctions pénales en vertu de leur droit interne et ne ferme pas la perspective d'une harmonisation des sanctions pénales au sein de l'Union européenne.
M. Joël Guerriau - Je suis étonné qu'on ne permette pas aux douanes d'agir face à des cas de contrefaçon dès lors qu'il s'agit de marchandises en transit. La contrefaçon est un délit qui détruit des emplois. Je souscris donc pleinement à la proposition de résolution qui rappelle à juste titre les enjeux de la protection de la propriété intellectuelle.
M. André Gattolin - Le destinataire des marchandises peut lui-même être victime d'abus et peut donc avoir besoin d'une protection juridique.
Comment ce texte s'articule-t-il avec l'accord international ACTA qui est critiqué de façon unanime au Parlement européen, lequel estime qu'il est essentiellement destiné à protéger les intérêts de certains secteurs industriels ?
M. Richard Yung - Dans son arrêt NOKIA PHILIPS, la Cour de justice indique « qu'il est essentiel que ces marchandises puissent transiter via l'Union, d'un Etat tiers vers un autre sans que cette opération soit entravée, même par une retenue provisoire, par les autorités douanières des Etats membres ». La Cour considère donc que le développement des échanges ne doit être limité en aucun cas.
Il est vrai que les destinataires des marchandises peuvent eux-mêmes être trompés et de bonne foi. Mais ce n'est pas le cas de ceux qui reçoivent massivement des articles contrefaits.
L'accord international ACTA a peu de chance d'être ratifié. Plusieurs commissions du Parlement européen se sont prononcées contre ainsi que certains Etats membres. Avec cet accord, l'idée était de lier certains Etats émergents sur les enjeux de propriété intellectuelle, mais en réalité aucun d'entre eux ne l'a signé. En définitive, la question des droits d'auteur sur Internet a cristallisé les critiques.
M. Jean Bizet - Je salue cette proposition de résolution, en particulier son alinéa qui traite de la question des médicaments. Il avait été difficile à l'époque des accords de Doha de faire prévaloir le droit à l'accès aux médicaments. Il est important de rappeler que ce droit relève de la propriété intellectuelle alors que certains Etats l'ont détourné au profit de contrefaçons en faisant des copies de médicaments qui ne sont pas fiables au plan médical.
*
A l'issue du débat, la commission des affaires européennes a adopté, à l'unanimité, la proposition de résolution dans le texte suivant :
Proposition de résolution européenne
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant le contrôle, par les autorités douanières, du respect des droits de propriété intellectuelle (texte E 6299),
Considérant que les droits de propriété intellectuelle sont essentiels pour permettre la pleine contribution des activités de recherche, d'innovation et de création à la croissance et l'emploi,
Rappelant que la France s'est dotée d'un cadre juridique permettant d'assurer un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle,
Considérant que les atteintes aux droits de propriété intellectuelle et le commerce de produits de contrefaçon constituent une menace pour l'industrie et peut entraîner de graves risques pour la santé et la sécurité des consommateurs,
Considérant, en conséquence, que les autorités douanières doivent être mises en mesure de mieux protéger les droits de propriété intellectuelle et que la révision des procédures qu'elles mettent en oeuvre à cette fin doit poursuivre cet objectif,
Juge indispensable de veiller à préserver les prérogatives des autorités douanières pour procéder à des saisies en transit et transbordement ; que ces autorités doivent pouvoir agir dès l'introduction des marchandises sur le territoire de l'Union européenne, y compris en transit et transbordement et sous tout régime suspensif ;
Souligne que le droit d'accès de tous aux médicaments a été reconnu dans la « déclaration sur l'accord sur les ADPIC et la santé publique » adoptée lors de la conférence ministérielle de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) à Doha le 14 novembre 2001 ; que ce droit fondamental est un enjeu majeur de santé publique et qu'il doit être pris en compte dans le contrôle par les autorités douanières du respect des droits de propriété intellectuelle sans toutefois empêcher leur intervention pour toute atteinte aux droits de propriété intellectuelle portant sur les médicaments, y compris la marque ;
Considère que le droit reconnu au déclarant ou au détenteur des marchandises soupçonnées de contrefaçon d'exprimer son point de vue ne devrait pas s'appliquer lors de la mise en oeuvre de la mesure de retenue ;
Estime que la procédure spécifique prévue pour le traitement des petits envois devrait pouvoir être mise en oeuvre à partir de seuils qui ne soient pas trop bas, et dans des conditions qui garantissent son efficacité ;
Relève que le règlement douanier est un règlement de procédure et que sa révision devra être complétée par celle du droit matériel afin d'élargir la notion de commercialisation et de prendre en compte l'ensemble des situations douanières dans lesquelles une marchandise peut porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle ;
Estime que le texte devrait préserver la faculté pour les Etats membres d'appliquer leur droit national lorsque celui-ci est plus protecteur ; qu'en particulier les Etats membres devraient avoir la faculté d'appliquer les sanctions prévues par leur droit interne en cas de manquement aux dispositions de ce texte ;
Considère qu'une harmonisation des sanctions pénales au sein de l'Union européenne serait de nature à dissuader efficacement les atteintes aux droits de propriété intellectuelle.