COM (2009) 340 final  du 02/07/2009
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 25/03/2010

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 10/07/2009
Examen : 15/12/2009 (commission des affaires européennes)


Questions sociales et santé

Textes E 4568 et E 4572

Communication de M. Charles Gautier
sur le programme pour l'emploi et la solidarité et

sur l'instrument de microfinancement en faveur de l'emploi et de l'inclusion

(Réunion du 15 décembre 2009)

Le Sénat a été saisi au titre de l'article 88-4 de la Constitution de deux textes visant à créer un instrument financier communautaire destiné à permettre le développement du microcrédit à l'échelle de l'Union. A l'instar de la révision des critères d'intervention du Fonds d'ajustement à la mondialisation, ce nouvel outil s'inscrit dans le cadre de la réponse européenne à la crise économique et financière. Cette innovation apparaît d'autant plus importante que l'on dépasse ici le caractère macro-économique traditionnellement attaché à l'intervention européenne. Le microcrédit vise des objectifs autant économiques que sociaux et peut ainsi constituer une mesure concrète de réponse à la crise.

Dans un premier temps, permettez-moi de vous dresser un bref état des lieux du microcrédit en Europe.

Si la Commission propose une définition standard du microcrédit (prêt d'un montant inférieur à 25 000 euros) et de la micro-entreprise (entreprise de moins de dix personnes dont le total du bilan annuel n'excède pas 2 millions d'euros), le microcrédit correspond à des réalités différentes de part et d'autre de l'Union européenne. Les anciens États membres privilégient ainsi une approche sociale, les demandeurs étant le plus souvent des bénéficiaires de minima sociaux, des minorités ou des personnes exclues. En Europe centrale et orientale, les bénéficiaires de micro-financements sont ce que l'on appelle en France des très petites entreprises (TPE), comptant moins de dix salariés. La caractéristique commune à l'ensemble des demandeurs demeure l'absence de possibilité de produire des garanties adéquates auprès des banques. La crise économique et financière a accru la demande de ce type de financement. On observe ainsi que la valeur moyenne des microcrédits accordés était de 7-8000 euros fin 2007, alors qu'elle s'élève désormais à 8-10 000 euros aujourd'hui.

Initialement créé en faveur des pays en voie de développement, je vous rappelle que le microcrédit a été théorisé par Mohammed Yunus, fondateur de la Grameen Bank et Prix Nobel de la paix. Il s'est considérablement développé en Europe à partir de 1992, et, plus particulièrement, en Pologne, en Roumanie, en Slovaquie et en Bulgarie. Différentes formes d'institutions financières les octroient, qu'il s'agisse des réseaux de coopératives d'épargne-crédit (« credit-unions » en anglais) qui représentaient près de 78 % des prêts en 2006, des banques spécialisées (16 %), des institutions non bancaires (5 %) ou des guichets spécialisés des banques commerciales (1 %). Le secteur est, dans ces pays, en plein essor : il a connu une croissance de 67 % par an au début des années 2000.

Si des programmes semblables ont été lancés en France et en Grande-Bretagne dès la fin des années quatre-vingts, ils n'ont pas bénéficié à l'époque du soutien des institutions internationales tel qu'il a pu être apporté au sein des pays d'Europe centrale et orientale. Chaque pays a développé son propre modèle : partenariat entre des associations et des banques en France, intervention directe ou indirecte des Caisses d'épargne espagnoles ou création d'une institution financière publique dédiée en Finlande.

En tant qu'incitation à l'auto-entreprenariat, le microcrédit s'avère être un élément vital pour la croissance économique et la réduction du chômage. Il participe, de fait, des objectifs de la stratégie de Lisbonne. Il convient à cet égard de rappeler que les très petites entreprises constituent la majorité des entreprises en Europe : on en compte aujourd'hui 21 millions. Ce chiffre devrait d'ailleurs encore augmenter dans les années à venir, si l'on en juge par les tendances économiques actuelles. La désindustrialisation et l'apparition de nouveaux types de services utilisant notamment les nouvelles technologies vont en effet dans le sens du développement des très petites entreprises. Tout comme la nécessité de régulariser certaines activités informelles. A l'échelle européenne, on estime aujourd'hui à 7 millions le nombre de ces activités qui pourraient être réintégrées au sein des économies des États membres.

Le développement du secteur des très petites entreprises (TPE) peut, en outre, permettre aux États membres de créer de nouveaux emplois, à l'heure où 9,2 % de la population active de l'Union se trouve au chômage et 78 millions d'européens se situent en dessous du seuil de pauvreté.

Sans tomber dans le poncif, il convient de rappeler que le microcrédit ne peut toutefois se développer que si sa rentabilité est assurée, ce qui suppose une bonne maîtrise du risque, mais pas seulement. L'augmentation du volume, la diversification des prêts ou l'adoption de taux d'intérêts adaptés permettent une meilleure rentabilité. Celle-ci est encore accrue par une réduction des coûts dits opérationnels.

J'en viens maintenant à l'action de l'Union européenne en matière de microcrédit.

L'intérêt de l'Union européenne pour le microcrédit s'est traduit, il y a deux ans, par la publication d'une communication de la Commission sur ce thème. La Commission y rappelait le rôle essentiel que pouvait jouer ce type de financement afin de permettre à des chômeurs de créer leur propre entreprise. Elle proposait alors quatre pistes de travail en vue de développer le marché du microcrédit :

? l'amélioration de l'environnement juridique et institutionnel dans les États membres ;

? la création d'un climat favorable à l'esprit d'entreprise ;

? l'encouragement des bonnes pratiques, notamment par le biais de la diffusion de bonnes pratiques ;

? l'apport de capital financier supplémentaire pour les organismes de microcrédit.

Ce dernier point est sans aucun doute l'un des plus sensibles. Il s'est traduit, début 2009, soit plus d'un an après la publication de la communication, par le lancement du programme JASMINE, acronyme anglais désignant l'action commune pour soutenir les instituts de micro-finance (IMF) en Europe. Cette initiative de la Commission répond à un double objectif : apporter une aide technique aux instituts de micro-finance et soutenir financièrement les plus prometteuses. Elle s'adresse directement aux organismes de microcrédit, sans passer par le biais des régions ou des États. La Banque européenne d'investissement a mis à disposition de ce programme une facilité de cofinancement de 20 millions d'euros, gérée par le Fonds européen d'investissement. L'aide financière octroyée aux IMF ne peut dépasser 50 % du besoin de financement. Elle est complétée par l'intervention de fonds de partenaires privés. JASMINE est encore en phase pilote. D'ici trois ans, ses ressources devraient s'élever à 40 millions d'euros, auxquels viendra s'ajouter une enveloppe de 8 millions d'euros accordée par le Parlement européen.

JASMINE prend sa place au coeur du dispositif JEREMIE, lui aussi géré par le Fonds européen d'investissement et lancé en 2005 pour permettre aux petites et moyennes entreprises d'accéder aux outils d'ingénierie financière, qu'il s'agisse de prêts, de capital-risque ou de garanties. JEREMIE permet de mettre à la disposition des entreprises qui investissent et innovent des moyens financiers supplémentaires destinés à renforcer leurs fonds propres à chaque stade de leur vie : démarrage, développement, transmission.

On relèvera également que le Fonds social européen intervient lui aussi dans le domaine du microcrédit. Par ailleurs, le Programme cadre pour l'innovation et la compétitivité (CIP) peut servir de fondement pour une intervention financière à destination des microentreprises, au travers de son volet innovation et esprit d'entreprise.

C'est dans ce cadre assez hétéroclite que la Commission a décidé de créer un nouvel instrument financier en faveur du microcrédit.

La crise économique et financière a permis de conférer un second souffle à l'ambition de l'Union en faveur du microcrédit. Conçu jusque là comme une option à retenir facilitant la réalisation des objectifs de la stratégie de Lisbonne, le microcrédit est désormais envisagé comme une solution en vue de répondre au défi de l'emploi qui se pose à l'échelle continentale. La communication de la Commission du 3 juin dernier, « un engagement commun en faveur de l'emploi », définit à cet égard trois objectifs principaux :

? préserver les emplois existants, en créer de nouveaux et stimuler la mobilité ;

? développer les compétences et répondre aux marché du travail ;

? améliorer l'accès à l'emploi.

La Commission préconise parallèlement la création de deux possibilités de financement destinées à compléter les mesures de relance des États membres. La mise en place d'un instrument de microfinancement en faveur de l'emploi en fait partie. La Commission estime en effet que le microcrédit pourrait offrir une réelle chance aux personnes sans emploi et favoriser l'accès à l'entreprenariat.

L'instrument de microfinancement serait intégré au sein du programme communautaire pour l'emploi et la solidarité sociale (Progress 2007-2013). Celui-ci est destiné à apporter un concours financier à la réalisation des objectifs de l'Union européenne dans les domaines de l'emploi, des affaires sociales et de l'égalité des chances. Le budget actuel de Progress s'élève à 743 millions d'euros pour la période 2007-2013. La Commission préconise de réaffecter 100 millions de ce programme à l'instrument de microfinancement.

L'instrument s'adresse directement aux organismes publics et privés de microcrédit établis dans les États membres. La Commission indique qu'il pourrait être mis en oeuvre dans le cadre d'une coopération avec d'autres institutions financières internationales, au premier rang desquelles la Banque européenne d'investissement. La Commission souligne qu'une telle coopération internationale serait susceptible de dégager jusqu'à 500 millions d'euros.

Les actions qui pourraient être menées au titre de ce nouvel instrument sont à rapprocher de celles entreprises par la Banque européenne d'investissement. Le projet présenté par la Commission insiste ainsi sur les mécanismes de partage des risques. Cette technique permet, comme son nom l'indique, de répartir les risques entre les différents bailleurs. Elle est régulièrement utilisée par la Banque européenne d'investissement. L'intervention de Progress pourrait également prendre la forme de financements sur fonds propres ou par endettement. La Commission envisage parallèlement l'intervention de Progress dans le cadre de mesures d'accompagnement : communication, suivi, contrôle, audit et évaluation.

Permettez-moi de formuler quelques observations au sujet de ce nouvel instrument.

L'intérêt de l'initiative de la Commission est double. D'une part, elle reconnaît toute l'importance du microcrédit pour répondre à une crise comme celle que nous connaissons aujourd'hui. D'autre part, elle vise à étendre l'utilisation du microcrédit à l'ensemble des pays européens, rejetant l'idée que cet instrument ne soit adapté qu'aux seuls pays en voie de développement.

Je m'interroge cependant sur le risque d'empilement avec les dispositions déjà existantes. Comme je l'ai indiqué précédemment, divers programmes s'occupent d'ores et déjà du microcrédit, JASMINE, JEREMIE, CIP, FSE. Il eut été utile, à l'heure où la Commission affecte 100 millions d'euros à ce nouvel instrument, de procéder parallèlement à un regroupement des différents guichets existants afin de renforcer la visibilité et la lisibilité de l'action communautaire en la matière. Un guichet unique contribuerait à renforcer l'efficacité du dispositif, tant les institutions de microfinancement peuvent apparaître à l'heure actuelle perdues devant cette multiplicité de possibilités d'aide. Le voeu pieux exprimé par la Commission dans son projet de garantir une complémentarité avec les instruments existants n'apparaît pas, à cet égard, susceptible de dissiper tout risque de flou et, par conséquent, de non utilisation des crédits accordés. Par ailleurs, il convient de s'interroger sur les modalités de répartition de ces 100 millions d'euros dans l'ensemble de l'Union européenne. Aucun critère d'éligibilité des projets n'est en effet mis en avant au sein du projet de la Commission. Il conviendrait que l'aide apportée par l'outil soit accordée équitablement et concerne également les pays où le microcrédit n'en est qu'à ses balbutiements.

Ce projet constitue une invitation à aller plus loin

S'il répond à une réelle ambition en faveur du microcrédit qu'il convient de saluer, l'instrument Progress ne lève pas, malheureusement, tous les obstacles pesant encore sur l'action des institutions micro-financières. Comme la Commission l'a elle-même souligné dans sa communication de novembre 2007, l'environnement juridique et institutionnel dans lequel s'inscrivent ces institutions ne permet pas de prendre en compte leur spécificité. Les normes en matière de plafonnement des taux d'intérêt devraient ainsi, aux yeux de la Commission, être révisées en vue de permettre aux établissements prêteurs de couvrir leurs coûts. Or, de telles dispositions relèvent de la responsabilité des États membres.

Il serait parallèlement utile que la Commission révise en un sens favorable au microcrédit sa législation sur les fonds propres réglementaires adoptée en 2006, je veux parler de la directive 2006/48/CE concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice et de la directive 2006/49/CE sur l'adéquation des fonds propres des entreprises d'investissement et des établissements de crédit. Celles-ci reprennent les règles édictées par le comité de Bâle sur le contrôle bancaire. Les principes complexes de Bâle II fragilisent l'octroi de crédits aux micro-entreprises, dont la spécificité n'est pas assez soulignée dans les modèles d'évaluation des risques.

Compte rendu sommaire du débat

M. Jacques Blanc :

Où doit s'adresser une entreprise souhaitant se voir accorder un microcrédit ?

M. Charles Gautier :

L'intervention de l'Union européenne devrait permettre d'abonder un peu plus les instituts de microfinance. Ceux-ci opèrent au niveau national. En France, le plus connu d'entre eux est l'Association pour le développement de l'initiative économique (ADIE). Les taux d'intérêt qu'elle applique aux prêts qu'elle octroie peuvent apparaitre élevés : 9,7 % auxquels viennent s'ajouter 5 % de frais de dossier. De tels taux s'expliquent par les risques encourus par les organismes prêteurs face à l'absence de garantie fournie par les emprunteurs. Ces taux restent néanmoins assez bas au regard de ce qui se pratique au sein des pays émergents où il n'est pas rare qu'ils atteignent 60 à 70 %.

M. Pierre Fauchon :

Avec Charles Gautier, nous avons eu l'occasion de rencontrer, au cours d'un déplacement en Inde, un institut de microfinance octroyant des prêts aux femmes montant leur entreprise, alors qu'elles ne disposent d'aucune garantie. De tels instituts permettent de réelles avancées démocratiques, en favorisant l'intégration des minorités.

M. Hubert Haenel :

J'ajoute que le microcrédit constitue un levier intéressant en faveur du développement rural.

*

A l'issue de ces échanges, la commission a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :

Conclusions

La Commission des affaires européennes,

Vu la proposition de décision établissant un programme communautaire pour l'emploi et la solidarité sociale - Progress (texte E 4568) et la proposition de décision instituant un instrument européen de microfinancement en faveur de l'emploi et de l'inclusion - instrument Progress (texte E 4572),

Appuie la création d'un instrument financier en faveur du microcrédit,

Souhaite néanmoins qu'une cohérence soit assurée avec les autres outils déjà existants dans ce domaine et appelle donc de ses voeux la création d'un guichet unique en faveur du microcrédit,

Espère que cet outil pourra être utilisé équitablement sur l'ensemble du territoire européen,

Estime que l'octroi de nouveaux moyens financiers ne peut faire l'économie d'une réflexion sur les conditions d'octroi des prêts aux micro-entreprises et appelle à une révision de la législation communautaire sur l'exigence de fonds propres.