COM (2010) 375 final
du 16/07/2010
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 21/07/2010Examen : 19/10/2010 (commission des affaires européennes)
Agriculture et pêche
Texte E 5513
Communication de MM. Gérard
César et Richard Yung sur la possibilité de restreindre ou
d'interdire la culture d'OGM
COM (2010) 375 final
(Réunion du mardi 19 octobre 2010)
M. Jean Bizet :
L'ordre du jour de notre commission appelle tout d'abord les autorisations de mise en culture de plantes génétiquement modifiées. Le sujet divise toujours les opinions publiques. Plusieurs faits ont marqué l'actualité de ces derniers mois tant en France qu'en Europe :
- le 15 août à Colmar, des faucheurs volontaires ont détruit des plants de vigne transgéniques qui faisaient l'objet d'une collaboration inédite entre l'Institut national de la recherche agronomique (INRA), les viticulteurs et des associations ; et cela alors même que ces recherches avaient pour but de lutter contre une maladie virale qui ne se traite pas, la maladie du court-noué.
- le 11 octobre, s'est ouvert devant le tribunal correctionnel de Marmande le procès des 85 «faucheurs volontaires» qui avaient détruit une parcelle de maïs OGM de Monsanto en septembre 2006 à Grézet-Cavagnan dans le Lot-et-Garonne ;
- au début du mois de septembre en Suède, dans un champ de pomme-de-terre Amflora, OGM dont la culture a été autorisée dans l'Union, on a découvert des fleurs d'Amadea, pomme-de-terre transgénique non autorisée de la même firme, BASF ;
- le 6 octobre, alors que l'initiative citoyenne n'est pas encore définitivement adoptée par les institutions européennes, des associations (dont Greenpeace) opposées aux OGM ont informé le président de la Commission européenne qu'elles avaient réuni un million de signatures, provenant des 27 pays de l'Union, demandant un moratoire sur la culture des OGM en Europe, tant que les méthodes d'évaluation des risques n'auront pas été améliorées.
C'est dans ce contexte agité que le Commission européenne a présenté au Conseil sa nouvelle proposition concernant l'autorisation de mise en culture d'organismes génétiquement modifiés.
Je passe immédiatement la parole à nos deux rapporteurs qui sont des familiers de ce dossier.
M. Richard Yung :
Avant que Gérard César ne vous livre l'analyse même de la proposition de règlement qui nous est soumise au titre de l'article 88-4 de la Constitution, je souhaitais vous présenter les raisons et évolutions qui ont présidé à la rédaction de ce texte par la Commission européenne.
Concernant les OGM, l'Union européenne s'est dotée d'un cadre réglementaire dès le début des années 1990. Aujourd'hui, l'autorisation de mise en culture des plantes génétiquement modifiées dans l'Union européenne repose sur un dispositif harmonisé établi par deux textes : une directive de 2001 sur la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés et un règlement de 2003 concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés. Or, force est de constater que ce dispositif ne fonctionne pas. Alors que le secteur des biotechnologies se développe rapidement ailleurs dans le monde, il n'y a actuellement que deux OGM cultivées en Europe : le maïs Monsanto 810, autorisé dès 1998, qui résiste à un insecte, la pyrale, et qui est principalement cultivé en Espagne et la pomme-de terre Amflora de BASF, enrichie en amidon, destinée à l'industrie papetière et qui vient d'être autorisée à la culture. Alors que cette industrie se développe sur d'autres continents, l'Europe perd du terrain !
Quelles en sont les raisons ?
Tout d'abord, les méthodes d'expertise scientifique de la Commission sont régulièrement remises en causes par les États membres. C'est l'Agence européenne de sécurité des aliments (AESA) qui donne un avis scientifique sur le risque pour la santé humaine, animale ou pour l'environnement que peut entraîner une plante génétiquement modifiée. Si son avis est favorable, la Commission européenne propose au Conseil l'autorisation de la mise en culture de la plante.
En raison de la position de plusieurs pays (Danemark, France, Grèce, Italie, Luxembourg), qui estimaient que les procédures d'évaluation, de suivi et de traçabilité des OGM devaient être renforcées avant de procéder à la délivrance de nouvelles autorisations de mise en culture et de mise sur le marché, un moratoire de fait s'est appliqué entre 1998 et 2004. Les autorisations de nouveaux maïs OGM délivrées depuis lors portent sur des mises sur le marché pour les filières alimentaires, mais pas sur des semences destinées à la mise en culture. L'autorisation de mise en culture de la pomme-de-terre Amflora le 2 mars 2010 est la première depuis 1998.
Comme nous le verrons, des études sont en cours pour renforcer cette expertise, mais il aura fallu attendre dix ans et la présidence française de l'Union en 2008 pour que cela soit fait. On constate donc que le système est boiteux : l'organe central, qui ne devrait pas être remis en cause car il est de nature scientifique, est discuté.
Ensuite, la procédure d'autorisation apparaît aujourd'hui comme une source de blocage dans la prise de décision.
Quelle est-elle ? Si l'AESA donne un avis favorable à une demande d'OGM, la Commission européenne le propose au comité permanent de la chaine alimentaire et de la santé animale. Celui-ci est composé de spécialistes représentant les États membres. Il doit se prononcer à la majorité qualifiée pour ou contre l'autorisation. S'il ne parvient pas à prendre une décision dans un sens ou dans l'autre, la Commission doit soumettre la demande au conseil des ministres de l'environnement. Ce dernier doit lui aussi se prononcer dans les mêmes conditions. Si le Conseil ne parvient pas à prendre une décision d'autorisation ou de refus, le dernier mot revient à la Commission qui se doit de trancher. Or, les majorités qualifiées sont très difficiles à trouver et il est rare qu'un État membre change d'avis entre la réunion du comité et celle du Conseil. La plupart du temps, la décision revient à la Commission qui se retrouve seule à devoir l'assumer. Sur un sujet aussi sensible pour les opinions publiques, il est lui difficile de tenir une telle position face aux pays qui s'étaient prononcés contre l'autorisation.
Par ailleurs, les États membres qui le souhaitent, disposent d'un mécanisme leur permettant de sursoir à l'exécution de la décision. En effet, si un pays considère que le produit présente un risque pour la santé ou l'environnement, sur la base d'éléments objectifs, il peut en limiter ou en interdire provisoirement la mise en culture sur son territoire en invoquant une clause de sauvegarde. Depuis l'adoption du nouveau cadre réglementaire, sept États membres ont interdit ou limité la culture d'OGM sur leur territoire, soit par le biais de clauses de sauvegardes pour des OGM particuliers autorisés, soit par des interdictions générales de semences. En quatre occasions, le Conseil a rejeté à la majorité qualifiée toutes les propositions de la Commission européenne visant à faire abroger des mesures nationales de sauvegarde. En chacune de ces occasions, la Commission avait estimé que ces mesures n'étaient pas fondées sur des informations scientifiques nouvelles. Mais si les États membres peinent à dégager une majorité qualifiée pour autoriser ou refuser un OGM, ils se retrouvent plus facilement pour s'opposer directement à la Commission.
Quelles pistes ont été suivies pour remédier au problème ?
Face à ce blocage et alors que les OGM se développent dans le monde, la Commission et le Conseil ont chacun cherché à résoudre le problème.
C'est sous la présidence française, lors du conseil du 4 décembre 2008 que les ministres de l'environnement, conscients de leurs divergences et des problèmes existant et soucieux de trouver les moyens d'y remédier, ont approuvé à l'unanimité cinq actions visant à renforcer les exigences en matière d'évaluation et d'autorisation des OGM. Quelles sont ces actions :
1 - le renforcement de l'évaluation des impacts environnementaux, à moyen et long termes, des OGM cultivés, notamment ceux produisant des pesticides ou résistant à des herbicides ;
2 - le lancement en 2009 d'une réflexion communautaire, par les États membres et par la Commission, pour définir et prendre en compte des facteurs d'appréciation socio-économiques relatifs aux OGM. Un rapport de la Commission étant prévu pour la fin de l'année 2010.
3 - l'amélioration du fonctionnement de l'expertise, notamment en associant davantage les États membres au processus d'expertise de l'AESA ;
4 - la fixation de seuils communautaires de présence d'OGM dans les semences conventionnelles, seuils qui doivent contribuer à garantir aux utilisateurs un libre choix réel entre les semences OGM, conventionnelles et biologiques ;
5 - la protection, au cas par cas, de zones sensibles ou protégées, telles Natura 2000, et la prise en compte des pratiques agricoles spécifiques.
A ce jour, le processus lancé n'a pas encore abouti. La Commission affirme que les études devraient être publiées avant la fin de l'année. Elle a par ailleurs évolué sensiblement dans son approche concernant les OGM. Alors que son premier mandat avait été gâché par ses oppositions répétées avec le Conseil sur ce sujet, une fois réélu, M. Barroso a souhaité reprendre la main sur le dossier des OGM. Il a agit en trois temps.
Tout d'abord, le dossier a changé de mains. Alors qu'il relevait jusque-là du commissaire européen à l'environnement, c'est désormais le commissaire en charge de la santé et de la protection des consommateurs, John Dalli, qui s'en occupe. Ce changement symbolique s'est accompagné d'un transfert de compétence entre les services de la Commission. La Direction générale de la Santé et des Consommateurs (DG SANCO) est désormais seule compétente sur l'ensemble des questions concernant les OGM, alors que dans la précédente configuration, elle n'était concernée que pour les sujets ayant trait à l'alimentation humaine et animale (La DG environnement avait la charge des autorisations de dissémination des OGM et la DG agriculture des questions de coexistence des différentes cultures). Il était apparu que les différences de vues et de gestion entre les différentes directions avaient perturbé le travail au sein de la Commission. Par ailleurs, je me permets de rappeler que ce sont les ministres européens en charge de l'environnement qui traitent des OGM pour le Conseil.
Dans un second temps, alors qu'il existait un moratoire de fait depuis 1998 sur les autorisations de mise en culture d'OGM, la commission a souhaité y mettre fin en autorisant la mise en culture de la pomme de terre Amflora. Mise au point par une entreprise européenne, BASF, elle est enrichie en amidon afin de répondre aux besoins de l'industrie papetière. Le 2 mars 2010, la Commission en a autorisé la culture en plein champ, alors que le Conseil, une nouvelle fois, n'avait pu dégager de majorité qualifiée pour ou contre celle-ci. Malheureusement, comme l'a rappelé notre Président, on s'est rendu compte au début du mois de septembre qu'en Suède, un champ d'Amflora avait été contaminé par des semences d'un OGM non autorisé dans l'Union, suite à une erreur humaine. La Commission a réagi tardivement, mais a annoncé qu'elle souhaitait la destruction des 15 hectares plantés en Suède.
Même si la Commission n'y est pour rien, cette affaire est venue polluer le débat qui s'ouvrait au Conseil concernant sa troisième initiative en matière d'OGM, sa proposition du 13 juillet 2010 visant à permettre aux États membres de refuser la mise en culture d'une OGM autorisée au niveau européen. Il s'agit du texte qui nous a été soumis au titre de l'article 88-4 et je vais laisser Gérard César vous en présenter notre analyse.
M. Gérard César :
Le 13 juillet dernier, la Commission européenne a présenté une communication relative à la liberté pour les États membres d'accepter ou non les cultures d'OGM, accompagnée d'une proposition législative, que la Commission a souhaité voir adopter rapidement. Dans ce but, elle propose de réviser la directive de 2001 relative à la dissémination volontaire d'organismes génétiquement modifiés par un règlement.
Que propose ce texte ? Un article 26 ter serait ajouté à la directive de 2001. Il énonce que « les États membres peuvent adopter des mesures visant à restreindre ou à interdire, sur tout ou partie de leur territoire, la culture de tous les OGM, ou de certains d'entre eux » autorisés au niveau de l'Union. On ne modifie pas le dispositif que vient d'énoncer notre collègue, mais on ajoute une possibilité nouvelle pour les États membres. Pour la Commission, la mise sur le marché et l'importation de semences OGM ne sauraient faire l'objet d'aucune entrave dans le cadre du marché intérieur. En revanche, concernant la mise en culture, elle propose ce qu'elle appelle une « clause de non-participation ».
Le texte indique ensuite qu'une mesure d'interdiction de mise en culture ne pourrait être fondée que sur des motifs « autres que ceux qui ont trait à l'évaluation des incidences négatives sur la santé et l'environnement ». Cette précision vise à distinguer clairement :
- d'une part, le mécanisme des clauses de sauvegarde qui demeure de la compétence européenne et qui reste fondé sur les risques pour la santé et l'environnement ;
- d'autre part, la non-participation volontaire qui serait de compétence nationale.
Or quels seraient les motifs qui permettraient à un État d'interdire la mise en culture ? Le texte ne le précise pas. Dans sa communication du 13 juillet, la Commission évoque des problèmes nationaux ou locaux posés par la culture d'OGM, qu'ils soient d'ordres socio-économique, éthique ou sociétal... Cela reste flou et vague !
Que penser de ce texte ? En plus de l'absence de définition des motifs d'interdiction que je viens d'évoquer, ce texte soulève trois types d'interrogations.
Tout d'abord, en quoi répond-il aux conclusions du conseil du 4 décembre 2008 ? Comme l'a rappelé à l'instant Richard Yung, des priorités avaient alors été dégagées. Des réflexions et des études sont encore en cours, mais aucune n'a encore abouti. Pourquoi un tel empressement de la part de la Commission ? Elle donne l'impression de vouloir purement et simplement se débarrasser d'un problème qui a gêné le précédent collège en renvoyant la responsabilité des décisions vers les États membres.
Ensuite, le texte pose un problème d'ordre juridique concernant les règles de l'Organisation mondiale du commerce. L'OMC n'admet de restriction aux échanges commerciaux qu'en cas de risque démontré scientifiquement pour la santé publique ou l'environnement. Ce sont les clauses de sauvegarde. Que se passerait-il si un ou plusieurs États membres interdisaient sur leur territoire la mise en culture et donc le commerce d'OGM destinés à la culture sur la base de critères socio-économiques ? Le risque d'un contentieux devant l'OMC est grand et la Commission européenne n'a pour l'instant pas apporté la preuve du contraire.
Enfin, ce texte pose question tant au regard du marché intérieur que de la politique agricole commune. La proposition vise à « renationaliser » des choix politiques qui relèvent jusqu'à présent de l'Union européenne. Bien que la Commission s'en défende, ce dispositif porterait atteinte à l'unité du marché intérieur. De plus, à la veille de l'ouverture des discussions sur la réforme de la PAC, une telle initiative apporterait de l'eau au moulin des partisans d'une renationalisation des politiques agricoles.
Quelle est la position des États membres ?
Dès le début du mois de septembre, la présidence belge de l'Union a proposé qu'un « groupe de travail ad hoc » soit créé au sein du Conseil pour étudier la proposition de la Commission. Le texte a été présenté au conseil des ministres européens de l'agriculture le 27 septembre. Il y a rencontré une forte hostilité. Le clivage s'est principalement fondé sur le maintien ou non d'une politique communautaire. Ainsi, on a vu que des pays qui ont des positions assez éloignées sur les OGM sont d'accord pour maintenir une politique intégrée : la France, qui a invoqué une clause de sauvegarde contre le maïs MON 810 et l'Espagne, qui elle l'a mis en culture, refusent toute nationalisation, tout comme l'Italie. Les Pays-Bas (qui sont favorables aux OGM) et l'Autriche (qui est défavorables aux OGM) la souhaitent, au contraire. De son côté, l'Allemagne a montré de vives inquiétudes quant aux conséquences vis-à-vis des règles du marché intérieur et des risques de contentieux devant l'OMC. Une minorité de blocage s'étant formée, le texte a été rejeté en l'état et des explications ont été demandées à la Commission européenne.
Mais c'est le Conseil des ministres de l'environnement, réuni le 14 octobre dernier, qui s'est montré le plus opposé au texte. Dans leur grande majorité, les États membres ont estimé que les propositions de la Commission ne répondaient pas aux attentes exprimées par le Conseil dans ses conclusions en 2008.
Enfin, quelle est la position française ?
Le ministre français de l'agriculture, Bruno Le Maire, a fait savoir dès le 27 septembre qu'il souhaitait que « la décision en matière d'OGM reste communautaire » et qu'il refusait l'idée d'une renationalisation des décisions de mise en culture. A la veille des négociations difficiles sur la PAC, on comprend tout à fait cette prise de position. Lors du Conseil environnement, la Secrétaire d'État à l'écologie, Chantal Jouanno s'est montrée ferme et a opposé une fin de non recevoir à la Commission. Elle a déclaré qu' « il n'y aura pas de discussions tant que les conclusions de 2008, unanimes, ne seront pas appliquées ».
En conclusion, le refus clair et net du Conseil des ministres européens a pour l'instant bloqué l'adoption de ce texte en l'état. C'est pourquoi il ne nous parait pas nécessaire d'adopter une position sur un texte dépourvu d'avenir. Il nous paraissait cependant utile de disposer de toutes les informations sur ce débat.
Le Commissaire européen de l'environnement a d'ores et déjà annoncé que la présentation des lignes directrices révisées de l'AESA sera faite en novembre et que le rapport sur les implications socio-économiques de la culture des OGM sera finalisé d'ici à la fin de l'année. Quant au Parlement européen, il n'instruira la proposition de la Commission qu'à compter de janvier 2011. Peut-être s'agira-t-il d'une proposition modifiée ? C'est notre compatriote Corinne Lepage qui en a été nommée rapporteur au fond. Nous aurons donc l'opportunité de nous prononcer sur les orientations futures de la politique européenne en matière d'OGM au cours des mois qui viennent.
Compte rendu sommaire du débat
M. Jean Bizet :
Toute renationalisation porte en germe un affaiblissement de l'idée européenne ; je n'ai donc été ni surpris ni déçu qu'une majorité d'États s'opposent à la proposition de la Commission. Je souhaite que les rapporteurs puissent continuer à expertiser ce dossier qui reste un dossier très passionnel, derrière lequel se déroule une véritable guerre économique concernant la propriété intellectuelle. Les entreprises françaises et européennes ont du mal à lutter dans cette bataille puisqu'elles ne peuvent même pas conduire des essais en plein champ ! Elles ont pris un retard considérable dans la compétition mondiale.
M. Gérard César :
Il est vrai que la France prend un retard considérable par rapport aux autres pays. C'est le cas en Europe par rapport à l'Espagne qui produit des céréales OGM. C'est également le cas par rapport à des pays comme le Brésil, les États-Unis, le Canada. Il faut que nos chercheurs puissent faire des essais en plein champ, sans voir le fruit de leur travail détruit par des faucheurs.
M. François Marc :
Je n'ai pas de religion toute faite sur cette question. Il est important que la recherche puisse s'organiser et travailler. Mais je suis élu d'une région agricole et je pense que l'agriculture en France fonctionne bien. Pourquoi vouloir la changer ? Quel est le préjudice du retard pris par l'Europe ?
Par ailleurs, je souhaitais réagir à l'affaire Amflora en Suède que vous avec évoquée. J'ai eu connaissance que, dans ma région, des traces d'OGM ont été trouvées dans des lots de produits « bio ». Cela pose la question de la coexistence des différents types d'agriculture et de l'étanchéité nécessaire entre celles-ci.
M. Pierre Fauchon :
A-t-on des informations sur ce qu'il se passe en Inde, en Chine ou encore en Indonésie ?
M. Richard Yung :
Je n'ai pas d'informations particulières sur ce qu'il se passe en Asie. Mais il me parait normal que des pays qui ont une forte population à nourrir s'intéressent à des cultures plus résistantes. Il me semble que cela fait partie du progrès de l'humanité.
Pour répondre à François Marc, je dirais qu'il y a des marchés mondiaux qui existent et desquels la France et l'Europe sont absentes. Il y a une production française de la semence qui perd des positions sur ces marchés.
Il me semble que la vraie question est en amont : à mon sens, le principe de précaution est dévoyé par une interdiction de facto de la recherche. Cependant, il faut reconnaître que ces actions rencontrent un écho favorable dans l'opinion publique. Les faucheurs sont condamnés à des peines assez faibles au regard de ce qu'ils ont fait et cela ne choque personne. Cela montre qu'il est nécessaire d'agir en sorte de recréer les conditions du consensus.
Je pense que l'action principale à mener concerne l'AESA. Il n'est pas possible qu'un organe scientifique fasse l'objet de méfiance ou de doute. Ses avis doivent être incontestables et incontestés si l'on veut pouvoir avancer.
M. Robert Badinter :
Je partage tout à fait l'avis de notre collègue Richard Yung et son inquiétude. Que redoutent les partisans de l'interdiction absolue de la recherche, qui relèvent de la pensée magique chère à Lévi-Strauss ? Les faucheurs ont la conviction profonde que la recherche sur les OGM est fatale au développement de l'humanité et qu'ils mènent le « bon combat », comme les puritains qui jadis brulaient les sorcières ! Pour ne pas se soumettre à l'avis d'une autorité scientifique, ils la décrivent comme un organisme soumis à des intérêts mercantiles. Or la raison devrait conduire à une expérimentation contrôlée et prudente dont les résultats sont validés par une agence compétente.
Mon sentiment est que les brevets dans le domaine des OGM sont et seront déposés. Et ce sont les anglo-saxons qui en tireront les bénéfices, comme pour les cellules souches, domaine dans lequel la loi française ne permettait pas les expérimentations.
M. Jean Bizet :
La France s'est affaiblie sur le plan de l'expertise, car de nombreux chercheurs sont partis ou ont arrêté leurs travaux. Alors que des pays comme le Brésil, l'Argentine, le Canada voient leur recherche progresser : ce qu'on appelle des traits génétiques, économiseurs d'eau et d'azote, y font actuellement l'objet d'expérimentations. Au nom de quoi s'opposerait-on à la recherche de cultures qui seront moins gourmandes en eau et en azote ? A mon sens, c'est l'esprit même du Grenelle de l'environnement.
L'Inde et la Chine utilisent beaucoup les technologies transgéniques sur le coton et sur le riz. Il faut garder à l'esprit que l'Inde est connue notamment pour avoir employé des produits phytosanitaires destinés au coton, dangereux pour la santé. On sait que la Chine est active dans la recherche OGM, mais il y a peu d'informations concernant les surfaces cultivées.
J'évoquerai enfin la brevetabilité du vivant. Les espèces végétales et animales ne sont absolument pas brevetables. N'est brevetable que le couple gène/fonction-application, que les firmes ont découvert et développé. Ce sont ces génomes que chaque semencier peut acheter, mais pas le vivant. La France a eu l'originalité d'inventer, à côté du brevet, le certificat d'obtention végétale qui permet une meilleure évolution de la science en ce domaine : tout le monde peut acquérir ce certificat pour développer une variété plus performante. La France s'était montrée novatrice et avait bien circonscrit la brevetabilité du vivant, mais elle n'a pas été suivie.