COM (2006) 489 final
du 20/09/2006
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 19/12/2006
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 18/10/2006Examen : 13/12/2006 (délégation pour l'Union européenne)
Agriculture et pêche
Communication de M. Louis Le
Pensec
sur la réforme de l'OCM Banane
Texte
E 3266
(Réunion du 13 décembre 2006)
J'ai souhaité intervenir devant vous au sujet du projet de réforme de l'Organisation Commune des Marchés (OCM) dans le secteur de la banane, qui a été soumis à notre examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution. Il s'agit, en effet, d'un texte d'une très grande importance, qui conditionne l'avenir de la filière de production de la banane communautaire.
Je vous rappelle que la production de bananes, au sein de la Communauté, provient principalement de quatre régions, dites ultrapériphériques (RUP), parmi lesquelles figurent deux départements français d'outre-mer, la Guadeloupe et la Martinique. Les deux autres régions productrices sont les Îles Canaries (Espagne) et Madère (Portugal). La production bananière y joue un rôle socio-économique central, d'autant plus crucial qu'aucune alternative agricole crédible ne peut être envisagée sur ces territoires insulaires.
Les enjeux liés au projet de réforme présentée par la Commission sont donc considérables pour ces régions.
*
* *
En quoi consiste cette réforme ?
La Commission propose de supprimer, à partir du 1er janvier 2007, le système d'aide compensatoire existant, et d'intégrer le budget qui y a été affecté en moyenne au cours de la période de référence 2000-2002 à la dotation du programme d'appui à l'agriculture des régions ultrapériphériques de l'Union (Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité » - POSEI). Le montant transféré s'élèverait à 278,8 millions d'euros et serait réparti de la façon suivante : 50,6 % pour l'Espagne, 46,3 % pour la France, et 3,1 % pour le Portugal.
Cette réforme est accueillie favorablement par la France et les autres principaux États producteurs de banane. Elle apporte en effet deux avancées :
- tout d'abord, en ce qui concerne le montant prévu de l'enveloppe budgétaire. Celui-ci n'est en effet pas très éloigné de la demande de 302 millions d'euros que la France, l'Espagne, le Portugal et Chypre (dont aucun territoire n'appartient à la catégorie des RUP mais qui est également une région productrice de bananes) avaient formulée en commun dans un mémorandum adressé à la Commission en septembre 2005 ;
- ensuite, outre la garantie d'une enveloppe budgétaire stable pour l'aide aux producteurs de bananes, le dispositif POSEI offrira aux États concernés la possibilité de décider librement de la répartition des crédits à verser aux producteurs et de répondre ainsi de manière plus adaptée aux besoins régionaux spécifiques.
Si les trois principaux pays producteurs de bananes de l'Union ont adopté une position conciliatrice alors que le montant proposé par la Commission pour l'enveloppe budgétaire est inférieur à leur voeu initial, c'est parce qu'ils doivent faire face à une opposition, ou du moins à une forte réticence de la part des autres États membres non producteurs de bananes. Ces derniers, parmi lesquels figurent notamment l'Allemagne, la Suède, les Pays-Bas et l'Italie, ont deux principaux griefs :
- le choix de la période de référence (2000-2002) qui a déterminé le calcul du montant de l'enveloppe budgétaire annuelle allouée, jugé « extrêmement favorable » aux producteurs ;
- et la marge de sécurité budgétaire de 8,5 % préconisée par la Commission, qui représente 40 millions d'euros en sus du montant calculé à partir de la période de référence choisie. Une telle marge serait, aux dires de ces pays, du « jamais vu ». La Commission argumente à bon escient qu'elle vise à tenir compte de l'incertitude liée à l'évolution du système d'importation uniquement tarifaire mis en place le 1er janvier 2006.
Mon appréciation de la proposition de réforme de la Commission ne saurait faire abstraction du rôle qu'il m'a été donné de jouer, en son temps, comme ministre des DOM-TOM dans la réforme de l'Organisation Commune du Marché de la Banane. Le dispositif que j'avais proposé en 1992 était fondé sur des contingentements : des quotas de bananes étaient réservés sur le marché européen en fonction des régions de production : européenne (Antilles, Canaries, Madère), ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique), et pays tiers (Amérique latine). La réforme de 2005 m'est dès lors apparue porteuse de bien des périls pour l'avenir de cette filière.
Ceci étant posé, je prends acte que la Commission répond à l'exigence de solidarité à l'égard des régions ultrapériphériques. Les RUP - et je m'intéresserai plus particulièrement aux cas de la Guadeloupe et de la Martinique - sont des territoires aux « caractéristiques et contraintes particulières », comme il est écrit à l'article 299 §2 du traité établissant la Communauté européenne relatif aux régions ultrapériphériques. En Guadeloupe et Martinique, l'équilibre économique et social est fortement déterminé par la bonne santé du secteur de production de la banane. Comment pourrait-il en être autrement ? La production de bananes représente 50 % de la production agricole locale, et le secteur emploie 15 000 personnes sur les 40 000 que compte le secteur agricole. Ces données prennent d'autant plus de sens lorsqu'on les rapproche des taux de chômage que connaissent la Guadeloupe et la Martinique (respectivement 26 % et 21,8 % en 2005). La diminution ou la disparition de l'aide européenne serait dramatique pour ces régions. C'est pourquoi il est impératif de voir le soutien de la Communauté se pérenniser dans le cadre du programme POSEI. Cela d'autant plus que le régime d'importation de la banane par l'Union européenne demeure contesté au sein de l'OMC.
Je vous proposerai donc d'inviter le Gouvernement à défendre, lors des négociations, la réforme proposée par la Commission européenne.
Toutefois, un point de cette réforme mériterait d'être clarifié. La Commission propose une clause de révision, ou « clause de rendez-vous », à l'horizon 2009 afin d'évaluer le fonctionnement de l'ensemble du programme POSEI. Elle prévoit également une évaluation anticipée s'il apparaît que les « sources de revenu » dans les RUP changent significativement. Mais la rédaction de cette clause de révision est ambiguë dans la mesure où la Commission ne s'engage pas explicitement à adapter le dispositif de soutien aux producteurs de bananes en cas de modification significative de la situation du marché. Il serait donc souhaitable, à mon sens, que cette clause de révision soit plus explicite et que la Commission s'engage à renforcer, dans le cadre du POSEI, son soutien au revenu des producteurs de banane en cas de dégradation de leur situation. Cette demande de clarification me semble naturelle dans la mesure où l'aide au secteur de la banane représentera, après la réforme, environ 50 % du budget du programme POSEI.
Tels sont les enjeux de ce projet de réforme ; et c'est pourquoi il m'a semblé utile de le retirer de la procédure écrite afin que nous puissions en débattre ensemble au sein de notre délégation.
Compte rendu sommaire du débat
M. Hubert Haenel :
Je me félicite de votre initiative qui me fournit l'occasion de rappeler une nouvelle fois que tout membre de la délégation a la possibilité de demander qu'un texte de la procédure écrite soit retiré afin d'être examiné lors d'une réunion de la délégation.
Votre communication souligne parfaitement l'enjeu que représente cette réforme de l'OCM dans le secteur de la banane pour deux de nos départements français, la Guadeloupe et la Martinique. Je partage vos conclusions, et j'estime que nous devrions appeler le Gouvernement à mettre tout en oeuvre pour soutenir la proposition de la Commission, qui devrait préserver la production de la banane dans les régions ultrapériphériques.
M. Louis Le Pensec :
Face aux réticences de certains États membres, il me semble en effet indispensable que le gouvernement français apporte tout son soutien à cette proposition. A ce titre, je me permettrai de rappeler que les désaccords autour de la banane ne sont pas nouveaux. Cette question constituait déjà l'une des « pommes de discorde » entre le général de Gaulle et Konrad Adenauer il y a près de cinquante ans, comme en témoigne le traité de coopération entre la France et l'Allemagne, signé le 22 janvier 1963, dans lequel le chancelier allemand a fait insérer une clause qui autorise son pays à importer des bananes d'Amérique latine en franchise de douane.
M. Hubert Haenel :
On raconte même que ces différends autour de la banane auraient retardé la signature du traité de Rome !
M. Jean Bizet :
L'Organisation Commune du Marché de la banane est l'un des sujets prégnants à l'OMC.
A défaut d'attribuer aux bananes communautaires le label d'indication géographique protégé (IGP), il me semble que le projet de réforme que vous venez de nous présenter constitue l'unique solution pour préserver la production communautaire de bananes et maintenir ainsi notre aide aux régions ultrapériphériques.
M. Louis Le Pensec :
Au moment de sa création, en 1993, l'« OCM Banane » avait mis en place une protection non seulement tarifaire, mais aussi contingentaire, ce qui signifie qu'une part du marché communautaire était réservée aux bananes produites dans les Antilles. Mais ce régime contingentaire a rapidement été contesté devant l'OMC et abandonné au profit d'un régime uniquement tarifaire. Cette évolution, soutenue par la Commission, est regrettable, même si elle était inéluctable.
Il me semble, en revanche, que la proposition de la Commission qui nous est soumise aujourd'hui constitue un point d'équilibre dans la mesure où elle devrait pérenniser le régime d'aides au secteur de la banane. Nous ne pouvons espérer plus. C'est d'ailleurs bien l'avis des producteurs de bananes en Guadeloupe et en Martinique, qui se sont déclarés favorables à ce texte, tout en plaidant pour le plein respect de la clause de révision.
Par ailleurs, je tiens à porter à votre connaissance que l'« OCM Banane » fait de nouveau l'objet de contestations devant l'OMC. L'Équateur a déposé une plainte le mois dernier devant l'organe de règlement des différends de cette organisation pour contester le montant des droits de douane imposé par la Communauté européenne aux importations de bananes d'Amérique latine. Ce montant, fixé à 176 euros/tonne, est jugé discriminatoire par ce pays.
M. Hubert Haenel :
Nous approuvons à l'unanimité vos conclusions. Je communiquerai donc au Secrétariat général des affaires européennes, dès demain, notre position sur ce texte.