COM (2006) 712 final
du 28/11/2006
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 11/01/2007Examen : 16/01/2007 (délégation pour l'Union européenne)
Politique étrangère et de défense
Communication de M. Robert del Picchia sur le Livre vert de la
Commission européenne relatif à la protection diplomatique et
consulaire des citoyens européens dans les pays tiers
Texte
E 3376
(Réunion du 16 janvier 2007)
La Commission européenne a présenté, à la fin de l'année dernière, un Livre vert qui vise à lancer une réflexion sur la manière de renforcer la protection diplomatique et consulaire des citoyens européens qui résident ou qui voyagent hors de l'Union européenne. Cette consultation devrait être suivie d'une « initiative stratégique », puisque la protection consulaire fait partie des priorités de la Commission pour 2007.
Compte tenu de l'importance de ce sujet, qui intéresse directement les Français établis à l'étranger, j'ai pensé qu'il serait utile que notre délégation examine de manière approfondie ce Livre vert. J'ai également pris l'initiative de présenter ce document devant le Bureau de l'Assemblée des Français de l'étranger et, à cette occasion, le Livre vert a donné lieu à un débat nourri et il a suscité de nombreuses réactions. La commission des affaires européennes de l'Assemblée des Français de l'étranger devrait d'ailleurs présenter une contribution sur ce Livre vert en mars prochain.
Je précise que nous examinons aujourd'hui ce Livre vert à un double titre :
- d'une part, dans le cadre de la nouvelle procédure d'examen des textes au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
- d'autre part, au titre de l'article 88-4 de la Constitution.
Dans le premier cas, notre examen porte uniquement sur le respect de la subsidiarité et de la proportionnalité et nos observations seront directement transmises à la Commission européenne. Dans le deuxième cas, il s'agit d'aborder le fond et notre avis s'adresse au Gouvernement.
Avant d'examiner le contenu du Livre vert et les difficultés qu'il soulève, je rappellerai brièvement la notion de « protection consulaire ».
I - LE CADRE ACTUEL DE LA PROTECTION CONSULAIRE
L'origine de la protection consulaire est très ancienne. Elle remonte, en effet, au XIIe siècle, lorsque les premiers consuls furent envoyés par les Républiques italiennes dans les ports des pays du Levant afin de protéger leurs navires et leurs ressortissants. Encore aujourd'hui, les consuls honoraires de France se voient remettre un brevet maritime lors de leur prise de fonction. La protection consulaire est aujourd'hui régie au niveau international par la Convention de Vienne sur les relations consulaires de 1963.
Cette protection comprend notamment :
- l'assistance en cas d'accident ou de maladie graves,
- l'assistance aux victimes de violence,
- l'assistance en cas de décès,
- l'assistance en cas d'arrestation ou de détention,
- l'aide et le rapatriement des ressortissants en difficulté.
Nous avons tous en mémoire la guerre du Liban, de l'année dernière, qui a nécessité l'évacuation d'un grand nombre de nos compatriotes ou encore les conséquences du tsunami en Asie du Sud-Est en 2004.
Comme vous le savez, le traité de Maastricht a institué une citoyenneté européenne et il a défini certains droits attachés à cette citoyenneté, comme le droit de participer aux élections du Parlement européen et aux élections municipales. Parmi ces droits figure également le droit à la protection diplomatique et consulaire.
L'article 20 du traité instituant la Communauté européenne précise, en effet, que « tout citoyen de l'Union bénéficie, sur le territoire d'un pays tiers où l'État membre dont il est ressortissant n'est pas représenté, de la protection de la part des autorités diplomatiques et consulaires de tout État membre, dans les mêmes conditions que les nationaux de cet État ». Tel qu'il est consacré au niveau européen, le droit à la protection consulaire est donc un droit subsidiaire, qui s'exerce en l'absence de représentation du pays d'origine dans le pays tiers où se trouve le citoyen européen. Il s'agit également d'une application du principe de non discrimination.
L'article 20 du traité précise également que « Les États membres établissent entre eux les règles nécessaires et engagent les négociations internationales requises en vue d'assurer cette protection ».
Il s'agit donc d'un domaine dans lequel, en vertu des traités, la fixation des règles ne relève ni de la compétence de la Communauté européenne, ni de l'Union européenne, mais d'un accord international conclu entre les États membres.
Ce sont d'ailleurs les États membres qui ont adopté, en décembre 1995, une décision sur la protection consulaire. Cette décision a été traduite en France par un décret du 29 avril 2002, qui étend la protection consulaire assurée par les autorités françaises à tous les ressortissants communautaires qui se trouvent dans un pays tiers où il n'existe ni représentation permanente de leur pays d'origine ni consul honoraire. Cette protection s'exerce de la même manière que celle offerte aux citoyens français mais, sauf cas d'extrême urgence, le demandeur ou son État d'origine doivent s'engager préalablement à rembourser l'intégralité de l'avance ou de l'aide pécuniaire octroyée par les autorités françaises.
Le droit à la protection diplomatique et consulaire figure également dans la Charte des droits fondamentaux. Le traité constitutionnel introduisait une nouvelle base juridique permettant au Conseil d'établir à l'unanimité une loi européenne pour faciliter cette protection.
II - LE CONTENU DU LIVRE VERT
La Commission européenne suggère, dans son Livre vert, une série de mesures pour renforcer le droit à la protection consulaire. Ces mesures s'articuleraient autour de trois grands thèmes.
1. L'information des citoyens
Alors que les citoyens européens effectuent de plus en plus de déplacements à l'étranger (évalués à 180 millions par année), la plupart d'entre eux ignorent qu'ils peuvent bénéficier d'une protection consulaire (selon un récent sondage Eurobaromètre, seulement 23 % des personnes interrogées ont connaissance de ce droit).
La Commission européenne considère donc qu'il est indispensable d'assurer une meilleure information des citoyens. Elle propose une série de mesures, telles que la diffusion de brochures d'information, le placement d'affiches dans les aéroports, les ports et les gares ou encore la publication d'informations sur les sites Internet des institutions européennes.
Elle estime également que les avis aux voyageurs, concernant les pays tiers qui présenteraient des risques pour leur sécurité et leur santé, qui sont actuellement diffusés par les États membres à l'attention de leurs ressortissants, devraient être présentés de manière coordonnée entre les États membres.
Elle propose, enfin, en reprenant une préconisation qu'avait faite Michel Barnier dans son rapport sur une force européenne de protection civile de mai 2006, que tous les passeports contiennent la reproduction de l'article 20 du traité relatif à la protection consulaire.
2. L'étendue de la protection
En partant du constat selon lequel la protection consulaire n'est pas uniforme, compte tenu des différences qui existent entre les États membres dans ce domaine, la Commission européenne propose d'examiner la possibilité d'harmoniser au niveau européen le régime de la protection consulaire, afin d'offrir aux citoyens européens une protection similaire indépendamment de leur nationalité.
Elle propose également d'étendre la protection consulaire aux membres de la famille du citoyen européen ayant la nationalité d'un pays tiers.
Elle suggère aussi d'encourager le recours à l'ADN pour l'identification des victimes, de simplifier les procédures de rapatriement des dépouilles et les procédures d'avances pécuniaires pour les citoyens en difficulté.
3. La création de bureaux communs
La Commission européenne rappelle que la représentation diplomatique et consulaire dans les pays tiers est très variable entre les États membres. Ainsi, il n'y a que trois pays tiers (les États-Unis, la Russie et la Chine) où les vingt-sept États membres sont représentés. Dans 107 pays, moins de dix États membres sont représentés. Dans certains pays tiers, on ne trouve qu'une seule ambassade de l'Union européenne, comme par exemple en République Centrafricaine et aux Comores (où seule la France est représentée).
Reprenant là encore une préconisation qu'avait faite Michel Barnier dans son rapport sur une force européenne de protection civile de mai 2006, la Commission européenne propose dès lors de créer des « bureaux communs » qui pourraient être la préfiguration de « consulats européens ».
Il s'agirait, dans une première étape, de mettre en commun les ressources consulaires des États membres dans les pays tiers. Les agents consulaires seraient regroupés au sein d'un même consulat ou d'une seule ambassade ou encore dans les locaux de la délégation de la Commission.
Dans un premier temps, ces bureaux communs pourraient être crées dans les quatre zones expérimentales proposées par Michel Barnier : les Caraïbes, les Balkans, l'Océan Indien et l'Afrique de l'Ouest. Ces régions avaient été choisies en raison de leur forte fréquentation touristique et de la faible représentation des États membres.
La Commission européenne estime que ces bureaux communs pourraient exercer une mission de protection et, à l'avenir, d'autres fonctions consulaires, comme la délivrance de visas ou la légalisation de documents. Elle assurerait une formation au personnel de ces bureaux communs consacrée à la protection consulaire.
À plus long terme, la Commission européenne propose d'examiner la possibilité que l'Union européenne puisse exercer certains aspects de la protection consulaire à l'égard des citoyens, via les délégations de la Commission européenne dans les pays tiers.
III - LES DIFFICULTÉS SOULEVÉES PAR CE TEXTE
Je distinguerai deux types de difficulté.
1. Les difficultés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité
Certaines propositions de la Commission européenne me paraissent soulever des difficultés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Je pense notamment aux mesures destinées à assurer une meilleure information des citoyens, étant donné que la plupart d'entre elles ont d'ores et déjà été mises en oeuvre par les États membres. Il existe même déjà une brochure d'information sur la protection consulaire, réalisée par le secrétariat général du Conseil, dont il est un peu surprenant que la Commission européenne ignore l'existence. Les États membres paraissent les mieux placés pour assurer l'information de leurs ressortissants sur la protection consulaire et on voit mal quelle serait la « valeur ajoutée » d'une intervention européenne dans ce domaine. La seule exception concerne l'idée de reproduire l'article 20 du traité dans les passeports, qui me paraît être une piste intéressante.
De même, l'idée de présenter de manière coordonnée les avis aux voyageurs sur les pays tiers présentant des risques pour leur santé ou leur sécurité me semble être une fausse bonne idée. On peut, en effet, penser que la perception du risque peut différer entre les pays membres en fonction des liens qu'ils entretiennent avec tel ou tel pays. Ainsi, dans l'affaire des caricatures de Mahomet, seules certaines nationalités étaient visées par les extrémistes musulmans. De même, en raison de la rupture des relations diplomatiques entre le Rwanda et la France, le ministère des affaires étrangères a adressé un avis aux ressortissants français qui ne concernait pas les autres nationalités. En outre, il existe déjà un système d'échange d'information entre les États membres en matière de risque pour la santé. Les États membres me paraissent donc mieux placés que la Commission pour adresser des avis à leurs propres ressortissants concernant les risques pour leur santé ou leur sécurité.
On peut également s'interroger sur la proposition consistant à faciliter l'identification des victimes et le rapatriement des dépouilles, en harmonisant les procédures. En effet, il existe déjà des standards communs au niveau international, élaborés par Interpol, et il serait plus utile de favoriser la reprise de ces principes communs par les pays tiers.
Enfin, l'idée que la Commission européenne puisse assurer des activités de formation à la protection consulaire destinées aux fonctionnaires des États membres, me paraît étonnante. Comment la Commission européenne pourrait-elle assurer une formation dans un domaine qui ne relève pas de ses attributions et qui lui est totalement étranger, alors que les agents consulaires sont d'ores et déjà formés au niveau national ? Là encore, cette idée me paraît contraire à la subsidiarité. En effet, rien ne laisse à penser que cette formation n'est pas assurée de manière suffisante par les États membres et qu'elle doit donc être assurée au niveau communautaire.
2. Les autres difficultés
a) Les difficultés liées à la base juridique
Comme je l'ai déjà mentionné, la protection diplomatique et consulaire ne relève ni de la compétence de la Communauté européenne, ni de celle de l'Union européenne, d'après les traités, mais elle est mise en oeuvre par un accord international conclu entre les États membres. Je ne vois donc pas sur quel fondement la Commission européenne pourrait prendre des mesures dans ce domaine.
Ainsi, l'idée que la Commission européenne puisse exercer, via ses délégations dans les pays tiers, la protection consulaire à l'égard des citoyens me semble soulever d'importantes difficultés. La protection consulaire est en effet un droit international régi par la Convention de Vienne qui n'est ouverte qu'aux États et qui suppose le consentement des pays tiers. Tant que l'Union européenne ne sera pas un État, je ne vois pas très bien comment la Commission pourrait exercer une telle protection.
b) La question du financement
La protection consulaire représente un coût financier non négligeable. Il en va ainsi de l'assistance juridique à un détenu ou du rapatriement d'une personne. Or, le Livre vert est muet sur la question du financement de ces mesures. Comme l'aurait déclaré un fonctionnaire de la Commission : « il n'existe pas de référence directe aux coûts. Mais ce n'est pas le propos. Nous parlons de solidarité » (Europolitique du 22 novembre 2006).
Il existe donc un sérieux risque, un réel danger, à ce que la charge financière de la protection consulaire pèse uniquement sur les pays (comme la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne) qui disposent du plus vaste réseau d'ambassades et de consulats à l'étranger.
Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la plupart des petits États membres ont accueilli avec beaucoup d'enthousiasme ce Livre vert. Ainsi, des pays comme Malte ou les pays baltes ne disposent que de très peu d'ambassades et de consulats. Ils sont donc naturellement favorables à l'idée que d'autres États membres assurent la protection de leurs ressortissants. Mais, dans le même temps, les petits États sont majoritairement hostiles à l'idée d'un partage sur le plan financier. Or, faute de partage des coûts, c'est le contribuable français qui paiera.
Il me paraîtrait donc indispensable, en tout état de cause, de prévoir un partage équitable sur le plan financier, quelle que soit la solution retenue.
c) Les consulats européens
L'idée de créer des consulats européens n'est pas nouvelle. Elle figurait notamment dans les projets de la Commission européenne concernant le service diplomatique commun, qui était envisagé par le traité constitutionnel et qui aurait été placé sous l'autorité du ministre européen des affaires étrangères. En l'absence de ce traité, on ne voit pas très bien sur quelle base on pourrait créer de tels consulats européens.
En outre, comme nous l'avait précisé Michel Barnier, lors de son audition devant la délégation, ce projet serait de nature à soulever des difficultés d'ordre constitutionnel et il nécessiterait vraisemblablement une révision constitutionnelle dans notre pays.
Surtout, la création de consulats européens me paraît être un objectif à long terme. Je rappelle, en effet, que les missions exercées par les consulats sont très variables entre les États. En particulier, les consulats français exercent des missions spécifiques, liées à l'état civil et aux élections, qui sont intrinsèquement attachées à la nationalité. Comment les agents consulaires d'une autre nationalité pourraient-ils participer à l'exercice de ces tâches régaliennes ? Et quelles seraient les conséquences sur notre système de représentation institutionnelle des Français de l'étranger, qui reste spécifique au sein de l'Union européenne ?
En outre, un consulat européen impliquerait une communauté d'intérêts beaucoup plus forte que celle qui existe aujourd'hui. Si la France décide de fermer certains consulats pour laisser la place à nos amis allemands ou britanniques, ce sont eux qui auront les contacts commerciaux avec les pays concernés.
IV - LES PROPOSITIONS QUE L'ON POURRAIT FORMULER POUR RENFORCER LA PROTECTION CONSULAIRE
Face à ces difficultés, faut-il pour autant ne rien faire ? Je ne le pense pas.
Renforcer la protection diplomatique et consulaire des citoyens européens et des membres de leur famille est un excellent objectif et une concrétisation de la citoyenneté européenne. Au moment où l'Europe est parfois jugée éloignée des préoccupations des citoyens, il me semble que la protection consulaire est un domaine qui permettrait de rapprocher l'Europe des citoyens. Mais je pense qu'une approche pragmatique est préférable pour atteindre cet objectif.
Ainsi, sans aller jusqu'à créer des « consulats européens », on pourrait d'ores et déjà encourager le rapprochement des pratiques consulaires, en favorisant les échanges de personnels et d'expériences, par des exercices en commun ou la diffusion de bonnes pratiques.
On pourrait aussi développer la colocalisation, c'est-à-dire regrouper, au sein d'un même bâtiment, les agents consulaires de deux ou de plusieurs États. La France mène d'ailleurs avec l'Allemagne une étroite coopération dans ce domaine. Des bureaux communs d'ambassade ont été mis en place en Bosnie-Herzégovine et au Monténégro, ainsi qu'au Kazakhstan, avec la participation du Royaume-Uni. De nouveaux projets de colocalisation pourraient voir le jour prochainement, notamment au Mozambique, au Bangladesh et au Cameroun.
La mutualisation des moyens consulaires pourrait ainsi permettre de renforcer la protection consulaire, mais aussi de développer des actions communes, en particulier en matière de délivrance des visas et dans le domaine culturel ou de l'enseignement des langues.
De la même manière, la France et le Royaume-Uni avaient proposé à leurs partenaires de mettre en place un système européen de protection consulaire sur la base d'une coopération intergouvernementale. Ce système, inspiré de ce qui se fait dans le domaine militaire, reposerait sur la désignation d'un État pilote, qui serait chargé de coordonner la protection des citoyens européens dans un pays tiers, en cas de conflit ou de catastrophe naturelle. Il pourrait s'agir, par exemple, de la France au Liban ou de la Belgique au Burundi. On pourrait donc reprendre ce projet, éventuellement sous la forme d'une coopération à plusieurs États.
En conclusion, je vous proposerai d'adopter deux positions :
- des observations sur ce texte au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité ;
- des conclusions portant sur le fond du texte, au titre de notre saisine en application de l'article 88-4 de la Constitution.
Compte rendu sommaire du débat
M. Pierre Fauchon :
Je partage la plupart des observations que vous formulez en ce qui concerne le fond du texte. En particulier, je pense comme vous qu'il est nécessaire de prévoir un partage équitable sur le plan financier, afin que le coût de la protection consulaire ne pèse pas uniquement sur les États qui disposent d'un vaste réseau diplomatique et consulaire. Je partage également votre avis concernant le regroupement des consulats et le projet de créer des consulats européens. Il s'agit, en effet, d'une question qui relève du domaine intergouvernemental. Je ne vois pas sur quelle base juridique l'Union européenne pourrait agir dans ce domaine. Seuls les États membres peuvent décider de regrouper ou non leurs agents consulaires au sein d'un même consulat ou de créer des consulats européens.
En revanche, je ne partage pas du tout vos remarques en ce qui concerne le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité. Je trouve, en effet, votre réaction quelque peu disproportionnée et je pense, au contraire, qu'une action européenne pour améliorer l'information des citoyens européens serait à la fois légitime et utile. Vous avez mentionné l'article 20 du traité qui reconnaît le droit à la protection consulaire. Mais, comme vous l'avez souligné, la plupart des citoyens européens ignorent ce droit. Il ne me paraît donc pas inutile de renforcer l'information des citoyens européens, comme le propose la Commission européenne. Dès lors qu'il existe un droit au niveau européen, je ne vois pas pourquoi la Commission européenne ne pourrait pas prendre des mesures pour informer les citoyens de ce droit. Par ailleurs, renforcer le droit à la protection consulaire ne serait-il pas un moyen de rapprocher l'Europe des citoyens et de donner un contenu concret à la citoyenneté européenne ? Je pense également qu'il serait utile que les avis aux voyageurs concernant les pays tiers qui présenteraient des risques pour leur santé ou pour leur sécurité, soient présentés de manière coordonnée, comme le suggère la Commission européenne. En effet, cela permettrait d'améliorer l'information et la protection des ressortissants communautaires qui résident ou qui séjournent hors de l'Union européenne.
M. Robert Del Picchia :
Je pense comme vous qu'il est nécessaire de renforcer l'information des citoyens sur la protection consulaire. La question qui se pose toutefois, du point de vue de la subsidiarité et de la proportionnalité, est celle de savoir qui, des États membres ou des institutions européennes, est mieux placé pour assurer cette information.
Or, il me semble que les États membres sont les mieux placés pour informer leurs ressortissants, par exemple en ce qui concerne les pays tiers qui présenteraient des risques pour leur santé ou pour leur sécurité, en raison notamment des liens particuliers qu'entretiennent les États membres avec des régions spécifiques, comme les pays du Commonwealth pour le Royaume-Uni ou les anciennes colonies pour la France.
M. Hubert Haenel :
Je précise qu'il ne s'agit pas ici de préjuger qu'une action européenne serait inutile, mais d'ouvrir un dialogue avec la Commission européenne afin que celle-ci précise les raisons pour lesquelles elle estime que les objectifs de l'action envisagée ne peuvent être réalisés de manière suffisante par les États membres et qu'ils peuvent être mieux réalisés au niveau communautaire. En fonction de la réponse apportée par la Commission, il nous reviendra de prendre position à cet égard en pleine connaissance de cause.
Mme Alima Boumediene-Thiery :
J'ai été très intéressée par cette communication qui porte sur un sujet très concret. J'ai d'ailleurs moi-même été victime d'un vol lors d'un déplacement à l'étranger et j'ai alors fait appel à la protection consulaire de notre ambassade. J'ai également été confrontée, lors de la guerre du Liban, aux difficultés posées par le cas de conjoints ou d'enfants de Français ayant la nationalité d'un pays tiers, lors des procédures de rapatriement.
Je voudrais vous poser une question qui porte non sur la subsidiarité, mais sur le fond.
Pourriez-vous nous préciser les raisons pour lesquelles l'idée d'un consulat européen serait susceptible de soulever des difficultés d'ordre constitutionnel ? En effet, il existe d'ores et déjà des bureaux communs à certains États membres, notamment entre la France et l'Allemagne. Par ailleurs, je rappelle que le programme de La Haye sur l'espace de liberté, de sécurité et de justice, adopté le 4 novembre 2004, évoque la création à long terme de bureaux communs chargés de la délivrance des visas.
M. Hubert Haenel :
J'ai notamment visité l'ambassade commune franco-allemande en Bosnie-Herzégovine, qui fonctionne très bien.
M. Robert Del Picchia :
Comme l'avait souligné Michel Barnier, lors de son audition devant la délégation en juin 2006, la création de consulats européens serait susceptible de soulever des difficultés constitutionnelles en France dans la mesure où des fonctionnaires français seraient placés sous l'autorité d'agents d'autres États membres et que ces agents pourraient accomplir des actes relevant de prérogatives de puissance publique, ce qui pourrait porter atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.
Ainsi, dans sa décision relative à la loi autorisant la ratification de la convention franco-allemande additionnelle à la convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale de 1980, le Conseil constitutionnel avait estimé que « les autorités judiciaires françaises, telles qu'elles sont définies par la loi française, sont seules compétentes pour accomplir en France, dans les formes prescrites par cette loi, les actes qui peuvent être demandés par une autorité étrangère au titre de l'entraide judiciaire en matière pénale ».
En revanche, la colocalisation des consulats ne soulève pas les mêmes difficultés étant donné qu'il s'agit uniquement de regrouper dans les mêmes locaux des agents de différents États membres et de mutualiser nos ressources en mettant en commun les équipements dont nous disposons.
La création de bureaux communs chargés de la délivrance des visas figure, en effet, comme un objectif à long terme dans le programme de La Haye. Toutefois, ce domaine soulève moins de difficultés car, en matière de visas, il existe une harmonisation européenne très poussée, avec notamment le « visa Schengen » et une compétence communautaire bien établie.
À l'issue de ce débat, la délégation a adopté - M. Pierre Fauchon ayant fait connaître son opposition - les observations suivantes au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité :
Livre vert sur la protection diplomatique et consulaire du citoyen de l'Union européenne dans les pays tiers (COM (2006) 712 final)
La délégation pour l'Union européenne du Sénat :
- constate que la Commission européenne ne démontre pas que les objectifs de l'action envisagée seraient mieux atteints par une action au niveau communautaire plutôt que par des coopérations pragmatiques entre États membres ; considère, par exemple, que les États membres sont les mieux placés pour adresser des avis à leurs ressortissants concernant les pays tiers qui présenteraient des risques pour leur santé ou leur sécurité et qu'une action au niveau communautaire en matière d'information des citoyens n'apporterait pas de véritable « valeur ajoutée », à l'exception de la reproduction de l'article 20 du traité dans les passeports ;
- estime donc que, tant que cette démonstration n'est pas faite, rien ne permet d'assurer que les dispositions envisagées dans le Livre vert ne portent pas atteinte aux principes de subsidiarité et de proportionnalité.
La délégation a également adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :
Conclusions
La délégation pour l'Union européenne du Sénat,
Vu le Livre vert sur la protection diplomatique et consulaire du citoyen de l'Union européenne dans les pays tiers (texte E 3376),
Approuve l'idée de renforcer la protection consulaire des citoyens européens et des membres de leur famille qui résident ou qui voyagent hors de l'Union européenne, mais rappelle que l'article 20 du traité instituant la Communauté européenne relatif à la protection consulaire ne confère de compétence normative dans ce domaine, ni à la Communauté européenne, ni à l'Union européenne, et qu'il soumet la mise en oeuvre de cette protection à des accords internationaux entre les États membres ;
Estime que tout système européen de protection consulaire devrait se fonder sur un partage équitable des coûts financiers, afin que la charge financière ne pèse pas uniquement sur les États qui disposent d'un vaste réseau diplomatique et consulaire ;
Appelle le Gouvernement à concrétiser l'initiative franco-britannique sur la désignation d'un État pilote en cas de crise et à développer la mutualisation des consulats.