COM (2005) 263 final  du 22/06/2005
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 20/02/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 13/07/2005
Examen : 05/10/2005 (délégation pour l'Union européenne)


Agriculture et pêche

Réforme de l'OCM sucre

Texte E 2916 - COM (2005) 263 final

(Réunion du 5 octobre 2005)

M. Hubert Haenel :

Nous avons été saisis du texte E 2916 qui regroupe :

- une proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur du sucre ;

- une proposition de règlement du Conseil modifiant le règlement (CE) n° 1782/2003 établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs ;

- une proposition de règlement du Conseil instituant un régime temporaire de restructuration de l'industrie sucrière dans la Communauté européenne et modifiant le règlement (CE) n° 1258/1999 relatif au financement de la politique agricole commune.

I - LA SITUATION ACTUELLE

L'OCM sucre, mise en place en 1968, a été ajustée en 1975 à la suite de l'adhésion du Royaume-Uni, puis en 1995 à l'issue des négociations du cycle de l'Uruguay ; mais elle n'a pas été modifiée lors des réformes de la politique agricole commune de 1992, 1999 et 2003.

Cette OCM repose sur un régime de prix garantis dans le cadre d'une maîtrise de l'offre reposant sur un mécanisme de quotas par État membre :

- les quotas A (environ 82 % de la production) s'appliquent aux volumes commercialisés sur le marché intérieur ;

- les quotas B (environ 18 % de la production) s'appliquent aux volumes exportés avec restitutions ;

- les volumes produits au-delà de ces quotas (le « sucre C ») doivent être exportés sans restitutions.

Le mécanisme de soutien des prix repose sur deux prix institutionnels, fixés chaque année par le Conseil sur proposition de la Commission. Le premier, dit « prix minimum », est le prix auquel les producteurs de sucre achètent la betterave sucrière aux agriculteurs. Le second est le prix d'intervention, qui joue lorsque l'achat de la production de sucre par les organismes d'intervention - en France il s'agit du Fonds d'intervention et de régularisation du marché du sucre (FIRS) - s'avère nécessaire.

Le régime d'importation est caractérisé par une protection élevée aux frontières, assortie d'accords préférentiels garantissant aux pays ACP et à l'Inde un accès au marché de l'Union, au prix d'intervention, dans la limite d'1,6 million de tonnes. Le « sucre ACP » ainsi importé peut, après raffinage, être réexporté avec restitutions.

Le total des quotas A et B représente 16,4 millions de tonnes pour l'Union à vingt-cinq, dont 3,8 pour la France (3 millions de tonnes de quota A et 0,8 million de tonnes de quota B) qui est le premier producteur européen avec une production fluctuant entre 4 et 5 millions de tonnes.

Le fonctionnement de l'OCM sucre est, pour l'essentiel, financé par la filière elle-même, grâce à des cotisations versées par les producteurs de betterave et les fabricants de sucre. Seules les restitutions pour la réexportation de « sucre ACP » sont à la charge du budget communautaire, étant considérées comme une forme d'aide au développement.

Provisoirement reconduite en 2004, l'OCM sucre viendra à expiration en juin 2006.

II - UNE RÉFORME LIÉE À DES FACTEURS EXTERNES

L'équilibre de l'OCM sucre est fondé sur une « préférence communautaire » très affirmée. Cependant, le volet externe de l'OCM ne pourra être maintenu sous sa forme actuelle dans les prochaines années.

Du fait de prix garantis élevés, le marché communautaire est particulièrement attractif pour les pays bénéficiant d'un accès préférentiel. Or, l'initiative « tout sauf les armes » adoptée en 2001 va élargir sensiblement les possibilités d'accès préférentiel : le sucre produit par les pays les moins avancés (PMA) pourra entrer sur le marché communautaire, à partir de 2006, sans limitation de volume, et, à partir de 2009, sans droits de douanes. Un accès préférentiel a été également accordé en 2001 aux pays des Balkans occidentaux, conduisant à une hausse rapide des importations en provenance de cette zone.

Par ailleurs, les négociations du cycle de Doha, qui doivent en principe se conclure à la fin de l'année, entraîneront à terme l'élimination des restitutions à l'exportation conformément à l'« accord-cadre » de juillet 2004.

Enfin, certains aspects de l'OCM du sucre ont été condamnés par l'Organe de règlement des différends (ORD) de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), saisi par l'Australie, le Brésil et la Thaïlande. En particulier, l'ORD a conclu que le « sucre C » ne pouvait être considéré comme exporté sans restitutions, car il bénéficiait en réalité de subventions indirectes résultant, d'une part, de la fourniture de betteraves à bas prix pour sa production et, d'autre part, des bénéfices garantis aux producteurs par le mécanisme des quotas A et B. Or, dès lors que le « sucre C » se trouve classé dans les exportations subventionnées, la Communauté ne respecte plus les engagements pris lors du précédent cycle de négociations.

C'est dans ce contexte que la Commission a adopté, le 22 juin dernier, les trois propositions composant le texte E 2916.

III - LES PRINCIPAUX ASPECTS DE LA RÉFORME

a) La proposition de règlement relative à l'OCM

· Ce texte prévoit tout d'abord le remplacement du mécanisme et du prix d'intervention par un « prix de référence » servant de base pour le déclenchement d'un mécanisme de stockage privé. Le prix de référence sera inférieur de 39 % au prix d'intervention actuel, la baisse étant répartie sur deux ans à compter de la campagne 2006-2007. Sur la même période, le prix minimum de la betterave sera abaissé de 42,6 %.

· Parallèlement, les quotas A et B sont fusionnés en un quota unique par État membre ; le régime du « sucre C » est quant à lui supprimé : en contrepartie, des quotas supplémentaires, pour un total d'un million de tonnes, sont alloués aux États membres qui produisent actuellement du « sucre C » (la France bénéficie ainsi d'un quota supplémentaire de 351 695 tonnes). Le quota global d'isoglucose (actuellement de 508 000 tonnes) sera augmenté de 300 000 tonnes, sur trois ans, à compter de la campagne 2006-2007.

Pendant la période de restructuration (voir plus bas), il n'y aura aucune réduction obligatoire des quotas. À l'issue de cette période, des réductions obligatoires ne pourront intervenir que sous la forme d'un pourcentage de baisse identique pour tous les États membres.

· La gestion du marché reposera sur trois instruments :

- le système actuel de report éventuel des dépassements de quotas sur le quota de la campagne suivante est maintenu ;

- en cas de déséquilibre du marché, la Commission pourra décider de retirer du marché un pourcentage de quota jusqu'au début de la campagne suivante ;

- un mécanisme de stockage privé sera mis en oeuvre à supposer que le prix de marché tombe en dessous du prix de référence.

· Le nouveau régime s'appliquera jusqu'à la fin de la campagne 2014-2015.

b) La proposition de règlement établissant un régime de soutien direct

· Ce texte prévoit des enveloppes budgétaires pour chaque État membre, à un niveau représentant 60 % de la perte de revenu découlant de la baisse des prix en deux étapes. L'enveloppe globale est fixée à 907 millions d'euros pour 2006-2007 (dont 151 millions pour la France) et à 1,542 milliard d'euros à partir de 2007-2008 (dont 270 millions pour la France).

Les agriculteurs qui produisaient de la betterave à sucre au cours de la période de référence 2000-2002 recevront des paiements directs qui seront intégrés au paiement unique par exploitation découplé de la production (les États membres ayant la possibilité, si l'équité le requiert, de modifier la période de référence pour certains producteurs).

Une enveloppe complémentaire est prévue au bénéfice des producteurs de chicorée destinée à la fabrication de sirop d'inuline.

· Un régime dérogatoire est prévu pour les départements d'outre-mer. Les producteurs recevront une aide additionnelle correspondant aux mesures spécifiques dont ils bénéficient actuellement, et le système du paiement unique ne s'appliquera pas. Les montants prévus pour l'aide additionnelle (15 millions d'euros) et pour les paiements directs (44 millions d'euros) seront intégrés dans l'enveloppe du nouveau programme POSEI.

c) La proposition de règlement relative à la restructuration de l'industrie sucrière

Ce texte définit un plan de restructuration volontaire de l'industrie du sucre, pour une durée de quatre ans (de 2006-2007 à 2009-2010). Ce plan sera financé par un prélèvement spécifique sur l'ensemble des quotas détenus par les entreprises productrices de sucre, d'isoglucose ou de sirop d'inuline. Par ce biais, une aide sera accordée aux usines sucrières et aux producteurs d'isoglucose et d'inuline souhaitant cesser leur production. Cette aide, versée par tonne de quota libérée, sera dégressive pour les quatre campagnes d'application (730 euros/tonne pour 2006-2007, 625 pour 2007-2008, 530 pour 2008-2009 et 420 pour 2009-2010). En outre, un paiement direct complémentaire sera accordé aux producteurs de betterave à sucre devant abandonner cette production à la suite de la fermeture d'une usine : ils percevront l'intégralité du paiement direct final dès la première année de baisse des prix.

Le plan de restructuration ne concerne pas les raffineurs à temps complet. Il n'est pas applicable dans les départements d'outre-mer.

IV - PERSPECTIVES DE LA NÉGOCIATION

La présidence britannique souhaite obtenir un accord politique sur la réforme lors du Conseil « Agriculture » des 21 au 23 novembre, dans la perspective de la réunion interministérielle de Hong Kong qui doit, en principe, conclure la négociation du volet agricole du cycle de Doha.

Les orientations proposées par la Commission sont soutenues par la majorité des États membres, mais rencontrent l'opposition des pays dotés d'une filière sucrière moins compétitive (pays du Sud, Irlande, Finlande, plusieurs nouveaux États membres).

Le projet de la Commission est par ailleurs contesté par les pays ACP bénéficiant actuellement d'un accès préférentiel avec un prix garanti. Un plan d'aide à ces pays, doté de 40 millions d'euros, a été présenté par la Commission pour l'année 2006.

Le Gouvernement français, quant à lui, considère la réforme comme inéluctable et accepte l'approche générale de la Commission, tout en demandant une amélioration des dispositions concernant les départements d'outre-mer.

Effectivement, une réforme paraît inévitable :

- l'OCM sucre actuelle vient d'être condamnée par l'organe de règlement des différends de l'Organisation mondiale du commerce ;

- le cycle de Doha doit conduire à la fin des exportations subventionnées ;

- l'accès préférentiel accordé aux pays les moins avancés à partir de 2006 deviendrait difficilement gérable en cas de maintien des prix garantis actuels.

Par ailleurs, les orientations retenues par la Commission sont cohérentes avec la réforme de la politique agricole commune adoptée en 2003. L'OCM sucre pouvait difficilement rester à l'écart de la nouvelle politique agricole commune.

Dans ces conditions, j'ai pour ma part tendance à penser que nous pouvons suivre la position du Gouvernement et qu'il n'est donc pas nécessaire que nous intervenions plus avant. Mais je voudrais savoir si tel est bien le sentiment de la délégation.

Compte rendu sommaire du débat

M. Robert Bret :

C'est une fois de plus le problème des rapports Nord/Sud qui se pose. Les pays du Sud producteurs de sucre vont faire les frais de la réforme. La mondialisation leur est le plus souvent défavorable. Doit-on se résigner, accepter par avance ce qui est attendu comme résultat du cycle de Doha ? Je constate que les discours généreux du président de la République n'ont pas de suite concrète.

M. Jean Bizet :

Il s'agit d'un sujet complexe. Je comprends les inquiétudes qui viennent de s'exprimer. Mais il y a eu un jugement au sein de l'OMC ; l'Union a perdu en première instance, puis à nouveau en appel. Dans ce contexte, si nous ne réformons pas l'OCM sucre, nous devrons offrir des compensations -qui seront lourdes - à nos partenaires de l'OMC. Pour ma part, je ne vois pas d'alternative à la réforme.

Depuis plus de dix ans, au titre du traitement spécial et différencié, nous avons aidé les pays ACP en leur permettant de nous vendre du sucre à un prix particulièrement intéressant ; ils ont disposé de délais pour s'adapter et des compensations financières leur sont proposées. La réforme sera également douloureuse pour nos producteurs, puisque la baisse des prix ne sera compensée qu'à 60 %.

De plus, le commerce international portera de moins en moins, à l'avenir, sur des matières premières brutes, mais plutôt sur des matières transformées, commercialisées avec des indications de provenance. Les pays ACP pourront bénéficiera de cette évolution. Les échanges Sud/Sud doivent également s'intensifier.

Mme Catherine Tasca :

Je crois que nous sommes devant une vraie question. Le fonctionnement de l'OMC a ses exigences, que nous devons comprendre, et l'Europe doit agir groupée. Mais la logique de cette institution n'est pas bien adaptée à la situation réelle des pays du Sud. Je comprends bien qu'ils ont encore du temps pour s'adapter, des aides : mais ils sont en pratique très dépendants de leur production agricole ; leur marge de manoeuvre est très faible.

Il faut jouer le jeu de l'OMC, mais aussi rappeler que les évolutions sont plus difficiles pour les pays du Sud. Le problème du sucre est à rapprocher de ceux du coton, du cacao, du café. La logique globale de l'OMC me paraît mal adaptée à ces problèmes spécifiques. Et finalement, nous voyons subsister le grand écart entre les discours sur l'aide et la réalité du fonctionnement des organisations internationales.

M. Hubert Haenel :

Je rappelle que, le 27 octobre, le Sénat aura un débat à partir d'une question orale européenne posée par notre collègue Jean Bizet sur les négociations de l'OMC.

M. Jean Bizet :

Nous devons inciter le Gouvernement à se montrer très vigilant sur la définition du mandat du commissaire européen, puis sur le respect de ce mandat. Naturellement, ce débat permettra également à tous les groupes d'exprimer leurs souhaits sur les priorités de la négociation.

M. Roland Ries :

Le Gouvernement doit préciser sa position à l'approche de la réunion de Hong Kong. Au-delà, nous devons effectivement nous interroger sur le rôle de l'OMC par rapport au dialogue Nord/Sud.

M. Jean Bizet :

Je voudrais préciser que je partage aussi cette interrogation. Il est vrai que tout ne se résume pas à la rationalité économique. Cependant, nous devons être conscients qu'il ne sera pas facile de faire évoluer les règles de l'OMC ; Pascal Lamy lui-même reste très prudent. Cela ne doit pas nous empêcher, naturellement, d'avancer des propositions.