COM (2008) 650 final
du 15/10/2008
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 28/10/2008Examen : 15/07/2009 (commission des affaires européennes)
Ce texte a fait l'objet de la proposition de résolution : voir le dossier legislatif
Questions sociales
Communication de M. Richard
Yung sur le temps de travail des chauffeurs routiers indépendants
Texte E 4047
(Réunion du mercredi 15 juillet 2009)
Comme je l'ai souligné à l'occasion de la publication de mon rapport sur l'Europe sociale, la question du temps de travail peut être considérée comme le symbole des difficultés que nous rencontrons pour faire émerger un véritable modèle social européen. Je ne reviendrai pas aujourd'hui sur l'absence d'accord entre le Parlement européen et le Conseil au sujet de la révision de la directive générale de 1993. Il m'a semblé plus opportun d'insister sur sa déclinaison dans le secteur des transports.
Dans le cadre de la procédure prévue à l'article 88-4 de la Constitution, le Sénat a, en effet, été saisi, en octobre dernier, d'une proposition de révision de la directive de 2002 sur le temps de travail des chauffeurs. Celle-ci peut être considérée comme un texte d'application de la directive générale de 1993.
Avant d'aller plus avant dans l'examen de ce projet et des problèmes qu'il pose, il convient d'apporter une précision essentielle : le temps de travail des chauffeurs doit être distingué de la durée de conduite. Celle-ci ne représente en effet que les deux tiers du temps de travail moyen d'un transporteur routier. Le reste du temps de travail est notamment dévolu à la manutention.
Les normes en matière de temps de travail et de durée de conduite
Un règlement de 2006 fixe la durée de conduite maximale à cinquante-six heures hebdomadaires contre soixante-quatorze précédemment. Ce règlement est d'application générale : tous les chauffeurs routiers, qu'ils soient indépendant ou salariés d'une entreprise, sont concernés par cette mesure.
La directive de 2002 détermine, quant à elle, la durée du temps de travail des transporteurs routiers. Celle-ci est fixée à quarante-huit heures hebdomadaires, cette durée étant calculée sur une période de référence de quatre mois. Les chauffeurs ne peuvent, par ailleurs, travailler plus de six heures sans pause. Ce temps de repos s'établit à trente minutes si la journée de travail dure entre six et neuf heures, quarante-cinq minutes au-delà. Le texte prévoit, en outre, un temps de repos obligatoire des conducteurs d'au moins neuf heures par jour et un temps de repos obligatoire d'au moins quarante-cinq heures consécutives toutes les deux semaines, soit l'équivalent d'un congé de fin de semaine.
L'application de la directive à l'ensemble des transporteurs routiers n'était pas acquise de prime abord. C'est à la demande expresse du Parlement européen que les travailleurs indépendants ont été intégrés dans le champ d'application de la directive. Le compromis négocié avec le Conseil a débouché sur une entrée en vigueur du texte en deux temps. Le 23 mars 2005, les dispositions de la directive ont, dans un premier temps, été appliquées aux chauffeurs salariés. L'intégration des indépendants devait être précédée d'un rapport présenté par la Commission sur les conséquences de l'exclusion des indépendants du champ d'application de la directive. En fonction des conclusions de ce rapport, la Commission devait préconiser le maintien de l'exclusion ou l'application généralisée des dispositions de la directive à compter du 23 mars 2009.
Lors de l'adoption du texte en 2002, la Commission considérait comme nécessaire l'intégration des indépendants dans le champ d'application de la directive. Trois raisons motivaient son choix :
- la réglementation en matière de temps de conduite ne fait pas de distinction entre les conducteurs ;
- isoler les indépendants de la norme générale pourrait pousser les entreprises à transformer leurs salariés en faux indépendants ;
- l'application générale favorise le double objectif de concurrence loyale et d'amélioration de la sécurité routière.
Cet alignement sur la norme générale s'impose d'autant plus que, en raison des contraintes financières qui pèsent sur leur activité, les transporteurs routiers indépendants ont une tendance légitime à travailler plus longtemps que les chauffeurs salariés.
Intervenant à la demande de l'Espagne et de la Finlande, toutes deux hostiles à l'intégration des chauffeurs routiers indépendants dans le champ de la directive, la Cour de Justice a confirmé, dans un arrêt en date du 24 septembre 2004, le nécessaire alignement de cette catégorie sur la norme générale.
Pourtant, le rapport présenté par la Commission devant le Conseil en mai 2007 et la proposition de directive qui en découle vont à l'opposé de ses ambitions initiales. C'est sur dernier texte que je vous propose d'exprimer aujourd'hui un avis.
Un revirement peu convaincant
La fragilité financière des transporteurs routiers indépendants apparaît comme la principale motivation de la Commission en vue de maintenir leur exclusion du champ d'application de la directive. Elle insiste ainsi dans son rapport sur les risques résultant de la réduction du temps de travail. Les effets de celle-ci en matière de diminution de la fatigue pour les transporteurs indépendants seraient en effet largement contrebalancés par l'augmentation du stress que pourrait engendrer ce nouveau cadre normatif : le chauffeur indépendant s'efforcerait, en effet, d'accomplir plus de travail en moins de temps pour maintenir sa rentabilité avec pour conséquence une plus grande fatigue et des risques d'accidents. En résumé, une mesure destinée à réduire la fatigue finirait par l'amplifier.
Suivant la même rhétorique, la Commission retourne son argumentation de 2002 en matière de concurrence. Alors que l'inclusion des indépendants dans le champ d'application de la directive était initialement censée limiter les distorsions de concurrence, elle est aujourd'hui envisagée comme un risque d'accroissement des coûts pour les entrepreneurs et, par conséquent, comme une réduction de leurs avantages concurrentiels.
Je demeure assez sceptique sur une telle argumentation. Je ne mésestime pas les difficultés financières que peut faire peser une réduction du temps de travail sur de petites entreprises travaillant à flux tendus. Je conçois le stress qu'une telle situation peut provoquer, mais la situation actuelle n'engendre-t-elle pas autant de fatigue et donc de risques en matière de sécurité routière ?
Je note de surcroît que la Commission tend à se défausser sur les États en rappelant la nécessité pour ceux-ci de continuer à mettre en garde les transporteurs indépendants contre les dangers en matière de santé et de sécurité de périodes de travail excessivement longues. Il s'agit là d'une étonnante application du principe de subsidiarité.
La question des faux indépendants
Certains syndicats de chauffeurs routiers ont estimé que, dans l'état actuel de la législation européenne, la durée maximale du temps de travail peut s'élever à quatre-vingt six heures pour un chauffeur indépendant, contre quarante huit pour un salarié. Un tel écart peut constituer une opportunité indéniable pour certaines entreprises peu scrupuleuses. Celles-ci pourraient transformer des contrats de salariés en contrat de prestations de services, leurs employés se muant en faux indépendants.
Le projet de texte de la Commission vise à prévenir ce type de situation et retient, à cet effet, trois critères définissant le faux indépendant :
- celui-ci n'est pas libre d'organiser son activité professionnelle ;
- ses revenus ne dépendent pas de l'activité réalisée ;
- il ne peut entretenir des relations commerciales avec d'autres clients.
Ces critères sont satisfaisants à la condition qu'il ne faille pas les cumuler pour dénoncer une requalification d'un contrat de salarié en prestation de services. A titre d'exemple, la Cour de cassation a toujours estimé que le seul lien de subordination, quelle que soit sa nature, lui suffisait pour requalifier un contrat de location de services en contrat de salarié. Or, la Commission ne précise pas dans son texte si un seul critère est suffisant. Pourtant, la réunion des trois critères apparaît délicate à observer dans la réalité.
Cela dit et au regard du compromis adopté fin mars au Conseil, même cette idée d'un cumul des critères paraît un progrès. Les critères ont, en effet, totalement disparu du texte sur lequel un accord est intervenu. Notre Gouvernement s'en est, d'ailleurs, publiquement ému.
Un compromis en deçà des ambitions déjà mesurées du texte de la Commission
Le compromis négocié au Conseil et adopté à la majorité qualifiée est, en effet, en retrait par rapport au texte, pourtant déjà mesuré, de la Commission. Certains de ses promoteurs insistent sur l'ajout d'un nouveau considérant qui laisse aux États membres la liberté d'appliquer les règles qu'ils édictent en matière de temps de travail des transporteurs routiers. Il appartiendrait donc aux États de décider si les chauffeurs indépendants sont soumis aux mêmes règles de travail que les salariés.
L'objectif d'harmonisation initialement envisagé en 2002 semble bien loin. La dernière version du texte peut être assimilée à une directive à la carte. Chacun des États peut, en effet, agir à sa guise et maintenir, par la même occasion, d'importantes distorsions de concurrence, au risque de faire apparaître de nouvelles formes de dumping social. Cette évolution est d'autant plus dommageable qu'un certain nombre d'États, pourtant a priori rétifs à toute harmonisation sociale, qu'il s'agisse de l'Estonie ou de la Slovaquie, ont fait bénéficier les indépendants des dispositions de la directive de 2002 lors de la transposition de ce texte dans leur droit national. A titre d'exemple, le marché des opérateurs de transport routier slovaque comprend 70 % d'indépendants.
Par ailleurs, souhaitant éluder le sujet à court terme, le compromis élaboré au Conseil prévoit l'élaboration d'un nouveau rapport quatre ans après l'adoption du projet de texte actuel.
La position du Conseil vient en fait pérenniser les retards pris par certains États membres dans la transposition de la directive de 2002. Ainsi, onze États ne l'avaient toujours pas transposée en mars 2005, soit à la date de son entrée en vigueur, quatre États étant toujours en infraction deux ans plus tard. La faute commise par un certain nombre de nos partenaires devient finalement la norme. Puisque ceux-là ne veulent pas transposer le texte, il convient de bloquer les opportunités vertueuses qu'il contenait, voire de revenir sur certains acquis.
Une révision inopportune des critères définissant le travail de nuit
En effet, si au regard de ce que je viens d'exposer, ce texte ne fait pas figure d'avancée pour les transporteurs routiers indépendants, il ne constitue pas non plus un maintien des acquis pour les conducteurs salariés. En effet, la Commission profite de l'opportunité qui lui est donnée d'amender la directive de 2002 pour réviser les dispositions que celle-ci comprend en matière de travail de nuit.
Alors que le texte initial considérait que le travail de nuit pouvait englober des périodes de travail réduites à quelques minutes, la Commission estime que celui-ci doit durer au minimum deux heures pour que les dispositions en la matière s'appliquent. Aux termes de l'article 7 de la directive de 2002, en cas de travail de nuit, le temps de travail quotidien ne dépasse pas dix heures pour chaque période de vingt-quatre heures. La Commission justifie ce recul indéniable en qualifiant les dispositions actuelles de disproportionnées tant au niveau économique et social.
S'il convient de s'interroger sur la définition antérieure en vertu de laquelle tout travail peut être considéré comme nocturne dès lors qu'il est accompli entre minuit et sept heures du matin sans condition raisonnable de durée, la durée proposée par la Commission n'est pas justifiée outre mesure. Deux heures apparaissent longues tant la conduite de nuit notamment exige une concentration particulière et engendre logiquement une plus grande fatigue.
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Le texte présenté par la Commission a suscité un avis négatif de la part du Comité économique et social européen et de la commission des affaires sociales du Parlement européen qui estiment toutes deux nécessaire l'intégration des chauffeurs indépendants dans le champ d'application de la directive. Au regard de ce que je viens d'exposer, il me semble légitime que notre commission s'associe à ces réserves et dépose une proposition de résolution.
Compte rendu sommaire du débat
M. Simon Sutour :
Au-delà de l'aspect social proprement dit, le maintien de la législation communautaire en l'état n'est pas sans susciter d'inquiétudes en matière de sécurité routière. Alors qu'à moyen terme devrait apparaître sur nos routes des poids lords allant jusqu'à 80 tonnes, la révision des dispositions concernant le travail de nuit multiplie, en effet, les risques d'accident. N'oublions pas que les chauffeurs concernés ne travaillent pas uniquement deux heures par nuit, ces horaires nocturnes intervenant le plus souvent à l'issue d'une journée de travail déjà dense.
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À l'issue du débat, la commission des affaires européennes a conclu au dépôt de la proposition de résolution suivante :
Proposition de résolution
Vu l'article 88-4 de la Constitution ;
Vu la proposition de directive modifiant la directive 2002/15/CE relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier (texte E 4047) ;
Le Sénat :
- observant que la Commission européenne n'a pas avancé d'arguments déterminants en faveur du maintien de l'exclusion des chauffeurs routiers indépendants du champ d'application de la directive n°2002/15/CE relative à l'aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier ;
- estimant que l'exclusion des chauffeurs indépendants de la norme générale en matière de temps de travail fait peser un risque sur leur santé et contredit l'objectif général d'amélioration de la sécurité routière ;
- estimant également que la disparition des garanties permettant de lutter contre la requalification des contrats de salariés en contrats de prestation de services risquerait de porter atteinte à l'ensemble des dispositifs visés par cette réglementation ;
- soulignant les risques de dumping social que fait peser le maintien de la législation actuelle en l'état ;
- jugeant que la révision des critères définissant le travail de nuit constitue un recul social ;
Considère :
- que la directive n°2002/15/CE doit être appliquée aux transporteurs routiers indépendants ;
- que les dispositions concernant le travail de nuit prévues par la directive n°2002/15/CE doivent être maintenues.