COM (2004) 628 final  du 29/09/2004
Date d'adoption du texte par les instances européennes : 24/10/2006

Examen dans le cadre de l'article 88-4 de la Constitution

Texte déposé au Sénat le 21/10/2004
Examen : 16/11/2005 (délégation pour l'Union européenne)


Politique de coopération

La politique de voisinage

Texte E 2725 - COM (2004) 628 final

Communication de M. Simon Sutour

(Réunion du 16 novembre 2005)

Je souhaitais vous faire aujourd'hui une présentation de ce que l'on appelle « la politique de voisinage » de l'Union européenne, qui est un concept nouveau voire même « à la mode » pour désigner les relations entre l'Union et les pays qui lui sont proches, mais dont il est parfois difficile de comprendre la nature et les implications.

La « politique de voisinage » est apparue en mars 2003, lorsque la Commission européenne a présenté une communication intitulée « L'Europe élargie - Voisinage : Un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l'Est et du Sud » à la suite d'une lettre conjointe adressée en 2002 au Conseil par Javier Solana, Haut Représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune et Chris Patten, alors commissaire aux relations extérieures. En juillet 2003, la Commission a présenté une nouvelle communication qui a été suivie par le dépôt, en octobre 2004, d'une proposition de règlement portant création d'un instrument européen de voisinage et de partenariat. Enfin, la Commission européenne a soumis au Conseil, en mai 2004, une communication intitulée « politique européenne de voisinage - document d'orientation » déterminant les objectifs et principes, la portée géographique, ainsi que les méthodes à utiliser pour mettre en oeuvre cette politique.

Quel est le champ géographique de la politique européenne de voisinage ? Comme la première communication de la Commission le mentionnait, cette politique vise les voisins de l'Est et du Sud de l'Union européenne élargie. Le terme de « voisins » est assez vague, et la définition du champ géographique a donc évolué depuis 2003. Ainsi, alors que la Commission proposait de l'inclure, le Conseil européen de juin 2004 a exclu, à la demande de cette dernière, que la Russie entre dans le champ de la politique de voisinage. L'Union et la Russie ont décidé de développer un partenariat stratégique spécifique dans le cadre des « quatre espaces communs » définis lors du sommet de Saint-Pétersbourg en mai 2003. A contrario, le même Conseil européen a décidé d'inclure l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie dans la politique européenne de voisinage. Pour deux pays, la Biélorussie et la Libye, le Conseil européen a posé des conditions à leur intégration, tout en affirmant clairement leur vocation à entrer dans la politique de voisinage de l'Union. Ainsi, cette politique concerne aujourd'hui 9 pays du Sud (le Maroc, l'Algérie, la Tunisie, l'Égypte, Israël, la Palestine, la Jordanie, la Syrie et le Liban), et 5 pays de l'Est  (l'Ukraine, la Moldavie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie). Si les conditions étaient remplies, la Libye et la Biélorussie pourraient les rejoindre.

Quels sont les objectifs de la politique européenne de voisinage ? D'après les conclusions du Conseil européen de juin 2004, l'objectif de la politique européenne de voisinage est de faire bénéficier les pays voisins de l'élargissement, de la sécurité et du bien-être de l'Union européenne. La politique de voisinage offre la perspective de « relations de plus en plus étroites » qui impliquent un niveau d'intégration économique important, et un renforcement de la coopération politique, le but étant d'éviter la création de nouveaux clivages entre l'Europe élargie et ses voisins. La relation privilégiée avec les pays du voisinage serait donc fondée sur la responsabilité conjointe :

- elle s'appuierait sur un engagement en faveur de valeurs communes, telles que la démocratie, l'État de droit, la bonne gouvernance et le respect des droits de l'homme, ainsi qu'en faveur des principes de l'économie de marché, du libre échange, du développement durable et de la réduction de la pauvreté ;

- elle serait en outre un moyen de demander des engagements à l'égard de certains aspects essentiels de l'action extérieure de l'Union, en particulier la lutte contre le terrorisme et la non prolifération des armes de destruction massive, des efforts en vue du règlement pacifique des conflits régionaux et une coopération dans le domaine de la justice et des affaires intérieures.

Cette politique serait mise en oeuvre au moyen de plans d'action adoptés conjointement avec les pays voisins concernés pour une durée minimale de trois ans et renouvelables d'un commun accord. Ils seraient fondés sur des principes communs mais seraient différenciés pour refléter les spécificités de chaque pays. La progression et le suivi de la mise en oeuvre des plans d'action seraient confiés aux organes institués au titre des actuels accords d'association et des accords de partenariat et de coopération (APC), qui sont les deux formes d'accords existant respectivement avec les pays au Sud et à l'Est de l'Union européenne.

Quel serait le financement de la politique de voisinage ? Jusqu'à fin 2006, les programmes de voisinage seraient élaborés en utilisant des fonds provenant des programmes extérieurs existants (TACIS pour les pays de l'Est, MEDA pour les pays méditerranéens) et du programme intracommunautaire INTERREG. Dans une deuxième phase, à partir de 2007, un nouvel instrument de voisinage serait mis en place. Cet instrument unique juridique et financier succéderait aux programmes MEDA et TACIS et devrait être largement mis au service des plans d'action.

La Commission européenne propose un règlement créant ce nouvel instrument financier, qui selon elle représenterait 14,9 milliards d'euros pour la période 2007-2013 soit une enveloppe sensiblement plus élevée que celle existant actuellement (pour la période 2000-2006, l'enveloppe MEDA est de 5,3 milliards d'euros et l'enveloppe TACIS de 3,2 milliards d'euros). Cependant, les documents fournis par la Commission ne permettent pas de connaître précisément la répartition de ces crédits ni de faire une comparaison réelle avec les crédits actuels, si bien que cette annonce reste très théorique. Tout dépendra du résultat des négociations sur les perspectives financières.

Où en est-on de la mise en oeuvre de la politique de voisinage ? Des plans d'action ont déjà été signés avec 7 pays (Israël, la Jordanie, la Palestine, le Maroc, la Tunisie, la Moldavie et l'Ukraine) et en avril 2005 le Conseil a encouragé d'en conclure avec cinq autres pays (l'Égypte, le Liban, l'Arménie, l'Azerbaïdjan et la Géorgie). La Commission n'a pas encore fait de rapport sur deux pays: l'Algérie, qui a procédé récemment à la ratification de son accord d'association, et la Syrie, qui a conclu son accord d'association en octobre 2004.

Quelle appréciation porter sur cette politique ?

Comme nous l'avons vu, la première interrogation porte sur le champ de la politique de voisinage. Depuis son lancement en 2003, il a d'abord été envisagé d'inclure les pays des Balkans occidentaux, qui ont cependant été vite écartés compte tenu de leur vocation à adhérer à terme à l'Union européenne selon les termes du Conseil européen de Thessalonique de juin 2003, puis la Russie, avant d'y renoncer au profit d'un partenariat spécifique. A contrario, les trois pays du Caucase du Sud ont été ajoutés, alors même qu'ils ne partagent aucune frontière avec un État membre de l'Union européenne. Même si la liste des pays entrant dans la politique de voisinage est désormais arrêtée, l'absence de définition des « voisins » de l'Union européenne permet d'envisager toutes les évolutions possibles. A titre anecdotique, le Parlement européen a ainsi pu, dans une résolution adoptée en septembre 2003, souhaiter l'insertion, à terme, des pays du Moyen-Orient dont l'Iran et l'Irak, des pays du Golfe et même de l'Afghanistan.

La deuxième question est la consistance des plans d'actions et leur articulation avec les accords existants. En effet, que peuvent apporter de nouveau ces plans d'actions, qui a priori n'auront pas de force juridique contraignante, par rapport aux accords d'association existants avec les pays du processus de Barcelone (accords qui ont mis près de 10 ans à se conclure) et aux accords de partenariat et de coopération existants avec les pays d'Europe orientale (Russie, Ukraine, Moldavie) ?

Si ces plans d'action avaient une valeur juridique, cela poserait une question de légitimité démocratique, l'entrée en vigueur des plans d'action étant seulement soumise à une approbation du Conseil et à une approbation par les conseils de coopération ou d'association respectifs qui vaut « agrément » des deux parties. Les parlements nationaux ne sont pas saisis de ces plans d'action. A contrario, les accords d'association ou de coopération sont soumis à un processus de ratification dans tous les États membres de l'Union européenne et dans l'État concerné.

Enfin, l'application d'un même terme à l'ensemble des accords conclus avec les pays du voisinage a le mérite de présenter une certaine unité, mais cette unité semble factice tant la situation des pays est différenciée. La Commission a ainsi pu expliquer que les plans d'actions viseraient dans certains cas, à soutenir des projets d'adhésion à l'OMC (Ukraine) et dans d'autres à résoudre les conflits régionaux (Israël/Palestine, Transnistrie pour la Moldavie).

Troisième question : quels sont les débouchés de la politique de voisinage ? Même si la Commission explique que la politique de voisinage n'est en aucun cas un préalable, ni un obstacle à l'adhésion, elle déclare également que, à long terme, la politique de voisinage vise à passer d'une simple coopération à un degré élevé d'intégration, impliquant une participation des pays partenaires au marché intérieur de l'Union européenne.

De fait, les plans d'action comprennent des propositions d'assistance « pour aligner la législation et la réglementation sur celles de l'UE, afin d'améliorer l'accès au marché intérieur » ainsi qu'une proposition de participation à un certain nombre de programmes communautaires, notamment dans les domaines de l'éducation, de la recherche, de l'environnement et de l'audiovisuel. Ces processus, s'ils sont engagés, demanderont une forte implication des pays partenaires et pourraient être perçus comme des efforts préalables à une possible intégration dans l'Union européenne. Lors de la présentation de l'avancée des travaux de la Commission dans ce domaine, en décembre 2004, Mme Benita Ferrero-Waldner, commissaire aux relations extérieures, a expliqué que la politique de voisinage « n'est pas une politique d'élargissement. Elle ne préjuge pas des perspectives des pays européens qui, à un certain point dans l'avenir, pourraient souhaiter poser leur candidature. Mais elle ne fournit pas non plus de perspective d'adhésion. »

Enfin, dernière question, mais qui est sans doute la plus importante : la politique européenne de voisinage est-elle une menace pour l'euro-méditerranée ? Alors même que le processus de Barcelone, lancé en 1995, fête ses 10 ans sur le constat d'un échec relatif de ses ambitions et de la nécessité d'une relance, la mise en oeuvre d'une politique de voisinage, plaçant à égalité les relations de l'Union européenne avec la Méditerranée et avec ses voisins de l'Est, laisse craindre une « réorientation » des moyens de l'Union, au détriment de la zone méditerranéenne.

La Commission européenne propose de créer un nouvel instrument financier à compter de 2007 qui englobera les financements TACIS et MEDA existants. Or, l'enveloppe MEDA est actuellement plus importante que l'enveloppe TACIS (en proportion 2/3 contre 1/3). L'élargissement de la politique de voisinage à l'Est, avec dans un premier temps les pays du Caucase du Sud, et peut-être demain d'autres pays, pourrait amener à revoir l'allocation des ressources. Une pression existe, de la part de la Commission mais aussi de plusieurs États membres, en faveur d'une réorientation des fonds vers l'Est, avec notamment le développement de projets transfrontaliers. La Commission souhaiterait abandonner une approche géographique, au profit d'une approche thématique. Il faut enfin noter que la Russie, qui bénéficie d'une relation spécifique avec l'UE aurait tout de même accès aux programmes de coopération du futur instrument de voisinage.

Le gouvernement français plaide pour que figure dans le règlement sur l'instrument financier en faveur du voisinage une indication chiffrée sur la répartition des crédits entre les deux grandes régions géographiques, sous la forme de chiffres absolus ou de pourcentage, et je soutiens pleinement cette position.

Enfin, au-delà des chiffres, le risque existe que la politique de voisinage, en promouvant une approche différenciée par pays (avec un bilan, au cas par cas, de l'avancement des plans d'action) soit exactement le contraire d'une démarche d'intégration régionale que voulait être le processus de Barcelone en faveur de la Méditerranée.

Il conviendra donc d'être très vigilants pour que cette nouvelle politique de voisinage de l'Union européenne ne soit pas, d'une manière ou d'une autre, le signe d'une dilution de l'action de l'Union et d'un abandon des relations privilégiées que l'Union entretient avec les pays du sud de la Méditerranée.

Compte rendu sommaire du débat

M. Hubert Haenel :

La politique de voisinage de l'Union européenne est un sujet essentiel dont notre délégation devait se saisir, et je remercie notre collègue Simon Sutour de l'avoir fait. Sa présentation rejoint le débat sur les frontières de l'Union européenne. J'ai le sentiment que la politique de voisinage est menée « au fil de l'eau » sans cadre préétabli, notamment d'un point de vue géographique. En tout état de cause, cette nouvelle politique ne devra pas signifier un délaissement de la politique euro-méditerranéenne qui a, plus que jamais, besoin d'être relancée dix années après le sommet de Barcelone. L'audition prochaine devant notre délégation de Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, sera l'occasion d'aborder ce thème.

M. Didier Boulaud :

Je partage les conclusions du rapporteur et les observations de notre président. On a parfois l'impression d'une « fuite en avant » de l'Union européenne et d'une dilution de ses priorités. Ce sont ces éléments qui éveillent la suspicion de nos concitoyens à l'égard de la construction européenne, et cela a joué un rôle non négligeable dans l'échec du référendum sur le traité établissant une Constitution pour l'Europe, qui portait pourtant sur un tout autre sujet. Inscrire les pays du Golfe et du Moyen-Orient, l'Iran, l'Irak, voire même l'Afghanistan, comme le suggère une résolution du Parlement européen, dans la politique de voisinage, n'a pas de sens. Je souligne par ailleurs que l'attention aux droits de l'homme me semble une priorité essentielle dans nos relations avec les pays tiers, et d'abord à l'endroit des pays qui sont géographiquement proches de l'Union européenne, comme la Biélorussie. Nous devons être intransigeants sur ce point. La ville dont je suis le maire, Nevers, était ainsi jumelée avec la ville de Minsk, et j'ai choisi de mettre un terme à ce jumelage en raison de la nature du régime politique de ce pays.

M. Roland Ries :

Je souscris pleinement aux conclusions de notre collègue Simon Sutour. L'Europe souffre aujourd'hui d'une absence de visibilité et de choix. Deux voies sont ouvertes : une construction politique de l'Europe s'inscrivant dans des frontières définies, ou une zone de libre échange très vaste, allant bien au-delà des frontières européennes. Je suis personnellement favorable à la première voie, celle de l'Europe politique, qui suppose de fixer des limites. Pendant la campagne référendaire de mai dernier, cette question a joué un rôle non négligeable.

M. Robert Bret :

Nous souffrons de l'ambiguïté du terme de « voisinage », qui n'a pas de définition précise et peut donc tout permettre. Il serait irresponsable de diluer la politique étrangère de l'Union européenne à l'heure où le partenariat euro-méditerranéen doit entrer dans une nouvelle phase. Je suis favorable à une véritable stratégie de développement pour les pays du sud de la Méditerranée. La réforme des fonds structurels suite à l'élargissement de l'Union européenne va entraîner une réallocation des fonds versés en faveur des pays situés à l'Est de l'Union européenne au détriment des pays du Sud, et il ne faudrait pas accentuer ce déséquilibre. Les pays partenaires méditerranéens ont vocation à jouer un rôle de contrepoids à la montée de l'islamisme radical, et des pays comme les États-Unis sont déjà fortement impliqués dans cette région. L'Union européenne ne pourra pas être en retrait.

M. Aymeri de Montesquiou :

Je souhaiterais faire part d'une expérience personnelle. Récemment, je me suis rendu avec Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères, en Ukraine. Les autorités politiques de ce pays nous ont semblé parfaitement conscientes des difficultés que susciterait une candidature de l'Ukraine à l'entrée dans l'Union européenne. Elles nous ont paru plutôt favorables à une forme d'association avec l'Union, notamment pour préserver leurs relations avec la Russie.

M. Hubert Haenel :

J'ai demandé que l'on vous communique un point d'actualité sur les prochaines échéances de l'élargissement car cela me paraît complémentaire de la communication que nous venons d'entendre.

M. Jean Bizet :

Ces sujets ont une importance considérable et influent de manière déterminante sur l'inquiétude de nos concitoyens.