COM (2007) 717 final
du 13/11/2007
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/12/2007
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 27/11/2007Examen : 12/12/2007 (délégation pour l'Union européenne)
Politique commerciale
Communication de M. Charles
Josselin relative aux
Accords de Partenariat Économique
avec les
États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP)
Texte E
3709 - COM (2007) 717 final
(Réunion du 12 décembre 2007)
M. Hubert Haenel :
Le 3 décembre dernier, j'ai reçu une lettre du Secrétaire d'État aux affaires européennes me demandant que la délégation examine en urgence la proposition de règlement appliquant à certains États ACP les régimes prévus dans les Accords de Partenariat Économique. Cette proposition devait en effet être adoptée par le Conseil « Affaires générales » du 10 décembre alors même que nous n'en avions été saisis que le 27 novembre.
Selon une tradition bien établie, le président de la délégation accepte que le Conseil adopte un texte avant que le délai d'un mois ne soit respecté à condition que ce texte ait un caractère consensuel, qu'il ne pose pas de problème politique et que les considérations motivant l'urgence apparaissent fondées. Or, dans le cas présent, aucune de ces conditions n'était remplie. C'était mon sentiment premier lorsque j'ai pris connaissance du dossier. Et j'ai été conforté en ce sens par notre collègue Charles Josselin dont je me suis rapproché puisque c'est le spécialiste de ces questions au sein de la délégation. C'est pourquoi j'ai répondu au Secrétaire d'État aux affaires européennes de la manière suivante :
« Compte tenu de l'importance de ces accords sur les relations entre l'Union et les pays ACP, il ne me paraît pas possible d'accepter que ce texte soit adopté en deçà du délai d'un mois suivant sa transmission à l'Assemblée nationale et au Sénat tant que la délégation n'en a pas débattu. Or, la délégation du Sénat en débattra le 12 décembre après-midi sur le rapport de Charles Josselin. »
Au reçu de cette lettre, notre Ambassadeur, représentant permanent auprès de l'Union, a fait savoir à nos partenaires et à la Commission que la réserve parlementaire ne serait pas levée pour le Conseil « Affaires générales » du 10 décembre.
Au surplus, le sommet Union européenne/Afrique qui s'est tenue à Lisbonne samedi et dimanche, non sans aspérités d'ailleurs, a montré que le dossier n'était pas clos.
Je laisse maintenant la parole à notre collègue Charles Josselin qui a bien voulu accepter de nous le présenter aujourd'hui.
M. Charles Josselin :
L'objectif des Accords de Partenariat Économique (APE) entre l'Europe et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) était (et demeure) de mettre en place un nouveau régime de relations permettant de pérenniser les préférences commerciales accordées par l'Union européenne aux pays ACP en les rendant compatibles avec les règles de l'OMC.
Le traité de Cotonou, conclu en juin 2000 et qui faisait suite au traité de Lomé signé 20 ans plus tôt, fixait au 31 décembre la date limite de signature de ces APE entre l'Europe et six grandes régions regroupant des pays ACP : la Caraïbe, le Pacifique, l'Afrique de l'Ouest, l'Afrique Centrale, l'Afrique Australe et l'Afrique de l'Est. Chacune de ces régions devait préfigurer un espace économique commun, créant les conditions d'un marché régional élargi susceptible d'attirer les investissements productifs, à l'intérieur duquel une union douanière devrait faciliter la libéralisation des échanges par effacement progressif des droits de douanes.
Sept ans plus tard, il faut bien convenir que les espoirs qui fondaient les accords de Cotonou ont été déçus. Le concept régional marque le pas, aucune région n'a été véritablement constituée et aucun APE régional ne sera conclu avant l'échéance.
Quelles sont les raisons de cet échec ?
Observons d'abord que le contexte géopolitique a beaucoup changé par rapport à juin 2000 : l'Europe est passée de quinze à vingt-sept pays membres. Le contexte économique aussi : les exportations de biens de l'Union à vingt-sept vers l'Afrique sont passées, entre 2000 et 2006, de 66 milliards d'euros à 92 milliards et les importations de 85 à 126 milliards. La croissance africaine est de l'ordre de 6 à 7 % par an en moyenne, avec d'énormes disparités. De nouveaux acteurs interviennent, et notamment la Chine particulièrement présente en Afrique.
La procédure suivie par la Commission n'est pas exempte de reproches : la négociation a été conduite pour l'essentiel par la direction du commerce et non par la direction du développement, ce qui a nécessairement biaisé l'approche. En outre, la négociation, commencée avec retard, a donné l'impression que les négociateurs européens confondaient vitesse et précipitation et la pression exercée sur les partenaires africains n'a pas eu l'effet escompté.
La menace de basculer dans le droit commun de l'OMC ne pouvait effrayer les PMA (pays les moins avancés) protégés par l'accord TSA (tout sauf les armes) qui autorise l'entrée de tous leurs produits sur le marché européen, sauf les armes. Les autres ont eu beau jeu de faire observer que, le cycle de Doha n'étant pas terminé, les règles de l'OMC auxquelles on voulait les contraindre devenaient incertaines.
Mais, surtout, plusieurs problèmes de fond ont été soulevés par les Africains s'appuyant sur les analyses de leurs experts, ainsi que sur une société civile très mobilisée et soutenue par les grandes ONG européennes. L'Association des industriels africains par exemple, rappelant que l'industrie africaine s'est construite à l'abri des protections douanières, comme en Côte d'Ivoire, au Ghana, au Sénégal ou au Cameroun, considère que les APE, et la libéralisation des échanges qu'ils prévoient, faisaient courir un risque mortel de désindustrialisation. Plus généralement les interlocuteurs ont mis en avant une idée force : le développement devait précéder la libéralisation des échanges : commerce et développement n'ont pas la même horloge. Or les infrastructures nécessaires au développement ne sont pas encore au rendez-vous. Autre argument très employé : les recettes douanières. Celles-ci représentent, et pour longtemps, l'essentiel de la ressource publique. L'effacement des barrières douanières se traduira par une chute dont la compensation est loin d'être garantie par les aides promises sur financement du 10e FED. Mais, surtout, il a fallu se rendre à une évidence : l'intégration régionale rencontre de fortes résistances. La disparité très forte entre les pays qui polarisent l'économie d'une région et les autres fait craindre aux plus faibles une aggravation du déséquilibre. Or, contrairement à l'Europe, les outils d'une véritable solidarité territoriale ne sont pas encore forgés. Quant au Nigéria, fort de ses ressources pétrolières et de son énorme poids démographique, il se croit assez puissant pour jouer « en solo ».
Les arguments de la Commission ne sont pourtant pas négligeables : une libéralisation progressive, avec une période de transition éventuellement élargie ; un traitement spécifique des produits sensibles, en particulier au sein des produits agricoles ; mais ces arguments n'ont pas pour autant emporté la décision chez la plupart des partenaires ACP. Dès lors, à la veille de Lisbonne, mais surtout à la veille de l'échéance accordée par l'OMC, il a fallu composer.
Face au retard pris par les négociations et aux inquiétudes croissantes, la Commission a choisi de conclure des accords « en deux temps ». La première étape vise à la conclusion d'accords intérimaires, portant uniquement sur l'accès au marché des biens, avant le 31 décembre. La seconde étape devra aboutir à la conclusion d'APE complets, intégrant les autres volets (services, investissements, règles) et précisant le volet d'accompagnement qui comportera des mesures de nature à favoriser l'adaptation des économies à cette nouvelle donne. De tels accords intérimaires ont d'ores et déjà été paraphés avec les pays de l'EAC (Burundi, Kenya, Rwanda, Tanzanie, Ouganda), une partie de la SADC (Botswana, Lesotho, Swaziland, et Mozambique), le Zimbabwe, les Seychelles, Maurice, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Fidji et la Côte d'Ivoire. Le Ghana, le Cameroun et le Gabon notamment devraient suivre dans les jours à venir. Un règlement sur l'accès au marché de l'Union européenne est en cours d'élaboration ; il permettra aux pays qui ont paraphé un accord, dans l'attente de son entrée en vigueur, de prolonger leur accès préférentiel au marché européen après le 30 décembre 2007.
Le texte résultant de la délibération du Conseil « Affaires générales » du 10 décembre confirme cette position : « Le Conseil a entendu un exposé de la Commission sur les progrès accomplis dans les négociations relatives aux accords de partenariat économique (APE) avec les régions et les États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), a l'approche de l'expiration du délai fixé au 31 décembre pour la conclusion de ces accords.
Il est parvenu à un accord politique sur un projet de règlement sur l'accès aux marchés, qui vise à entériner les dispositions des APE intérimaires conclus avec certaines régions et certains États ACP.
Le règlement sera adopté sans examen supplémentaire lors de la session du Conseil du 20 décembre, une fois le texte mis au point.
Le règlement prévoit, pour les États ACP ayant paraphé des accords avec la Communauté compatibles avec les règles de l'OMC, un accès en franchise de droits et sans contingent au marché communautaire, ainsi que des améliorations aux règles d'origine antérieures appliquées au titre de l'accord de partenariat ACP-UE de Cotonou.
Les pays les moins avancés (PMA) bénéficient déjà d'un accès en franchise de droits et sans contingent au marché communautaire, en application de dispositions introduites en 2001; toutefois, le règlement apporte à ces pays des règles d'origine améliorées. Les pays autres que les PMA bénéficieront d'un accès plus large qu'auparavant ainsi que de l'amélioration des règles d'origine. Ils pourront ainsi éviter la hausse des droits de douane résultant de l'expiration, le 31 décembre, des préférences commerciales au titre de l'accord de Cotonou.
Le règlement inscrit dans la législation de l'UE les engagements pris par la Communauté envers de nombreux États ACP au cours de ces derniers mois. Ces arrangements améliorés s'appliqueront a dater du 1er janvier, des périodes de transition étant prévues pour le riz et le sucre.
Il est convenu que tout État ACP qui paraphe un accord avec la Communauté avant le 20 décembre peut être inscrit par le Conseil, sur proposition de la Commission, sur la liste des pays bénéficiant du règlement sur l'accès aux marches. »
Une fois de plus, l'Europe peut se targuer d'avoir sauvé la négociation. Mais les accords annoncés sont intérimaires. Ils n'ont été paraphés au niveau régional que par les pays de la SADC et de l'EAC. Pour le reste, il s'agit d'accords conclus avec les pays qui se sentaient menacés par l'absence d'accords : les pays à revenus intermédiaires comme la Côte d'Ivoire et, demain peut-être, le Cameroun ou le Gabon. À bien des égards, les APE ne sont pour l'instant qu'un réseau d'accords bilatéraux avec l'Europe.
L'accord contient toutefois des mesures d'assouplissement, en particulier pour ce qui concerne les règles d'origine. Je rappelle que la règle d'origine impose qu'une fraction de la production soit réalisée dans un pays donné pour que le produit soit reconnu comme originaire de ce pays. La fraction normale est de 50 ou 60 % ; elle a été abaissée. Les pays non PMA ont également évité une diminution de leurs propres droits de douane.
À noter enfin que les négociations vont se poursuivre. On peut certes considérer que l'essentiel a été sauvegardé. Il était inimaginable que la situation commerciale de tous ces pays soit dégradée au 1er janvier 2008, mais l'objectif de mettre le commerce au service du développement n'a pas été compris. C'est plutôt le risque inverse qui prédomine dans les esprits : le développement sacrifié sur l'autel du libre échange.
Plus généralement, ces négociations mettent en évidence que les relations entre l'Europe et les pays ACP sont à un tournant. L'idée même de « relation privilégiée » suscite ici ou là des interrogations. Dans les enceintes internationales, les pays d'Afrique sont tentés de suivre les positions des pays émergents, tels que la Chine ou le Brésil. L'Union Européenne, à l'OMC, a épousé trop souvent le point de vue « occidental » en plaidant pour la liberté des échanges sur les produits, mais aussi sur les services, les échanges intellectuels, sans consentir les efforts attendus sur le dossier agricole. Or les ACP en font leur priorité.
Quant au concept d'intégration régionale, qui sous-tend l'objectif des APE, plusieurs responsables africains travaillent déjà (avec une bonne dose d'idéalisme) à une formule d'Union africaine sur le modèle de l'Union Européenne.
Compte rendu sommaire du débat
M. Robert Bret :
Faut-il regretter cette époque révolue qui était celle où l'Europe bailleur de fonds fixait le cadre et l'objectif de la négociation ? Il y a bien un nouveau départ à prendre. La difficulté est de sortir du système préférentiel qui régit le commerce avec l'Afrique, qui permet l'entrée des produits sans droits de douane ni quotas. En sus de l'assistance financière, il existe probablement d'autres réponses : le partenariat, le co-développement...
M. Charles Josselin :
Les pays non PMA, les plus intéressés par les APE, avaient davantage de raison de vouloir préserver un traitement asymétrique qui leur est favorable : absence de droits de douane à l'entrée de l'Union européenne, mais maintien de droits de douane à l'entrée de l'Afrique. Il faut rappeler que, pour ces pays, les droits de douane peuvent représenter jusqu'à la moitié des recettes budgétaires. Ils avaient donc une forte crainte face à la menace de suppression des barrières douanières qui aurait résulté de l'application des règles de l'OMC. Cette menace a été un puissant aiguillon pour les convaincre de conclure bilatéralement les accords APE. Mais, incontestablement, le rapport de forces a changé. L'Europe est plus fragile, les États-Unis ont suscité des déceptions, la Chine est très présente et l'Afrique entend inventer les modèles de son propre développement.
M. Hubert Haenel :
Compte tenu de l'urgence, je propose que la délégation lève à présent la réserve parlementaire, mais, en raison de l'importance du sujet, je propose que Charles Josselin suive ce dossier et nous rende compte régulièrement de l'évolution du dossier.
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Ci-après lettre adressée par M. Hubert Haenel à M. Jean-Pierre Jouyet, Secrétaire d'État chargé des Affaires européennes, en date du 4 décembre 2007.
Monsieur le Ministre,
Vous avez saisi la délégation d'une demande d'examen en urgence d'une proposition de règlement du Conseil appliquant aux marchandises originaires de certains États appartenant au groupe des États d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) les régimes prévus dans les accords établissant ou conduisant à établir des Accords de Partenariats Économiques (APE) (E 3709).
Cette proposition, en date du 13 novembre 2007, a été transmise au Parlement le 27 novembre. Vous m'avez fait savoir que l'adoption formelle du règlement était prévue le 10 décembre prochain, au cours d'un Conseil « Affaires générales et relations extérieures ». Il est vrai que le calendrier est très resserré en raison du contexte dans lequel intervient ce texte. En effet, le 31 décembre 2007 doit normalement expirer le délai fixé par les Accords de Cotonou pour permettre à la Communauté européenne et aux États ACP (regroupés en six régions : quatre régions africaines, les Caraïbes et le Pacifique) de négocier et conclure des accords de partenariat économique. Les APE ont vocation à remplacer le régime commercial préférentiel instauré par Cotonou, dans le but de conformer les relations commerciales UE/ACP aux règles de l'OMC. Dès le 1er janvier 2008, le régime de Cotonou ne devrait plus s'appliquer ; de même la dérogation accordée en 2001 par l'OMC ne devrait plus avoir d'effet. Or, à l'approche de la fin de l'année 2007, la signature de la plupart des APE semble loin d'être acquise, particulièrement ceux qui impliquent les régions africaines.
Faute de signature des APE à la date butoir, c'est le système de préférences généralisées (SPG), qui offre un accès plus restreint au marché européen, qui devrait s'appliquer pour les États ACP à revenu intermédiaire, tandis que les PMA (pays les moins avancés) bénéficieraient du régime « tout sauf les armes » qui assure une entrée libre de droits sur le marché de l'Union. C'est donc sur les pays à revenu intermédiaire que pèse la menace d'une déstabilisation des relations commerciales avec l'Europe. Le climat d'incertitude lié à l'accès futur de ces pays au marché européen entraîne déjà des ajustements chez certains importateurs européens.
Afin d'éviter que ces États ACP ne soient confrontés à une hausse brutale des droits de douane à compter du 1er janvier 2008, la Commission européenne propose de conclure des accords bilatéraux établissant des régimes d'accès des marchandises au marché compatibles avec les règles de l'OMC, ces accords constituant des APE partiels qui seront complétés ultérieurement. Il ne faut pas faire preuve de naïveté : cette proposition est une tentative délibérée de la Commission de forcer la main des États ACP, dont certains, insatisfaits de la teneur des futurs APE, réclament plus de temps pour négocier et bloquent la conclusion d'accords par région. Ce texte traduit davantage une position inflexible de la part de la Commission qu'une main tendue.
Si la Commission a choisi de maintenir une position intransigeante, il faut également préciser que le Conseil de l'Union européenne a approuvé l'idée d'une clause de révision permettant d'ajuster les APE au vu de leur impact. Cette initiative, qui équilibre un peu plus la position européenne, a été appréciée par les États ACP.
En l'état actuel des discussions, deux APE pourraient être signés avant la date butoir du 31 décembre 2007 avec les régions des Caraïbes et du Pacifique, tandis que des accords bilatéraux avec certains États africains seraient possibles.
Tout en étant conscient des impératifs liés aux règles du commerce international que l'Union européenne se doit de respecter, il est permis de nourrir quelques regrets sur les moyens dont la Commission use pour faire respecter le calendrier initial des négociations avec nos partenaires ACP. Ceux-ci ont beau jeu de faire observer que le cycle de Doha n'est toujours pas achevé.
Compte tenu de l'importance de ces accords sur les relations entre l'Union et les pays ACP, il ne me paraît pas possible d'accepter que ce texte soit adopté en deçà du délai d'un mois suivant sa transmission à l'Assemblée nationale et au Sénat tant que la délégation n'en a pas débattu. Or, la délégation du Sénat en débattra le 12 décembre après-midi sur le rapport de Charles Josselin.
Je vous prie de croire, Monsieur le Ministre, à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
Hubert HAENEL