du 07/09/2006
Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution
Texte déposé au Sénat le 26/09/2006Examen : 17/10/2006 (délégation pour l'Union européenne)
Justice et affaires intérieures
Intervention de
M. Bernard Frimat sur le projet d'accord
de coopération entre
Eurojust et les États-Unis
Texte E 3242
(Réunion du 17 octobre 2006)
M. Hubert Haenel :
Le Sénat a été saisi, le 25 septembre dernier, d'un projet d'accord de coopération entre Eurojust et les États-Unis.
Étant donné que le Gouvernement nous a indiqué que cet accord devait être conclu au plus vite, et en tout état de cause au plus tard le 24 octobre, je vous ai transmis hier une note relative à cet accord, dans le cadre de notre procédure écrite d'examen des textes au regard de l'article 88-4 de la Constitution.
Je rappelle que, dans le cadre de cette procédure, tout membre de la délégation peut demander qu'un texte soit retiré afin d'être examiné lors d'une réunion de la délégation. C'est précisément ce qui s'est passé à propos de cet accord sur lequel notre collègue Bernard Frimat a souhaité intervenir. Je vais donc lui passer la parole.
M. Bernard Frimat :
Comme il était indiqué dans la note qui nous a été transmise, il s'agit du quatrième accord entre Eurojust et un pays tiers, après les accords conclus avec la Norvège, l'Islande et la Roumanie. Comme les précédents, ce projet d'accord vise à renforcer la coopération entre Eurojust et les autorités américaines en matière de lutte contre les formes graves de criminalité transnationale, en particulier le terrorisme. Il intervient peu après la conclusion de l'accord sur le traitement et le transfert des données des dossiers passagers, sur lequel nous avions soulevé un certain nombre de préoccupations au regard de la protection des données personnelles et des droits individuels.
L'accord prévoit notamment le détachement d'un procureur de liaison américain auprès d'Eurojust, la désignation d'un point de contact au sein des autorités judiciaires américaines et la possibilité d'organiser des réunions opérationnelles et stratégiques.
Il prévoit également de renforcer les échanges d'informations, y compris la transmission de données à caractère personnel.
Certes, l'accord contient un certain nombre de garanties en matière de protection des données personnelles. Les parties doivent notamment agir en pleine conformité avec leurs législations respectives, s'assurer que les données à caractère personnel communiquées sont appropriées et pertinentes au regard de la finalité spécifique de la demande et ne conserver les données que pendant la durée nécessaire auxquelles elles ont été fournies. La partie requérante doit notifier à l'autre partie la finalité pour laquelle les informations sont demandées. Un droit d'accès, de rectification et d'effacement des données personnelles est également reconnu aux personnes concernées. Une disposition de l'accord prévoit aussi que les données personnelles à caractère particulièrement sensible (c'est-à-dire celles qui relèvent l'origine raciale ou ethnique, les opinions politiques, les convictions religieuses ou autres convictions, l'appartenance syndicale, ainsi que les données relatives à la santé et à la vie sexuelle) ne peuvent être fournies que si elles sont particulièrement pertinentes pour écarter une menace immédiate et sérieuse pesant sur la sécurité publique ou pour lutter contre les formes graves de criminalité transnationale.
L'autorité de contrôle commune d'Eurojust, qui est un organisme indépendant chargé de la protection des données personnelles, a d'ailleurs estimé, dans un avis rendu à l'unanimité le 15 août 2006, que rien ne s'opposait à la conclusion de cet accord du point de vue de la protection des données personnelles. Mais cette autorité a aussi formulé une réserve dans son avis. Elle a, en effet, estimé que la liberté d'utiliser les preuves ou les informations obtenues dans le cadre de cet accord à toute fin lorsque ces informations ou ces preuves ont été rendues publiques, devait être limitée à la seule hypothèse où cette publicité a été faite de manière légale. Or, je constate que cette réserve n'a pas été prise en compte lors des négociations, puisque la suggestion émise par l'autorité de contrôle commune d'Eurojust ne figure pas dans le texte de l'accord qui nous a été transmis.
De plus, comme le mentionne la note qui nous a été transmise, le projet d'accord ne contient aucune référence aux principes fondamentaux, ni dans le corps de l'accord, ni même dans son préambule, contrairement aux précédents accords conclus entre Eurojust et des pays tiers.
Il ne contient pas non plus de clause de dérogation, contrairement à l'accord conclu en 2003 entre l'Union européenne et les États-Unis en matière d'entraide judiciaire, qui prévoyait qu'un État pourrait refuser de donner suite à une demande d'entraide en invoquant les principes de son droit interne, y compris lorsque l'exécution de la demande porterait atteinte à sa souveraineté, sa sécurité, son ordre public ou d'autres intérêts essentiels.
Certes, il est précisé que l'accord « ne porte pas atteinte à la possibilité, pour la partie qui transmet les informations, d'imposer des conditions supplémentaires dans une affaire donnée, lorsqu'elle ne pourrait pas, en l'absence de ces conditions, donner suite à la demande d'entraide examinée ». Mais, au regard de l'existence de la peine de mort aux États-Unis, il me semble indispensable de s'assurer que toutes les garanties nécessaires ont été prises afin d'interdire qu'il soit fait usage des informations transmises dans le cadre de cet accord dans le but de prononcer ou d'exercer une condamnation à la peine de mort.
Comme vous pouvez le constater, je partage entièrement les préoccupations que vous aviez exprimées dans votre note au sujet de cet accord. Il me semble toutefois que, au regard de l'importance de ces questions, qui touchent directement aux droits fondamentaux, notre délégation pourrait exprimer de manière plus forte ces préoccupations en déposant une proposition de résolution.
M. Hubert Haenel :
Compte tenu de contraintes de délai, il ne me semble pas possible de déposer une proposition de résolution. En effet, cet accord doit être conclu la semaine prochaine et la commission des Lois ne sera pas à même de se prononcer dans un délai aussi court.
En revanche, notre délégation pourrait adopter des conclusions qui feraient état de ces préoccupations.
M. Bernard Frimat :
Je veux bien me résoudre à cette solution, mais je regrette que nous soyons à nouveau appelés à nous prononcer dans l'urgence sur un texte de cette importance, qui aurait mérité un débat et un vote du Sénat.
Il me semble que nous devrions attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de respecter le délai de six semaines entre la présentation d'un texte et son adoption par le Conseil, tel que prévu par le protocole annexé au traité d'Amsterdam.
À l'issue de ce débat, la délégation a adopté à l'unanimité les conclusions suivantes :
Conclusions
La délégation pour l'Union européenne du Sénat,
Vu le projet d'accord de coopération entre Eurojust et les États-Unis (texte E 3242),
Approuve l'objectif de renforcer la coopération judiciaire entre Eurojust et les États-Unis en matière de lutte contre les formes graves de criminalité transnationale, en particulier le terrorisme ;
Constate que l'autorité de contrôle commune d'Eurojust a rendu un avis favorable à la conclusion de cet accord du point de vue de la protection des données personnelles ; Regrette cependant que la réserve formulée par cette autorité n'ait pas été prise en compte lors des négociations ;
Déplore vivement que l'accord ne contienne aucune référence au respect des principes fondamentaux, y compris dans son préambule, contrairement aux précédents accords conclus entre Eurojust et des pays tiers ;
S'interroge également sur l'absence dans cet accord d'une clause de dérogation permettant à une partie de refuser de donner suite à une demande en invoquant les principes de son droit interne, notamment lorsque l'exécution de la demande porterait atteinte à sa souveraineté, sa sécurité, son ordre public ou d'autres intérêts essentiels, comme le prévoit l'accord conclu entre l'Union européenne et les États-Unis en matière d'entraide judiciaire ;
Demande au Gouvernement de s'assurer que toutes les garanties nécessaires ont été prises afin d'interdire qu'il soit fait usage des informations transmises dans le cadre de cet accord dans le but de prononcer ou d'exécuter une condamnation à la peine de mort ;
Regrette que le Parlement soit à nouveau
appelé à se prononcer dans des délais aussi brefs sur un
texte de cette importance et demande au Gouvernement de veiller à
l'avenir au respect du délai de six semaines entre la
présentation d'un texte et son adoption par le Conseil, tel que
prévu par le protocole annexé au traité
d'Amsterdam.